Kokoh Adjoumany Emile est le président de l’Ordre des Géomètres Experts de Côte d'Ivoire, et chef de terre du royaume Brong dans le district du Zanzan ou ‘’Abamhinin’’. Dans cet entretien, il explique l’origine des nombreux conflits fonciers et propose des solutions aux autorités actuelles, afin que le problème de terre soit définitivement réglé en Côte d’Ivoire. 3 questions à M. Kokoh Adjoumany Emile.
La question foncière est souvent au centre de nombreux conflits en Côte d’Ivoire. Le président Ouattara avant sa visite d’Etat en France a dit qu’il faut s’attaquer au problème du foncier rural. Qu’est-ce qui explique cela ?
Dans la Sainte Bible, en Deutéronome 19, verset14, Dieu dit : «Quand vous serez installés sur les terres qui vous seront attribuées, dans le pays que le Seigneur votre Dieu va vous donner en possession, vous ne déplacerez pas les bornes posées par les premiers arrivés pour marquer le domaine de votre voisin. » Vous voyez donc que la question foncière et plus précisément celle des limites qui se retrouvent au cœur de nombreux conflits qui eux-mêmes se terminent très souvent en guerre fratricide avait été traitée bien longtemps auparavant par les saintes écritures. C’est donc pour prévenir les situations désastreuses pour l’humanité que la parole de Dieu a recommandé non seulement le bornage de nos parcelles mais plus, une mise en garde sur la modification des limites ou le déplacement des bornes. En un mot, une bonne gestion du territoire. Le président Ouattara a vu juste. Pour mieux éclairer les Ivoiriens sur le foncier, je vais faire un retour en arrière, c’est-à-dire depuis la période pré-coloniale (avant que les colons ne posent leurs pieds sur nos terres). En effet, la période pré-coloniale couvre environ 160 siècles. Car selon les chercheurs, la première présence humaine sur le territoire appelé aujourd'hui Côte d'Ivoire, date de 15000 ans avant Jésus Christ. Et notre pays est devenu protectorat de la France en 1843 puis colonie française en 1893. Ainsi donc, pendant 160 siècles, le foncier a été géré de façon communautaire par nos rois, nos chefs de provinces, nos chefs de canton, nos chefs de terre, nos chefs de villages et nos chefs de familles. L'appropriation des terres se faisait par le droit de conquête (à la suite des guerres) et par la prescription acquisitive (l'on devient propriétaire par le fait d'une longue occupation d'une portion de terre). La terre était en ce moment-là sacrée et ne pouvait faire l’objet de transaction pécuniaire. D’un autre côté, les coutumes étaient respectées avec des catégories spéciales bien définies notamment les terres réservées pour l’agriculture et l’élevage, les terres réservées pour l’habitat et les fonctions sociales associées, les espaces sacralisés ou interdits et les espaces réservés pour la chasse, la pêche, la cueillette, etc. L'on peut affirmer sans risque de se tromper que nos ancêtres étaient dans un sens très bien organisés en ce qui concerne l'administration des terres bien que tout soit basé sur l'oralité. Pendant la période coloniale que nous situons entre 1893 et le 07 Août 1960, la Côte d’Ivoire était sous l’empire des lois françaises dans l’Afrique Occidentale Française (AOF). Les colons ont donc dans cette période créé des plantations de café et de cacao et installé une nouvelle administration. Il y a eu dans le domaine foncier d’abord le décret du 24 juillet 1906 puis le décret du 26 juillet 1932 portant réorganisation du régime de la propriété foncière en Afrique Occidentale Française. Mais à côté de ces textes et dans le même temps, nos ancêtres s'étaient vu appliquer le code de l’indigénat qui établissait une distinction nette entre les citoyens français (personnes de nationalité française) et les sujets français (les indigènes) qui eux, ne pouvaient à aucun moment prétendre bénéficier de la protection des décrets ci-dessus cités. Ce n’est qu’à la suppression de ce code de l’indigénat le 07 Avril 1946 et l’abolition effective du travail forcé par l’ONU le 17 Janvier 1959 que les autochtones ivoiriens ont pu jouir d’un semblant de protection du décret du 26 juillet 1932. A partir de cet instant, nous avons assisté et nous continuons d’assister à une superposition de trois régimes fonciers sur notre territoire. Il s’agit du régime foncier coutumier, qui lui-même comporte des variantes selon les grands groupes ethniques, du régime du code civil napoléonien et du régime de l’immatriculation inspiré du livre foncier Allemand et de l’acte Torrens. Ceci constitue l’une des sources des problèmes liés à la gestion des terres dans notre pays.
Mais, la Côte d’Ivoire a aujourd’hui 52 ans et les choses n’ont jusque-là pas évolué. Pourquoi ?
La Côte d’Ivoire a effectivement 52 ans d’indépendance, mais malgré cette indépendance, le constat dans la gestion du foncier est amer. Les terres ont été réparties en deux grands groupes : le domaine public de l’Etat et le domaine privé de l’Etat, tous deux très mal définis sur le terrain parce que non délimités et non cartographiés. En plus des définitions quelquefois floues, le pouvoir administratif est très émietté dans la gestion du foncier, ce qui occasionne des conflits de compétence. En effet, la gestion du domaine foncier dans notre pays est assurée par huit (8) ministères là où le Ghana compte un seul ministère, le Rwanda un ministère, le Québec un ministère et j'en passe. Aujourd’hui encore, l’administration de notre pays s’est révélée jusque-là incapable de satisfaire les demandes de terrain à bâtir et même souvent les demandes de terrain à mettre en culture dans un cadre réglementé. Ceci pousse les populations à occuper certaines terres et à créer des quartiers et villes spontanés ou à s’adonner à l’agriculture sur des terres sans titre donc non sécurisées juridiquement. Souvent, l’on reproche à tort ou à raison à l’administration d’être à la base des lenteurs dans les procédures ou même d’aller à l’encontre des législations. Je l'ai dit plus haut, l’analyse de cet état des lieux fait ressortir une superposition de trois (03) régimes fonciers sur un même territoire, les textes législatifs et réglementaires sont méconnus, désuets, parfois contradictoires et mal appliqués par l’administration. Nous assistons alors à une utilisation non planifiée des sols dans notre pays, donc non maîtrisée occasionnant souvent des conflits entre éleveurs et agriculteurs et aussi les agriculteurs entre eux. Le pouvoir d’Etat dans le domaine foncier est trop émietté et rend inefficace son action. Tout cela aboutit à inhiber la création d’un réel marché du foncier dans notre pays, véritable moteur du développement durable. Or, il est évident qu'une bonne gestion du foncier nous permettra à coup sûr de faire non seulement l’économie des nombreux conflits dont la finalité peut être la guerre, mais en prime l’Etat pourrait engranger de grosses ressources financières à travers l’impôt foncier. Le règlement définitif des problèmes du foncier peut donc aider à la réconciliation.
Vous disiez quelque part que le mode d’imposition actuel de l’impôt foncier n’est pas adapté à nos réalités. Que vouliez-vous insinuer ?
A propos de l’impôt foncier, il faut le dire tout net, le mode d’imposition actuel, inspiré du système français, n’est pas adapté. D’ailleurs, la France n’est pas le meilleur modèle dans ce domaine. Le meilleur cadastre est celui de la Suisse et nous pensons que le mode d’imposition de ce pays pourrait permettre à la Côte d’Ivoire de mieux se porter. Il faut copier sur les meilleurs. Une petite simulation à faire pâlir nos économistes sur l’impôt foncier toute proportion gardée bien entendu, car dans l’état actuel de notre gestion du foncier, nous ne sommes pas en mesure de déterminer avec exactitude la superficie de l’assiette de l’impôt foncier. Mais à supposer que nous imposons tout le territoire ivoirien, soit 322 464 Km² au taux de un (1) franc cfa par mètre carré (1fcfa/m²) par an. La Côte d’Ivoire engrangerait par an la somme de 322 464 000 000 F Cfa par an. Cela signifie tout simplement que si vous êtes propriétaire d’une parcelle de 500m², vous payez à l’Etat de Côte d'Ivoire la somme de 500 F Cfa comme impôt foncier par an. Qui accepterait de frauder pour 500 FCfa ? Bien entendu, nous sommes conscients qu'aucun pays n'a pu réaliser un taux de recouvrement d'impôt foncier à cent pour cent (100%). Et puis, toute la superficie formant le territoire de la Côte d'Ivoire n'est pas imposable. Tenant donc compte de ces deux aspects, nous pourrons réduire raisonnablement nos prétentions de moitié, soit à obtenir 161 232 000 000 F cfa d'impôt foncier par an, ce qui est considérable. Pour mémoire, le montant le plus élevé recouvré au titre de l'impôt foncier en Côte d'Ivoire sur la période allant de 2000 à 2010 est de 37 316 000 000 f cfa en 2009. Selon notre estimation, l'on est en droit de s'attendre à environ cinq fois plus.
Entretien réalisé par : Maxime Wangué coll : Larissa G.
La question foncière est souvent au centre de nombreux conflits en Côte d’Ivoire. Le président Ouattara avant sa visite d’Etat en France a dit qu’il faut s’attaquer au problème du foncier rural. Qu’est-ce qui explique cela ?
Dans la Sainte Bible, en Deutéronome 19, verset14, Dieu dit : «Quand vous serez installés sur les terres qui vous seront attribuées, dans le pays que le Seigneur votre Dieu va vous donner en possession, vous ne déplacerez pas les bornes posées par les premiers arrivés pour marquer le domaine de votre voisin. » Vous voyez donc que la question foncière et plus précisément celle des limites qui se retrouvent au cœur de nombreux conflits qui eux-mêmes se terminent très souvent en guerre fratricide avait été traitée bien longtemps auparavant par les saintes écritures. C’est donc pour prévenir les situations désastreuses pour l’humanité que la parole de Dieu a recommandé non seulement le bornage de nos parcelles mais plus, une mise en garde sur la modification des limites ou le déplacement des bornes. En un mot, une bonne gestion du territoire. Le président Ouattara a vu juste. Pour mieux éclairer les Ivoiriens sur le foncier, je vais faire un retour en arrière, c’est-à-dire depuis la période pré-coloniale (avant que les colons ne posent leurs pieds sur nos terres). En effet, la période pré-coloniale couvre environ 160 siècles. Car selon les chercheurs, la première présence humaine sur le territoire appelé aujourd'hui Côte d'Ivoire, date de 15000 ans avant Jésus Christ. Et notre pays est devenu protectorat de la France en 1843 puis colonie française en 1893. Ainsi donc, pendant 160 siècles, le foncier a été géré de façon communautaire par nos rois, nos chefs de provinces, nos chefs de canton, nos chefs de terre, nos chefs de villages et nos chefs de familles. L'appropriation des terres se faisait par le droit de conquête (à la suite des guerres) et par la prescription acquisitive (l'on devient propriétaire par le fait d'une longue occupation d'une portion de terre). La terre était en ce moment-là sacrée et ne pouvait faire l’objet de transaction pécuniaire. D’un autre côté, les coutumes étaient respectées avec des catégories spéciales bien définies notamment les terres réservées pour l’agriculture et l’élevage, les terres réservées pour l’habitat et les fonctions sociales associées, les espaces sacralisés ou interdits et les espaces réservés pour la chasse, la pêche, la cueillette, etc. L'on peut affirmer sans risque de se tromper que nos ancêtres étaient dans un sens très bien organisés en ce qui concerne l'administration des terres bien que tout soit basé sur l'oralité. Pendant la période coloniale que nous situons entre 1893 et le 07 Août 1960, la Côte d’Ivoire était sous l’empire des lois françaises dans l’Afrique Occidentale Française (AOF). Les colons ont donc dans cette période créé des plantations de café et de cacao et installé une nouvelle administration. Il y a eu dans le domaine foncier d’abord le décret du 24 juillet 1906 puis le décret du 26 juillet 1932 portant réorganisation du régime de la propriété foncière en Afrique Occidentale Française. Mais à côté de ces textes et dans le même temps, nos ancêtres s'étaient vu appliquer le code de l’indigénat qui établissait une distinction nette entre les citoyens français (personnes de nationalité française) et les sujets français (les indigènes) qui eux, ne pouvaient à aucun moment prétendre bénéficier de la protection des décrets ci-dessus cités. Ce n’est qu’à la suppression de ce code de l’indigénat le 07 Avril 1946 et l’abolition effective du travail forcé par l’ONU le 17 Janvier 1959 que les autochtones ivoiriens ont pu jouir d’un semblant de protection du décret du 26 juillet 1932. A partir de cet instant, nous avons assisté et nous continuons d’assister à une superposition de trois régimes fonciers sur notre territoire. Il s’agit du régime foncier coutumier, qui lui-même comporte des variantes selon les grands groupes ethniques, du régime du code civil napoléonien et du régime de l’immatriculation inspiré du livre foncier Allemand et de l’acte Torrens. Ceci constitue l’une des sources des problèmes liés à la gestion des terres dans notre pays.
Mais, la Côte d’Ivoire a aujourd’hui 52 ans et les choses n’ont jusque-là pas évolué. Pourquoi ?
La Côte d’Ivoire a effectivement 52 ans d’indépendance, mais malgré cette indépendance, le constat dans la gestion du foncier est amer. Les terres ont été réparties en deux grands groupes : le domaine public de l’Etat et le domaine privé de l’Etat, tous deux très mal définis sur le terrain parce que non délimités et non cartographiés. En plus des définitions quelquefois floues, le pouvoir administratif est très émietté dans la gestion du foncier, ce qui occasionne des conflits de compétence. En effet, la gestion du domaine foncier dans notre pays est assurée par huit (8) ministères là où le Ghana compte un seul ministère, le Rwanda un ministère, le Québec un ministère et j'en passe. Aujourd’hui encore, l’administration de notre pays s’est révélée jusque-là incapable de satisfaire les demandes de terrain à bâtir et même souvent les demandes de terrain à mettre en culture dans un cadre réglementé. Ceci pousse les populations à occuper certaines terres et à créer des quartiers et villes spontanés ou à s’adonner à l’agriculture sur des terres sans titre donc non sécurisées juridiquement. Souvent, l’on reproche à tort ou à raison à l’administration d’être à la base des lenteurs dans les procédures ou même d’aller à l’encontre des législations. Je l'ai dit plus haut, l’analyse de cet état des lieux fait ressortir une superposition de trois (03) régimes fonciers sur un même territoire, les textes législatifs et réglementaires sont méconnus, désuets, parfois contradictoires et mal appliqués par l’administration. Nous assistons alors à une utilisation non planifiée des sols dans notre pays, donc non maîtrisée occasionnant souvent des conflits entre éleveurs et agriculteurs et aussi les agriculteurs entre eux. Le pouvoir d’Etat dans le domaine foncier est trop émietté et rend inefficace son action. Tout cela aboutit à inhiber la création d’un réel marché du foncier dans notre pays, véritable moteur du développement durable. Or, il est évident qu'une bonne gestion du foncier nous permettra à coup sûr de faire non seulement l’économie des nombreux conflits dont la finalité peut être la guerre, mais en prime l’Etat pourrait engranger de grosses ressources financières à travers l’impôt foncier. Le règlement définitif des problèmes du foncier peut donc aider à la réconciliation.
Vous disiez quelque part que le mode d’imposition actuel de l’impôt foncier n’est pas adapté à nos réalités. Que vouliez-vous insinuer ?
A propos de l’impôt foncier, il faut le dire tout net, le mode d’imposition actuel, inspiré du système français, n’est pas adapté. D’ailleurs, la France n’est pas le meilleur modèle dans ce domaine. Le meilleur cadastre est celui de la Suisse et nous pensons que le mode d’imposition de ce pays pourrait permettre à la Côte d’Ivoire de mieux se porter. Il faut copier sur les meilleurs. Une petite simulation à faire pâlir nos économistes sur l’impôt foncier toute proportion gardée bien entendu, car dans l’état actuel de notre gestion du foncier, nous ne sommes pas en mesure de déterminer avec exactitude la superficie de l’assiette de l’impôt foncier. Mais à supposer que nous imposons tout le territoire ivoirien, soit 322 464 Km² au taux de un (1) franc cfa par mètre carré (1fcfa/m²) par an. La Côte d’Ivoire engrangerait par an la somme de 322 464 000 000 F Cfa par an. Cela signifie tout simplement que si vous êtes propriétaire d’une parcelle de 500m², vous payez à l’Etat de Côte d'Ivoire la somme de 500 F Cfa comme impôt foncier par an. Qui accepterait de frauder pour 500 FCfa ? Bien entendu, nous sommes conscients qu'aucun pays n'a pu réaliser un taux de recouvrement d'impôt foncier à cent pour cent (100%). Et puis, toute la superficie formant le territoire de la Côte d'Ivoire n'est pas imposable. Tenant donc compte de ces deux aspects, nous pourrons réduire raisonnablement nos prétentions de moitié, soit à obtenir 161 232 000 000 F cfa d'impôt foncier par an, ce qui est considérable. Pour mémoire, le montant le plus élevé recouvré au titre de l'impôt foncier en Côte d'Ivoire sur la période allant de 2000 à 2010 est de 37 316 000 000 f cfa en 2009. Selon notre estimation, l'on est en droit de s'attendre à environ cinq fois plus.
Entretien réalisé par : Maxime Wangué coll : Larissa G.