Contre vents et marées, Abdoulaye Wade, bientôt 86 ans, a maintenu sa candidature à la présidentielle au Sénégal. Les accusations de violation de la constitution, les marches et autres manifestations de rue de l'opposition sénégalaise, émaillées de violences et de morts, n'ont rien pu contre l’entêtement du père du Sopi (changement) à briguer un troisième mandat, celui-là, de sept ans. Même les appels jugés quelque peu modérés de la communauté internationale notamment, de la France par la voix de Sarkozy et des États-Unis par celle de Barack Obama, au Gorgui (Le vieux en Wolof) d'opter pour une alternance générationnelle n'ont pas eu d'échos favorables. En tout cas, Abdoulaye Wade a maintenu sa position, donnant le sentiment d’avoir opté pour la politique de l’autruche qui refuse de regarder la vérité en face. La vérité ici est constitutionnelle et voudrait qu’après un mandat de deux ans, qu’il soit un quinquennat ou un septennat, le président ne brigue pas un troisième mandat. Et Abdoulaye Wade a bel bien fait deux mandats, même s’il juge que le premier sort du cadre de la réforme constitutionnelle. En faisant semblant d’ignorer cela et de s’accrocher coûte que coûte au pouvoir, le président sénégalais rappelle brutalement aux souvenirs des Africains, le scénario ivoirien après les élections de novembre 2010. Laurent Gbagbo estimant que le Conseil Constitutionnel l’avait déclaré vainqueur s’était bouché les oreilles, bandé les yeux jusqu'à ce qu'il soit capturé cinq mois après le scrutin. Mais, le mal était déjà fait. Plus de 3000 Ivoiriens avaient été tués dans les affrontements entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara. L'on se souvient que dans la foulée, Abdoulaye Wade avait appelé l'ex- président ivoirien à se plier à la volonté de la communauté internationale en cédant le pouvoir au Président Ouattara. Comparaison n'est pas raison certes, mais l'histoire, étant un témoignage, voudrait que l’on rappelle d’abord au président sortant sénégalais que des Ivoiriens avaient apprécié sa sortie appelant Gbagbo à faire preuve de sagesse. Le Chef de l’Etat ivoirien, Alassane Ouattara, avait su lui manifester la reconnaissance du peuple ivoirien en consacrant au Sénégal et à son Président sa première visite officielle après sa prise effective du pouvoir, le 11 avril 2011. Mais, aujourd’hui, les mêmes Ivoiriens ne s’expliquent pas ce qui apparaît à leurs yeux comme un manque de sagesse de la part de Wade, lui, si prompt à donner des leçons. Comment un homme de presque 86 ans peut-il s’obstiner à convoiter un mandat de sept ans à cet âge ? S’il est élu, il aura 93 ans au terme de ce mandat et qui sait s’il ne voudra pas briguer un quatrième. Et ce qui paraît curieux dans tout ça, c’est le silence troublant des organisations sous-régionales et continentales. Depuis que les Sénégalais se chamaillent, l’Union Africaine et la Cedeao, comme des complices de Wade, ne bronchent pas. C’est seulement le médiateur et ancien président nigérian Olusegun Obasanjo qui a proposé qu'Abdoulaye Wade reste deux ans au pouvoir, au lieu de sept, en cas de victoire à l'élection de dimanche. Une proposition à laquelle Wade a répondu benoîtement : «Le Sopi est toujours en marche». Après plusieurs semaines de vives tensions soldées par de nombreux morts, les Sénégalais se sont rendus aux urnes, le dimanche 26 février 2012, pour élire celui des 14 candidats qui va présider aux destinées du pays de la Teranga pour les sept ans à venir. Ici, l'on n'a point besoin d'être un devin pour prédire la suite immédiate des événements. Depuis hier déjà, les contestations ont commencé. On a parlé de l’encre qui ne serait pas indélébile, de bourrage d’urnes dans certaines circonscriptions… Et comme l’on s’y attend, dans les jours à venir, le Conseil constitutionnel va proclamer des résultats donnant Abdoulaye Wade vainqueur du scrutin. «Ma majorité est si écrasante que je pense être élu avec un fort pourcentage dès le premier tour», avait averti le candidat de 85 ans. Et le décor des affrontements est ainsi planté. Le mouvement du 23 juin comprenant les principaux challengers de Wade notamment Idrissa Seck, Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niasse, Cheick Bamba Dieye, Cheick Tidiane Gadio, Ibrahim Fall..., la coalition des partis et organisations de la société civile opposés à la candidature de Wade vont contester ce résultat, en criant à la tricherie et à la fraude. Des mots d’ordre seront lancés. Le peuple va prendre la rue défiant les kalachnikovs des forces de l’ordre. Et le pays de la Teranga pourrait écrire les plus sombres pages de son histoire. Pourtant, l'arrivée au pouvoir d'Abdoulaye Wade en 2000, la même année que l’élection de Laurent Gbagbo en Côte d'Ivoire, avait suscité de l’espoir notamment en ce qui concerne l’alternance dans l'exercice du pouvoir d'Etat au Sénégal, cité par nombre de politologues comme un modèle de démocratie dans la sous-région. Le Sénégal est le seul Etat d'Afrique occidentale, à ne pas avoir subi de coup d'Etat depuis son indépendance, en 1960. Seulement voilà. Après 12 années passées au pouvoir, l’ancien opposant semble avoir pris goût, estimant que nul autre que lui n’est mieux qualifié pour diriger le pays. Ainsi a-t-il décidé de le confisquer, en dépit de la menace d’embrasement qui pèse sur le pays. En juin 2011, il a tenté de faire passer une réforme constitutionnelle qui devait permettre au président de se faire élire avec seulement 25% du suffrage exprimé. Toute chose qui a provoqué l’ire des Sénégalais entraînant la naissance d’un mouvement baptisé «Y'en a marre » et qui a fait reculer «Le vieux». Quand le 28 janvier 2012, le Conseil constitutionnel a validé sa candidature, pris le risque de rejeter celle du chanteur Youssou NDour et que la réaction de l’opposition n’a pas été à la hauteur des attentes, Wade a compris qu’il pouvait poursuivre son jeu de poker. Et, à bien écouter les échos qui parviennent du Sénégal, le candidat du Parti démocratique sénégalais n’est pas loin de triompher de ses adversaires. Seulement, l’avenir de ce pays reste incertain vu que l’attitude de Wade ressemble malheureusement à un braquage, chose que la communauté internationale, les bailleurs de fonds et autres partenaires au développement ne semblent pas apprécier.
COULIBALY Vamara
COULIBALY Vamara