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Société Publié le samedi 3 mars 2012 | Nord-Sud

1 an après : Yopougon, Abobo, Koumassi... Sur les traces des veuves de la crise postélectorale

Certains ont été enlevés et sont portés disparus. D’autres ont été abattus. Elles sont nombreuses, les femmes qui ont perdu leurs maris pendant la crise postélectorale. Un an après, et à quelques jours de la célébration de la Journée internationale de la femme le 8 mars, Nord-sud Quotidien est allé à leur rencontre.


Cela fait un an, jour pour jour. Mais la douleur est encore vive dans son cœur, comme si c’était hier. Assise dans le salon de sa mère, Soro Christelle, veuve de Koné Jean, regarde son fils de 4 mois endormi dans son petit lit. Elle lui sourit, mais son regard en dit long sur ses pensées ! Depuis qu’elle a perdu son mari, Christelle entrevoit avec inquiétude l’avenir. C’est une femme désespérée que nous rencontrons, ce mardi 28 février, à Yopougon-Sideci. L’un des derniers bastions des miliciens de Laurent Gbagbo. La veille, nous l’avions jointe au téléphone. Elle a accepté de nous recevoir. Vêtue d’un tee-shirt blanc et d’un pantalon de même couleur, cette veuve dans la vingtaine regrette que son fils Koné Jean, 4 mois à peine n’ait pas connu son père. Ce dernier a été enlevé en mars 2011, pendant la crise postélectorale. Et, depuis, Christelle n’a plus eu de nouvelles de lui. «J’ai espéré en vain. Je priais Dieu pour qu’on le retrouve. C’était un enseignant qui ne pensait qu’à son travail et à sa famille. Il ne ferait pas de mal à une mouche», raconte-t-elle. Au départ, ses parents ont joint les ravisseurs qui ne demandaient aucune rançon.

Difficile de vivre près
de la tombe de son mari

Et puis, le téléphone ne sonnait plus. «J’étais enceinte de deux mois à cette époque. Quand il a appris la nouvelle, il était très heureux. On avait de nombreux projets pour notre bébé», se souvient Christelle, la gorge nouée d’émotion. Elle marque une pause, le temps de retrouver ses esprits. Aujourd’hui, elle est obligée d’arrêter les cours. Et elle doit penser à élever son bébé et lui assurer un avenir. Christelle ne travaille pas encore. Elle vit chez sa mère qui essaye de l’aider avec ses maigres moyens. Quelquefois, les frères de son défunt mari lui viennent en aide. Mais cela ne peut pas remplacer le père de son enfant : «ma vie a été brisée le jour où mon mari a été enlevé. Aujourd’hui, je me demande encore, pourquoi lui ?». La vie est devenue dure pour cette veuve. Le plus urgent, pour elle, ce sont les documents administratifs. «Mon conjoint avait souscrit à une assurance-vie. Mais, nous ne pouvons pas toucher l’argent pour l’instant, car il est considéré comme une personne disparue. Il n’y a pas de certificat de décès et dans le cas d’espèce, il faut attendre 5 ans pour déclarer la personne morte », explique-t-elle. A part la visite-éclair de Gilbert Kafana, ministre de l’Emploi, de la solidarité et des affaires sociales, pour offrir des vivres aux victimes, cette veuve n’a encore reçu aucune aide qui soulage ses angoisses. Elles sont nombreuses les femmes dans son cas. Elles n’avaient qu’un seul désir : être de bonnes épouses et vivre une vie de famille remplie. Mais la crise postélectorale en a décidé autrement. Au quartier Doukouré de Yopougon, dame Ouattara Fatoumata se retrouve toute seule, aujourd’hui, avec 7 enfants à nourrir. Ce même 28 février, elle s’apprête à aller au marché pour vendre des légumes. Fatoumata a perdu son mari le 12 avril 2011. Soit le lendemain de l’arrestation de Laurent Gbagbo. Il s’appellait Ouattara Lamissa et avait 58 ans. Il a été abattu par des miliciens qui lui ont tiré trois balles. Une au bras, une autre en plein cœur, et la troisième dans l’une de ses jambes. Ce sont des souvenirs que cette femme dans la quarantaine préfère oublier. Le quotidien est déjà difficile à gérer. Surtout qu’après avoir tué son époux, les criminels ont aussi pillé la maison. C’est donc sa fille qui accepte de témoigner à sa place. C’est trop dur pour elle d’en parler.«Ma mère a reçu trop de personnes ici : enquêteurs, journalistes. Surtout beaucoup de Blancs. Elle dit qu’elle est fatiguée de toujours reprendre les mêmes témoignages. De plus, quand il y a des dons, nous les vraies victimes ne percevons rien. Ceux qui n’étaient pas là au moment de la guerre et qui avaient fui le quartier sont ceux qui en bénéficient.» La veuve éprouve d’énormes difficultés à scolariser ses 7 enfants. Certains ont été obligés de quitter l’école pour faire de petits métiers. Aujourd’hui, elle doit lutter pour subvenir aux besoins primaires, tels que nourrir la famille. Pour cela, elle doit sortir très tôt le matin pour vendre des légumes au marché. La fille de Fatoumata explique que la famille veut quitter le quartier. Hélas, les moyens manquent. De plus, son père a été enterré tout près de la maison, dans une fosse commune. Et la mère d’ajouter en malinké : «je laisse à Dieu tout ce qui est arrivé. Qu’il accorde une bonne place à mon mari.» Tout ce que cette veuve demande, c’est que les autorités leur accordent un peu d’attention.

Parfois, fuir le plus
loin possible

C’est aussi ce que souhaite Diakité Madeleine, une autre veuve qui a perdu son mari pendant la crise. Elle a dû quitter une villa à Yopougon pour un taudis à Koumassi-campement. C’est là que nous la rencontrons. «Mon époux a été enlevé un matin du mois de février 2011. Me laissant avec trois enfants à scolariser, sans aucune aide. Mes beaux-parents m’ont tourné le dos», regrette-t-elle. Ne pouvant plus faire face aux dépenses, elle a quitté la maison que son époux louait à 40.000 F par mois. La veuve de Diakité a d’abord tenté d’aller dans sa famille à Gonzagville, mais celle-ci n’avait pas non plus les moyens de l’accueillir. «C’est donc ici que je me débrouille. Je suis obligée d’accepter mon sort», se résigne-t-elle. Une baraque en bois où règne une chaleur d’enfer. «Il faut accepter son sort», se console-t-elle.
Abobo connaît aussi son lot de veuves. Mariam Kanté, 18 ans est l’une des plus jeunes. Elle vit au Pk 18, carrefour Diallo. Son veuvage a commencé à 17 ans, quand sa seconde moitié a rendu son dernier souffle en décembre 2011, après avoir pris trois balles au «parlement d’Abobo-avocatier ». Elle garde néanmoins un bon souvenir de la cérémonie organisée dans la commune en la mémoire de toutes les victimes. Le 13 octobre 2011, à l’occasion de cette cérémonie officielle, elle a rencontré le chef de l’Etat, Alassane Ouattara. Elle n’oubliera jamais ce moment plein d’émotion. «Il m’a serré la main et m’a demandé si j’étais une parente du défunt. Je lui ai dit que j’étais sa veuve. Le président était si étonné et ému, qu’il a promis s’occuper de moi donc j’attends », espère-t-elle. Aujourd’hui, Mariam est retournée vivre dans sa famille. Ses effets personnels sont encore dans son foyer, bloqués par le propriétaire de la maison pour loyers impayés. Avec sa fille de 3 ans, elle tente difficilement de s’inventer un avenir. Comme les autres veuves, elle espère que la Journée internationale de la femme le 8 mars soit une occasion pour l’Etat de penser à elles.


S.S. (stagiaire)
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