Dans la plupart des sociétés africaines, la mort n’est jamais naturelle. Elle est toujours supposée être l’œuvre d’un sorcier qui a du mal à supporter l’ascension de ses semblables. Le drame qu’a vécu la petite ville de Guibéroua en pays Bété, dans la journée du dimanche 4 mars 2012, en est une parfaite illustration. Soko Eric, un jeune natif de Guibéroua d’ethnie Bété meurt de façon subite sans qu’il ait été véritablement malade. Depuis son décès, sa famille et surtout les jeunes de sa génération n’en reviennent pas et sont déterminés à rechercher et à punir l’auteur de la mort de Soko qui ne peut être qu’un jaloux sorcier. Le corps sort de la morgue dimanche pour l’inhumation au cimetière de la ville. Depuis des lustres, l’exorcisme par le Gôpô (mixture magique) est révolu en pays Bété. Le rite encore en vogue consiste à exhiber le corps pour qu’il désigne les auteurs et coauteurs. C’est à ce rite que procèdent les amis de Soko qui ont décidé de porter le corps eux-mêmes depuis la morgue afin qu’une main étrange n’annihile l’opération. Pris dans une tourmente, les porteurs du corps se dirigent vers la table de Cheick, un commerçant de la ville, qui est fauché. C’est la preuve par neuf que Cheick, le Malinké qui vit à Guibéroua depuis des années, est coupable. Ses marchandises sont emportées dans la confusion. Cheick qui plaide non coupable porte plainte non sans alerter sa communauté. La tension monte. La dépouille dont le cercueil s’est brisé au cours du rituel est abandonnée puisque les jeunes Malinké sont venus au secours de Cheick. Ils sont armés de machettes et de gourdins. En quelques minutes, le quartier Bété se vide de ses habitants vulnérables. Les échauffourées qui s’ensuivent font des blessés de part et d’autre. Notre informateur a pu constater deux blessés. C’est l’interposition des gendarmes et des policiers de la ville renforcée par leurs collègues de Gagnoa en dépit du déficit de moyens de dissuasion, qui sauve les meubles. Le calme est revenu dans l’après-midi. Notre informateur soutient qu’il n’y a pas longtemps, dans les mêmes circonstances, le corps d’un jeune Bété désignait une Guinéenne tenancière d’un maquis. L’affaire avait été réglée sans affrontement. Et d’avouer que ce qui vient de se passer n’est que le prolongement de la crise postélectorale. Aujourd’hui, dit-il, le moindre incident occasionne des débordements en raison des vilains sentiments que nourrissent les communautés en présence. Vivement la réconciliation !
S. Débailly
S. Débailly