A Bouaké, c’est désormais la hantise de l’insécurité au quotidien. Mais personne n’en parle, ou presque. C’est un sujet tabou. C’est trop risqué d’en parler, parce que le braqueur peut être le voisin. Et le collègue peut avoir une relation dans les rangs des braqueurs. Qui sait ? Ahougnanssou, Air France I, II, III, Nagattakro, Broukro, Kôkô et la Zone, notamment, sont devenus des zones rouges la nuit. Ici, les populations se sont imposé un couvre-feu. A partir de 17 heures 30 minutes, chacun s’enferme chez lui. Les braquages sont devenus monnaie courante. Les motocyclistes, en particulier, les détenteurs des motos Jakarta, sont des cibles privilégiées. Ces engins à deux roues sont convoités. Faute d’être immatriculées, les motos sont arrachées et revendues. La police et la gendarmerie redéployées ? Les brigades et les commissariats rouverts manquent de tout. Les effectifs sont encore insuffisants, les véhicules de locomotion manquent et la dotation en armes se fait attendre. Les éléments redéployés sont réduits à réguler la circulation urbaine. Tout au plus, procèdent-ils à des constats d’usage après le passage des malfaiteurs. Chez les citoyens, en général et les commerçants, en particulier, la peur est partagée. D’autant que le diable de l’insécurité ne sévit pas que dans la ville de Bouaké, ville carrefour. Il règne aussi sur ses voies d’accès. On fait sa prière pour se rendre de Bouaké à Katiola distants seulement de 45 kilomètres. Et c’est un miracle qu’on y va et qu’on en revient sans être tombé sur une embuscade des coupeurs de routes. Chez ces derniers, les pratiques ont changé. Plus question de joncher les voies de braquages et autres troncs d’arbres. Aujourd’hui, c’est plus raffiné. En groupe de 7 ou 8, voire plus, les braqueurs se dissimulent des les bosquets en bordure des axes. Quand un véhicule arrive à leur hauteur, ils surgissent, ils mitraillent à l’aveuglette, ils font les poches aux vivants et aux morts. La course au butin ! Ces délinquants peuvent braquer le matin, à deux kilomètres de Bouaké, puis se retrouver l’après midi ou le soir à l’entrée de Katiola. Au delà de Katiola, la situation est la même, sur la voie qui mène au nord. Ces nouveaux maîtres sont-ils de Bouaké ou d’ailleurs ? Difficile de le dire. De Bouaké à Ouangolodougou, à Boundiali, à Ferkéssédougou ou à Korhogo, c’est, selon nos sources, cinq à six braquages la journée. Toujours encagoulés, souvent en treillis, parfois en civil, ils agissent avec les armes de guerre dont des kalachnikovs et des armes de pointe. Des grenades seraient quelquefois utilisées lors des opérations. Ils ont la particularité de s’y connaitre en maniement des armes et aux plans d’attaque. D’un effectif modeste, la police militaire installée à Bouaké effectue des patrouilles aux alentours de la ville. C’est encore et largement peu, pour décourager la bande. Structurés, mobiles, ces faiseurs de loi ont des informateurs dans la ville, voire proches de la campagne anti-coupeurs de route. Les populations attendent de voir ce que feront les éléments du commandant Cherif Ousmane. Ces derniers ont débarqué depuis quelques jours à Bouaké. Lundi dernier, ils ont commencé des patrouilles dans la ville de Gbêkêkro. Feront-ils mieux ? Rien n’est sûr. Des transporteurs ont déjà déploré 124 tués sur l’axe Bouaké-Korhogo. Et cela, depuis la date de l’arrestation de l’ancien président Laurent Gbagbo en avril 2011 à décembre 2011. En effet, l’épidémie de braquages et des coupures des routes est survenue au lendemain de la crise post-électorale dont l’une des conséquences directes a été la délocalisation, à Abidjan, des troupes de Bouaké et de toutes les zones ex-rebelles (Centre-nord-ouest). La disparition des check points, dans le cadre de la normalisation post-crise, a laissé le champ libre à ces corbeaux armés qui infestent les axes. Dans le passé, pas moins de trois check points étaient installés entre Bouaké-Katiola-Niakaramandougou, long d’une centaine de kilomètres. Cette stratégie anti-coupeurs de route mise en place par les ex-Forces nouvelles avait le mérite de dissuader les candidats à de telles pratiques. Plus maintenant.
La normalisation a fait le lit d’une situation bien plus anormale, pourrait-on dire.
Benoit HILI
La normalisation a fait le lit d’une situation bien plus anormale, pourrait-on dire.
Benoit HILI