Ce fut un happy week-end comme il n’en arrive pas souvent en Afrique ! Un happy week-end d’une histoire tumultueuse pour laquelle le pire avait été prévu. Si tout s’est bien passé, il faut le devoir à la vigilance du peuple du Sénégal, à la mobilisation de la société civile, à la perspicacité de Macky Sall, à la solidarité des leaders sénégalais, au sens du fairplay d’Abdoulaye Wade et surtout au désir de paix et de «vivre ensemble» des Sénégalais et Sénégalaises. Au fond, quand on observe, on se demande si le président Abdoulaye Wade qui avait voulu piéger l’opposition ne s’est pas fait prendre à son propre piège. Malgré la catastrophe évitée, le sSénégal interpelle sur un fait : la logique de rupture et de boycott est-elle la meilleure réponse aux crises et conflits politiques ? Analyse !
La vigilance du peuple
Un peuple, ce sont des leaders et des acteurs politiques. Les peuples ont les leaders qu’ils méritent. Mais les leaders ont également les peuples qu’ils méritent. Quand les leaders et les acteurs jouent leur rôle, le peuple suit. Mais il lui arrive de prendre ses responsabilités. Alors que la classe politique semblait discréditée, affaiblie et divisée, la société civile s’est mobilisée et est montée au créneau à partir de Juin 2010, quand Wade avait tenté une énième modification de la constitution. Souvent le peuple et les populations n’ont pas besoin qu’on leur dise que ce n’est pas bien pour faire valoir leurs aspirations profondes. On a vu les révolutions en Tunisie et en Egypte qui semblaient spontanées et sans leader au départ ; raisons pour lesquelles, presque les mêmes systèmes et classes politiques sont restés au pouvoir dans ces pays. Le peuple du Sénégal a donc été vigilant. Il s’est mobilisé lors du premier tour pour empêcher que la peur l’emporte.
La stratégie de la peur et du boycott
Au départ, l’objectif était d’empêcher la candidature du président sortant. Son éligibilité avait divisé la classe politique durant plusieurs semaines. Abdoulaye Wade a appelé à la rescousse des constitutionnalistes américains et européens pour interpréter la constitution sénégalaise et démontrer qu’il est éligible. La France et les Usa ont émis des réserves et cela a créé une polémique entre la présidence sénégalaise et Alain Juppé. Pour l’opposition qui a néanmoins évité l’erreur du boycott et le refus absolu de déposer les candidatures, il n’était pas question d’affronter Wade pour un troisième mandat. Cette mobilisation n’a pas fait perdre de vue le ‘’Tout sauf Wade’’. Le fait même que les leaders aient déposé les candidatures montre bien que le choix du boycott n’a pas été au cœur de la stratégie de combat.
La perspicacité de Macky Sall
Toutefois ce ne fut pas évident, puisque la volonté et la détermination de Macky Sall de faire campagne et d’aller à l’élection n’a pas été perçue ni admise par les autres leaders de l’opposition sénégalaise. Pour la majorité et aussi pour la société civile, ainsi que pour les partisans de Youssou Ndour encore sous le choc du rejet de la candidature du chanteur, aller à l’élection, c’était prendre le risque d’adouber Abdoulaye Wade, qui pouvait avec la fraude, les intimidations et les achats de conscience gagner le scrutin dès le premier tour, comme il le disait. Mais tout en disant non à la candidature de Wade, l’opposition a fini par faire bon cœur, contre mauvaise fortune en utilisant les espaces démocratiques et l’environnement de la campagne pour porter la critique sur Abdoulaye Wade. En restant dans le déni et dans le boycott, quels espaces de liberté et de propagande, l’opposition aurait-elle eu ? Une telle stratégie a dérouté. Elle a été incomprise par les radicaux et extrémistes. C’est ainsi que Macky Sall qui paraissait le plus cohérent dans sa démarche a pu élargir sa base, et faire une percée pour sa première candidature à l’élection présidentielle dans son pays. Il a réalisé au premier tour la performance qui a été celle d’Idrissa Seck en Avril 2007, quand il était arrivé en 2ème position de l’élection gagnée au premier tour face à Abdoulaye Wade. Cela signifie-t-il qu’au delà des partis traditionnels, les Sénégalais sont-ils au fond soucieux de renouveler les leaders de premier plan ? La chute au fil des années de Moustapha Niasse, Tanor Dieng et Idrissa Seck, devrait donner à réfléchir….
Wade, de la provocation au fair play
C’est normal les joutes verbales dans une élection. C’est normal de faire monter l’adrénaline, de dire qu’on n’a pas d’adversaires crédibles en face, de dire on gagne ou on gagne. Abdoulaye Wade a donc fait tout cela, et ses partisans ont joué leur rôle dans la guerre des nerfs, dans la bataille psychologique. Cela dit, Abdoulaye Wade a-t-il escompté que l’opposition serait tombée dans le piège du boycott ? Avec le boycott des principaux leaders et candidats, les candidats marginaux seraient allés à l’élection et Wade aurait gagné au premier tour. Comme pour Ellen Sirleaf au Liberia, qui a gagné au second tour après le boycott de son adversaire, Abdoulaye Wade serait passé haut les mains. Le Sénégal serait entré dans une longue crise politique. Mais l’opposition aurait-elle encore boycotté les législatives ? Apparemment à ce jeu, malgré les risques d’incertitudes et d’instabilité qui planaient sur le pays, Abdoulaye Wade, qui croyait en la solidité des institutions de son pays, escomptait bien pouvoir s’en sortir. L’opposition a flairé le danger, et a, au dernier moment, joué la carte de la mobilisation électorale (et non politique) pour faire partir le président sortant. Le boycott et ses conséquences pas toujours heureuses, a donc été évité. Est-ce cela qui a dérouté les plans d’Abdoulaye Wade, ou bien malgré tous les signaux contraires, croyait-il vraiment qu’il aurait pu remporter à la loyale un troisième mandat ?
Instituions solides mais pas folles
Les instituions au Sénégal sont fortes. Barack Obama appelait à des instituions fortes en Afrique, à la place des hommes forts. Le Sénégal est sur la bonne voie, même si le Conseil constitutionnel du Sénégal en disqualifiant Youssou Ndour, sans oser remettre en cause la candidature d’Abdoulaye Wade, avait laissé planer des doutes et des inquiétudes sur ses capacités d’indépendance. Ces institutions au Sénégal sont solides, mais elles ne sont pas folles. Le Conseil Constitutionnel n’a pas joué les fous. La police et les forces de l’ordre sont restées dans des dispositions d’esprit acceptables, évitant de faire des tueries à grande échelle et des massacres des populations. L’environnement électoral est resté ouvert et concurrentiel, en dépit des moyens de l’Etat à la disposition du président sortant. Le besoin et le désir d’alternance ont été si réels que même les radicaux dans le cercle du pouvoir de Wade ont fini par en prendre acte, au vu des écarts massifs issus des premiers résultats. Cela a fait dire à plusieurs observateurs qu’en Afrique, la paix dépend davantage des tenants du pouvoir que des opposants. Abdou Diouf a garanti la paix dans son pays, en acceptant sa défaite. Wade a garanti la paix en acceptant sa défaite. L’élection d’avant-hier a également permis de réguler les rapports entre le politique et le religieux, qui a pu rester généralement loin de l’arène cette fois. La tentation de la crise identitaire agitée par certains, ainsi que la question de castes, a été également éludée et évitée.
Vision différente et variation au sujet du boycott des élections
Laurent Gbagbo avait une vision contraire. S’inspirant de ses années d’opposant en Côte d’Ivoire, qui en dehors du coup d’état n’ont pas donné lieu à une grave crise armée et militaire en Côte d’Ivoire, il disait que la paix dans un pays dépend de son opposition. Il en voulait pour preuve, le fait que c’est l’opposition qui s’est retrouvée en alliance avec les auteurs du coup d’état manqué de septembre 2002, en Côte d’Ivoire. Rendant toujours responsable l’opposition des crises, Laurent Gbagbo ne prendra pas à temps la mesure de sa part de responsabilité dans le maintien et la sauvegarde de la paix, dans le cadre de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire. Une réflexion plus longue et plus sérieuse mérite sans doute d’être menée sur la question du boycott des élections aussi bien en Côte d’Ivoire, qu’ailleurs dans le monde. Le boycott conduit forcément à la violence et à la rupture, sauf en cas de bonne volonté absolu des parties en présence. Etant entendu que si les protagonistes sont justement de bonne volonté, le dialogue peut toujours permettre d’éviter le boycott, comme solution extrême et option de rupture. Qu’a donné le boycott actif de 1995 de l’opposition (FPI-RDR) contre Henri Konan Bédié ? Des crises sociales et politiques qui ont conduit au coup d’état de Décembre 1999 ! En l’an 2000, le RDR et le PDCI n’ont pas participé à la présidentielle qui s’est terminée dans le sang et de façon calamiteuse. Ensuite le Rdr a boycotté les législatives. Cela a conduit à la crise de septembre 2002. Que peut nous réserver le boycott des législatives de décembre 2011 par le FPI, si les conditions d’un dialogue républicain échouent, et si le pays reste dans une crispation politique durable ? Le Sénégal a échappé à la tentation et au piège du boycott politique et électoral. Certains diront que les contextes sont différents, mais il est temps de mener une réflexion sur la question pour aider à la stabilité, ainsi qu’à la consolidation de la paix en Afrique.
Charles Kouassi
La vigilance du peuple
Un peuple, ce sont des leaders et des acteurs politiques. Les peuples ont les leaders qu’ils méritent. Mais les leaders ont également les peuples qu’ils méritent. Quand les leaders et les acteurs jouent leur rôle, le peuple suit. Mais il lui arrive de prendre ses responsabilités. Alors que la classe politique semblait discréditée, affaiblie et divisée, la société civile s’est mobilisée et est montée au créneau à partir de Juin 2010, quand Wade avait tenté une énième modification de la constitution. Souvent le peuple et les populations n’ont pas besoin qu’on leur dise que ce n’est pas bien pour faire valoir leurs aspirations profondes. On a vu les révolutions en Tunisie et en Egypte qui semblaient spontanées et sans leader au départ ; raisons pour lesquelles, presque les mêmes systèmes et classes politiques sont restés au pouvoir dans ces pays. Le peuple du Sénégal a donc été vigilant. Il s’est mobilisé lors du premier tour pour empêcher que la peur l’emporte.
La stratégie de la peur et du boycott
Au départ, l’objectif était d’empêcher la candidature du président sortant. Son éligibilité avait divisé la classe politique durant plusieurs semaines. Abdoulaye Wade a appelé à la rescousse des constitutionnalistes américains et européens pour interpréter la constitution sénégalaise et démontrer qu’il est éligible. La France et les Usa ont émis des réserves et cela a créé une polémique entre la présidence sénégalaise et Alain Juppé. Pour l’opposition qui a néanmoins évité l’erreur du boycott et le refus absolu de déposer les candidatures, il n’était pas question d’affronter Wade pour un troisième mandat. Cette mobilisation n’a pas fait perdre de vue le ‘’Tout sauf Wade’’. Le fait même que les leaders aient déposé les candidatures montre bien que le choix du boycott n’a pas été au cœur de la stratégie de combat.
La perspicacité de Macky Sall
Toutefois ce ne fut pas évident, puisque la volonté et la détermination de Macky Sall de faire campagne et d’aller à l’élection n’a pas été perçue ni admise par les autres leaders de l’opposition sénégalaise. Pour la majorité et aussi pour la société civile, ainsi que pour les partisans de Youssou Ndour encore sous le choc du rejet de la candidature du chanteur, aller à l’élection, c’était prendre le risque d’adouber Abdoulaye Wade, qui pouvait avec la fraude, les intimidations et les achats de conscience gagner le scrutin dès le premier tour, comme il le disait. Mais tout en disant non à la candidature de Wade, l’opposition a fini par faire bon cœur, contre mauvaise fortune en utilisant les espaces démocratiques et l’environnement de la campagne pour porter la critique sur Abdoulaye Wade. En restant dans le déni et dans le boycott, quels espaces de liberté et de propagande, l’opposition aurait-elle eu ? Une telle stratégie a dérouté. Elle a été incomprise par les radicaux et extrémistes. C’est ainsi que Macky Sall qui paraissait le plus cohérent dans sa démarche a pu élargir sa base, et faire une percée pour sa première candidature à l’élection présidentielle dans son pays. Il a réalisé au premier tour la performance qui a été celle d’Idrissa Seck en Avril 2007, quand il était arrivé en 2ème position de l’élection gagnée au premier tour face à Abdoulaye Wade. Cela signifie-t-il qu’au delà des partis traditionnels, les Sénégalais sont-ils au fond soucieux de renouveler les leaders de premier plan ? La chute au fil des années de Moustapha Niasse, Tanor Dieng et Idrissa Seck, devrait donner à réfléchir….
Wade, de la provocation au fair play
C’est normal les joutes verbales dans une élection. C’est normal de faire monter l’adrénaline, de dire qu’on n’a pas d’adversaires crédibles en face, de dire on gagne ou on gagne. Abdoulaye Wade a donc fait tout cela, et ses partisans ont joué leur rôle dans la guerre des nerfs, dans la bataille psychologique. Cela dit, Abdoulaye Wade a-t-il escompté que l’opposition serait tombée dans le piège du boycott ? Avec le boycott des principaux leaders et candidats, les candidats marginaux seraient allés à l’élection et Wade aurait gagné au premier tour. Comme pour Ellen Sirleaf au Liberia, qui a gagné au second tour après le boycott de son adversaire, Abdoulaye Wade serait passé haut les mains. Le Sénégal serait entré dans une longue crise politique. Mais l’opposition aurait-elle encore boycotté les législatives ? Apparemment à ce jeu, malgré les risques d’incertitudes et d’instabilité qui planaient sur le pays, Abdoulaye Wade, qui croyait en la solidité des institutions de son pays, escomptait bien pouvoir s’en sortir. L’opposition a flairé le danger, et a, au dernier moment, joué la carte de la mobilisation électorale (et non politique) pour faire partir le président sortant. Le boycott et ses conséquences pas toujours heureuses, a donc été évité. Est-ce cela qui a dérouté les plans d’Abdoulaye Wade, ou bien malgré tous les signaux contraires, croyait-il vraiment qu’il aurait pu remporter à la loyale un troisième mandat ?
Instituions solides mais pas folles
Les instituions au Sénégal sont fortes. Barack Obama appelait à des instituions fortes en Afrique, à la place des hommes forts. Le Sénégal est sur la bonne voie, même si le Conseil constitutionnel du Sénégal en disqualifiant Youssou Ndour, sans oser remettre en cause la candidature d’Abdoulaye Wade, avait laissé planer des doutes et des inquiétudes sur ses capacités d’indépendance. Ces institutions au Sénégal sont solides, mais elles ne sont pas folles. Le Conseil Constitutionnel n’a pas joué les fous. La police et les forces de l’ordre sont restées dans des dispositions d’esprit acceptables, évitant de faire des tueries à grande échelle et des massacres des populations. L’environnement électoral est resté ouvert et concurrentiel, en dépit des moyens de l’Etat à la disposition du président sortant. Le besoin et le désir d’alternance ont été si réels que même les radicaux dans le cercle du pouvoir de Wade ont fini par en prendre acte, au vu des écarts massifs issus des premiers résultats. Cela a fait dire à plusieurs observateurs qu’en Afrique, la paix dépend davantage des tenants du pouvoir que des opposants. Abdou Diouf a garanti la paix dans son pays, en acceptant sa défaite. Wade a garanti la paix en acceptant sa défaite. L’élection d’avant-hier a également permis de réguler les rapports entre le politique et le religieux, qui a pu rester généralement loin de l’arène cette fois. La tentation de la crise identitaire agitée par certains, ainsi que la question de castes, a été également éludée et évitée.
Vision différente et variation au sujet du boycott des élections
Laurent Gbagbo avait une vision contraire. S’inspirant de ses années d’opposant en Côte d’Ivoire, qui en dehors du coup d’état n’ont pas donné lieu à une grave crise armée et militaire en Côte d’Ivoire, il disait que la paix dans un pays dépend de son opposition. Il en voulait pour preuve, le fait que c’est l’opposition qui s’est retrouvée en alliance avec les auteurs du coup d’état manqué de septembre 2002, en Côte d’Ivoire. Rendant toujours responsable l’opposition des crises, Laurent Gbagbo ne prendra pas à temps la mesure de sa part de responsabilité dans le maintien et la sauvegarde de la paix, dans le cadre de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire. Une réflexion plus longue et plus sérieuse mérite sans doute d’être menée sur la question du boycott des élections aussi bien en Côte d’Ivoire, qu’ailleurs dans le monde. Le boycott conduit forcément à la violence et à la rupture, sauf en cas de bonne volonté absolu des parties en présence. Etant entendu que si les protagonistes sont justement de bonne volonté, le dialogue peut toujours permettre d’éviter le boycott, comme solution extrême et option de rupture. Qu’a donné le boycott actif de 1995 de l’opposition (FPI-RDR) contre Henri Konan Bédié ? Des crises sociales et politiques qui ont conduit au coup d’état de Décembre 1999 ! En l’an 2000, le RDR et le PDCI n’ont pas participé à la présidentielle qui s’est terminée dans le sang et de façon calamiteuse. Ensuite le Rdr a boycotté les législatives. Cela a conduit à la crise de septembre 2002. Que peut nous réserver le boycott des législatives de décembre 2011 par le FPI, si les conditions d’un dialogue républicain échouent, et si le pays reste dans une crispation politique durable ? Le Sénégal a échappé à la tentation et au piège du boycott politique et électoral. Certains diront que les contextes sont différents, mais il est temps de mener une réflexion sur la question pour aider à la stabilité, ainsi qu’à la consolidation de la paix en Afrique.
Charles Kouassi