En attendant la visite du président de la République dans la région du Guémon, les préparatifs, au niveau de l’administration, vont bon train. Le préfet de Duékoué, Benjamin Effoli, que nous avons rencontré lundi dernier, dans les locaux en réfection de la préfecture, nous situe sur les enjeux de ladite visite. Il se prononce aussi sur les questions qui préoccupent la région.
Le Patriote: La préfecture est en pleine réfection. Est ce qu’on peut dire que vous êtes un préfet heureux de pouvoir travailler enfin, dans de bonnes conditions?
Benjamin Effoli: Cela fait toujours plaisir de travailler dans de bonnes conditions pas seulement pour le préfet, mais pour l’ensemble de mes collaborateurs. Il y a encore quelques mois, vous avez vu dans quel état les bureaux étaient. Grâce à un financement du PNUD, l’Onuci est en train de réhabiliter nos locaux. C’est vrai qu’à la fin de la réhabilitation, il va toujours se poser le problème de l’équipement des bureaux parce qu’ils avaient été entièrement saccagés.
LP: Cette réhabilitation concerne-t-elle également votre résidence?
BE: Il y a un programme de réhabilitation des résidences. C’est-à-dire celles du préfet, du secrétaire général et de l ‘ensemble des sous-préfets. Cela n’est pas un programme du PNUD mais plutôt celui du programme présidentiel d’urgence. Les travaux sont très avancés et je pense que nous pourrons accueillir le président de la République dans de bonnes conditions.
LP: Justement, le président de la République effectuera une visite dans cette région du grand Ouest, qu’attendez-vous de cette visite?
BE: Nous attendons beaucoup de choses. Vous savez que Duékoué revient de très loin. Cette région a vécu une crise post-électorale douloureuse et il y a eu beaucoup de pillages, de destructions d’édifices publics, des villages entiers qui ont pratiquement disparu de la carte à l’époque. Grâce au soutien des humanitaires, certains villages sont en train de renaître. Mais les humanitaires ne peuvent pas tout faire. Nous avons encore 6.000 déplacés qui se trouvent sur le site de Nahibly et à la Mission catholique. Ce sont autant de questions pour lesquelles l’arrivée du président de la République nous soulage. C’est lui qui dirige ce pays et je suis persuadé qu’en venant pour toucher toute cette misère du doigt, il nous aidera énormément parce qu’il ne viendra pas les mains vides. J’en suis convaincu.
LP: Les conditions sont-elles réunies pour que ces personnes qui se trouvent encore dans les camps retournent chez elles?
BE: Les conditions ne seront jamais totalement réunies. Donc, ce que nous expliquons à ces parents, c’est que la sécurité revient. On note aussi une normalisation de la vie administrative et économique. Du coup, la place de chaque habitant de cette région, c’est son village. De sorte qu’il puisse reprendre ses activités. C’est vrai qu’au départ, en avril-mai 2011, ils étaient 27.000 réfugiés et ils ne sont plus que 6.000 aujourd’hui. Cela veut dire que beaucoup sont retournés dans les villages. C’est pour quoi, il faut continuer à sensibiliser. Certains évoquent toujours des problèmes de sécurité avérés ou non. J’estime que dans le département de Duékoué, la sécurité revient, même si on note encore quelques braquages et quelques cas de vol de nuit. Y a-t-il un seul département dans ce pays où il n’y a pas de cas de braquages et de vols? Il y a aussi les problèmes des maisons puisque certains villages ont été détruits. Grâce à l’ONG internationale Solidarité, on a pu réhabiliter un certain nombre de maisons à Niambly. Quand vous allez dans les quartiers comme Toguéhi et autres, beaucoup restent encore à faire. Cependant, il est plus facile pour nous, de poser ces problèmes à toutes les missions qui passent en sachant que les populations sont retournées. Mais tant qu’elles resteront sur un site de déplacés, il sera plus difficile pour nous de faire des plaidoyers. Car on aide plus facilement quelqu’un qui est retourné et qui ne peut pas s’abriter que celui qui est sur un site. Par conséquent, retourner dans les villages, nous aiderait à mieux faire les plaidoyers.
LP: Les habitants de ce camp sont soupçonnés justement d’être les auteurs des actes de braquage et d’insécurité dans la ville. En avez-vous connaissance?
BE: Ce que je sais , c’est que depuis quelques semaines, il y a eu beaucoup de braquages autour de ce camp. Pas plus tard que la semaine dernière, il y a eu six braquages de motos la nuit. Est-ce à dire que ce sont des personnes qui sortent du camp pour braquer? Je ne peux pas l’affirmer puisqu’on n’a pas pris un seul braqueur qui l’ait avoué. La présence du camp peut être exploitée par des personnes malveillantes, juste pour jeter le discrédit sur ces personnes déplacées. Je crois qu’un bon déplacé, c’est-à-dire quelqu’un qui souffre effectivement, ne peut être un braqueur. (…)
LP: Le fait que les FRCI n’aient pas accès au camp, n’est-il pas une aubaine pour les présumés braqueurs d’y trouver refuge après leur forfait?
BE: Si les FRCI n’ont pas accès au camp, cela est normal puisque le camp est sous la protection de la communauté internationale, surveillée par les casques bleus de l’ONUCI. S’ils ont vraiment connaissance des braquages, ils ne peuvent pas laisser les braqueurs opérer en toute impunité. Si les braqueurs se trouvaient dans le camp, ils les signaleraient et les mettraient aux arrêts pour les remettre aux Forces ivoiriennes. Parce que la communauté internationale n’est pas là pour protéger des malfaiteurs et des braqueurs. Bien au contraire, elle sécurise ces déplacés qui sont des personnes vulnérables. Et un braqueur n’est pas une personne vulnérable.
LP: Le problème de la réconciliation entre les populations se pose-t-il toujours à Duékoué?
BE: Oui ! Vous savez qu’on ne réconcilie pas par un tour de baguette magique des personnes qui ont été si sévèrement perturbées. Cela fait dix mois que nous sommes là. En arrivant, nous avons trouvé une population très divisée. Les autochtones d’un côté, les allogènes et allochtones de l’autre. Il y a eu beaucoup d’ateliers, de cérémonies de rapprochement intercommunautaire et intracommunautaire, mais tout cela ne peut pas nous permettre d’affirmer qu’aujourd’hui, la réconciliation est totale. C’est une œuvre de longue haleine. Ce qu’il faut déjà saluer, c’est l’implication de la chefferie traditionnelle, des autorités religieuses et de certains leaders d’opinion qui ont pris à bras-le-corps, ce combat. Et qui ont compris qu’on devrait tout faire pour que les gens retrouvent cette harmonie qu’ils avaient avant. Ce n’est donc pas le combat du préfet seul. Sur place, j’ai trouvé des acteurs en plein travail. Je n’ai eu qu’à coordonner toutes ces actions et à fondre les différents comités qui existaient en un seul comité départemental que je préside. Ce sont vraiment beaucoup de personnes qui travaillent sur le terrain et nous bénéficions du soutien des humanitaires.
LP: Les problèmes fonciers sont beaucoup plus récurrents à l’ouest. Quel est votre méthode pour les juguler?
BE: Je n’ai pas une solution miracle. Mais le problème de Duékoué, c’est que c’est un département qui comprend 53 villages pour 5.198 campements de culture. Et ce sont les chiffres du recensement général de 1998. Ce qui veut dire qu’en 2012, ces chiffres sont largement dépassés. Cela montre bien qu’il y a une forte pression sur les terres cultivables. Les terres n’étant pas extensibles à souhait, il ne peut y avoir que conflits. Les conflits partant toujours des villages, on a organisé les sous-préfets, de telle sorte que les conflits soient résolus déjà à partir des villages, par les chefs traditionnels, assistés d’un comité que les sous-préfets ont mis en place. Quand le règlement ne donne pas satisfaction à l’une des parties, elle peut saisir le sous-préfet. Donc un dossier n’arrivera chez le préfet que s’il a franchi ces différentes étapes et qu’il n’a pas trouvé de solutions. Nous pensons que c’est vraiment la meilleure façon de faire en sorte que les gens puissent cohabiter de façon intelligente. Mais il ne sera pas facile de résoudre totalement les problèmes fonciers. Les terres sont vendues par des personnes qui ne sont pas propriétaires et même par des jeunes. Ce qui fait que les conflits sont énormes. La solution viendrait peut-être de l’application de la loi sur le foncier. Il ne faut pas non plus oublier que la délivrance des certificats fonciers pose problème parce que le processus est long et coûteux pour les paysans sans grands moyens.
Réalisée par Yves-M. ABIET, Envoyé spécial à Duékoué
Le Patriote: La préfecture est en pleine réfection. Est ce qu’on peut dire que vous êtes un préfet heureux de pouvoir travailler enfin, dans de bonnes conditions?
Benjamin Effoli: Cela fait toujours plaisir de travailler dans de bonnes conditions pas seulement pour le préfet, mais pour l’ensemble de mes collaborateurs. Il y a encore quelques mois, vous avez vu dans quel état les bureaux étaient. Grâce à un financement du PNUD, l’Onuci est en train de réhabiliter nos locaux. C’est vrai qu’à la fin de la réhabilitation, il va toujours se poser le problème de l’équipement des bureaux parce qu’ils avaient été entièrement saccagés.
LP: Cette réhabilitation concerne-t-elle également votre résidence?
BE: Il y a un programme de réhabilitation des résidences. C’est-à-dire celles du préfet, du secrétaire général et de l ‘ensemble des sous-préfets. Cela n’est pas un programme du PNUD mais plutôt celui du programme présidentiel d’urgence. Les travaux sont très avancés et je pense que nous pourrons accueillir le président de la République dans de bonnes conditions.
LP: Justement, le président de la République effectuera une visite dans cette région du grand Ouest, qu’attendez-vous de cette visite?
BE: Nous attendons beaucoup de choses. Vous savez que Duékoué revient de très loin. Cette région a vécu une crise post-électorale douloureuse et il y a eu beaucoup de pillages, de destructions d’édifices publics, des villages entiers qui ont pratiquement disparu de la carte à l’époque. Grâce au soutien des humanitaires, certains villages sont en train de renaître. Mais les humanitaires ne peuvent pas tout faire. Nous avons encore 6.000 déplacés qui se trouvent sur le site de Nahibly et à la Mission catholique. Ce sont autant de questions pour lesquelles l’arrivée du président de la République nous soulage. C’est lui qui dirige ce pays et je suis persuadé qu’en venant pour toucher toute cette misère du doigt, il nous aidera énormément parce qu’il ne viendra pas les mains vides. J’en suis convaincu.
LP: Les conditions sont-elles réunies pour que ces personnes qui se trouvent encore dans les camps retournent chez elles?
BE: Les conditions ne seront jamais totalement réunies. Donc, ce que nous expliquons à ces parents, c’est que la sécurité revient. On note aussi une normalisation de la vie administrative et économique. Du coup, la place de chaque habitant de cette région, c’est son village. De sorte qu’il puisse reprendre ses activités. C’est vrai qu’au départ, en avril-mai 2011, ils étaient 27.000 réfugiés et ils ne sont plus que 6.000 aujourd’hui. Cela veut dire que beaucoup sont retournés dans les villages. C’est pour quoi, il faut continuer à sensibiliser. Certains évoquent toujours des problèmes de sécurité avérés ou non. J’estime que dans le département de Duékoué, la sécurité revient, même si on note encore quelques braquages et quelques cas de vol de nuit. Y a-t-il un seul département dans ce pays où il n’y a pas de cas de braquages et de vols? Il y a aussi les problèmes des maisons puisque certains villages ont été détruits. Grâce à l’ONG internationale Solidarité, on a pu réhabiliter un certain nombre de maisons à Niambly. Quand vous allez dans les quartiers comme Toguéhi et autres, beaucoup restent encore à faire. Cependant, il est plus facile pour nous, de poser ces problèmes à toutes les missions qui passent en sachant que les populations sont retournées. Mais tant qu’elles resteront sur un site de déplacés, il sera plus difficile pour nous de faire des plaidoyers. Car on aide plus facilement quelqu’un qui est retourné et qui ne peut pas s’abriter que celui qui est sur un site. Par conséquent, retourner dans les villages, nous aiderait à mieux faire les plaidoyers.
LP: Les habitants de ce camp sont soupçonnés justement d’être les auteurs des actes de braquage et d’insécurité dans la ville. En avez-vous connaissance?
BE: Ce que je sais , c’est que depuis quelques semaines, il y a eu beaucoup de braquages autour de ce camp. Pas plus tard que la semaine dernière, il y a eu six braquages de motos la nuit. Est-ce à dire que ce sont des personnes qui sortent du camp pour braquer? Je ne peux pas l’affirmer puisqu’on n’a pas pris un seul braqueur qui l’ait avoué. La présence du camp peut être exploitée par des personnes malveillantes, juste pour jeter le discrédit sur ces personnes déplacées. Je crois qu’un bon déplacé, c’est-à-dire quelqu’un qui souffre effectivement, ne peut être un braqueur. (…)
LP: Le fait que les FRCI n’aient pas accès au camp, n’est-il pas une aubaine pour les présumés braqueurs d’y trouver refuge après leur forfait?
BE: Si les FRCI n’ont pas accès au camp, cela est normal puisque le camp est sous la protection de la communauté internationale, surveillée par les casques bleus de l’ONUCI. S’ils ont vraiment connaissance des braquages, ils ne peuvent pas laisser les braqueurs opérer en toute impunité. Si les braqueurs se trouvaient dans le camp, ils les signaleraient et les mettraient aux arrêts pour les remettre aux Forces ivoiriennes. Parce que la communauté internationale n’est pas là pour protéger des malfaiteurs et des braqueurs. Bien au contraire, elle sécurise ces déplacés qui sont des personnes vulnérables. Et un braqueur n’est pas une personne vulnérable.
LP: Le problème de la réconciliation entre les populations se pose-t-il toujours à Duékoué?
BE: Oui ! Vous savez qu’on ne réconcilie pas par un tour de baguette magique des personnes qui ont été si sévèrement perturbées. Cela fait dix mois que nous sommes là. En arrivant, nous avons trouvé une population très divisée. Les autochtones d’un côté, les allogènes et allochtones de l’autre. Il y a eu beaucoup d’ateliers, de cérémonies de rapprochement intercommunautaire et intracommunautaire, mais tout cela ne peut pas nous permettre d’affirmer qu’aujourd’hui, la réconciliation est totale. C’est une œuvre de longue haleine. Ce qu’il faut déjà saluer, c’est l’implication de la chefferie traditionnelle, des autorités religieuses et de certains leaders d’opinion qui ont pris à bras-le-corps, ce combat. Et qui ont compris qu’on devrait tout faire pour que les gens retrouvent cette harmonie qu’ils avaient avant. Ce n’est donc pas le combat du préfet seul. Sur place, j’ai trouvé des acteurs en plein travail. Je n’ai eu qu’à coordonner toutes ces actions et à fondre les différents comités qui existaient en un seul comité départemental que je préside. Ce sont vraiment beaucoup de personnes qui travaillent sur le terrain et nous bénéficions du soutien des humanitaires.
LP: Les problèmes fonciers sont beaucoup plus récurrents à l’ouest. Quel est votre méthode pour les juguler?
BE: Je n’ai pas une solution miracle. Mais le problème de Duékoué, c’est que c’est un département qui comprend 53 villages pour 5.198 campements de culture. Et ce sont les chiffres du recensement général de 1998. Ce qui veut dire qu’en 2012, ces chiffres sont largement dépassés. Cela montre bien qu’il y a une forte pression sur les terres cultivables. Les terres n’étant pas extensibles à souhait, il ne peut y avoir que conflits. Les conflits partant toujours des villages, on a organisé les sous-préfets, de telle sorte que les conflits soient résolus déjà à partir des villages, par les chefs traditionnels, assistés d’un comité que les sous-préfets ont mis en place. Quand le règlement ne donne pas satisfaction à l’une des parties, elle peut saisir le sous-préfet. Donc un dossier n’arrivera chez le préfet que s’il a franchi ces différentes étapes et qu’il n’a pas trouvé de solutions. Nous pensons que c’est vraiment la meilleure façon de faire en sorte que les gens puissent cohabiter de façon intelligente. Mais il ne sera pas facile de résoudre totalement les problèmes fonciers. Les terres sont vendues par des personnes qui ne sont pas propriétaires et même par des jeunes. Ce qui fait que les conflits sont énormes. La solution viendrait peut-être de l’application de la loi sur le foncier. Il ne faut pas non plus oublier que la délivrance des certificats fonciers pose problème parce que le processus est long et coûteux pour les paysans sans grands moyens.
Réalisée par Yves-M. ABIET, Envoyé spécial à Duékoué