Les conditions de travail dans certaines usines et autres sociétés de la zone industrielle de Yopougon relèvent de la torture physique et morale. « L’Eléphant Déchaîné » s’est récemment promené dans cette zone et a été attiré par la mine des travailleurs d’une société. Petite incursion.
La société en question se dit leader dans la fabrication de bois de linge (fanico), de seaux, de cuvettes communément appelées « Gbagbo », (décidément). Mais cette société refuse de garantir le minimum de conditions appropriées de travail à son personnel. Pas de sécurité du tout ! Approchés par « L’Eléphant », certains travailleurs, entre deux coups d’œil furtifs autour d’eux comme s’ils craignaient l’arrivée d’un grand monstre, se sont un peu confiés, bien sûr, sous un anonymat prudent : « Dieu seul sait combien le patron a de l’argent par rapport au travail que nous faisons. Mais nous n’avons aucune garantie sociale. Pour la fabrication des produits faits à partir de résidus de sachets, de plateaux d’hévéa, de chaises cassées, la société Ciplast (tiens, c’est son nom, ndlr) a recours aux jeunes garçons et filles qui s’orientent vers les différents dépotoirs d’ordures de la ville d’Abidjan. Mais sans aucune protection primaire à savoir gants ou cache-nez pour éviter que ces derniers en pâtissent un jour. Avec tous les risques encourus chaque jour dans l’usine pour la transformation de ces résidus, nous n’avons pas de chaussures adaptées à cette tâche. Il n’y a pas de gants, pas de cache-nez pour nous également, encore moins de blouse pour les techniciens. Et avec la forte chaleur qui prévaut aussi dans l’usine, l’entreprise ne dispose pas d’eau courante pour nous ravitailler. Nous usons donc de l’eau recueillie dans de gros bacs pour nos différents besoins. Pourtant il faut être bien portant pour assurer le service», commence-t-il par se lamenter avant de poursuivre, en abordant le volet salarial de leur situation. Il n’est guère drôle : «Nous sommes environ 150 employés à Ciplast, mais aucun d’entre nous n’est embauché, encore moins déclaré à la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS). Pourtant la société existe depuis environ dix années. Nous sommes rémunérés à hauteur de 1000F Cfa par jour à raison de 12h de travail et nous sommes payés main à main chaque semaine». Et que fait le patron la nuit avec l’électricité de la CIE ? «Cette entreprise possède deux niches de courant électrique. Une dans la cour pour les travailleurs du jour et l’autre dans l’usine pour l’équipe de nuit. Alors sous le coup de 19 heures, un électricien répondant au nom de «chico » déconnecte la connexion du jour et active celle de nuit directement rattachée aux poteaux électriques et donc la consommation de nuit n’est pas décomptée et ne figure pas sur la facture d’électricité. Le rétablissement de la connexion normale se fait le lendemain aux alentours à 7 heures. Donc il nous vole et il vole aussi la CIE… » Tiens, tiens ! Et où se trouve au juste cette entreprise dans la zone industrielle ? C’est presqu’en fuyant que nos interlocuteurs nous indiquent l’emplacement de « Ciplast ». Pas facile de retrouver la « boîte ». Aucune enseigne ! Après trente minutes de « vous savez ou se trouve la société Ciplast » avec des passants, enfin la « boîte » est localisée. Du vigile caché dans une maisonnette, on ne peut apercevoir que la tête, suffisante pour engager le dialogue : « Bonjour monsieur ! Eh ben dites donc, vous êtes bien caché, hein ! ». « Bonjour madame, c’est comme ça oh ! Qu’est-ce qu’on peut faire pour vous ? » « Je suis journaliste à L’Eléphant Déchaîné , je souhaiterais rencontrer le chef du personnel de votre société».
Le vigile qui s’apprêtait à nous raconter une histoire à dormir débout n’aura pas le temps de le faire. En effet, un taxi compteur venait d’arriver au portail. A son bord, l’homme demandé. Le vigile est contraint d’expliquer les raisons de la présence de cette « personne étrangère » devant le service. Le chef du personnel qui s’appelle Sangaré, s’écrie avant de nous inviter à le suivre dans son bureau : «C’est L’Eléphant Déchaîné d’Assalé Tiémoko là ?» Et tout de suite, la raison de notre présence : « Des informations sur les conditions de travail de vos ouvriers nous sont parvenues. Il semble qu’ils travaillent dans des conditions d’insécurité totale. Ils ne disposent pas de gants, ni de cache-nez, des choses élémentaires et indispensables pour le travail qu’ils font. Les mêmes informations font état aussi de ce que les jeunes filles et garçons qui font le tour des dépotoirs d’Abidjan pour ramasser les résidus de matières plastiques exercent aussi sans aucune protection ni pour leurs mains ni pour leur nez. Il y aurait aussi un problème d’eau courante… » Un peu gêné aux entournures, Sangaré intervient : « Les entreprises libanaises sont là et c’est à une entreprise ivoirienne que vous vous attaquez ? » Tiens donc ! Et nous qui pensions qu’il s’agissait d’une entreprise libanaise ! Sangaré peut poursuivre : «Les résidus que ramassent les jeunes gens représentent seulement 15% de ce que nous utilisons. Nous importons le reste de la France, de la Belgique… Concernant l’eau courante, vous pouvez le constater au sein de la zone, ce n‘est pas seulement nous qui avons ce problème. La Sodeci est défaillante ici, alors nous sommes obligés de nous approvisionner en eau par le biais de citernes d’eau». Mais alors que nous sommes toute Ouïe, soudainement notre interlocuteur se montre moins coopératif : «Vous aurez dû prendre un rendez-vous avant de venir. Vous aurez dû nous adresser un courrier. C’est comme cela que ça fonctionne en principe parce que là, je ne suis pas obligé de vous recevoir ». C’est vrai ça ! Surtout que le chef a beaucoup de boulot: «Je passe 90% de mon temps dehors alors si j’ai le temps, je verrai s’il est possible de vous recevoir dans le cas contraire, on remettra cela à une date ultérieure. Appelez-moi demain matin (Ndlr : mercredi 4 avril)». Nous prenons congé de lui.
«Ecrivez ce que
vous voulez»
C’est à 9h 30, le mercredi 4 avril que nous avons appelé monsieur Sangaré au téléphone : « Bonjour Monsieur, c’est encore nous. Il était convenu que je vous appelle ce matin pour voir dans quelle mesure la rencontre de ce jour pourrait se tenir». Réponse de monsieur Sangaré : «Je suis un peu pris ce matin mais je vous appellerai dans l’après midi donnez-moi votre numéro». Ce qui est fait. A 10h 40mn, un appel : «Madame vous pouvez passer à 12H parce qu’après 13heures je sors». Finalement, c’est sous le coup de 14 heures que nous sommes arrivés dans les locaux de « Ciplast ». Après une longue attente, monsieur Sangaré nous reçoit et nous lâche, droit dans ses bottes : «Le conseiller juridique de l’entreprise dit que si vous voulez écrire, vous êtes libre de le faire. Ecrivez ce que vous voulez. Je m’en tiens à sa décision. Je n’ai rien d’autre à dire». C’est beau, c’est bien dit ! C’est formidable de vivre dans un pays où des employeurs peuvent consciencieusement mettre en danger et cela de façon quotidienne, la vie de leurs travailleurs sans qu’aucune sanction ne leur tombe dessus. Surtout que la justice est si crédible que quand un travailleur chope une maladie liée à ses conditions de travail et qu’il porte plainte, l’employeur préfère s’arranger avec le juge que de s’arranger avec le plaignant. Le conseil juridique de «Ciplast» peut donc dire merci qui ?
MAHI MIKEUMEUNÉ
La société en question se dit leader dans la fabrication de bois de linge (fanico), de seaux, de cuvettes communément appelées « Gbagbo », (décidément). Mais cette société refuse de garantir le minimum de conditions appropriées de travail à son personnel. Pas de sécurité du tout ! Approchés par « L’Eléphant », certains travailleurs, entre deux coups d’œil furtifs autour d’eux comme s’ils craignaient l’arrivée d’un grand monstre, se sont un peu confiés, bien sûr, sous un anonymat prudent : « Dieu seul sait combien le patron a de l’argent par rapport au travail que nous faisons. Mais nous n’avons aucune garantie sociale. Pour la fabrication des produits faits à partir de résidus de sachets, de plateaux d’hévéa, de chaises cassées, la société Ciplast (tiens, c’est son nom, ndlr) a recours aux jeunes garçons et filles qui s’orientent vers les différents dépotoirs d’ordures de la ville d’Abidjan. Mais sans aucune protection primaire à savoir gants ou cache-nez pour éviter que ces derniers en pâtissent un jour. Avec tous les risques encourus chaque jour dans l’usine pour la transformation de ces résidus, nous n’avons pas de chaussures adaptées à cette tâche. Il n’y a pas de gants, pas de cache-nez pour nous également, encore moins de blouse pour les techniciens. Et avec la forte chaleur qui prévaut aussi dans l’usine, l’entreprise ne dispose pas d’eau courante pour nous ravitailler. Nous usons donc de l’eau recueillie dans de gros bacs pour nos différents besoins. Pourtant il faut être bien portant pour assurer le service», commence-t-il par se lamenter avant de poursuivre, en abordant le volet salarial de leur situation. Il n’est guère drôle : «Nous sommes environ 150 employés à Ciplast, mais aucun d’entre nous n’est embauché, encore moins déclaré à la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS). Pourtant la société existe depuis environ dix années. Nous sommes rémunérés à hauteur de 1000F Cfa par jour à raison de 12h de travail et nous sommes payés main à main chaque semaine». Et que fait le patron la nuit avec l’électricité de la CIE ? «Cette entreprise possède deux niches de courant électrique. Une dans la cour pour les travailleurs du jour et l’autre dans l’usine pour l’équipe de nuit. Alors sous le coup de 19 heures, un électricien répondant au nom de «chico » déconnecte la connexion du jour et active celle de nuit directement rattachée aux poteaux électriques et donc la consommation de nuit n’est pas décomptée et ne figure pas sur la facture d’électricité. Le rétablissement de la connexion normale se fait le lendemain aux alentours à 7 heures. Donc il nous vole et il vole aussi la CIE… » Tiens, tiens ! Et où se trouve au juste cette entreprise dans la zone industrielle ? C’est presqu’en fuyant que nos interlocuteurs nous indiquent l’emplacement de « Ciplast ». Pas facile de retrouver la « boîte ». Aucune enseigne ! Après trente minutes de « vous savez ou se trouve la société Ciplast » avec des passants, enfin la « boîte » est localisée. Du vigile caché dans une maisonnette, on ne peut apercevoir que la tête, suffisante pour engager le dialogue : « Bonjour monsieur ! Eh ben dites donc, vous êtes bien caché, hein ! ». « Bonjour madame, c’est comme ça oh ! Qu’est-ce qu’on peut faire pour vous ? » « Je suis journaliste à L’Eléphant Déchaîné , je souhaiterais rencontrer le chef du personnel de votre société».
Le vigile qui s’apprêtait à nous raconter une histoire à dormir débout n’aura pas le temps de le faire. En effet, un taxi compteur venait d’arriver au portail. A son bord, l’homme demandé. Le vigile est contraint d’expliquer les raisons de la présence de cette « personne étrangère » devant le service. Le chef du personnel qui s’appelle Sangaré, s’écrie avant de nous inviter à le suivre dans son bureau : «C’est L’Eléphant Déchaîné d’Assalé Tiémoko là ?» Et tout de suite, la raison de notre présence : « Des informations sur les conditions de travail de vos ouvriers nous sont parvenues. Il semble qu’ils travaillent dans des conditions d’insécurité totale. Ils ne disposent pas de gants, ni de cache-nez, des choses élémentaires et indispensables pour le travail qu’ils font. Les mêmes informations font état aussi de ce que les jeunes filles et garçons qui font le tour des dépotoirs d’Abidjan pour ramasser les résidus de matières plastiques exercent aussi sans aucune protection ni pour leurs mains ni pour leur nez. Il y aurait aussi un problème d’eau courante… » Un peu gêné aux entournures, Sangaré intervient : « Les entreprises libanaises sont là et c’est à une entreprise ivoirienne que vous vous attaquez ? » Tiens donc ! Et nous qui pensions qu’il s’agissait d’une entreprise libanaise ! Sangaré peut poursuivre : «Les résidus que ramassent les jeunes gens représentent seulement 15% de ce que nous utilisons. Nous importons le reste de la France, de la Belgique… Concernant l’eau courante, vous pouvez le constater au sein de la zone, ce n‘est pas seulement nous qui avons ce problème. La Sodeci est défaillante ici, alors nous sommes obligés de nous approvisionner en eau par le biais de citernes d’eau». Mais alors que nous sommes toute Ouïe, soudainement notre interlocuteur se montre moins coopératif : «Vous aurez dû prendre un rendez-vous avant de venir. Vous aurez dû nous adresser un courrier. C’est comme cela que ça fonctionne en principe parce que là, je ne suis pas obligé de vous recevoir ». C’est vrai ça ! Surtout que le chef a beaucoup de boulot: «Je passe 90% de mon temps dehors alors si j’ai le temps, je verrai s’il est possible de vous recevoir dans le cas contraire, on remettra cela à une date ultérieure. Appelez-moi demain matin (Ndlr : mercredi 4 avril)». Nous prenons congé de lui.
«Ecrivez ce que
vous voulez»
C’est à 9h 30, le mercredi 4 avril que nous avons appelé monsieur Sangaré au téléphone : « Bonjour Monsieur, c’est encore nous. Il était convenu que je vous appelle ce matin pour voir dans quelle mesure la rencontre de ce jour pourrait se tenir». Réponse de monsieur Sangaré : «Je suis un peu pris ce matin mais je vous appellerai dans l’après midi donnez-moi votre numéro». Ce qui est fait. A 10h 40mn, un appel : «Madame vous pouvez passer à 12H parce qu’après 13heures je sors». Finalement, c’est sous le coup de 14 heures que nous sommes arrivés dans les locaux de « Ciplast ». Après une longue attente, monsieur Sangaré nous reçoit et nous lâche, droit dans ses bottes : «Le conseiller juridique de l’entreprise dit que si vous voulez écrire, vous êtes libre de le faire. Ecrivez ce que vous voulez. Je m’en tiens à sa décision. Je n’ai rien d’autre à dire». C’est beau, c’est bien dit ! C’est formidable de vivre dans un pays où des employeurs peuvent consciencieusement mettre en danger et cela de façon quotidienne, la vie de leurs travailleurs sans qu’aucune sanction ne leur tombe dessus. Surtout que la justice est si crédible que quand un travailleur chope une maladie liée à ses conditions de travail et qu’il porte plainte, l’employeur préfère s’arranger avec le juge que de s’arranger avec le plaignant. Le conseil juridique de «Ciplast» peut donc dire merci qui ?
MAHI MIKEUMEUNÉ