L’ancien président de la République de Côte d’Ivoire Laurent Gbagbo comparaîtra de nouveau devant la Cour Pénale Internationale (CPI) le 18 juin prochain. Après l’audience de formalité du 5 décembre dernier, la Chambre Préliminaire III avait fixé l’audience de confirmation des charges dans six mois. Dont acte !
La première audience fut certes une « formalité » car il s’agissait de vérifier l’identité du prévenu et de l’informer les charges qui pèsent sur lui. Mais elle avait une atmosphère particulière.
D’abord, le caractère inédit de la remise à la CPI d’un chef d’Etat africain par son pays. Contrairement à son tristement célèbre prédécesseur le libérien Charles Taylor, qui lui a été appréhendé en 2006 dans un lieu improbable entre le Cameroun et le Nigéria. Comment une personne en résidence surveillée par une vingtaine de soldats nigérians avait-elle pu leur fausser compagnie ? Ce furent sans doute les 36 longues heures de pression internationale que le président Olusegun Obansanjo ait du subir dans sa carrière. Alors que Laurent Gbagbo a été d’abord détenu à Korhogo (Nord de la Côte d’Ivoire) avant son transfèrement rocambolesque à la Haye.
Ensuite, depuis les images spectaculaires de son arrestation au mois d’avril 11 – Laurent Gbagbo, hagard en « marcel » à côté de sa femme Simone dans une chambre de l’hôtel du Golfe – il a disparu des écrans radar. Les journalistes, les partisans comme ses opposants ont donc tous fait le voyage de la Haye pour le voir en chair et en os.
Gbagbo, cuvée 2012
Cette prochaine audience du 18 juin 2012 sera-t-elle de la même cuvée ? Autrement dit, pourra-t-elle attirer autant de monde que la précédente ?
Le 31 mai dernier, le pensionnaire le plus célèbre de la prison de Scheveningen a fêté ses 67 bougies, il s’agit du président Laurent Gbagbo. Une date anniversaire qui tombe mal car elle arrive au lendemain du verdict de son compagnon d’infortune Charles Taylor. Il vient d’écoper de 50 ans de prison. Pour celui-ci, âgé de 64 ans, cette sentence sonne comme une réclusion à perpétuité.
Ce verdict a dû aussi émouvoir la petite communauté africaine embastillée à la prison de Scheveningen par la CPI. Il y a entre autres : le congolais Jean-Pierre Bemba, avec lequel l’ancien chef de l’Etat discute régulièrement ; les rwandais du FDLR Sylvestre Mudacumura et Bosco Ntganda. Que les jours doivent s’étirer en longueur ! Et on peut aisément imaginer ces détenus – cela paraît surréaliste – conversant banalement, jouant une partie de foot dans la cour de récréation. Sans parler des serbes Mladic et Radovan Karadzic… Ils sont pour la plupart en attente de leur procès ou d’autres purgeant déjà de lourdes peines. Pour autant, il ne faut pas trop s’appesantir sur leur sort car s’ils sont tous là, c’est qu’à un moment de leur existence, ils ont été des auteurs ou des commanditaires d’actes qualifiés de crime contre l’humanité.
Laurent Gbagbo reçoit beaucoup ! Outre les visites de son proche entourage, ses anciens amis et du Secrétaire général du FPI Sylvain Miaka Oureto - courroie de transmission pour piloter son parti politique -, il doit consacrer énormément de temps pour préparer son audience.
Le système de défense
L’équipe judiciaire
Depuis quelque mois, sa conseillère juridique Géraldine Odéhouri Brou a élu domicile à la Haye alors qu’elle a quitté la Côte d’Ivoire pour le Ghana depuis l’année dernière. L’équipe judiciaire de Laurent Gbagbo prépare depuis 6 mois sa prochaine comparution. Un pool d’avocats mené par Me Emmanuel Altit prépare sa défense, peaufine les arguments en collectant des témoignages photos, écrits. Il semblerait que les preuves, sur la dernière crise postélectorale de 2011, s’accumulent Elles tendraient à disculper le prévenu mais elles sont également à charge pour le nouveau président de la République Alassane Ouattara et ceux qui l’ont aidé à conquérir le pouvoir. La défense a choisi aussi un autre angle d’attaque : les avocats élargissent leurs enquêtes aux événements de septembre 2002.
Incompétence de la CPI
La comparution aura lieu le 18 juin mais d’ores et déjà, les avocats ont pris de l’avance et les communicants préparent le « terrain ».
Dès le 24 mai, l’avocat principal Emmanuel Altit a remis au bureau du Procureur Luis Moreno-Ocampo un document de 73 pages. L’information principale est la suivante : « La défense demande à la chambre de déclarer que la CPI n’est pas compétente pour la période et les faits visés dans le mandat d’arrêt délivré à l’encontre de Laurent Gbagbo, le 23 novembre 2011 ». Elle estime que les documents sur lesquels sont fondés la compétence du procureur et le mandat d’arrêt qu’il lancé à l’encontre de son client n’ont aucune valeur juridique.
L’audience de confirmation des charges du 18 juin sert à démontrer s’il y a des motifs fondés pour qualifier les actes criminels du suspect. Dans ce cas, la Chambre Préliminaire (CP III) renverra l’affaire devant une Chambre de 1ère Instance : la voie qui mène vers le procès.
A contrario le 31 mai dernier, la CP II a débouté le Procureur sur un mandat d’arrêt, pour crime contre l’humanité et crimes de guerre, délivré contre le rwandais Sylvestre Mudacumura. Les juges ayant estimé que les preuves n’étaient pas suffisantes pour confondre le chef des FDLR, responsable de meurtres, de viols entre janvier 2009 et août 2010 dans le Nord Kivu (RDC). De même que le rwandais Calixte Mbarushimana, secrétaire exécutif des FDLR – soupçonné de crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis en 2009 toujours en RDC – a été libéré par les juges de Première Instance le 23 décembre 2011 après 12 mois de détention à la Haye. Motif : preuves insuffisantes ; sans doute à cause des enquêtes qui n’ont pas été menées dans les règles de l’art.
Laurent Gbagbo pourrait-il donc bénéficier des mêmes « largesses » de la part de la CP III ? En tout cas, bon nombre de ses partisans en Europe comme en Côte d’Ivoire y croient encore ; même si les chances de parvenir à ce genre de décision restent infimes. Quand bien même, les juges rendront un tel verdict, le bureau du Procureur peut faire appel et demander un supplément d’enquête pour rectifier le tir.
Pour corser l’audience, le calendrier fait que Luis Moreno-Ocampo a achevé théoriquement son mandat en décembre 2011. Son successeur la gambienne Fatou Bensouda – son adjointe – a pris officiellement ses fonctions dès le début de ce mois. L’argentin était considéré comme politique alors que la nouvelle Procureure Générale est réputée être une femme de dossiers, intransigeante sur la défense des victimes.
Le traité de Rome
Quoiqu’il arrive, l’avènement d’une africaine à la tête de la CPI aussi compétente soit-elle, ne manquera pas de soulever des polémiques de la part de ses détracteurs. Déjà, cette Cour est considérée comme une justice pour les pays africains et les pays pauvres. Car jamais, depuis sa création, les dirigeants des grandes puissances n’ont été inquiétés alors que, par exemple, des atrocités ont été commises par les militaires américains en Irak, en Afghanistan et sur d’autres théâtres d’opération. G.W. Bush, chef suprême de l’armée des Etats-Unis, ne mériterait-il pas un jour aussi de rendre des comptes au monde entier ? Maintenant que la gambienne dirige cette Haute Juridiction internationale, la rue africaine réclamera de sa part un peu d’indulgence envers nos dirigeants ou d’étendre le domaine de la lutte aux la persécutions des superpuissances.
Les avocats de Laurent Gbagbo soulèveront également l’argument de ratification pour rejeter la compétence de la CPI pour juger leur client. En effet, la Côte d’Ivoire n’a jamais ratifié le statut de Rome (le Traité fondateur de la CPI). La Chine et les Etats-Unis ne l’ont jamais ratifié et encore moins signé !
Vae victis (malheur aux vaincus)
Une quinzaine de détenus, proches de Laurent Gbagbo ont été entendus depuis la fin du mois de mai dernier. Pascal Affi N’Guessan, président du Front Populaire Ivoirien (FPI), détenu depuis un an à Bouna fait figure de co-responsable de la crise postélectorale. Le dernier premier ministre de Laurent Gbagbo aussi est resté au cachot ; il s’agit de Gilbert Aké N’Gbo’. Du côté de Katiola, le vice-président du FPI Abdouramane Sangaré et la présidente des Femmes patriotes de Côte d’Ivoire, Géneviève Bro Grébé devront patienter avant de rencontrer un juge d’instruction dans le courant de ce mois.
Les accusations portent sur l’atteinte à la sureté de l’Etat et crimes économiques. Ces premières auditions rentrent dans le cadre d’une longue série qui se dérouleront jusqu’en octobre prochain. Simone Gbagbo, en résidence surveillée à Odienné dans le Nord-Ouest sera également entendue.
Ces longues mises en détention font grincer des dents ceux qui sont favorables à la réconciliation. Le FPI s’estime avoir été floué par le régime en place. Il a joué le jeu en participant aux élections législatives du mois de novembre 2011 alors que le gouvernement n’a élargi qu’une vingtaine de prisonniers ; tout en gardant les « gros poissons » au frais !
Lamine THIAM
La première audience fut certes une « formalité » car il s’agissait de vérifier l’identité du prévenu et de l’informer les charges qui pèsent sur lui. Mais elle avait une atmosphère particulière.
D’abord, le caractère inédit de la remise à la CPI d’un chef d’Etat africain par son pays. Contrairement à son tristement célèbre prédécesseur le libérien Charles Taylor, qui lui a été appréhendé en 2006 dans un lieu improbable entre le Cameroun et le Nigéria. Comment une personne en résidence surveillée par une vingtaine de soldats nigérians avait-elle pu leur fausser compagnie ? Ce furent sans doute les 36 longues heures de pression internationale que le président Olusegun Obansanjo ait du subir dans sa carrière. Alors que Laurent Gbagbo a été d’abord détenu à Korhogo (Nord de la Côte d’Ivoire) avant son transfèrement rocambolesque à la Haye.
Ensuite, depuis les images spectaculaires de son arrestation au mois d’avril 11 – Laurent Gbagbo, hagard en « marcel » à côté de sa femme Simone dans une chambre de l’hôtel du Golfe – il a disparu des écrans radar. Les journalistes, les partisans comme ses opposants ont donc tous fait le voyage de la Haye pour le voir en chair et en os.
Gbagbo, cuvée 2012
Cette prochaine audience du 18 juin 2012 sera-t-elle de la même cuvée ? Autrement dit, pourra-t-elle attirer autant de monde que la précédente ?
Le 31 mai dernier, le pensionnaire le plus célèbre de la prison de Scheveningen a fêté ses 67 bougies, il s’agit du président Laurent Gbagbo. Une date anniversaire qui tombe mal car elle arrive au lendemain du verdict de son compagnon d’infortune Charles Taylor. Il vient d’écoper de 50 ans de prison. Pour celui-ci, âgé de 64 ans, cette sentence sonne comme une réclusion à perpétuité.
Ce verdict a dû aussi émouvoir la petite communauté africaine embastillée à la prison de Scheveningen par la CPI. Il y a entre autres : le congolais Jean-Pierre Bemba, avec lequel l’ancien chef de l’Etat discute régulièrement ; les rwandais du FDLR Sylvestre Mudacumura et Bosco Ntganda. Que les jours doivent s’étirer en longueur ! Et on peut aisément imaginer ces détenus – cela paraît surréaliste – conversant banalement, jouant une partie de foot dans la cour de récréation. Sans parler des serbes Mladic et Radovan Karadzic… Ils sont pour la plupart en attente de leur procès ou d’autres purgeant déjà de lourdes peines. Pour autant, il ne faut pas trop s’appesantir sur leur sort car s’ils sont tous là, c’est qu’à un moment de leur existence, ils ont été des auteurs ou des commanditaires d’actes qualifiés de crime contre l’humanité.
Laurent Gbagbo reçoit beaucoup ! Outre les visites de son proche entourage, ses anciens amis et du Secrétaire général du FPI Sylvain Miaka Oureto - courroie de transmission pour piloter son parti politique -, il doit consacrer énormément de temps pour préparer son audience.
Le système de défense
L’équipe judiciaire
Depuis quelque mois, sa conseillère juridique Géraldine Odéhouri Brou a élu domicile à la Haye alors qu’elle a quitté la Côte d’Ivoire pour le Ghana depuis l’année dernière. L’équipe judiciaire de Laurent Gbagbo prépare depuis 6 mois sa prochaine comparution. Un pool d’avocats mené par Me Emmanuel Altit prépare sa défense, peaufine les arguments en collectant des témoignages photos, écrits. Il semblerait que les preuves, sur la dernière crise postélectorale de 2011, s’accumulent Elles tendraient à disculper le prévenu mais elles sont également à charge pour le nouveau président de la République Alassane Ouattara et ceux qui l’ont aidé à conquérir le pouvoir. La défense a choisi aussi un autre angle d’attaque : les avocats élargissent leurs enquêtes aux événements de septembre 2002.
Incompétence de la CPI
La comparution aura lieu le 18 juin mais d’ores et déjà, les avocats ont pris de l’avance et les communicants préparent le « terrain ».
Dès le 24 mai, l’avocat principal Emmanuel Altit a remis au bureau du Procureur Luis Moreno-Ocampo un document de 73 pages. L’information principale est la suivante : « La défense demande à la chambre de déclarer que la CPI n’est pas compétente pour la période et les faits visés dans le mandat d’arrêt délivré à l’encontre de Laurent Gbagbo, le 23 novembre 2011 ». Elle estime que les documents sur lesquels sont fondés la compétence du procureur et le mandat d’arrêt qu’il lancé à l’encontre de son client n’ont aucune valeur juridique.
L’audience de confirmation des charges du 18 juin sert à démontrer s’il y a des motifs fondés pour qualifier les actes criminels du suspect. Dans ce cas, la Chambre Préliminaire (CP III) renverra l’affaire devant une Chambre de 1ère Instance : la voie qui mène vers le procès.
A contrario le 31 mai dernier, la CP II a débouté le Procureur sur un mandat d’arrêt, pour crime contre l’humanité et crimes de guerre, délivré contre le rwandais Sylvestre Mudacumura. Les juges ayant estimé que les preuves n’étaient pas suffisantes pour confondre le chef des FDLR, responsable de meurtres, de viols entre janvier 2009 et août 2010 dans le Nord Kivu (RDC). De même que le rwandais Calixte Mbarushimana, secrétaire exécutif des FDLR – soupçonné de crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis en 2009 toujours en RDC – a été libéré par les juges de Première Instance le 23 décembre 2011 après 12 mois de détention à la Haye. Motif : preuves insuffisantes ; sans doute à cause des enquêtes qui n’ont pas été menées dans les règles de l’art.
Laurent Gbagbo pourrait-il donc bénéficier des mêmes « largesses » de la part de la CP III ? En tout cas, bon nombre de ses partisans en Europe comme en Côte d’Ivoire y croient encore ; même si les chances de parvenir à ce genre de décision restent infimes. Quand bien même, les juges rendront un tel verdict, le bureau du Procureur peut faire appel et demander un supplément d’enquête pour rectifier le tir.
Pour corser l’audience, le calendrier fait que Luis Moreno-Ocampo a achevé théoriquement son mandat en décembre 2011. Son successeur la gambienne Fatou Bensouda – son adjointe – a pris officiellement ses fonctions dès le début de ce mois. L’argentin était considéré comme politique alors que la nouvelle Procureure Générale est réputée être une femme de dossiers, intransigeante sur la défense des victimes.
Le traité de Rome
Quoiqu’il arrive, l’avènement d’une africaine à la tête de la CPI aussi compétente soit-elle, ne manquera pas de soulever des polémiques de la part de ses détracteurs. Déjà, cette Cour est considérée comme une justice pour les pays africains et les pays pauvres. Car jamais, depuis sa création, les dirigeants des grandes puissances n’ont été inquiétés alors que, par exemple, des atrocités ont été commises par les militaires américains en Irak, en Afghanistan et sur d’autres théâtres d’opération. G.W. Bush, chef suprême de l’armée des Etats-Unis, ne mériterait-il pas un jour aussi de rendre des comptes au monde entier ? Maintenant que la gambienne dirige cette Haute Juridiction internationale, la rue africaine réclamera de sa part un peu d’indulgence envers nos dirigeants ou d’étendre le domaine de la lutte aux la persécutions des superpuissances.
Les avocats de Laurent Gbagbo soulèveront également l’argument de ratification pour rejeter la compétence de la CPI pour juger leur client. En effet, la Côte d’Ivoire n’a jamais ratifié le statut de Rome (le Traité fondateur de la CPI). La Chine et les Etats-Unis ne l’ont jamais ratifié et encore moins signé !
Vae victis (malheur aux vaincus)
Une quinzaine de détenus, proches de Laurent Gbagbo ont été entendus depuis la fin du mois de mai dernier. Pascal Affi N’Guessan, président du Front Populaire Ivoirien (FPI), détenu depuis un an à Bouna fait figure de co-responsable de la crise postélectorale. Le dernier premier ministre de Laurent Gbagbo aussi est resté au cachot ; il s’agit de Gilbert Aké N’Gbo’. Du côté de Katiola, le vice-président du FPI Abdouramane Sangaré et la présidente des Femmes patriotes de Côte d’Ivoire, Géneviève Bro Grébé devront patienter avant de rencontrer un juge d’instruction dans le courant de ce mois.
Les accusations portent sur l’atteinte à la sureté de l’Etat et crimes économiques. Ces premières auditions rentrent dans le cadre d’une longue série qui se dérouleront jusqu’en octobre prochain. Simone Gbagbo, en résidence surveillée à Odienné dans le Nord-Ouest sera également entendue.
Ces longues mises en détention font grincer des dents ceux qui sont favorables à la réconciliation. Le FPI s’estime avoir été floué par le régime en place. Il a joué le jeu en participant aux élections législatives du mois de novembre 2011 alors que le gouvernement n’a élargi qu’une vingtaine de prisonniers ; tout en gardant les « gros poissons » au frais !
Lamine THIAM