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Politique Publié le jeudi 7 juin 2012 | Le Patriote

Interview / Diane Mamadou (juriste) : “La probabilité que le suspect Gbagbo soit relaxé est très, très faible”

© Le Patriote
Justice: Laurent Gbagbo devant la Cour pénale internationale
Photo: M. Laurent Koudou Gbagbo lors de l’audience de comparution initiale devant la CPI le 5 décembre 2011
Juriste international, Me Diane Mamadou est un sachant de la procédure de la Cour pénale internationale. Dans cet entretien qu’il nous accordé, l’homme de droit décrit un peu comment la procédure sera menée, non sans donner son avis sur la probabilité de la relaxe du suspect Laurent Gbagbo.
Le Patriote: Le procès de Laurent Gbagbo s’ouvre le 18 juin. Va-t-on assister à un procès normal?
Diane Mamadou : Utilisons plutôt l’expression consacrée, ‘’procès équitable’’, puisqu’elle est consignée dans les conventions internationales relatives aux droits de l’Homme. Gbagbo bénéficiera donc d’un procès équitable.

LP : le 18 juin, on parle précisément d’une audience de confirmation. Que recouvre exactement cette formule ?
DM : L’audience de confirmation, c’est une sorte d’avant-procès au cours duquel on n’entre pas dans le fond du dossier. On parle notamment de confirmation des charges, parce que c’est à cette occasion que le Procureur, qui fait office de juge d’instruction, va venir pour présenter les charges contre Gbagbo, pour convaincre le tribunal, mais aussi la Chambré préliminaire. L’une des spécificités de la procédure de la CPI, c’est que la Chambre préliminaire est sensée ne rien savoir de ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire. C’est à l’issue des échanges, du débat contradictoire entre le procureur et la défense de Gbagbo, que cette Chambre pourra se faire une idée de ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire. C’est une audience qui peut durer une semaine, voire dix jours, compte tenu justement de ces débats. Le procureur se donne le temps de présenter tous les éléments de preuves qu’il a et la défense prend elle aussi le temps nécessaire pour réfuter une à une toutes les preuves à charges contre son client. C’est donc à l’issue de ces échanges, qui sont parfois âpres, que la chambre préliminaire décide s’il y a matière à poursuivre. En ce moment-là, elle confirme les charges et indique une date pour la tenue du procès à proprement parler. La chambre peut aussi estimer qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments et demander alors un complément d’éléments de preuves. Avant l’audience de confirmation, le procureur a la latitude de modifier les charges, mais après l’audience de confirmation, c’est à la Chambre préliminaire qu’il revient d’autoriser au procureur de modifier ces mêmes charges. Si le procureur décide d’aggraver les charges – vous savez que pour l’instant Gbagbo est poursuivi pour crime contre l’humanité en tant que co-auteur indirect – il lui faudra dans ce cas, dans l’hypothèse où s’est confirmé, obtenir l’autorisation de la Chambre préliminaire. Par exemple, si le procureur dit qu’il a les preuves qui indiquent que Gbagbo, en plus des crimes qu’on lui reproche, a commis un génocide – c’est une aggravation parce que le génocide est plus grave – c’est à la Chambre préliminaire de l’y autoriser. Si, à contrario, la chambre préliminaire estime que Gbagbo n’est pas responsable de ce qui lui est reproché, il sera tout simplement libéré.

LP : Au plan de la forme, la CPI est-elle différentes de nos juridictions nationales ?
DM : Dans le monde, il y a deux grands systèmes judiciaires. Il y a le système accusatoire, qui vient du monde anglo-saxon, et le système inquisitoire qui, lui, vient du monde latin, français. La CPI a choisi de coupler les deux systèmes, avec cependant un fort penchant pour le système anglo-saxon. Une autre particularité est qu’il n’y a pas de juge d’instruction. Il y a une chambre préliminaire qui est un tribunal collégial et en face, il y a la défense. Le 18 juin, ces instances vont venir présenter chacun leurs arguments. La Chambre préliminaire va trancher. S’il ya un délibéré, elle tranchera après ce délibéré. Comme je le disais donc, c’est un avant-procès dont la seule fonction est de confirmer les charges portées contre le suspect. A l’issue de cette audience de confirmation de charges, le statut de Gbagbo va changer. Pour l’instant, il est suspect. Si c’est confirmé, il devient l’accusé. En ce moment-là, il aura plus de droit, comme un accusé.

LP : On poursuit en général quelqu’un à charge et à décharge. Pourquoi dans ce cas précis parle-t-on exclusivement de confirmation de faits et non d’infirmation de faits ?
DM : C’est la spécificité de la procédure mixte, du système accusatoire. Parce que le procureur fait office de juge d’instruction. Dans le système inquisitoire, le juge d’instruction instruit à charge et à décharge. Dans le système de la CPI, le procureur réunis les éléments de preuves contre le suspect. La défense, de son côté, réunit les arguments ou les éléments de preuves qui disculpent son client. Ensuite, il y a un débat contradictoire à l’issue duquel le tribunal peut, soit estimer qu’il y a suffisamment de preuves pour poursuivre, soit qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuves ou qu’il a un doute. Dans ce dernier cas, le tribunal demande au procureur de faire des recherches supplémentaires, ou peut estimer que les charges sont trop vagues et qu’elles méritent des précisions. Cela peut nécessiter un renvoi pour une autre audience de confirmation des charges.

LP : Dans ces conditions, Laurent Gbagbo est-il libéré ou reste-t-il toujours enfermé ?
DM : Tout dépend des garanties de représentation qu’il produira alors devant le tribunal. Il peut tenter de le convaincre qu’il ne va pas fuir et qu’il reste à sa disposition. Ses avocats peuvent alors demander qu’il soit mis en liberté provisoire en attendant que ces nouvelles preuves. En ce moment-là, le tribunal, en toute souveraineté, décide de le relaxer ou pas.

LP : Le spécialiste que vous êtes a-t-il souvenance d’un précédant où un suspect a été libéré pour insuffisance de preuves ?
DM : Au niveau international, chaque système est autonome. Il y a souvent des confusions, même au niveau des juristes. Certains confondent le tribunal spécial pour la Sierra Léone ou pour le Rwanda ou encore pour l’ex-Yougoslavie avec la Cour pénal internationale. Ce n’est pas la même chose. Les premiers sont des tribunaux ad-hoc, qui ont été crées par des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, alors que la CPI a été mise en place après l’élaboration d’une convention internationale qu’on appelle le Statut de Rome. Le fait est que chaque système est autonome. La CPI et le Tribunal pénal international peuvent qualifier des crimes similaires de différentes façons. Les deux juridictions sont libres de définir les crimes comme elles l’entendent. Elles ne sont nullement liées.

LP : La CPI a décidé de la création d’un bureau permanent ici à Abidjan. A quelle fin ?
DM : L’objet et le but du statut de Rome, qui a institué la CPI, est de lutter contre l’impunité. L’impunité des puissants, des Chefs d’Etat, des militaires hauts gradés, pour que justice soit rendue aux victimes. Devant le CPI, les victimes sont au centre de la procédure. L’ouverture d’un bureau en Côte d’Ivoire permettra à la CPI de se rapprocher davantage des victimes, être au fait des réalités ivoiriennes pour pouvoir approcher des victimes. Un procès international coûte excessivement cher, il faut faire déplacer les témoins, il faut les protéger après, parce qu’il y a des témoins qui peuvent estimer que leur sécurité n’est pas garantie. J’ai eu des cas dans mes fonctions précédentes, où il y avait des témoins qui étaient des réfugiés dans les pays où j’ai travaillé. Il fallait leur donner toutes les garanties, de même que le billet d’avion pour les faire déplacer. Le bureau permanent aura donc l’avantage d’amoindrir les dépenses.

LP : D’aucuns pensent plutôt que cette permanence signifie que le procès de Gbagbo est parti pour durer bien longtemps.
DM : On ne peut préjuger de rien. Mais au vu des éléments çà et là, je pense que c’est un procès qui peut être très long. Même s’il faut envisager toutes les hypothèses, je pense que la probabilité que le suspect Gbagbo soit relâché est mince. Mais les victimes doivent s’organiser avec leur conseil, de façon rigoureuse, pour préparer des dossiers inattaquables. C’est aussi une spécificité de la procédure devant la CPI. Ce sont les victimes qui doivent faciliter le travail du procureur.

LP : À quelles conditions met-on en place un tribunal spécial pour un pays ?
DM : Il faut d’abord l’opportunité. Mais il y a aussi des raisons politiques. Pour la mise en place d’un tribunal ad-hoc, c’est le conseil de sécurité qui apprécie. La CPI est un tribunal permanent, à la différence des autres tribunaux ad-hoc qui disparaitront au bout d’un certain temps. La CPI est permanente, elle a un caractère universel.

LP : Les avocats de Laurent Gbagbo ont soulevé des exceptions, en disant par exemple que la Côte d’Ivoire n’est pas signataire du statut de Rome et que par conséquent leur client ne pourrait être jugé par la CPI
DM : Ce sont des exceptions faciles à réfuter. D’abord, le Statut de la CPI en son article 12, prévoient les modes d’adhésion. Parmi ces modes, il y a la reconnaissance de la compétence de la Cour. C’est ce que l’Etat de Côte d’Ivoire a fait à travers une première déclaration en 2003 par le président déchu. Cette déclaration a été confirmée par les nouvelles autorités, notamment par le président de la République. Au nombre des sources du droit international, il y a ce qu’on appelle l’acte unilatéral de l’Etat. Ce n’est pas une convention où la notion de réciprocité intervient. Ici, l’Etat décide souverainement, seul et de façon unilatérale qu’il veut être lié par telles ou telles obligations. C’est ce qui a été fait. En matière d’actes unilatéraux des Etats, il y a une grande flexibilité. C’est-à-dire qu’on peut aussi bien faire une déclaration écrite – c’est ce qui a été fait ici – ou faire une déclaration publique. Par exemple le président Ouattara, à chacune de ses sorties, à manifesté sans équivoque aucune, la volonté de l’Etat de Côte d’Ivoire d’être liée par les statuts de la CPI, c’est-à-dire reconnaitre la compétence de cette Cour pour juger un certains nombres de cas, dont notamment celui du président déchu. Il y a un principe en droit international qu’on appelle la compétence de la compétence. En clair, les exceptions soulevées par les avocats de Gbagbo seront examinées avant tout débat de fond. La cour va statuer pour dire si elle est compétente selon les termes dans lesquelles elle a été saisie. Je pense qu’il n’y a pas de risque que la Cour se déclare incompétente. Il faut aussi interpréter les traités, selon l’objet et le but. Cela s’appelle l’interprétation téléologique. Il y a en même temps une technique qui consiste à chercher l’effet utile. L’effet utile du traité, c’est d’éviter qu’il y ait des cas d’impunité. Quand on parle de crime contre l’humanité, cela voudrait dire que ça ne concerne pas uniquement l’Etat de Côte d’Ivoire. Ça choque, ça heurt, ça blesse l’humanité dans son entièreté.

LP : Laurent Gbagbo est poursuivi pour être co-auteur indirect, qu’est-ce qu’il en est des auteurs eux-mêmes ?
DM : co-auteur indirect pour dire que ce n’est pas Laurent Gbagbo lui-même qui a appliqué par exemple le fameux « article 125 ». Ce n’est pas lui non plus qui est allé directement violer les femmes, ce n’est guère encore lui qui est allé directement bombarder les pauvres femmes d’Abobo. Mais le procureur va démontrer que Gbagbo a soutenu, planifié, ordonné, ou toléré les crimes qui ont été commis. Je disais tout à l’heure et ce n’est pas une contradiction, même si la CPI n’est pas liée, elle s’inspire de ce qui se passe ailleurs. Dans le cas récent du président Taylor, celui-ci n’a jamais mis les pieds en Sierra Léone, mais il a été démontré qu’il a soutenu, armé – on dit même qu’il a planifié – les crimes qui ont été commis en Sierra Léone.

LP : Si le 18 juin, les charges sont confirmées quelle est la suite de la procédure ?
DM : Si les charges sont confirmées, la cour va fixer une date pour le procès à proprement parler. A cette occasion commenceront les discussions sur le fond. En ce moment-là, les droits de l’accusé seront renforcés, il bénéficiera de toutes les facilités nécessaires pour une défense efficace répondant aux critères du procès équitable.

LP : En quoi consiste cette facilité ?
DM : S’il est prouvé qu’il n’a pas les moyens de payer les avocats de son choix, on va lui accorder une aide juridictionnelle pour qu’il prenne des avocats de son choix. Ses avocats vont eux aussi bénéficier de facilités. Ils auront un bureau, pourront voyager, faire des recherches. Ils seront à égalité avec l’accusation. Tout cela à la charge de la Cour pénale internationale, qui a un budget de 101 millions d’euro.

LP : Comment fait-on déplacer les témoins ? Font-ils les dépositions sur place ou peuvent-ils être envoyés à la Haye ?
DM : ça c’est à la discrétion de la Cour. Si le tribunal estime qu’il est nécessaire pour leur sécurité de les faire déplacer, il peut le faire. Si le tribunal estime que les témoins peuvent être entendus ici, il les entend ici. Mais vous savez que la défense de Gbagbo pour réfuter certains témoignages peut demander un contre-interrogatoire le jour de l’audience. Elle peut demander de faire venir tel ou tel témoin, parce qu’elle pense par exemple qu’il a été influencé. C’est pour toutes ces raisons qu’un tel procès coute cher. L’idéal pour vraiment répondre aux critères d’un procès équitable est que le témoin soit physiquement présent de sorte à confirmer son témoignage ou bien à être interroger par la défense. La défense aussi peut produire des témoins.

LP : Y aura-t-il des témoins à la barre ce 18 juin ?
DM : Si le procureur pense que c’est indispensable, il peut faire venir des témoins ce jour-là pour qu’ils confirment ce qu’ils ont dit ?

LP : nous avons lu dans la presse que le juge Ocampo a dit qu’il n’aurait pas besoin de témoin ce jour-là ?
DM : C’est parce qu’il est convaincu qu’il a un dossier bien documenté.

LP : On parle d’un dossier d’accusation de 4000 pages, comme cela est-il possible ?
DM : C’est la preuve que les actes sont graves et que le nombre de personnes en cause est élevé. On parle de 3000 morts, seulement pour la période considérée, c’est-à-dire de novembre à avril. C’est aussi cela les vertus d’un procès équitable. Il faut que ce soit un dossier irréfutable, parce que ce procès va être suivi dans le monde entier, par les spécialistes comme par les profanes. La décision qui sera rendue sera commentée par les spécialistes dans les revues de droit international les plus prestigieuses. Les professeurs d’université, les praticiens vont commenter cette décision. Ce n’est pas étonnant. La preuve, l’avant-procès de l’avocat de M. Gbagbo fait 87 pages.

LP : Avant le 18 juin, nous avons lu l’acte d’accusation et l’intervention de défense de l’avocat de Laurent Gbagbo. A quoi répondent toutes ces fuites ?
DM : Ce sont des pratiques courantes. C’est une façon de mettre la pression. Vous savez aussi que les deux camps mobilisent. Aussi bien les partisans de Gbagbo que les victimes ont décidé d’être présents ce jour là à La Haye. Mais ils auront affaire à des juges expérimentés, des professionnels. Je pense qu’ils ne sont pas influençables. En toute sérénité et selon leur intime conviction, au vu des éléments de preuves qui leur seront présentés, ils vont décider.

LP : La CPI obéit-elle souvent à des critères politiques ? Est-ce que par exemple, elle peut dire, pour les besoins de la réconciliation en Côte d’Ivoire, il faut liquider ce procès de Laurent Gbagbo ?
DM : justement, pour les besoins de la réconciliation en Côte d’Ivoire, elle va se dire qu’il faut un procès équitable, que justice soit rendue aux victimes. C’est pour cela que la CPI a été mise en place, pour lutter contre l’impunité. On sait par expérience que s’il y a impunité, c’est la porte ouverte aux actes de vengeance. Mais si justice est rendue et que les victimes sont reconnues dans leur statut de victimes, elles sont beaucoup plus prêtes à pardonner, à vivre en intelligence avec leurs bourreaux, parce qu’elles estiment que leurs bourreaux ont expié de leur crime. Si les victimes sont convaincues que justice n’a pas été rendue, il y a des actes de désespoir, de vengeance qui peuvent être commis. La Cour pénale est consciente de cela. Il n’y a pas de réconciliation durable dans l’impunité.

LP : Il se dit que les crimes sont partagés de part et d’autre, pourquoi poursuit-on seulement Laurent Gbagbo ? N’est-ce pas une justice des vainqueurs comme on l’entend
DM : Je ne peux préjuger de ce que la Cour va faire demain. Gbagbo est le premier responsable en tant qu’ancien chef d’Etat. C’est la même logique qui a guidé la condamnation de Taylor. C’est l’obligation de rendre compte. Il était le premier responsable. Il a, à ce titre, plus d’obligation que quiconque. Cela a commencé par Gbagbo. Il n’est pas exclu que d’autres personnes soient concernées. C’est la Cour qui décide, en toute indépendance. On peut accuser la Cour de tous les maux, sauf d’être une justice de vainqueur. Si les autorités ivoiriennes ont décidé de reconnaitre la compétence de la cour, une fois la dynamique lancée, personne ne peut l’arrêter. Il y a des possibilités pour que les membres du Conseil de sécurité demandent au procureur d’enquêter. Une fois le procureur saisi, la procédure engagée, le Conseil de sécurité, qui regroupe les Etats les plus puissants du monde, ne peut pas décider que pour des besoins de réconciliation, d’arrêter la procédure.

LP : En descendant la chaine des responsabilités, la Cour ne peut elle pas demander le témoignage des responsables militaires ou civils ?
DM : Ce n’est pas exclu. Les sachants peuvent être invités par la cour à témoigner. Le témoignage est libre. On ne peut inviter quelqu’un à témoigner contre lui-même. C’est aussi un des principes de la procédure internationale.

LP : Concrètement, une personnalité comme le général Mangou, qui était chef d’Etat-major des armées, peut-il aller à la Haye comme témoin ou en tant qu’inculpé, si des preuves sont établies qu’il a posé des actes répréhensifs ?
DM : C’est la cour qui détermine en fonction des éléments dont elle dispose. Si la cour estime qu’elle a suffisamment d’éléments pour engager la responsabilité du chef d’Etat-major, elle va le faire. Si elle estime qu’il sait un certain nombre de chose, il a été cité plusieurs fois et qu’il peut venir éclairer la cour, la cour va l’inviter à venir témoigner.

LP : Il y a eu un changement de procureur, est-ce que cela ne va pas chambouler le calendrier ?
DM : je ne le pense pas. Ça n’aura pas d’incidence dans la mesure où le nouveau procureur, la juge Fatou Bensouda, était l’adjoint d’Ocampo. Elle est bien imprégnée du dossier de la Côte d’Ivoire. Elle a déjà effectué des missions ici en Côte d’Ivoire. Elle était même la première au niveau de la Cour à mettre en garde les autorités du pouvoir déchu, leur disant que s’ils continuaient comme cela, la Cour allait ouvrir des enquêtes.

LP : Le fait quelle soit noire, Africaine, n’aura-t-il pas d’incidence sur le déroulement du procès. La Cour a été accusée d’être à la solde des blancs ?
DM : Peut être que ça peut rassurer certains. Mais je pense qu’elle va appliquer le droit. Elle n’appliquera pas le droit des noirs. C’est une convention internationale, elle est juriste, elle connait les techniques d’interprétation des conventions. Elle va les appliquer comme un juriste compétent.

LP : Pour revenir aux témoins, à quel moment M. Ocampo a-t-il enquêté en Côte d’Ivoire au vu de l’acte d’accusation que nous avons ?
DM : Il y a eu plusieurs missions du bureau du procureur. La dernière ayant séjourné ici, c’était au mois d’avril. Ils sont restés sur place pendant plus de deux semaines. Ils ont entendu un certain nombre d’association des victimes. Je trouve dommage qu’ils ne fassent pas beaucoup de publicité de sorte à permettre à toutes les victimes de prendre contact avec eux.

LP : L’acte d’accusation est elle suffisamment exhaustive, suffisamment solide pour défendre la cause de ces 3000 personnes qui ont été tuées ?
DM : Je pense que l’accusation est très bien argumentée. Elle est bien documentée. Il faut savoir que le travail, pour ce qui est du cas de la Côte d’Ivoire, est facile par rapport à ce qui a été fait par les tribunaux ad-hoc. Parce que, d’abord la CPI va éviter les erreurs commises par ces tribunaux. A savoir la lenteur. Il y a des actes qui ont été repris, parce que pas suffisamment formulé avec rigueur. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, c’est facile parce qu’il y a eu plusieurs rapports, des organisations des droits de l’homme, depuis 2002. Le Haut commissariat aux droits de l’homme a fait des rapports, Amnistie et toutes les organisations internationales crédibles ont fait des rapports pour dire voilà ce qui s’est passé. C’est une base de travail pour la cour.

LP : les partisans de Laurent Gbagbo se prépare à aller à la Haye pour faire du bruit. Cette présence peut-elle donner un résultat ?
DM : je disais tantôt que ce sont des professionnels aguerris, qui ont de l’expérience. Même si ce sont des êtres humains, ils ne sont pas influençables de ce point de vue. Il n’est pas possible qu’ils cèdent sous la pression de la rue. Ils diront le droit dans leur intime conviction au vu des éléments qui leur seront présentés. Que les gens se mobilisent, si cela peut réconforter le suspect, tant mieux. Mais, ça n’aura aucune influence.

LP : Est-ce que cette mobilisation n’est pas un cas unique. Etant donné que de telles mobilisations n’ont jamais été organisées pour les autres personnes que la CPI a jugé ?
DM : je pense que c’est une indication pour la Cour. Parce que les rapports disent que la population la plus vulnérable, facilement manipulable, a été instrumentalisée. Ça peut être retenu contre lui, parce qu’ils iront là-bas j’imagine avec des tracts, des affiches mettant en cause la justice des blancs et lutter contre le néocolonialisme, l’impérialisme. Je pense que la cour ne doit pas retenir ça pour aggraver la peine qui sera prononcée contre Gbagbo. La cour doit se prononcer en toute sérénité, en toute indépendance.

LP : Comment les victimes peuvent-elles se faire entendre aussi?
DM : les victimes, sont au centre de la procédure devant la cour. Elles ont une place de choix à travers leurs avocats, leurs organisations. Il y a eu un communiqué au mois d’avril du greffe pour dire qu’il y a une mission qui venait ici pour entendre les victimes et qui demandait aux victimes de s’organiser en collectif. J’ai entendu dire que des victimes feront le déplacement pour rappeler les crimes commis par Gbagbo.

LP : Tout cela ne participe t-il pas de l’instrumentalisation de cette affaire, qui quitte le terrain judiciaire pour aller sur le terrain politique ?
DM : La politique n’intervient pas au niveau de la cour. On y fait du droit et du droit pur, par d’excellents juristes. Les considérations politiques n’ont pas cours au sein de la cour.

LP : pensez-vous qu’il serait difficile pour Laurent Gbagbo de se sortir des griffes de la CPI ?
DM : je ne veux pas préjuger. Mais je pense, au vue des éléments que j’ai vus, l’argumentation du procureur, la probabilité que le suspect Gbagbo soit relaxé est très, très faible. Mais c’est un procès. Dans un procès, rien n’est gagné d’avance.

LP : Pourquoi un tel procès s’étend sur des années ?
DM : Parce que c’est pour rendre une décision inattaquable. Il faut bien préparer les choses. Le nombre de personnes mis en cause est très élevé. Il faut entendre toutes les parties. Il peut arriver que la défense de Gbagbo demande que tel ou tel acte soit posé. Cela doit être fait. Il y a le principe du contradictoire. C’est-à-dire que la défense de Gbagbo doit avoir accès à toutes les pièces détenus par le procureur pour les examiner. Ce sont les facilités nécessaires. Ils doivent avoir le temps nécessaire pour les examiner de sorte à pouvoir les réfuter.

LP : Peut-il arriver que des avocats claquent claquer la porte ?
DM : ca peut être une stratégie de défense. C’est la stratégie de la défense de rupture qui a été élaborée et théorisée par Me Verges. Ils peuvent dire qu’ils ne connaissent pas la légitimité de la Cour à juger leur client. On va quitter le terrain juridique pour se placer sur le terrain politique. Dans sa comparution initiale, je crois qu’il y a eu cette tentative de la part de M Gbagbo, qui disait qu’il est là par la volonté de l’Etat français, c’est du néocolonialisme, de l’impérialisme. Je pense qu’il n’a pas intérêt à aller sur ce terrain-là.

LP : La CPI peut-elle dans ce cas se déclarer incompétente ?
DM : Non. La CPI ne peut pas se déclarer incompétente. Du côté des victimes, se serait un déni de justice. La CPI a été mise en place par la volonté de la communauté internationale, au service de l’humanité. Il y a des victimes qui sont là, qui sont connues. La CPI ne peut pas prétexter de la politisation du débat pour dire qu’elle est incompétente. La CPI ne fait pas de la politique. Elle a un instrument. Ce sont les statuts de Rome. C’est le droit applicable devant la CPI. La politique n’a strictement rien à y voir. L’article 21 détermine les textes applicables à la CPI. La CPI applique ça de façon stricte.

LP : L’Etat de Côte d’Ivoire sera-t-il présenté au cours de ce procès ?
DM : L’Etat de Côte d’Ivoire, n’est pas partie au procès. L’Etat de Côte d’Ivoire a une obligation. Ayant reconnu la compétence de la cour, l’Etat de Côte d’Ivoire a l’obligation de coopérer pleinement et loyalement. Le procès se passe entre les victimes et l’accusé.

LP : On parle de milliers de victimes, comment vont-elles prendre part au procès ?
DM : Je disais tout à l’heure que la CPI a demandé aux victimes de s’organiser. Ça facilite la procédure. Ce n’est pas une obligation. Mais, ce sont des conseils pour faciliter les choses, que les victimes s’organisent en collectif.

LP : Il se raconte qu’avec l’arrivée à la tête de la France de François Hollande, il y a de fortes chances que Laurent Gbagbo soit libéré le 18 juin ?
DM : il n’a aucune influence. Les partisans de Laurent Gbagbo ont tellement peur qu’ils pensent que les choses sont si faciles. Même si un citoyen américain est arrêté, les Etats unis d’Amérique ne peuvent strictement rien faire. Voilà pourquoi après avoir signé, ils ont fait demi-tour en faisant une déclaration pour retirer leur signature.

LP : Il peut tout de même faire pression sur le procureur. Les Etats n’ont-ils pas de petits arrangements autour de la question ?
DM : Ce n’est pas possible. Comme je le disais, la décision qui va être rendue sera analysée, décortiquée par les juristes du monde entier. Elle sera publiée et commentée certainement par l’annuaire français de droit international. Ce sont des professeurs éminents qui vont l’analyser. La décision sera peut être commentée un jour dans les universités. Cela se fera dans tous les grands pays. Les juges ne vont pas se rendre ridicules pour rendre des décisions qui défient toute logique juridique. Ce n’est pas possible.

LP : Laurent Gbagbo a dit lors de sa première comparution avoir été déporté. Cette déposition peut-elle avoir des conséquences sur l’audience du 18 juin ?
DM : Aucune conséquence. J’ai lu dans la presse, un des arguments de Gbagbo qui disait que les textes ivoiriens n’ont pas été respectés. Cela est faux et rapidement réfutable. Je vous donne un exemple, Paul Yao N’Dré, l’ancien président du Conseil constitutionnel après sa décision inique, est revenu pour dire que conformément à la décision rendue par les autorités de l’Union africaine et compte tenu de la supériorité des normes internationales sur les normes internes, Ouattara est reconnu Président élu et que tout acte contraire est nul et de nul effet. Ce qui veut dire que depuis la reconnaissance par la communauté internationale et les actes qui ont été posés sont reconnus comme valides. Ce sont des actes légaux émanent des autorités légitimes de l’Etat de Côte d’Ivoire. C’est Yao N’Dré qui l’a dit. En dehors de cela, je voudrais faire référence à la certification faite par Choi. Choi n’est pas n’importe qui. Il est le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU, c’est-à-dire la communauté internationale dans son ensemble. Les autorités ivoiriennes, librement, ont décidé de faire certifier les élections par M. Choi. Cela signifie que ce que dira M. Choi est sans recours. Or Choi a dit sans l’ombre d’aucun doute que le Président Ouattara a été élu. En tant que sachant, la Cour peut à un moment donné l’appeler, on appelle cela en droit international, les amis de la Cour pour éclairer.

LP : N’est-ce pas une façon de déporter le débat politique électoral ?
DM : juste une partie technique. On peut par exemple demander à Choi, en quoi consiste la certification et comment il a procédé pour arriver à de tels résultats, qui selon lui sont irréfutables.

LP : Comment une victime x peut-elle se faire prendre en compte par la CPI ?
DM : Je peux le conseiller de prendre attache avec les associations des victimes qui existent ici en Côte d’Ivoire, avec des preuves, photos, certificats médicaux, etc. Ces associations bien formées et préparées peuvent faire suivre votre dossier. Si vous avez des éléments probants qui nécessitent que le bureau du procureur vous entende, il le fera. La réunion des preuves ne se limitent pas à cette audience du 18 juin. Après l’audience de confirmation, le travail va continuer pour réunir les éléments de preuves.

LP : Duékoué sera-t-il mis sur la table, étant donné que le camp Gbagbo dit ne pas être auteur des crimes qui y ont été commis?
DM : Il y a eu des équipes d’enquêteurs qui sont allées à Duékoué. La période de compétence temporelle de la CPI dans l’acte de reconnaissance de sa compétence est définie par les autorités. Mais la chambre préliminaire a estimé qu’il s’agit d’un tout – ce n’est pas une injonction – et a chargé le procureur de faire des enquêtes dans ce sens
Réalisée par Charles Sanga &
Thiery Latt
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