Professeur associé à Sciences-po (Paris) Rony Brauman a été président de Médecins sans frontières. Invité de Christophe Boisbouvier sur RFI, le lundi 18 juin 2012, date de la prise de fonction de Mme Fatou Bensouda en qualité de procureur de la CPI. Il a dit ce qu’il pense du procureur sortant, l’Argentin Luis Moreno-Ocampo et de sa méthode. Ci-dessous, de larges extraits des échanges.
Est-ce qu’il est difficile de succéder à une personnalité aussi forte que Luis Moreno-Ocampo ?
Oui c’est certainement difficile et ce qui convient le mieux comme qualificatif pour Ocampo c’est «controversé». Il ne suffit pas d’annoncer ou de connaître des actes qui troublent, pour être qualifié de fort. Luis Moreno-Ocampo est une personnalité éminemment discutable et je me suis souvent dit qu’avec un procureur comme celui-ci, la Cour pénale internationale n’avait plus besoin d’ennemis. Donc, il va sans doute y avoir pour son successeur, Fatou Bensouda, un travail de redressement d’image qui va être très délicat.
Parmi ces ennemis, il y a un certain nombre de chefs d’Etat africains qui lui reprochent de n’avoir poursuivi que des chefs d’Etat africains. Mais, est-ce que ce n’est pas le syndicat des chefs d’Etat qui protège ses membres ?
Oui bien sûr. On sait que le club des puissants trahit rarement ses membres, donc cette critique là n’est pas la bienvenue. Il faut tout de même reconnaître que ce n’est pas seulement en Afrique que des exactions, des crimes de masse sont commis, mais seuls les Africains tombent sous le coup des accusations de la Cour Pénale. Il y a donc là le signe d’une faiblesse politique et c’est cette faiblesse politique qui oblige Moreno-Ocampo à jeter son dévolu sur les chefs d’Etat africains. Partout où on est fort, où on a des protecteurs, on est protégé contre la Cour Pénale Internationale, y compris d’ailleurs en Afrique. Regardez le cas de Bosco Ntanganda, qui ne semble pas le moins du monde inquiété.
C’est peut-être aussi le cas de certains comzones du Nord de la Côte d’Ivoire ?
Oui, sans doute. Il y a un critère d’opportunités qui reste opaque, mais au-delà de la stratégie de coup de pub, de coup médiatique qui a marqué le parcours de Luis Moreno-Ocampo, et dont le Darfour et l’accusation de génocide lancée contre Omar El Bechir ont été le point culminant, au-delà des critiques très fortes qu’on peut porter contre le procureur, il ne faut pas oublier que c’est la Cour Pénale Internationale qui mérite une réflexion critique. Car c’est une cour qui est doublement politique. Elle l’est parce qu’elle dépend, pour sa saisine, du Conseil de sécurité qui a l’occasion d’interdire ou de suspendre des poursuites et aussi parce que la CPI juge des crimes politiques, c’est-à-dire des crimes qui, par leur nature même, ne sont pas commis simplement par des individus comme peuvent l’être des criminels de droit commun, mais qui mettent en œuvre des systèmes, des idéologies, des collectivités, voire des administrations. Comment juge-t-on ces crimes-là ? C’est une question qui me semble négligée par la plupart des avocats de la Cour Pénale et en particulier par la Cour elle-même.
Beaucoup, dont vous-même, reprochent à Moreno-Ocampo d’avoir épargné les Etats-Unis et Israël. N’est-ce pas une tactique pour convaincre Washington d’entrer dans le Traité de Rome et la CPI ?
Peut-être, mais c’est celui qui joue qui s’y perd. Ce que l’on voit, c’est que si on est un protégé des Etats-Unis, on échappe à toute justice (…) La politique du procureur était marquée par un opportunisme dangereux (…) J’insiste sur le fait qu’il ne faut pas personnaliser à l’excès les problèmes que pose la CPI, parce que, de fait, c’est une justice politique. C’est pourquoi je m’inscris dans le camp des adversaires de la Cour Pénale et pas dans le camp des avocats des dictateurs, car bien souvent, être un adversaire de la CPI vous amène à être accusé d’être un ami des dictateurs. Je pense qu’on peut être un adversaire des deux et un ami de la démocratie.
Retranscrits par Olivier Dion
Est-ce qu’il est difficile de succéder à une personnalité aussi forte que Luis Moreno-Ocampo ?
Oui c’est certainement difficile et ce qui convient le mieux comme qualificatif pour Ocampo c’est «controversé». Il ne suffit pas d’annoncer ou de connaître des actes qui troublent, pour être qualifié de fort. Luis Moreno-Ocampo est une personnalité éminemment discutable et je me suis souvent dit qu’avec un procureur comme celui-ci, la Cour pénale internationale n’avait plus besoin d’ennemis. Donc, il va sans doute y avoir pour son successeur, Fatou Bensouda, un travail de redressement d’image qui va être très délicat.
Parmi ces ennemis, il y a un certain nombre de chefs d’Etat africains qui lui reprochent de n’avoir poursuivi que des chefs d’Etat africains. Mais, est-ce que ce n’est pas le syndicat des chefs d’Etat qui protège ses membres ?
Oui bien sûr. On sait que le club des puissants trahit rarement ses membres, donc cette critique là n’est pas la bienvenue. Il faut tout de même reconnaître que ce n’est pas seulement en Afrique que des exactions, des crimes de masse sont commis, mais seuls les Africains tombent sous le coup des accusations de la Cour Pénale. Il y a donc là le signe d’une faiblesse politique et c’est cette faiblesse politique qui oblige Moreno-Ocampo à jeter son dévolu sur les chefs d’Etat africains. Partout où on est fort, où on a des protecteurs, on est protégé contre la Cour Pénale Internationale, y compris d’ailleurs en Afrique. Regardez le cas de Bosco Ntanganda, qui ne semble pas le moins du monde inquiété.
C’est peut-être aussi le cas de certains comzones du Nord de la Côte d’Ivoire ?
Oui, sans doute. Il y a un critère d’opportunités qui reste opaque, mais au-delà de la stratégie de coup de pub, de coup médiatique qui a marqué le parcours de Luis Moreno-Ocampo, et dont le Darfour et l’accusation de génocide lancée contre Omar El Bechir ont été le point culminant, au-delà des critiques très fortes qu’on peut porter contre le procureur, il ne faut pas oublier que c’est la Cour Pénale Internationale qui mérite une réflexion critique. Car c’est une cour qui est doublement politique. Elle l’est parce qu’elle dépend, pour sa saisine, du Conseil de sécurité qui a l’occasion d’interdire ou de suspendre des poursuites et aussi parce que la CPI juge des crimes politiques, c’est-à-dire des crimes qui, par leur nature même, ne sont pas commis simplement par des individus comme peuvent l’être des criminels de droit commun, mais qui mettent en œuvre des systèmes, des idéologies, des collectivités, voire des administrations. Comment juge-t-on ces crimes-là ? C’est une question qui me semble négligée par la plupart des avocats de la Cour Pénale et en particulier par la Cour elle-même.
Beaucoup, dont vous-même, reprochent à Moreno-Ocampo d’avoir épargné les Etats-Unis et Israël. N’est-ce pas une tactique pour convaincre Washington d’entrer dans le Traité de Rome et la CPI ?
Peut-être, mais c’est celui qui joue qui s’y perd. Ce que l’on voit, c’est que si on est un protégé des Etats-Unis, on échappe à toute justice (…) La politique du procureur était marquée par un opportunisme dangereux (…) J’insiste sur le fait qu’il ne faut pas personnaliser à l’excès les problèmes que pose la CPI, parce que, de fait, c’est une justice politique. C’est pourquoi je m’inscris dans le camp des adversaires de la Cour Pénale et pas dans le camp des avocats des dictateurs, car bien souvent, être un adversaire de la CPI vous amène à être accusé d’être un ami des dictateurs. Je pense qu’on peut être un adversaire des deux et un ami de la démocratie.
Retranscrits par Olivier Dion