Le chef de l’Etat a accordé un entretien au JDD. Le président Alassane Ouattara est revenu dans cette entrevue sur la situation du Mali, les événements de Duékoué, sa lutte contre l’impunité, les raisons qui ont conduit Laurent Gbagbo à La Haye et les conditions de détention de son épouse Simone Gbagbo.
Une intervention militaire au Mali vous parait-elle désormais inéluctable?
Alassane Ouattara : Si la situation n’évolue pas favorablement et rapidement, oui, il y aura une intervention militaire au Mali. Cela me parait inévitable. Les chefs d’état-major d’Afrique du l’Ouest se sont réunis à Abidjan cette semaine. Tous les Etats membres de la CEDEAO étaient représentés. Il en ressort que le comité des chefs d’états-majors propose la constitution d’un contingent de près de 3.300 hommes. Dans un premier temps, il s’agira de déployer des gendarmes et des policiers. Puis des militaires.
Qui ira faire la guerre au Mali contre ces islamistes?
AO : Nous estimons qu’il faut bien évidemment privilégier le dialogue et des discussions sont en cours entre les présidents du Burkina Faso, du Nigeria et certains mouvements armés mais le dialogue ne pourra durer éternellement. Mon chef d’état-major a déclaré cette semaine à juste titre que la situation au Mali se dégrade un peu plus chaque jour et ce non seulement au nord du pays, mais aussi au sud. Nous envisageons de constituer une force africaine composée pour moitié de soldats maliens, pour moitié de soldats venus du Niger, du Nigeria, peut-être aussi du Tchad et d’autres pays encore.
Sous mandat de l’ONU?
AO : Oui. Une nouvelle demande de résolution sera prochainement déposée au nom de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) que je préside actuellement auprès du Conseil de sécurité des Nations Unies. Le fait que la France assure en août la présidence tournante du Conseil de sécurité de l’ONU est une très bonne nouvelle pour nous, puisque nous sommes totalement en phase avec les autorités françaises.
Quand devrait avoir lieu cette intervention militaire? Allez-vous solliciter l’aide de la France?
AO : Je pense que nous pouvons parler en semaines et non en mois. Il y a urgence. Le Nord Mali est une terre d’Islam modéré. Ce ne sont pas des Maliens qui y violent les droits de l’Homme, obligent les femmes à porter la burqah et les violentent, qui détruisent les monuments historiques, empêchent les jeunes d’écouter de la musique... On me dit que ces hommes viennent du Yémen, d’Afghanistan, du Pakistan... Ce sont des extrémistes, des terroristes qui doivent retourner là d’où ils viennent. Nous demanderons un appui logistique, notamment à la France et aux Etats-Unis. Je parle d’un appui logistique, matériel, je parle également de conseillers. Nous ne disposons pas non plus d’une aviation de combat et nous en aurons besoin. A l’inverse, je n’envisage pas la présence de troupes au sol qui ne soient pas africaines.
Cette crise au Mali s’ajoute à d’autres sur le continent africain. En Côte d’Ivoire, la semaine dernière encore, un camp de réfugiés a été attaqué et plusieurs personnes sont mortes. Le calme ne semble pas revenu...
AO : Tout est parti d’un acte criminel. Des jeunes miliciens présents dans le camp en sont sortis pour aller attaquer des familles en ville. Ils ont tué quatre personnes, sont revenus au camp où ils ont été retrouvés. Des gens sont venus se venger, ce qui est évidemment condamnable mais cela demeure un acte criminel qui a dégénéré. Il y a eu dans l’Ouest des violences, mais durant plus de dix ans, en permanence, mon prédécesseur a encouragé ces discours de haine et de violences, armant les gens les uns contre les autres. J’ai effectué ma première mission dans l’Ouest à peine élu. J’ai demandé que l’on réhabilite les écoles, les centres de santé, les préfectures, les routes, plus une dotation de 10 milliards de francs CFA d’investissements pour la santé, l’eau potable, les écoles... La réconciliation nationale viendra aussi du mieux-être, du mieux-vivre ensemble. Mais je suis conscient que la réconciliation ne se décrète pas. Il y a eu plus de 3000 morts, des gens ont été ciblés en raison de leur ethnie, de leur préférence politique, de leur origine, des choses abominables se sont déroulées. Cela prend du temps: j’ai suivi les processus en Afrique du Sud, au Rwanda, au Liberia, au Burundi, en Sierra Leone... Dans ces pays, les processus de réconciliation sont toujours en cours. Nous avons beaucoup accompli en un an, mais nous devons encore faire plus.
Laurent Gbagbo sera bientôt présenté aux juges du Tribunal international de La Haye. Qu’en attendez-vous?
AO : Nous avions décidé en le transférant à la justice internationale qu’à ce moment là nous n’avions pas la capacité de juger un criminel de sang, accusé de crimes contre l’humanité, un homme qui a instrumentalisé les jeunes, mis l’armée sous ses ordres, lancé des roquettes sur des civils, tué des femmes... Après la crise, nous n’avions plus de prisons, plus de tribunaux, les juges étaient partis... La justice a repris son cours aujourd’hui en Côte d’Ivoire. Laurent Gbagbo est là où il devrait être. Si on l’avait jugé en Côte d’Ivoire, certains nous auraient accusés d’être partisans, pas assez équitables. Là, c’est un tribunal international, c’est mieux pour lui, et nous nous conformerons aux conclusions de ce tribunal.
Son épouse est toujours placée en résidence surveillée?
AO : Oui, elle est bien traitée. Nous voulions lui proposer d’être transférée plus près d’Abidjan, mais elle a estimé que ça n’était pas nécessaire, qu’elle est bien là où elle est, dans le nord-ouest du pays. J’ai créé une commission nationale d’enquête, elle va me remettre son rapport dans les tous prochains jours. Ce rapport sera rendu public, transmis au ministre de la Justice, aux juges. Tous ceux qui sont incriminés seront poursuivis. Je ne protègerai personne.
Vous reconnaissez donc que des atrocités ont été commises des deux côtés, parmi les pro-Gbagbo comme parmi les pro-Ouattara?
AO : Non, ça n’est pas vrai. Laurent Gbagbo, entre le jour où il s’est fait investir de force immédiatement après les élections du 4 décembre, jusqu’à son départ du pouvoir, il a envoyé ses hommes tuer des gens. A Abidjan, s’est engagée une bataille entre ses fidèles et les soldats des forces républicaines. Il y a eu des morts, mais dans le cadre d’une bataille militaire. Les gens de Gbagbo, eux, ont tué des gens pendant quatre mois et demi. Maintenant, si des preuves sont réunies comme des soldats qui m’ont soutenu, s’il est démontré qu’ils ont commis des actes de tortures ou d’assassinats, ils seront jugés.
Le mois dernier, pour la première fois, la justice ivoirienne a condamné des femmes pour excision. Approuvez-vous cette décision?
AO : Il y a des lois, il faut les appliquer. Il faut tout simplement mettre fin à ces pratiques primitives qui sont inacceptables. J’ai demandé aux préfets de faire savoir dans les villages que ces pratiques seront désormais condamnées.
A quoi vont ressembler les nouvelles relations entre Abidjan et Paris?
AO : Nous avons signé mardi un accord de désendettement avec la France qui va nous permettre de réaffecter près de 2 milliards d’euros à des projets d’investissements, d’infrastructures, d’amélioration des conditions de vie, dans le social, le médical, le scolaire... Dès cette année, nous visons un taux de croissance de 8%, à deux chiffres à partir de 2012. J’ai été Premier ministre du temps de François Mitterrand, j’ai vu passer quatre Premier ministres, Rocard, Cresson, Beregovoy, Balladur... Nos deux pays ont des relations fortes, solides mais aussi décomplexées. La France compte adapter sa relation avec l’Afrique, c’est une bonne chose, mais c’est à la France de choisir la voie qu’elle entend suivre.
François Hollande laisse planer la menace d’un boycott du sommet de la Francophonie cet automne à Kinshasa, pour manquement aux droits de l’Homme. Vous approuvez?
AO : Je dis à François Hollande de venir à Kinshasa et d’y délivrer un message fort sur la paix et pour la démocratie. Il doit dire avec nous que certaines pratiques ne seront plus acceptables. Il faut des élections démocratiques partout en Afrique, il faut y pratiquer la démocratie au jour le jour, l’Etat de droit, la protection de tous les citoyens, la bonne gouvernance, sévir contre l’impunité, autant de choses qui ne se sont pas faites dans le passé. Mais je suis très confiant pour les années à venir parce que je sais que sans démocratie, nous n’aurons pas de développement.
(Source : JDD)
Une intervention militaire au Mali vous parait-elle désormais inéluctable?
Alassane Ouattara : Si la situation n’évolue pas favorablement et rapidement, oui, il y aura une intervention militaire au Mali. Cela me parait inévitable. Les chefs d’état-major d’Afrique du l’Ouest se sont réunis à Abidjan cette semaine. Tous les Etats membres de la CEDEAO étaient représentés. Il en ressort que le comité des chefs d’états-majors propose la constitution d’un contingent de près de 3.300 hommes. Dans un premier temps, il s’agira de déployer des gendarmes et des policiers. Puis des militaires.
Qui ira faire la guerre au Mali contre ces islamistes?
AO : Nous estimons qu’il faut bien évidemment privilégier le dialogue et des discussions sont en cours entre les présidents du Burkina Faso, du Nigeria et certains mouvements armés mais le dialogue ne pourra durer éternellement. Mon chef d’état-major a déclaré cette semaine à juste titre que la situation au Mali se dégrade un peu plus chaque jour et ce non seulement au nord du pays, mais aussi au sud. Nous envisageons de constituer une force africaine composée pour moitié de soldats maliens, pour moitié de soldats venus du Niger, du Nigeria, peut-être aussi du Tchad et d’autres pays encore.
Sous mandat de l’ONU?
AO : Oui. Une nouvelle demande de résolution sera prochainement déposée au nom de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) que je préside actuellement auprès du Conseil de sécurité des Nations Unies. Le fait que la France assure en août la présidence tournante du Conseil de sécurité de l’ONU est une très bonne nouvelle pour nous, puisque nous sommes totalement en phase avec les autorités françaises.
Quand devrait avoir lieu cette intervention militaire? Allez-vous solliciter l’aide de la France?
AO : Je pense que nous pouvons parler en semaines et non en mois. Il y a urgence. Le Nord Mali est une terre d’Islam modéré. Ce ne sont pas des Maliens qui y violent les droits de l’Homme, obligent les femmes à porter la burqah et les violentent, qui détruisent les monuments historiques, empêchent les jeunes d’écouter de la musique... On me dit que ces hommes viennent du Yémen, d’Afghanistan, du Pakistan... Ce sont des extrémistes, des terroristes qui doivent retourner là d’où ils viennent. Nous demanderons un appui logistique, notamment à la France et aux Etats-Unis. Je parle d’un appui logistique, matériel, je parle également de conseillers. Nous ne disposons pas non plus d’une aviation de combat et nous en aurons besoin. A l’inverse, je n’envisage pas la présence de troupes au sol qui ne soient pas africaines.
Cette crise au Mali s’ajoute à d’autres sur le continent africain. En Côte d’Ivoire, la semaine dernière encore, un camp de réfugiés a été attaqué et plusieurs personnes sont mortes. Le calme ne semble pas revenu...
AO : Tout est parti d’un acte criminel. Des jeunes miliciens présents dans le camp en sont sortis pour aller attaquer des familles en ville. Ils ont tué quatre personnes, sont revenus au camp où ils ont été retrouvés. Des gens sont venus se venger, ce qui est évidemment condamnable mais cela demeure un acte criminel qui a dégénéré. Il y a eu dans l’Ouest des violences, mais durant plus de dix ans, en permanence, mon prédécesseur a encouragé ces discours de haine et de violences, armant les gens les uns contre les autres. J’ai effectué ma première mission dans l’Ouest à peine élu. J’ai demandé que l’on réhabilite les écoles, les centres de santé, les préfectures, les routes, plus une dotation de 10 milliards de francs CFA d’investissements pour la santé, l’eau potable, les écoles... La réconciliation nationale viendra aussi du mieux-être, du mieux-vivre ensemble. Mais je suis conscient que la réconciliation ne se décrète pas. Il y a eu plus de 3000 morts, des gens ont été ciblés en raison de leur ethnie, de leur préférence politique, de leur origine, des choses abominables se sont déroulées. Cela prend du temps: j’ai suivi les processus en Afrique du Sud, au Rwanda, au Liberia, au Burundi, en Sierra Leone... Dans ces pays, les processus de réconciliation sont toujours en cours. Nous avons beaucoup accompli en un an, mais nous devons encore faire plus.
Laurent Gbagbo sera bientôt présenté aux juges du Tribunal international de La Haye. Qu’en attendez-vous?
AO : Nous avions décidé en le transférant à la justice internationale qu’à ce moment là nous n’avions pas la capacité de juger un criminel de sang, accusé de crimes contre l’humanité, un homme qui a instrumentalisé les jeunes, mis l’armée sous ses ordres, lancé des roquettes sur des civils, tué des femmes... Après la crise, nous n’avions plus de prisons, plus de tribunaux, les juges étaient partis... La justice a repris son cours aujourd’hui en Côte d’Ivoire. Laurent Gbagbo est là où il devrait être. Si on l’avait jugé en Côte d’Ivoire, certains nous auraient accusés d’être partisans, pas assez équitables. Là, c’est un tribunal international, c’est mieux pour lui, et nous nous conformerons aux conclusions de ce tribunal.
Son épouse est toujours placée en résidence surveillée?
AO : Oui, elle est bien traitée. Nous voulions lui proposer d’être transférée plus près d’Abidjan, mais elle a estimé que ça n’était pas nécessaire, qu’elle est bien là où elle est, dans le nord-ouest du pays. J’ai créé une commission nationale d’enquête, elle va me remettre son rapport dans les tous prochains jours. Ce rapport sera rendu public, transmis au ministre de la Justice, aux juges. Tous ceux qui sont incriminés seront poursuivis. Je ne protègerai personne.
Vous reconnaissez donc que des atrocités ont été commises des deux côtés, parmi les pro-Gbagbo comme parmi les pro-Ouattara?
AO : Non, ça n’est pas vrai. Laurent Gbagbo, entre le jour où il s’est fait investir de force immédiatement après les élections du 4 décembre, jusqu’à son départ du pouvoir, il a envoyé ses hommes tuer des gens. A Abidjan, s’est engagée une bataille entre ses fidèles et les soldats des forces républicaines. Il y a eu des morts, mais dans le cadre d’une bataille militaire. Les gens de Gbagbo, eux, ont tué des gens pendant quatre mois et demi. Maintenant, si des preuves sont réunies comme des soldats qui m’ont soutenu, s’il est démontré qu’ils ont commis des actes de tortures ou d’assassinats, ils seront jugés.
Le mois dernier, pour la première fois, la justice ivoirienne a condamné des femmes pour excision. Approuvez-vous cette décision?
AO : Il y a des lois, il faut les appliquer. Il faut tout simplement mettre fin à ces pratiques primitives qui sont inacceptables. J’ai demandé aux préfets de faire savoir dans les villages que ces pratiques seront désormais condamnées.
A quoi vont ressembler les nouvelles relations entre Abidjan et Paris?
AO : Nous avons signé mardi un accord de désendettement avec la France qui va nous permettre de réaffecter près de 2 milliards d’euros à des projets d’investissements, d’infrastructures, d’amélioration des conditions de vie, dans le social, le médical, le scolaire... Dès cette année, nous visons un taux de croissance de 8%, à deux chiffres à partir de 2012. J’ai été Premier ministre du temps de François Mitterrand, j’ai vu passer quatre Premier ministres, Rocard, Cresson, Beregovoy, Balladur... Nos deux pays ont des relations fortes, solides mais aussi décomplexées. La France compte adapter sa relation avec l’Afrique, c’est une bonne chose, mais c’est à la France de choisir la voie qu’elle entend suivre.
François Hollande laisse planer la menace d’un boycott du sommet de la Francophonie cet automne à Kinshasa, pour manquement aux droits de l’Homme. Vous approuvez?
AO : Je dis à François Hollande de venir à Kinshasa et d’y délivrer un message fort sur la paix et pour la démocratie. Il doit dire avec nous que certaines pratiques ne seront plus acceptables. Il faut des élections démocratiques partout en Afrique, il faut y pratiquer la démocratie au jour le jour, l’Etat de droit, la protection de tous les citoyens, la bonne gouvernance, sévir contre l’impunité, autant de choses qui ne se sont pas faites dans le passé. Mais je suis très confiant pour les années à venir parce que je sais que sans démocratie, nous n’aurons pas de développement.
(Source : JDD)