En Occident tout comme en Afrique, les débats sur le rapport entre Tradition et Modernité sont courants et inspirent ceux et celles qui s’intéressent à la question de l’identité et surtout au devenir de l’Homme dans un monde en perpétuelle mutation. En fait, l’acceptation et le rapport entre ces deux notions ne font pas l’unanimité. Certains pensent que la modernité est l’antithèse de la tradition. Elle serait identifiée aux valeurs de progrès alors que la tradition renvoie aux forces rétrogrades. D’autres reconnaissent, par contre, que la modernité n’est qu’une évolution normale et inévitable de la tradition. On pourrait dire que Modernité et Tradition renvoient à la manière d’être, d’agir et de faire, à des moments précis dans une société.
Quoi qu’on dise, le rapport entre Tradition et Modernité n’est qu’une histoire de mutations résultant des contacts avec les autres sociétés dont les conséquences peuvent être enrichissantes ou aliénantes. Les contacts entre les civilisations, entre les Hommes de diverses cultures sont enrichissants quand les expériences vécues ou reçues sont sources d’innovation et de progrès. Par exemple, l’usage des soins médicaux modernes, les nouveaux modèles de construction, l’électricité et les foyers améliorés, ne semblent pas poser de problème d’adéquation avec la tradition. Dans certains pays comme le Bénin, le Tchad, la médecine traditionnelle est utilisée dans les hôpitaux modernes. Par contre, les contacts culturels sont aliénants dès lors qu’on procède systématiquement à un transfert sans discernement des éléments culturels étrangers considérés comme supérieurs.
La colonisation avec sa «mission civilisatrice» n’ambitionnait-elle pas de sortir les peuples africains de leurs traditions rétrogrades ? Par elle, la modernité est inéluctablement entrée en Afrique subsaharienne mettant au défi la tradition. Les gardiens de la tradition ont été marginalisés sous prétexte qu’ils étaient « arriérés » et réticents à la mission civilisatrice de l’administration coloniale. L’imposition d’un modèle d’État-Nation centralisé, totalement inadapté à des sociétés issues d’ensembles hétérogènes, et le démantèlement des royaumes comme processus de modernisation du système politique en Afrique noire montrent que la modernité coloniale se confond avec l’occidentalisme dans la mesure où tout son système de référence, toute son inspiration et toutes ses valeurs sont enracinés dans l’histoire passée et présente de l’Occident. C’est dans ce contexte bouleversé par la colonisation que l’Africain se remet doublement en question par rapport à la tradition, à l’ouverture au monde, à l’altérité et à l’Autre.
Dans sa poésie, la Nigériane Imoukhwede exprime ce dualisme, cet écartèlement et cette tension qui caractérisent les sociétés africaines en ces termes : « Nous voici… Nous voici ballotés entre deux civilisations. Je suis lasse, je suis lasse d’être suspendue entre deux mondes. Mais où irais-je ? »1. Au niveau religieux, l’Africain vit une double expérience de valeurs religieuses endogènes et exogènes qui est, sans conteste, le signe d’une identité écartelée, d’une tension identitaire cherchant son enracinement culturel et son unité ontologique dans un brassage de civilisations dont elle est le produit. Par exemple, lors des compétitions électorales, sportives ou lors des moments difficiles, le recours aux expériences religieuses traditionnelles est automatique. On observe souvent dans de grandes villes africaines des signes de sacrifice traditionnel comme des œufs de poule, des canaris brisés, des grains de riz, de mil, de maïs et de fonio mélangés avec les noix de colas liés ensemble sur les carrefours.
Dans cette situation, la recherche des solutions s’impose à tous les Africains conscients de ce drame identitaire. Une approche ethnocentriste, influencée par la thèse de la supériorité de la civilisation occidentale, met l’accent sur la dilution de la tradition dans la modernité certifiée ici comme une copie conforme de l’occidentalisme. Il s’agit surtout de vivre selon les valeurs culturelles issues de la modernité occidentale. Par contre, une autre approche, à la limite intégriste, présente le retour aux valeurs fondamentales traditionnelles comme une des solutions idoines de cette tension identitaire. Mais refuser la modernité ne serait-il pas synonyme de refus d’intelligence ou d’impulsions créatrices nécessaires au développement de toute culture, qu’elle soit occidentale ou africaine ? Enfin, une dernière attitude, celle qui est de plus en plus populaire, consiste à vaciller entre la tradition et la modernité. Cet écartèlement rend vulnérable car ni la tradition ni la modernité ne constitue l’enracinement culturel nécessaire au développement humain.
En somme, l’Africain de la globalisation vit dans une interdépendance et il est, de ce fait, appelé à s’ouvrir à l’autre et à accepter les valeurs exogènes porteuses d’enrichissements et d’innovations.
Hyacinthe Loua, sj
Quoi qu’on dise, le rapport entre Tradition et Modernité n’est qu’une histoire de mutations résultant des contacts avec les autres sociétés dont les conséquences peuvent être enrichissantes ou aliénantes. Les contacts entre les civilisations, entre les Hommes de diverses cultures sont enrichissants quand les expériences vécues ou reçues sont sources d’innovation et de progrès. Par exemple, l’usage des soins médicaux modernes, les nouveaux modèles de construction, l’électricité et les foyers améliorés, ne semblent pas poser de problème d’adéquation avec la tradition. Dans certains pays comme le Bénin, le Tchad, la médecine traditionnelle est utilisée dans les hôpitaux modernes. Par contre, les contacts culturels sont aliénants dès lors qu’on procède systématiquement à un transfert sans discernement des éléments culturels étrangers considérés comme supérieurs.
La colonisation avec sa «mission civilisatrice» n’ambitionnait-elle pas de sortir les peuples africains de leurs traditions rétrogrades ? Par elle, la modernité est inéluctablement entrée en Afrique subsaharienne mettant au défi la tradition. Les gardiens de la tradition ont été marginalisés sous prétexte qu’ils étaient « arriérés » et réticents à la mission civilisatrice de l’administration coloniale. L’imposition d’un modèle d’État-Nation centralisé, totalement inadapté à des sociétés issues d’ensembles hétérogènes, et le démantèlement des royaumes comme processus de modernisation du système politique en Afrique noire montrent que la modernité coloniale se confond avec l’occidentalisme dans la mesure où tout son système de référence, toute son inspiration et toutes ses valeurs sont enracinés dans l’histoire passée et présente de l’Occident. C’est dans ce contexte bouleversé par la colonisation que l’Africain se remet doublement en question par rapport à la tradition, à l’ouverture au monde, à l’altérité et à l’Autre.
Dans sa poésie, la Nigériane Imoukhwede exprime ce dualisme, cet écartèlement et cette tension qui caractérisent les sociétés africaines en ces termes : « Nous voici… Nous voici ballotés entre deux civilisations. Je suis lasse, je suis lasse d’être suspendue entre deux mondes. Mais où irais-je ? »1. Au niveau religieux, l’Africain vit une double expérience de valeurs religieuses endogènes et exogènes qui est, sans conteste, le signe d’une identité écartelée, d’une tension identitaire cherchant son enracinement culturel et son unité ontologique dans un brassage de civilisations dont elle est le produit. Par exemple, lors des compétitions électorales, sportives ou lors des moments difficiles, le recours aux expériences religieuses traditionnelles est automatique. On observe souvent dans de grandes villes africaines des signes de sacrifice traditionnel comme des œufs de poule, des canaris brisés, des grains de riz, de mil, de maïs et de fonio mélangés avec les noix de colas liés ensemble sur les carrefours.
Dans cette situation, la recherche des solutions s’impose à tous les Africains conscients de ce drame identitaire. Une approche ethnocentriste, influencée par la thèse de la supériorité de la civilisation occidentale, met l’accent sur la dilution de la tradition dans la modernité certifiée ici comme une copie conforme de l’occidentalisme. Il s’agit surtout de vivre selon les valeurs culturelles issues de la modernité occidentale. Par contre, une autre approche, à la limite intégriste, présente le retour aux valeurs fondamentales traditionnelles comme une des solutions idoines de cette tension identitaire. Mais refuser la modernité ne serait-il pas synonyme de refus d’intelligence ou d’impulsions créatrices nécessaires au développement de toute culture, qu’elle soit occidentale ou africaine ? Enfin, une dernière attitude, celle qui est de plus en plus populaire, consiste à vaciller entre la tradition et la modernité. Cet écartèlement rend vulnérable car ni la tradition ni la modernité ne constitue l’enracinement culturel nécessaire au développement humain.
En somme, l’Africain de la globalisation vit dans une interdépendance et il est, de ce fait, appelé à s’ouvrir à l’autre et à accepter les valeurs exogènes porteuses d’enrichissements et d’innovations.
Hyacinthe Loua, sj