Le président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire et sa délégation, ont pris part à l’ouverture de la deuxième session ordinaire du parlement burkinabé, à Ouagadougou. L’honorable Soro Kigbafori Guillaume a prononcé un discours devant ses collègues burkinabé, dont nous vous en proposons de larges extraits.
«La Côte d’Ivoire entière, incarnée en son unité par le Président de la République, Son Excellence Alassane Ouattara s’honore de l’invitation que vous nous faites, de nous exprimer en ces lieux solennels du Burkina Faso, où nous voulons saluer, avec reconnaissance, la grandeur et l’abnégation de celui qui incarne au plus haut point l’unité Burkinabé, je veux parler du Président du Faso, Son Excellence Blaise Compaoré. Le Président Alassane Ouattara, la pierre que les bâtisseurs avaient rejetée, est désormais devenu la figure emblématique de la Côte d’Ivoire nouvelle. Son parcours politique, comme l’éthique de la responsabilité qui l’a commandé, insuffle aujourd’hui à la Côte d’Ivoire, l’esprit de modernité. A ses côtés, nous marchons résolument vers l’avenir, plus déterminés que jamais à faire de la consolidation de l’axe Abidjan-Ouagadougou notre priorité, pour que, évidemment, nos deux pays deviennent des acteurs majeurs dans notre sous-région. Le Président Blaise Compaoré, véritable maître d’œuvre des grands cénacles de dialogue et de paix dans la sous-région, est aussi pour nous une précieuse référence. Par l’intelligence politique qui le caractérise, par sa disponibilité à défendre et à protéger les exclus de tous les pays, il a su donner au Burkina une incontestable stature de géant dans notre sous-région. Nous ne pouvons que nous en réjouir, nous qui avons bénéficié de sa bienveillance.
Mesdames et messieurs,
Comment prendre la parole devant cette auguste Assemblée sans me souvenir, avec admiration, de l’extraordinaire fratrie qui présida aux œuvres communes et grandioses des premiers Présidents des Républiques de Côte d’Ivoire et de Haute-Volta, j’ai nommé leurs Excellences Félix Houphouët-Boigny et Maurice Yaméogo. Grands bâtisseurs des piliers symboliques de l’Afrique cosmopolitique, ils projetaient, avec clairvoyance, l’Afrique dans laquelle nous et nos enfants devrions vivre. En réalité, sachez-le, entre nos deux peuples s’était tissée, depuis la nuit des temps anciens, une de ces fraternités qui aurait dû vaincre tous les doutes et tous les périls. Ma présence ici ce jour à la cérémonie d’ouverture de la Deuxième Session Ordinaire de la Représentation nationale burkinabé s’inscrit dans la suite naturelle de cette indéfectible communion destinale et je m’en félicite. Je veux vous remercier pour la chaleur de l’accueil, les innombrables et délicates attentions dont ma délégation et moi-même avons été l’objet : elles ne sont pas pour nous surprendre, tant le peuple Burkinabé que vous représentez a fait de l’hospitalité une vraie marque de fabrique.
Monsieur le Président Roch Marc Christian Kaboré,
Vous êtes décidément un serviteur attitré de la Nation Burkinabé et je voudrais ici dire un mot de l’itinéraire politique et vous comprendrez que je puisse admirer votre carrière politique qui vous a conduit à occuper successivement les fonctions de Premier Ministre puis de Président de l’Assemblée Nationale. En chacune de ces circonstances, vous vous êtes révélé à la hauteur de la tâche. Aussi, je saisis l’occasion pour vous remercier, à nouveau, du soutien hautement significatif que vous m’avez personnellement apporté, en rehaussant de votre présence la cérémonie d’ouverture de notre Première Session parlementaire à Yamoussoukro le 25 avril 2012 : votre brillante intervention a conforté nos Députés dans leur ambition, celle de voir nos deux Institutions fonctionner en synergie, pour un meilleur devenir conjoint de nos populations respectives. Je n’oublie pas la forte implication qui a été la vôtre, en qualité de Président de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie, dans la réintégration de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire au sein de la grande famille des Parlements francophones. Je vous dis merci. Je m’associe à la joie du Parlement burkinabé qui vient de fêter, le 15 juin dernier, son « Jubilé de porcelaine », l’anniversaire de ses 20 ans d’existence. Vous êtes bien placés pour savoir que, comme la porcelaine précisément, nos Institutions sont précieuses mais qu’elles demeurent fragiles et vous comprendrez donc aisément que le Parlement Burkinabé, avec ses deux (2) décennies de législature sans discontinuer, puisse être pour nous un exemple. Après mon exorde, permettez-moi de revenir sur le sens profond et la puissance des relations entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Pour ce faire, je les replacerai dans le contexte de la géopolitique régionale. Je ne m’étendrai pas ici sur des considérations géographiques que tout le monde connaît. Je ne répéterai pas, une fois encore, le discours convenu sur l’accès à la mer, ni sur l’enclavement, pas plus que sur un éventuel différentiel de développement qui serait en faveur de l’un ou l’autre de nos pays respectifs. Ce qui m’interpelle, (ce qui nous interpelle) en revanche, ce sont les dimensions historique et politique de cette relation. Sans manier le paradoxe, je voudrais dire ici que cette relation se caractérise à la fois pardes histoires plurielles et par une Histoire au singulier : Parler d’histoires plurielles, cela ne veut pas seulement dire que l’histoire de chaque pays lui est propre, ce que je veux pointer du doigt, c’est le fait que chacun de ces pays a plusieurs histoires et que cette pluralité n’est pas de son fait, car elle a été imposée par le colonisateur et subie par le colonisé. À grands traits, on peut dessiner ces histoires comme suit : Les Royaumes Mossi, en provenance du Nord du Ghana, s’installent progressivement dans l’actuel Faso, entre le 11ème et le 14ème siècle. De la lutte d’influence qui oppose alors l’Empire du Mali et l’Empire du Ghana, c’est finalement l’actuel Burkina-Faso qui étendra son emprise jusqu’à Tombouctou. Les sujets du Morho Naba, engagés dans ce combat, luttent contre l’islamisation venue du Nord-Ouest et c’est, sans doute, pour cette raison que la France, soucieuse de stabiliser la région, créa en 1919 la colonie de Haute Volta. En 1932, par décret, Paris supprime la colonie de Haute Volta et la scinde en trois parties : une partie de la Haute Volta, dont Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, est rattachée à la Côte d’Ivoire, les cercles de Fada NGourma et Dori rattachés au Niger et ceux de Ouahigouya et Dédougou rattachés au Soudan français (Mali actuel). Autre temps, autre tentative, un autre décret sera pris en 1937 pour créer, en Afrique Occidentale Française, une région administrative dite « Région de la Haute Côte d’Ivoire ». Quelles étaient les motivations profondes d’une telle modification ? Etait-ce la nécessité de faciliter le transfert de main d’œuvre entre la Haute Volta et la Côte d’Ivoire ? Etait-ce les besoins de la cause des Travaux forcés ? Je ne sais ! Toujours est-il qu’en moins de 20 ans, l’actuel Burkina Faso est donc passé de « tout » à « rien », puis de « rien » à « quelque chose » !Permettez-moi d’anticiper sur ce que je développerai tout à l’heure et d’indiquer, dès à présent, que le débat récurrent et toujours actuel sur l’origine géographique d’un grand nombre d’Ivoiriens du Nord ou de Burkinabé du Sud est ici faussé, car celles et ceux dont les ascendants sont nés en Haute Côte d’Ivoire entre 1933 et 1947 peuvent à bon droit se prévaloir d’une double nationalité ou, pourquoi pas, se considérer comme des citoyens ivoiro-voltaïques ! Toujours est-il que ces histoires plurielles nous ont finalement permis d’écrire notre histoire au singulier. Une Histoire au singulier, car le Burkina-Faso et la Côte d’Ivoire sont, comme le frère et la sœur d’une même famille, pour la bonne raison que c’est du même peuple qu’il s’agit, que c’est d’une histoire de famille qu’il s’agit. Balayées par les vents contraires des aventures coloniales et tiraillées entre les intérêts contradictoires des différents occupants, nos contrées auraient pu « perdre le sud », que dis-je ? Perdre plutôt le nord, mais il n’en fut rien. Ces changements incessants de statut et d’alliances, ces déplacements forcés à répétition, loin de nous diviser, nous ont rapprochés. C’est pourquoi nos aînés - et je pense ici avec profonde admiration au Président Félix Houphouët-Boigny- dans leur combat pour l’émancipation et pour l’indépendance, ont uni leurs forces et conjugué leurs efforts : le consensus s’est fait sur la nécessité de se rassembler pour réfléchir et pour agir, car c’était à leurs yeux un seul et même peuple qui était concerné. Il est clair que ce choix était le bon et que les différents leaders ne seraient jamais parvenus à leurs fins si chacun d’eux avait privilégié son appartenance géographique et culturelle d’origine ; diviser pour régner a toujours été le mode opératoire classique de ceux qui veulent à tout prix maintenir leur suprématie et conserver leurs privilèges. C’est à l’initiative de femmes et d’hommes courageux, qui ont supporté les souffrances et porté l’espérance de leurs peuples, que le destin a finalement pu s’accomplir, et c’est ainsi que votre pays, comme le nôtre, est parvenu à conquérir, progressivement et non sans luttes, frustrations et régressions, le statut de République en 1958 et finalement, à obtenir l’indépendance en 1960. Un combat de tous, car il n’a pas été mené dans la solitude mais dans la solidarité. Paradoxalement, ces remembrements incessants, ces recouvrements récurrents, loin de développer chez nos aînés une épidémie cyclique de brouilles et de retrouvailles, ont conforté leur sentiment d’appartenance à une même collectivité. Les divisions artificielles, qu’elles soient administratives ou frontalières, n’ont pas affecté en profondeur leur volonté d’union et de communion. Ce qui me frappe en effet, c’est que nos illustres prédécesseurs ont su ne pas s’investir inutilement dans des combats idéologiques ou stratégiques qui ne dépendaient pas d’eux, pour se concentrer sur l’essentiel : que notre continent retrouve la liberté, que l’homme africain recouvre sa dignité. Celui qui pénètre avec humilité dans les arcanes de l’histoire de la décolonisation ne tarde pas à être ébloui par les positions courageuses et les hauts faits d’armes accomplis par nos aînés. J’en veux pour preuve, et bien que mon inventaire soit loin d’être exhaustif, la figure exemplaire de trois illustres personnalités qui nous concernent directement : Je veux parler des illustres doyens Ouezzin Coulibaly, Félix Houphouët-Boigny et Sangoulé Lamizana : Du premier, je dirai qu’il incarne à mes yeux la force et la détermination de la volonté d’émancipation de notre continent et du profond désir d’union qu’éprouvent les populations de notre sous-région. Le « Lion du RDA », comme l’appelle le Professeur Semi Bi Zan, a été Sénateur de Côte d’Ivoire en 1953, puis Député de l’Assemblée Nationale de la Haute-Volta un an après et Vice-Président du Conseil de Gouvernement trois ans plus tard. Nous faudrait-il condamner ces multiples engagements, de part et d’autre de nos actuelles frontières héritées du Congrès de Berlin ? Bien au contraire, ces différentes fonctions au service de nos populations symbolisent la volonté, qu’il partageait avec le Président Houphouët, de voir se construire un espace communautaire qui regroupe l’ensemble des populations jumelles de la Côte d’Ivoire du Nord et de la Haute Volta du Sud. Que dire du Président Félix Houphouët-Boigny qui a travaillé en tant que Médecin à Batié, en Haute Volta, et dont les premiers gouvernements successifs comptaient des ivoiriens d’origines antillaise, nigérienne, sénégalaise, malienne, burkinabé et j’en passe. Quant au Général Sangoulé Lamizana, il illustre à merveille cette capacité à « servir à tous les postes, en y mettant tout son cœur », comme aimait à le dire le Président Houphouët : il a été Chef adjoint du Cabinet militaire du Gouverneur de Côte d’Ivoire de 1956 à 1959, puis il rentre en Haute Volta, pour occuper le poste de Chef d’Etat-Major en 1961. Il deviendra par la suite, le second Chef d’Etat de la Haute Volta. Quelle singularité pour ce « tirailleur sénégalais » que de servir successivement dans plusieurs pays et de devenir un messager de paix!
Quelle singulière histoire que celle de populations qui ont cette singularité de partager une histoire au singulier !
Premier exemple : notre mutuelle tradition d’hospitalité :
Rares sont les pays qui, dans le monde, ne se targuent pas d’être particulièrement hospitaliers, et chacun d’affirmer que c’est une tradition nationale qui lui est propre. Mais si elle est commune à chacun d’eux, elle n’est plus l’apanage de bon nombre d’entre eux. Disons que, tout simplement, la chaleur de l’accueil est proportionnelle aux bénéfices que l’on en attend. Rien de tel dans notre relation, car en ouvrant notre porte, nous n’avons pas le sentiment d’accueillir un visiteur étranger, mais de recevoir un parent qui s’était un instant éloigné de la maison commune. Comment expliquer autrement que la Côte d’Ivoire, en parfaite contradiction avec toutes les doctes analyses sur les seuils d’immigration, ait pu accueillir des millions d’habitants originaires de votre pays, sans que l’on observe pour autant, du moins jusqu’à ces tristes derniers temps, qu’ils aient été victimes d’un phénomène de rejet ? Certes, la cohabitation n’est pas toujours facile, notamment quand l’environnement économique se dégrade, mais les familles ne traversent-elles pas, elles aussi, des périodes de suspicion et de discorde ?
Deuxième exemple :
Je remarque également que de nombreux hauts responsables politiques ou militaires en délicatesse avec le pouvoir en place ont, dans les deux sens, trouvé refuge dans nos pays respectifs. Ce « droit d’asile » s’est exercé spontanément, sans tribunaux et sans jugements, sur la simple base de l’entraide et de la solidarité familiales, car finalement nous sommes tous, comme l’illustre fondateur du « Syndicat Agricole », des paysans et des enfants de la terre d’un seul et même pays. Je note également, pour ce qui concerne l’histoire récente, que c’est au Burkina Faso que Alassane Ouattara a, comme on dit chez nous, «fréquenté », que Laurent Gbagbo a plusieurs fois trouvé refuge en Haute Volta, sur le chemin de son exil parisien et enfin, puisqu’il faut bien de temps en temps parler de soi, que j’ai trouvé ici la sécurité, quand les « commandos de la mort » étaient à mes trousses ! Si l’espace et le temps n’avaient pas leurs contraintes, il eût sans doute été plaisant et instructif que nous nous retrouvions tous ensemble au pays des hommes intègres : peut-être serions-nous parvenus alors à nous écouter, sinon à nous entendre ; peut-être aurions-nous réussi, sinon à nous réconcilier, du moins à nous comprendre ! J’aurais préféré que nous puissions, fidèles à l’idylle heureuse et prometteuse qui s’était progressivement nouée entre nos deux pays, envisager l’avenir avec confiance, sur la base solide et saine d’une conviction que nous partagions : celle d’appartenir à une seule et même communauté d’héritage et de destin. Mais, comme vous le savez mieux que tout autre, pour en avoir été les victimes, ce bel édifice conçu et construit par nos aînés s’est écroulé, sous les coups de boutoir d’un pouvoir aveugle. Nos populations ne demandaient pourtant qu’une chose : le droit de vivre en bonne intelligence au sein d’une même communauté. Je ne sais pas si c’est par naïveté ou par innocence, mais j’avoue que, devant le spectacle affligeant d’une Côte d’Ivoire qui sombrait dans les abîmes de l’histoire comme un navire hier encore chargé de richesses et d’espoir, j’ai été stupéfait. Mais cette stupéfaction n’a pas tardé à se transformer en révolte, une révolte qui ne s’est, heureusement, pas nourrie d’une rancœur personnelle. Il faut croire que les dictateurs en herbe manquent d’imagination, car ils se comportent tous, hélas de la même façon : quand leur pouvoir est menacé, quand leur hégémonie est chancelante, ils se découvrent un ennemi, sur lequel va reposer la responsabilité de tous les maux dont souffre la société. Quand ils redoutent de se soumettre au verdict des urnes, par lequel le peuple est appelé à valider leur légitimité, ils stigmatisent leurs adversaires et les livrent à la vindicte populaire, afin d’éviter d’avoir à les affronter. Et si d’aventure l’adversaire peut être transformé en ennemi extérieur, et, pourquoi pas, héréditaire, cela fera encore mieux l’affaire ! C’est donc avec lucidité que nous avons pris la décision de tout mettre en œuvre pour que cette dérive ne nous conduise pas à une « rwandisation » de notre pays et que nous nous sommes élevés contre les propos et les comportements qui prônent l’exclusion et stigmatisent certains groupes, en fonction de leur appartenance ethnique, de leur tradition culturelle ou de leur confession religieuse. Un tel système fonctionne toujours de la même façon : par ondes concentriques, on s’attaque d’abord à un homme (ses traits, son apparence, son habillement, son nom), à sa famille, à sa région, à sa langue, à sa culture, à sa religion et, à terme, c’est toute une communauté, tout un pays, qui sont stigmatisés, marginalisés, pénalisés. Rappelons-nous de l’édifiante leçon des Fables de la Fontaine parlant du loup qui s’adresse à l’agneau :« Si ce n’est toi, c’est donc ton frère !Je n’en ai point…C’est donc quelqu’un des tiens ». « Quelqu’un des tiens… » : Que de crimes n’a-t-on pas commis, sous couvert de cette dangereuse expression. Chers Collègues, je vous le demande : quel citoyen Burkinabé n’est pas l’un des miens ? Chers Collègues, je vous le demande encore : quel citoyen Ivoirien n’est pas l’un des vôtres ? Comme on l’aura vu tout à l’heure, comment peut-on justifier de telles arbitraires au nom d’un découpage territorial opéré par des décrets établissant des frontières bien souvent injustes !Ce ne sont pas nos peuples qui ont trouvé les frontières mais les frontières qui ont trouvé ces peuples bien établis. Toutes ces frontières, pour d’autres, symbolisent l’incompréhension mutuelle. Elles sont la marque cicatricielle de tensions récurrentes qui les opposent. Alors que pour nous, la frontière est le lieu de dépassement de soi vers l’autre, elle est invite au passage, à la visite et à l’échange. Elle est, comme le dit le Professeur Augustin Diby Kouadio, philosophe ivoirien, le lieu d’un commencement nouveau et d’un renouvellement vers l’Autre et non une limite close à sa différence libérée. Au nom de ces frontières injustes, des Ivoiriens, des Burkinabés, des Maliens, et j’en passe, ont péri. Combien d’Ivoiriens et de Burkinabés ont en effet perdu la vie, au cours de cette fatidique décennie ? Combien de familles ont été séparées, décimées, déportées ? Je suis incapable de répondre, mais ce que je sais en revanche, c’est que ce furent des morts inutiles et que la totale responsabilité incombe à certaines Ivoiriennes et à certains Ivoiriens. Nous ne sommes pas ici dans un tribunal mais dans une Assemblée qui représente les populations qui nous ont chargés de parler et d’agir en leur nom et c’est pourquoi je tiens, au nom de la Représentation nationale ivoirienne, à présenter mes condoléances pour les disparus, mes excuses pour les vexations et les traitements inhumains dont a été victime, en Côte d’Ivoire, la population Burkinabé. Afin que cet instant de repentance sincère s’inscrive dans nos mémoires et que, plus jamais, nous ayons à déplorer de tels errements, je vous demande, Mesdames et Messieurs, de bien vouloir observer une minute de silence et de recueillement à la mémoire des disparus : (Une minute de silence).Je vous remercie. L’Histoire nous joue quelquefois des tours inattendus, nous allons le voir tout à l’heure. Ce qu’il faut retenir de tout ce drame tragique, c’est qu’il nous montre à quel point l’impuissance et le désespoir d’un peuple peuvent se transformer en énergie et en pugnacité. Malgré l’ampleur du drame, la Côte d’Ivoire a su se relever de ses traumatismes et s’orienter vers l’avenir. Je vous dispenserai donc du rappel de l’enchaînement des accords successifs qui, de Lomé à Pretoria, n’ont fait que nous rapprocher chaque jour un peu plus d’une solution raisonnable et consensuelle. J’en viens donc directement à l’Accord Politique de Ouagadougou, qui nous concerne tous et au premier chef. Au premier chef ? Ironie de l’histoire, le Burkina Faso, hier accusé, devient le lieu pour tracer les sillons de la paix en Côte d’Ivoire. En effet, c’est à Ouagadougou que cet accord a été signé et le Président Blaise Compaoré en a été le facilitateur et le garant de son application. L’Accord Politique de Ouagadougou, signé le 4 mars 2007, présentait toutes les garanties pour que chacune des parties soit prise en compte et pour que soient réglées, conformément à un calendrier précis, les questions pendantes relatives à la nationalité, au processus électoral, au désarmement et à la réunification. L’Accord Politique de Ouagadougou a eu le mérite de restaurer, dans leurs légitimités ancestrales, les procédures en usage dans nos villages et qui veulent que les protagonistes soient mis en présence, mais placés sous la protection vigilante d’un arbitre dont la neutralité garantit l’impartialité. L’Accord Politique de Ouagadougou n’était donc ni plus ni moins qu’une version moderne de la palabre africaine, ce qui explique qu’au terme des débats, on ait abouti à une solution consensuelle. Il me plait d’insister ici sur le rôle du Président Blaise Compaoré en tant que médiateur infatigable, au service de la paix. J’associe à cet hommage mérité, les ministres Djibril Bassolé et Boureima Badini, représentant du Facilitateur. Je me souviens comme si c’était hier, cet Accord, vous en avez été témoins, a suscité tant d’espoir et d’euphorie. Or, l’histoire nous enseigne que lorsqu’on s’abandonne à autant d’euphorie, les désillusions du lendemain n’en sont que plus amères. Aussi, la crise post-électorale de décembre 2010 nous semble d’autant plus incompréhensible qu’inacceptable.
Fort heureusement, la Côte d’Ivoire meurtrie par dix années de souffrance a su passer le cap en renouant avec la démocratie. Aujourd’hui, avec l’élection démocratique du Président Alassane Ouattara, le pays a retrouvé l’espoir d’accélérer sa marche vers son développement. Notre pays a aussi renoué avec les valeurs de nos pères fondateurs et le Président Alassane OUATTARA entend consolider les relations séculaires de bon voisinage, d’entraide et de coopération qui unissent nos deux pays. Je rappelle, par ailleurs, que malgré les fortes turbulences qu’elle a connues ces dernières années, l’histoire de notre coopération bilatérale s’est plutôt enrichie, avec la signature du Traité d’Amitié et de Coopération entre la République de Côte d’Ivoire et le Burkina Faso signé le 29 juillet 2008. L’idée force contenue dans ce Traité consistait à créer entre les deux pays un cadre permanent de concertation, ce qui, dans ma pensée, s’inscrivait dans le droit fil et en parfaite continuité avec l’Accord Politique de Ouagadougou. Permettez-moi de le souligner, les traités et les accords ne se réduisent pas à la seule volonté des personnalités qui les ont élaborés ou signés, ils concernent les peuples et il faut y voir l’expression de leur inaliénable souveraineté. En effet, l’intégration africaine tant proclamée ne sera une réalité que lorsque les peuples qu’elle concerne se sentiront véritablement impliqués dans le processus qui vise à sa mise en œuvre. Il nous faut pour ce faire, en tant que dépositaires de la souveraineté nationale, prendre une part active dans l’élaboration des instruments de cette intégration afin d’influer positivement sur les mesures communautaires qui ont un impact concret, direct sur le quotidien de nos concitoyens. Pour ce faire, je vous propose, M. le Président, cher ami, chers collègues une diplomatie plus hardie qui traduit mieux les aspirations de nos populations, là où se prennent les décisions importantes. Les parlementaires ne sauraient se contenter uniquement de leur pouvoir de ratification. Ils doivent maintenant agir en amont dès l’élaboration des actes communautaires. Je voudrais donc insister sur le rôle considérable que peuvent jouer nos deux Assemblées, si elles parviennent à fonctionner en harmonie et en synergie. Une formalisation et une pérennisation de cette relation privilégiée pourraient constituer un progrès décisif en matière d’intégration sous-régionale. Nous pourrons ainsi construire, solidement, pour nous et pour nos enfants, un espace de paix, de concorde et de fraternité. Cet approfondissement de nos relations bilatérales n’est évidemment pas incompatible avec l’élargissement du cercle de ces relations, mais à mes yeux, cette exigence première revêt un caractère prioritaire. Je me méfie en effet de ces esprits «cosmopolites » qui, au prétexte d’aimer tout le monde, finissent par n’aimer personne….Soyons donc fiers, d’abord et avant tout, de cet inestimable trésor que constituent l’amitié et la solidarité entre nos deux Nations, car nous ne formons qu’un seul et même peuple et c’est à l’unisson que battent nos cœurs et que se conjuguent nos ambitions. Peuple Burkinabé, votre cause dans l’histoire moderne des Nations, fut toujours la nôtre. Notre cause, la vôtre, à jamais. Finalement, n’aurais-je pas été plus inspiré, Chers Collègues, si j’avais commencé mon discours par une formule inclusive et respectueuse et que je m’étais adressé à vous en ces termes : « Chers Concitoyens…», car la cité que nous habitons, c’est la cité de l’humanité ! Finalement, j’aurais pu également être plus bref, car je n’avais qu’un seul message à vous délivrer et qu’une seule ambition à vous faire partager : construire ensemble cet avenir commun qui est entre nos mains, car aujourd’hui, c’est déjà demain ! Cette franchise qui a été la mienne, c’est à vous, Chers Collègues, que je la dois, car c’est la confiance et le respect mutuels qui rendent l’esprit clair et le cœur léger.Tout en vous félicitant pour la remarquable organisation de cette cérémonie d’ouverture de votre Deuxième Session parlementaire 2012, je voudrais souhaiter plein succès à vos travaux. Permettez-moi également, de souhaiter bonne chance à toutes celles et à tous ceux qui s’apprêtent à s’engager en campagne, pour les élections législatives qui vont avoir lieu très prochainement dans votre pays. C’est sur ces mots empreints de chaleur et d’enthousiasme que je vous remercie de votre aimable patience et de votre bienveillante attention ».
Guillaume Kigbafori SORO
Président de l’Assemblée nationale de la République de Côte d’Ivoire
«La Côte d’Ivoire entière, incarnée en son unité par le Président de la République, Son Excellence Alassane Ouattara s’honore de l’invitation que vous nous faites, de nous exprimer en ces lieux solennels du Burkina Faso, où nous voulons saluer, avec reconnaissance, la grandeur et l’abnégation de celui qui incarne au plus haut point l’unité Burkinabé, je veux parler du Président du Faso, Son Excellence Blaise Compaoré. Le Président Alassane Ouattara, la pierre que les bâtisseurs avaient rejetée, est désormais devenu la figure emblématique de la Côte d’Ivoire nouvelle. Son parcours politique, comme l’éthique de la responsabilité qui l’a commandé, insuffle aujourd’hui à la Côte d’Ivoire, l’esprit de modernité. A ses côtés, nous marchons résolument vers l’avenir, plus déterminés que jamais à faire de la consolidation de l’axe Abidjan-Ouagadougou notre priorité, pour que, évidemment, nos deux pays deviennent des acteurs majeurs dans notre sous-région. Le Président Blaise Compaoré, véritable maître d’œuvre des grands cénacles de dialogue et de paix dans la sous-région, est aussi pour nous une précieuse référence. Par l’intelligence politique qui le caractérise, par sa disponibilité à défendre et à protéger les exclus de tous les pays, il a su donner au Burkina une incontestable stature de géant dans notre sous-région. Nous ne pouvons que nous en réjouir, nous qui avons bénéficié de sa bienveillance.
Mesdames et messieurs,
Comment prendre la parole devant cette auguste Assemblée sans me souvenir, avec admiration, de l’extraordinaire fratrie qui présida aux œuvres communes et grandioses des premiers Présidents des Républiques de Côte d’Ivoire et de Haute-Volta, j’ai nommé leurs Excellences Félix Houphouët-Boigny et Maurice Yaméogo. Grands bâtisseurs des piliers symboliques de l’Afrique cosmopolitique, ils projetaient, avec clairvoyance, l’Afrique dans laquelle nous et nos enfants devrions vivre. En réalité, sachez-le, entre nos deux peuples s’était tissée, depuis la nuit des temps anciens, une de ces fraternités qui aurait dû vaincre tous les doutes et tous les périls. Ma présence ici ce jour à la cérémonie d’ouverture de la Deuxième Session Ordinaire de la Représentation nationale burkinabé s’inscrit dans la suite naturelle de cette indéfectible communion destinale et je m’en félicite. Je veux vous remercier pour la chaleur de l’accueil, les innombrables et délicates attentions dont ma délégation et moi-même avons été l’objet : elles ne sont pas pour nous surprendre, tant le peuple Burkinabé que vous représentez a fait de l’hospitalité une vraie marque de fabrique.
Monsieur le Président Roch Marc Christian Kaboré,
Vous êtes décidément un serviteur attitré de la Nation Burkinabé et je voudrais ici dire un mot de l’itinéraire politique et vous comprendrez que je puisse admirer votre carrière politique qui vous a conduit à occuper successivement les fonctions de Premier Ministre puis de Président de l’Assemblée Nationale. En chacune de ces circonstances, vous vous êtes révélé à la hauteur de la tâche. Aussi, je saisis l’occasion pour vous remercier, à nouveau, du soutien hautement significatif que vous m’avez personnellement apporté, en rehaussant de votre présence la cérémonie d’ouverture de notre Première Session parlementaire à Yamoussoukro le 25 avril 2012 : votre brillante intervention a conforté nos Députés dans leur ambition, celle de voir nos deux Institutions fonctionner en synergie, pour un meilleur devenir conjoint de nos populations respectives. Je n’oublie pas la forte implication qui a été la vôtre, en qualité de Président de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie, dans la réintégration de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire au sein de la grande famille des Parlements francophones. Je vous dis merci. Je m’associe à la joie du Parlement burkinabé qui vient de fêter, le 15 juin dernier, son « Jubilé de porcelaine », l’anniversaire de ses 20 ans d’existence. Vous êtes bien placés pour savoir que, comme la porcelaine précisément, nos Institutions sont précieuses mais qu’elles demeurent fragiles et vous comprendrez donc aisément que le Parlement Burkinabé, avec ses deux (2) décennies de législature sans discontinuer, puisse être pour nous un exemple. Après mon exorde, permettez-moi de revenir sur le sens profond et la puissance des relations entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Pour ce faire, je les replacerai dans le contexte de la géopolitique régionale. Je ne m’étendrai pas ici sur des considérations géographiques que tout le monde connaît. Je ne répéterai pas, une fois encore, le discours convenu sur l’accès à la mer, ni sur l’enclavement, pas plus que sur un éventuel différentiel de développement qui serait en faveur de l’un ou l’autre de nos pays respectifs. Ce qui m’interpelle, (ce qui nous interpelle) en revanche, ce sont les dimensions historique et politique de cette relation. Sans manier le paradoxe, je voudrais dire ici que cette relation se caractérise à la fois pardes histoires plurielles et par une Histoire au singulier : Parler d’histoires plurielles, cela ne veut pas seulement dire que l’histoire de chaque pays lui est propre, ce que je veux pointer du doigt, c’est le fait que chacun de ces pays a plusieurs histoires et que cette pluralité n’est pas de son fait, car elle a été imposée par le colonisateur et subie par le colonisé. À grands traits, on peut dessiner ces histoires comme suit : Les Royaumes Mossi, en provenance du Nord du Ghana, s’installent progressivement dans l’actuel Faso, entre le 11ème et le 14ème siècle. De la lutte d’influence qui oppose alors l’Empire du Mali et l’Empire du Ghana, c’est finalement l’actuel Burkina-Faso qui étendra son emprise jusqu’à Tombouctou. Les sujets du Morho Naba, engagés dans ce combat, luttent contre l’islamisation venue du Nord-Ouest et c’est, sans doute, pour cette raison que la France, soucieuse de stabiliser la région, créa en 1919 la colonie de Haute Volta. En 1932, par décret, Paris supprime la colonie de Haute Volta et la scinde en trois parties : une partie de la Haute Volta, dont Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, est rattachée à la Côte d’Ivoire, les cercles de Fada NGourma et Dori rattachés au Niger et ceux de Ouahigouya et Dédougou rattachés au Soudan français (Mali actuel). Autre temps, autre tentative, un autre décret sera pris en 1937 pour créer, en Afrique Occidentale Française, une région administrative dite « Région de la Haute Côte d’Ivoire ». Quelles étaient les motivations profondes d’une telle modification ? Etait-ce la nécessité de faciliter le transfert de main d’œuvre entre la Haute Volta et la Côte d’Ivoire ? Etait-ce les besoins de la cause des Travaux forcés ? Je ne sais ! Toujours est-il qu’en moins de 20 ans, l’actuel Burkina Faso est donc passé de « tout » à « rien », puis de « rien » à « quelque chose » !Permettez-moi d’anticiper sur ce que je développerai tout à l’heure et d’indiquer, dès à présent, que le débat récurrent et toujours actuel sur l’origine géographique d’un grand nombre d’Ivoiriens du Nord ou de Burkinabé du Sud est ici faussé, car celles et ceux dont les ascendants sont nés en Haute Côte d’Ivoire entre 1933 et 1947 peuvent à bon droit se prévaloir d’une double nationalité ou, pourquoi pas, se considérer comme des citoyens ivoiro-voltaïques ! Toujours est-il que ces histoires plurielles nous ont finalement permis d’écrire notre histoire au singulier. Une Histoire au singulier, car le Burkina-Faso et la Côte d’Ivoire sont, comme le frère et la sœur d’une même famille, pour la bonne raison que c’est du même peuple qu’il s’agit, que c’est d’une histoire de famille qu’il s’agit. Balayées par les vents contraires des aventures coloniales et tiraillées entre les intérêts contradictoires des différents occupants, nos contrées auraient pu « perdre le sud », que dis-je ? Perdre plutôt le nord, mais il n’en fut rien. Ces changements incessants de statut et d’alliances, ces déplacements forcés à répétition, loin de nous diviser, nous ont rapprochés. C’est pourquoi nos aînés - et je pense ici avec profonde admiration au Président Félix Houphouët-Boigny- dans leur combat pour l’émancipation et pour l’indépendance, ont uni leurs forces et conjugué leurs efforts : le consensus s’est fait sur la nécessité de se rassembler pour réfléchir et pour agir, car c’était à leurs yeux un seul et même peuple qui était concerné. Il est clair que ce choix était le bon et que les différents leaders ne seraient jamais parvenus à leurs fins si chacun d’eux avait privilégié son appartenance géographique et culturelle d’origine ; diviser pour régner a toujours été le mode opératoire classique de ceux qui veulent à tout prix maintenir leur suprématie et conserver leurs privilèges. C’est à l’initiative de femmes et d’hommes courageux, qui ont supporté les souffrances et porté l’espérance de leurs peuples, que le destin a finalement pu s’accomplir, et c’est ainsi que votre pays, comme le nôtre, est parvenu à conquérir, progressivement et non sans luttes, frustrations et régressions, le statut de République en 1958 et finalement, à obtenir l’indépendance en 1960. Un combat de tous, car il n’a pas été mené dans la solitude mais dans la solidarité. Paradoxalement, ces remembrements incessants, ces recouvrements récurrents, loin de développer chez nos aînés une épidémie cyclique de brouilles et de retrouvailles, ont conforté leur sentiment d’appartenance à une même collectivité. Les divisions artificielles, qu’elles soient administratives ou frontalières, n’ont pas affecté en profondeur leur volonté d’union et de communion. Ce qui me frappe en effet, c’est que nos illustres prédécesseurs ont su ne pas s’investir inutilement dans des combats idéologiques ou stratégiques qui ne dépendaient pas d’eux, pour se concentrer sur l’essentiel : que notre continent retrouve la liberté, que l’homme africain recouvre sa dignité. Celui qui pénètre avec humilité dans les arcanes de l’histoire de la décolonisation ne tarde pas à être ébloui par les positions courageuses et les hauts faits d’armes accomplis par nos aînés. J’en veux pour preuve, et bien que mon inventaire soit loin d’être exhaustif, la figure exemplaire de trois illustres personnalités qui nous concernent directement : Je veux parler des illustres doyens Ouezzin Coulibaly, Félix Houphouët-Boigny et Sangoulé Lamizana : Du premier, je dirai qu’il incarne à mes yeux la force et la détermination de la volonté d’émancipation de notre continent et du profond désir d’union qu’éprouvent les populations de notre sous-région. Le « Lion du RDA », comme l’appelle le Professeur Semi Bi Zan, a été Sénateur de Côte d’Ivoire en 1953, puis Député de l’Assemblée Nationale de la Haute-Volta un an après et Vice-Président du Conseil de Gouvernement trois ans plus tard. Nous faudrait-il condamner ces multiples engagements, de part et d’autre de nos actuelles frontières héritées du Congrès de Berlin ? Bien au contraire, ces différentes fonctions au service de nos populations symbolisent la volonté, qu’il partageait avec le Président Houphouët, de voir se construire un espace communautaire qui regroupe l’ensemble des populations jumelles de la Côte d’Ivoire du Nord et de la Haute Volta du Sud. Que dire du Président Félix Houphouët-Boigny qui a travaillé en tant que Médecin à Batié, en Haute Volta, et dont les premiers gouvernements successifs comptaient des ivoiriens d’origines antillaise, nigérienne, sénégalaise, malienne, burkinabé et j’en passe. Quant au Général Sangoulé Lamizana, il illustre à merveille cette capacité à « servir à tous les postes, en y mettant tout son cœur », comme aimait à le dire le Président Houphouët : il a été Chef adjoint du Cabinet militaire du Gouverneur de Côte d’Ivoire de 1956 à 1959, puis il rentre en Haute Volta, pour occuper le poste de Chef d’Etat-Major en 1961. Il deviendra par la suite, le second Chef d’Etat de la Haute Volta. Quelle singularité pour ce « tirailleur sénégalais » que de servir successivement dans plusieurs pays et de devenir un messager de paix!
Quelle singulière histoire que celle de populations qui ont cette singularité de partager une histoire au singulier !
Premier exemple : notre mutuelle tradition d’hospitalité :
Rares sont les pays qui, dans le monde, ne se targuent pas d’être particulièrement hospitaliers, et chacun d’affirmer que c’est une tradition nationale qui lui est propre. Mais si elle est commune à chacun d’eux, elle n’est plus l’apanage de bon nombre d’entre eux. Disons que, tout simplement, la chaleur de l’accueil est proportionnelle aux bénéfices que l’on en attend. Rien de tel dans notre relation, car en ouvrant notre porte, nous n’avons pas le sentiment d’accueillir un visiteur étranger, mais de recevoir un parent qui s’était un instant éloigné de la maison commune. Comment expliquer autrement que la Côte d’Ivoire, en parfaite contradiction avec toutes les doctes analyses sur les seuils d’immigration, ait pu accueillir des millions d’habitants originaires de votre pays, sans que l’on observe pour autant, du moins jusqu’à ces tristes derniers temps, qu’ils aient été victimes d’un phénomène de rejet ? Certes, la cohabitation n’est pas toujours facile, notamment quand l’environnement économique se dégrade, mais les familles ne traversent-elles pas, elles aussi, des périodes de suspicion et de discorde ?
Deuxième exemple :
Je remarque également que de nombreux hauts responsables politiques ou militaires en délicatesse avec le pouvoir en place ont, dans les deux sens, trouvé refuge dans nos pays respectifs. Ce « droit d’asile » s’est exercé spontanément, sans tribunaux et sans jugements, sur la simple base de l’entraide et de la solidarité familiales, car finalement nous sommes tous, comme l’illustre fondateur du « Syndicat Agricole », des paysans et des enfants de la terre d’un seul et même pays. Je note également, pour ce qui concerne l’histoire récente, que c’est au Burkina Faso que Alassane Ouattara a, comme on dit chez nous, «fréquenté », que Laurent Gbagbo a plusieurs fois trouvé refuge en Haute Volta, sur le chemin de son exil parisien et enfin, puisqu’il faut bien de temps en temps parler de soi, que j’ai trouvé ici la sécurité, quand les « commandos de la mort » étaient à mes trousses ! Si l’espace et le temps n’avaient pas leurs contraintes, il eût sans doute été plaisant et instructif que nous nous retrouvions tous ensemble au pays des hommes intègres : peut-être serions-nous parvenus alors à nous écouter, sinon à nous entendre ; peut-être aurions-nous réussi, sinon à nous réconcilier, du moins à nous comprendre ! J’aurais préféré que nous puissions, fidèles à l’idylle heureuse et prometteuse qui s’était progressivement nouée entre nos deux pays, envisager l’avenir avec confiance, sur la base solide et saine d’une conviction que nous partagions : celle d’appartenir à une seule et même communauté d’héritage et de destin. Mais, comme vous le savez mieux que tout autre, pour en avoir été les victimes, ce bel édifice conçu et construit par nos aînés s’est écroulé, sous les coups de boutoir d’un pouvoir aveugle. Nos populations ne demandaient pourtant qu’une chose : le droit de vivre en bonne intelligence au sein d’une même communauté. Je ne sais pas si c’est par naïveté ou par innocence, mais j’avoue que, devant le spectacle affligeant d’une Côte d’Ivoire qui sombrait dans les abîmes de l’histoire comme un navire hier encore chargé de richesses et d’espoir, j’ai été stupéfait. Mais cette stupéfaction n’a pas tardé à se transformer en révolte, une révolte qui ne s’est, heureusement, pas nourrie d’une rancœur personnelle. Il faut croire que les dictateurs en herbe manquent d’imagination, car ils se comportent tous, hélas de la même façon : quand leur pouvoir est menacé, quand leur hégémonie est chancelante, ils se découvrent un ennemi, sur lequel va reposer la responsabilité de tous les maux dont souffre la société. Quand ils redoutent de se soumettre au verdict des urnes, par lequel le peuple est appelé à valider leur légitimité, ils stigmatisent leurs adversaires et les livrent à la vindicte populaire, afin d’éviter d’avoir à les affronter. Et si d’aventure l’adversaire peut être transformé en ennemi extérieur, et, pourquoi pas, héréditaire, cela fera encore mieux l’affaire ! C’est donc avec lucidité que nous avons pris la décision de tout mettre en œuvre pour que cette dérive ne nous conduise pas à une « rwandisation » de notre pays et que nous nous sommes élevés contre les propos et les comportements qui prônent l’exclusion et stigmatisent certains groupes, en fonction de leur appartenance ethnique, de leur tradition culturelle ou de leur confession religieuse. Un tel système fonctionne toujours de la même façon : par ondes concentriques, on s’attaque d’abord à un homme (ses traits, son apparence, son habillement, son nom), à sa famille, à sa région, à sa langue, à sa culture, à sa religion et, à terme, c’est toute une communauté, tout un pays, qui sont stigmatisés, marginalisés, pénalisés. Rappelons-nous de l’édifiante leçon des Fables de la Fontaine parlant du loup qui s’adresse à l’agneau :« Si ce n’est toi, c’est donc ton frère !Je n’en ai point…C’est donc quelqu’un des tiens ». « Quelqu’un des tiens… » : Que de crimes n’a-t-on pas commis, sous couvert de cette dangereuse expression. Chers Collègues, je vous le demande : quel citoyen Burkinabé n’est pas l’un des miens ? Chers Collègues, je vous le demande encore : quel citoyen Ivoirien n’est pas l’un des vôtres ? Comme on l’aura vu tout à l’heure, comment peut-on justifier de telles arbitraires au nom d’un découpage territorial opéré par des décrets établissant des frontières bien souvent injustes !Ce ne sont pas nos peuples qui ont trouvé les frontières mais les frontières qui ont trouvé ces peuples bien établis. Toutes ces frontières, pour d’autres, symbolisent l’incompréhension mutuelle. Elles sont la marque cicatricielle de tensions récurrentes qui les opposent. Alors que pour nous, la frontière est le lieu de dépassement de soi vers l’autre, elle est invite au passage, à la visite et à l’échange. Elle est, comme le dit le Professeur Augustin Diby Kouadio, philosophe ivoirien, le lieu d’un commencement nouveau et d’un renouvellement vers l’Autre et non une limite close à sa différence libérée. Au nom de ces frontières injustes, des Ivoiriens, des Burkinabés, des Maliens, et j’en passe, ont péri. Combien d’Ivoiriens et de Burkinabés ont en effet perdu la vie, au cours de cette fatidique décennie ? Combien de familles ont été séparées, décimées, déportées ? Je suis incapable de répondre, mais ce que je sais en revanche, c’est que ce furent des morts inutiles et que la totale responsabilité incombe à certaines Ivoiriennes et à certains Ivoiriens. Nous ne sommes pas ici dans un tribunal mais dans une Assemblée qui représente les populations qui nous ont chargés de parler et d’agir en leur nom et c’est pourquoi je tiens, au nom de la Représentation nationale ivoirienne, à présenter mes condoléances pour les disparus, mes excuses pour les vexations et les traitements inhumains dont a été victime, en Côte d’Ivoire, la population Burkinabé. Afin que cet instant de repentance sincère s’inscrive dans nos mémoires et que, plus jamais, nous ayons à déplorer de tels errements, je vous demande, Mesdames et Messieurs, de bien vouloir observer une minute de silence et de recueillement à la mémoire des disparus : (Une minute de silence).Je vous remercie. L’Histoire nous joue quelquefois des tours inattendus, nous allons le voir tout à l’heure. Ce qu’il faut retenir de tout ce drame tragique, c’est qu’il nous montre à quel point l’impuissance et le désespoir d’un peuple peuvent se transformer en énergie et en pugnacité. Malgré l’ampleur du drame, la Côte d’Ivoire a su se relever de ses traumatismes et s’orienter vers l’avenir. Je vous dispenserai donc du rappel de l’enchaînement des accords successifs qui, de Lomé à Pretoria, n’ont fait que nous rapprocher chaque jour un peu plus d’une solution raisonnable et consensuelle. J’en viens donc directement à l’Accord Politique de Ouagadougou, qui nous concerne tous et au premier chef. Au premier chef ? Ironie de l’histoire, le Burkina Faso, hier accusé, devient le lieu pour tracer les sillons de la paix en Côte d’Ivoire. En effet, c’est à Ouagadougou que cet accord a été signé et le Président Blaise Compaoré en a été le facilitateur et le garant de son application. L’Accord Politique de Ouagadougou, signé le 4 mars 2007, présentait toutes les garanties pour que chacune des parties soit prise en compte et pour que soient réglées, conformément à un calendrier précis, les questions pendantes relatives à la nationalité, au processus électoral, au désarmement et à la réunification. L’Accord Politique de Ouagadougou a eu le mérite de restaurer, dans leurs légitimités ancestrales, les procédures en usage dans nos villages et qui veulent que les protagonistes soient mis en présence, mais placés sous la protection vigilante d’un arbitre dont la neutralité garantit l’impartialité. L’Accord Politique de Ouagadougou n’était donc ni plus ni moins qu’une version moderne de la palabre africaine, ce qui explique qu’au terme des débats, on ait abouti à une solution consensuelle. Il me plait d’insister ici sur le rôle du Président Blaise Compaoré en tant que médiateur infatigable, au service de la paix. J’associe à cet hommage mérité, les ministres Djibril Bassolé et Boureima Badini, représentant du Facilitateur. Je me souviens comme si c’était hier, cet Accord, vous en avez été témoins, a suscité tant d’espoir et d’euphorie. Or, l’histoire nous enseigne que lorsqu’on s’abandonne à autant d’euphorie, les désillusions du lendemain n’en sont que plus amères. Aussi, la crise post-électorale de décembre 2010 nous semble d’autant plus incompréhensible qu’inacceptable.
Fort heureusement, la Côte d’Ivoire meurtrie par dix années de souffrance a su passer le cap en renouant avec la démocratie. Aujourd’hui, avec l’élection démocratique du Président Alassane Ouattara, le pays a retrouvé l’espoir d’accélérer sa marche vers son développement. Notre pays a aussi renoué avec les valeurs de nos pères fondateurs et le Président Alassane OUATTARA entend consolider les relations séculaires de bon voisinage, d’entraide et de coopération qui unissent nos deux pays. Je rappelle, par ailleurs, que malgré les fortes turbulences qu’elle a connues ces dernières années, l’histoire de notre coopération bilatérale s’est plutôt enrichie, avec la signature du Traité d’Amitié et de Coopération entre la République de Côte d’Ivoire et le Burkina Faso signé le 29 juillet 2008. L’idée force contenue dans ce Traité consistait à créer entre les deux pays un cadre permanent de concertation, ce qui, dans ma pensée, s’inscrivait dans le droit fil et en parfaite continuité avec l’Accord Politique de Ouagadougou. Permettez-moi de le souligner, les traités et les accords ne se réduisent pas à la seule volonté des personnalités qui les ont élaborés ou signés, ils concernent les peuples et il faut y voir l’expression de leur inaliénable souveraineté. En effet, l’intégration africaine tant proclamée ne sera une réalité que lorsque les peuples qu’elle concerne se sentiront véritablement impliqués dans le processus qui vise à sa mise en œuvre. Il nous faut pour ce faire, en tant que dépositaires de la souveraineté nationale, prendre une part active dans l’élaboration des instruments de cette intégration afin d’influer positivement sur les mesures communautaires qui ont un impact concret, direct sur le quotidien de nos concitoyens. Pour ce faire, je vous propose, M. le Président, cher ami, chers collègues une diplomatie plus hardie qui traduit mieux les aspirations de nos populations, là où se prennent les décisions importantes. Les parlementaires ne sauraient se contenter uniquement de leur pouvoir de ratification. Ils doivent maintenant agir en amont dès l’élaboration des actes communautaires. Je voudrais donc insister sur le rôle considérable que peuvent jouer nos deux Assemblées, si elles parviennent à fonctionner en harmonie et en synergie. Une formalisation et une pérennisation de cette relation privilégiée pourraient constituer un progrès décisif en matière d’intégration sous-régionale. Nous pourrons ainsi construire, solidement, pour nous et pour nos enfants, un espace de paix, de concorde et de fraternité. Cet approfondissement de nos relations bilatérales n’est évidemment pas incompatible avec l’élargissement du cercle de ces relations, mais à mes yeux, cette exigence première revêt un caractère prioritaire. Je me méfie en effet de ces esprits «cosmopolites » qui, au prétexte d’aimer tout le monde, finissent par n’aimer personne….Soyons donc fiers, d’abord et avant tout, de cet inestimable trésor que constituent l’amitié et la solidarité entre nos deux Nations, car nous ne formons qu’un seul et même peuple et c’est à l’unisson que battent nos cœurs et que se conjuguent nos ambitions. Peuple Burkinabé, votre cause dans l’histoire moderne des Nations, fut toujours la nôtre. Notre cause, la vôtre, à jamais. Finalement, n’aurais-je pas été plus inspiré, Chers Collègues, si j’avais commencé mon discours par une formule inclusive et respectueuse et que je m’étais adressé à vous en ces termes : « Chers Concitoyens…», car la cité que nous habitons, c’est la cité de l’humanité ! Finalement, j’aurais pu également être plus bref, car je n’avais qu’un seul message à vous délivrer et qu’une seule ambition à vous faire partager : construire ensemble cet avenir commun qui est entre nos mains, car aujourd’hui, c’est déjà demain ! Cette franchise qui a été la mienne, c’est à vous, Chers Collègues, que je la dois, car c’est la confiance et le respect mutuels qui rendent l’esprit clair et le cœur léger.Tout en vous félicitant pour la remarquable organisation de cette cérémonie d’ouverture de votre Deuxième Session parlementaire 2012, je voudrais souhaiter plein succès à vos travaux. Permettez-moi également, de souhaiter bonne chance à toutes celles et à tous ceux qui s’apprêtent à s’engager en campagne, pour les élections législatives qui vont avoir lieu très prochainement dans votre pays. C’est sur ces mots empreints de chaleur et d’enthousiasme que je vous remercie de votre aimable patience et de votre bienveillante attention ».
Guillaume Kigbafori SORO
Président de l’Assemblée nationale de la République de Côte d’Ivoire