On a rarement vu des bulldozers détaler aussi vite. Allés pour démolir des maisons à Anokouakouté, derrière PK18, deux bulldozers ont pris le large sous les jets de pierre de la population en furie. L’un des conducteurs ainsi que l’huissier qui dirigeait l’opération ont passé un mauvais quart d’heure. Ce vendredi, sous une fine pluie, l’huissier, Me Keita, accompagné de trois bulldozers et un cargo de gendarmes débarque dans ce bled. Mission : déguerpir la population dare-dare et passer leurs maisons sous les pelles des machines. L’ordre vient, selon lui, de la société immobilière Sotrapim qui veut construire sur le terrain. Mais les gendarmes se heurtent au refus des forces républicaines (frci) qui ont établi un barrage à l’entrée du quartier. Celles-ci indiquent n’avoir reçu aucune consigne concernant une telle opération. Leurs « frères d’arme » rebroussent donc chemin. Cependant l’huissier de justice refuse d’en faire autant et intime l’ordre aux machines de passer à l’action. Mal lui en a pris. Plusieurs résidents du quartier sortent avec pierres et gourdins. Les deux premiers bulldozers prennent la poudre d’escampette. Un habitant du quartier indique qu’il n’a jamais vu des bulldozers rouler aussi vite. Le troisième tombe dans une embuscade. Son conducteur, Ousmane (nous n’avons pu avoir son patronyme) tente de se sauver, mais il est encerclé par la foule. Après quelques coups reçus, Amon Kouadio Paul, le président du quartier aidé par l’imam Konaté Aly, le sauvent de la furie de la population. De son côté, l’huissier est rudoyé par des résidents qui scandent : « on va les tuer ! » Il sera protégé par les militaires et les responsables du quartier. Avant d’être conduit au camp commando d’Abobo suivi d’Ousmane. Ils seront libérés peu après. Pendant ce temps, la population en colère tente de brûler la machine stoppée. Il faut l’intervention de son propriétaire, Coulibaly Mamadou pour sauver son bien. Ce dernier dira plus tard qu’il ignorait que le « démolisseur » était destiné à une telle opération. Les deux autres qui ont pris le large ne sont pas, selon lui, les siens. En tout cas, les habitants d’Anokouakouté espèrent qu’ils ne reviendront plus sur les lieux. « Ce terrain nous appartient. Mais depuis des mois, la Sotrapim nous harcèle pour que nous quittions les lieux. Nous n’irons nulle part car nous avons acquis cet espace avec les Ebriés », vocifère Amon Kouadio Paul. L’ennui c’est que les Ebriés semblent avoir vendu le même espace à la Sotrapim. Du moins, à entendre Mme Kra Antoinette, la directrice générale de la structure. Elle soutient que sa société immobilière a acquis le terrain depuis plus de 6 ans avec les Ebriés du quartier. La Sotrapim, selon elle, possède tous les documents administratifs relatifs à cet espace de 64 hectares. Il n’est donc pas question qu’elle cède devant cette situation. « Nous avons au début engagé des discussions avec les habitants qui ne nous ont pas écoutés. Nous allons aller au bout de notre action », indique-t-elle avec fermeté. Vu l’état d’esprit des deux camps, tout porte à croire que seule une intervention du ministère de la Construction, de l’assainissement et de l’urbanisme décantera la situation.
Raphaël Tanoh
Raphaël Tanoh