C’est désormais officiel. Simone Gbagbo est poursuivie par la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité. Hier la Chambre préliminaire III de la Cour a levé les scellés sur un mandat d’arrêt émis à l’encontre de Simone Gbagbo pour quatre chefs de crimes contre l’humanité. Nous vous proposons l’intégralité de la version française de cette déclaration.
LA CHAMBRE PRELIMINAIRE III
Composée comme suit : Mme la juge Silvia Fernandez de Gurmendi,
juge président
Mme la juge Elizabeth Odio Benito
M. le juge Adrian Fulford
SITUATION EN REPUBLIQUE DE COTE D’IVOIRE AFFAIRE LE PROCUREUR c. SIMONE GBAGBO SOUS SCELLES
Traduction officielle de la Cour
1. Le 3 octobre 2011, la Chambre préliminaire III (« la Chambre ») a rendu la Décision relative à l’autorisation d’ouverture d’une enquête dans le cadre de la situation en République de Côte d’Ivoire rendue en application de l’article 15 du Statut de Rome, par laquelle elle autorisait l’ouverture d’une enquête.
2. Le 7 février 2012, le Procureur a demandé la délivrance d’un mandat d’arrêt à rencontre de Simone Gbagbo pour des chefs de crimes contre l’humanité, sur la base de la responsabilité pénale individuelle de celle-ci dans la commission de meurtres, de viols et d’autres formes de violences sexuelles, d’actes de persécution et d’autres actes inhumains pendant la crise post-électorale, à partir du 28 novembre 2010, par les Forces de défense et de sécurité ivoiriennes (FDS) appuyées par des milices de jeunes et des mercenaires loyaux au Président Gbagbo (collectivement « les forces pro-Gbagbo »), àAbidjan, notamment dans les environs de l’hôtel du Golf, et ailleurs dans le pays.
3. Ayant pris note des articles 7, 19-1, 25 et 58 du Statut de Rome (« le Statut »), la Chambre indique qu’elle exposera dans une décision ultérieure son analyse des éléments de preuve et autres renseignements fournis par le Procureur.
4. Au vu des éléments de preuve et renseignements fournis par le Procureur, et sans préjudice de la décision qu’elle rendra relativement à toute exception d’irrecevabilité susceptible d’être soulevée ultérieurement en vertu des articles 19-2-a et 19-2-b du Statut, la Chambre considère que l’affaire concernant Simone Gbagbo relève de la compétence de la Cour et qu’elle est recevable.
5. Au vu des éléments de preuve, la Chambre conclut qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’au lendemain des élections présidentielles en Côte d’Ivoire, les forces pro-Gbagbo ont attaqué la population civile à Abidjan et dans l’ouest du pays, à partir du 28 novembre 2010. Elles ont pris pour cible des civils qu’elles pensaient être des partisans d’Alassane Ouattara, et les attaques étaient souvent dirigées contre des communautés ethniques ou religieuses spécifiques.
6. La Chambre estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire que ces attaques lancées par les forces pro-Gbagbo pendant les violences post-électorales ont été menées en application de la politique d’une organisation. En outre, elles revêtaient un caractère généralisé et systématique, comme le montrent notamment la longueur de la période durant laquelle des crimes ont été commis (entre le 28 novembre 2010 et mai 2011), l’étendue géographique de ceux-ci (bon nombre des quartiers d’Abidjan et l’ouest de la Côte d’Ivoire), le grand nombre de victimes dont il a été fait état et le mode opératoire généralement suivi dans la commission des crimes.
7. Au vu des éléments de preuve, la Chambre estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire que des crimes contre l’humanité ayant pris la forme de meurtres (article 7-1-a du Statut), de viols et d’autres formes de violences sexuelles (article 7-1-g du Statut), d’autres actes inhumains (article 7-1-k du Statut) et d’actes de persécution (article 7-1-h du Statut) ont été commis en Côte d’Ivoire entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011.
8. En outre, la Chambre estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire que ces actes sont advenus dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre la population civile de la Côte d’Ivoire, au sens de l’article 7-1 du Statut.
9. La Chambre estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire que, par les crimes qui lui sont reprochés dans la demande de délivrance de mandat d’arrêt, Simone Gbagbo a engagé sa responsabilité pénale individuelle en tant que « coauteur indirect » desdits crimes au sens de l’article 25-3-a du Statut.
10. Au vu des éléments de preuve fournis par le Procureur, la Chambre estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’il existait un plan (et une politique) et que les membres de l’entourage immédiat de Laurent Gbagbo (auquel appartenait Simone Gbagbo) se réunissaient fréquemment pour discuter de la mise en oeuvre et de la coordination de ce plan. Simone Gbagbo était idéologiquement et professionnellement très proche de son mari, Laurent Gbagbo. Elle a participé à toutes les réunions tenues durant la période considérée. Bien que n’étant pas élue, elle se comportait en alter ego de son mari, en exerçant le pouvoir de prendre des décisions d’État. Elle était également proche d’autres membres de l’entourage immédiat de Laurent Gbagbo, qui étaient impliqués dans la mise en oeuvre du plan commun. En outre, lors de réunions ou de rassemblements publics tenus durant la crise post-électorale, elle a exprimé son soutien au plan commun et donné aux forces pro-Gbagbo l’instruction de commettre des crimes contre des personnes représentant une menace pour le pouvoir de son mari.
11. En outre, la Chambre estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire que Simone Gbagbo et d’autres membres de l’entourage immédiat de Laurent Gbagbo étaient conscients que la mise en oeuvre du plan commun aboutirait, dans le cours normal des événements, à la commission des crimes susmentionnés.
12. La Chambre estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire que dans le cadre de la mise en oeuvre du plan commun, Simone Gbagbo exerçait, en tant que membre de l’entourage immédiat de Laurent Gbagbo, un contrôle conjoint sur les crimes, dans la mesure où elle avait le pouvoir de contrôler les milices de jeunes et de leur donner directement des instructions, milices dont les membres étaient systématiquement recrutés, armés, formés et intégrés dans la chaîne de commandement des FDS en vue d’appuyer la mise en oeuvre du plan commun. Tout au long de la crise post-électorale, Simone Gbagbo a convoqué des réunions fréquentes avec les officiers généraux les plus gradés des FDS pour discuter, en particulier, de la situation à Abobo. Elle a également donné à d’autres officiers supérieurs des FDS des instructions sur les mesures à prendre pour dissuader les anti-Gbagbo de manifester, et leur a demandé de mettre des troupes à sa disposition pour assurer la sécurité d’un ministre. En outre, la Chambre est convaincue qu’il y a des preuves suffisantes pour établir que Simone Gbagbo a veillé à ce que les
forces régulières des FDS soient dotées de matériel militaire.
13. En outre, il y a des motifs raisonnables de croire que compte tenu de son appartenance à l’entourage immédiat de Laurent Gbagbo et du rôle qu’elle jouait dans le cadre du plan commun, Simone Gbagbo a apporté une contribution coordonnée et essentielle à la réalisation dudit plan. Elle a assisté à des réunions de l’entourage immédiat de Laurent Gbagbo et participé à la prise de décisions sur la mise en oeuvre du plan commun. À l’occasion d’une de ces réunions, le dirigeant d’une milice de jeunes pro-Gbagbo a proposé d’attaquer des membres du parti politique d’Alassane Ouattara, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), et de détruire ou de piller leurs biens, afin qu’ils souffrent comme d’autres Ivoiriens avaient souffert des actions d’Alassane Ouattara. Durant la réunion, Simone Gbagbo a ouvertement approuvé cette proposition. De plus, elle a joué un rôle clé dans le recrutement, l’armement et l’intégration de milliers de volontaires, et dans leur enrôlement au sein de la chaîne de commandement des FDS.
14. Par ailleurs, la Chambre estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire que les forces pro-Gbagbo qui ont exécuté le plan commun l’ont fait en obéissant de façon quasi automatique aux ordres reçus de Simone Gbagbo et d’autres membres de l’entourage immédiat de Laurent Gbagbo.
15. La Chambre conclut qu’il y a des motifs raisonnables de croire que Simone Gbagbo a agi avec le degré d’intention et de connaissance requis :
i) en adoptant le plan commun ;
ii) en ayant conscience de sa mise en oeuvre et des moyens dont disposaient d’autres membres de l’entourage immédiat de Laurent Gbagbo pour mettre ce plan en oeuvre ;
iii) en rencontrant des membres de l’entourage immédiat de Laurent Gbagbo pour discuter de la mise en oeuvre du plan commun et en assurer la coordination ;
iv) en jouant un rôle clé dans le recrutement et l’instruction des membres de la Galaxie patriotique, et dans leur intégration au sein des FDS; et v) en ayant conscience de la contribution apportée par d’autres membres de l’entourage immédiat de Laurent Gbagbo à la mise en oeuvre du plan commun. En outre, la Chambre est d’avis que Simone Gbagbo avait parfaitement connaissance des circonstances de fait lui permettant, à elle et à d’autres membres de l’entourage immédiat de Laurent Gbagbo, d’exercer un contrôle conjoint sur les crimes.
16. Bien que la Chambre soit convaincue que ce critère de fond (proposé par l’Accusation) est rempli, il est vraisemblable que la question de la responsabilité imputée à Simone Gbagbo en qualité de « coauteur indirect » au sens de l’article 25-3-a du Statut devra être débattue en temps voulu avec les parties et les participants.
17. La Chambre est convaincue que l’arrestation de Simone Gbagbo est nécessaire pour :
i) garantir qu’elle comparaîtra devant la Cour ;
ii) garantir qu’elle n’usera pas de son pouvoir politique ou de ses moyens financiers pour faire obstacle à l’enquête ou en compromettre le déroulement; et
iii) empêcher la commission d’autres crimes.
18. La Chambre relève que Simone Gbagbo fait l’objet d’une interdiction de voyager imposée par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies en vertu des résolutions 1572 et 1980, et par le Conseil de l’Union européenne en vertu des décisions 2010/656/CFSP et 2011/18/CFSP.
PAR CES MOTIFS, LA CHAMBRE
DÉLIVRE le présent mandat d’arrêt à l’encontre de Simone Gbagbo, née le 20 juin 1949 à Moosou, dans la préfecture de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire, de nationalité ivoirienne et membre de la tribu des Akan, au motif qu’elle serait pénalement responsable, au sens de l’article 25-3-a du Statut, de crimes contre l’humanité ayant pris la forme 1) de meurtres (article 7-1-a du Statut), 2) de viols et d’autres formes de violences sexuelles (article 7-1-g du Statut), 3) d’autres actes inhumains (article 7-1-k du Statut), et 4) d’actes de persécution (article 7-1-h du Statut), commis sur le territoire de la Côte d’Ivoire entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011,
DÉCIDE que le mandat d’arrêt doit demeurer sous scellés, ex parte et réservé à l’Accusation et au Greffe mais que, pour permettre le transfèrement de Simone Gbagbo au siège de la Cour, ce mandat pourra, selon que de besoin, être communiqué en vue de son exécution à des tierces parties (telles que les autorités de la Côte d’Ivoire et tout autre État ou organisation internationale). La Chambre envisagera en temps voulu la reclassification du mandat d’arrêt, après la remise de Simone Gbagbo à la CPI,
DÉCIDE que, dès que possible : i) le Greffe préparera une demande de coopération sollicitant l’arrestation et la remise de Simone Gbagbo, qui contiendra les renseignements et les pièces exigés aux articles 89-1 et 91 du Statut, ainsi qu’à la règle 187 du Règlement de procédure et de preuve ; et ii) le Greffe, en consultation et en coordination avec le Procureur, transmettra cette demande aux autorités compétentes de la République de Côte d’Ivoire, conformément à la règle 176-2 du même Règlement,
ENJOINT ÉGALEMENT au Greffier, conformément à l’article 89-3 du Statut, de préparer et de transmettre à tout État et organisation internationale concernés
toute demande de transit qui pourrait être nécessaire aux fins de la remise à la Cour de Simone Gbagbo,
ORDONNE au Procureur de transmettre au Greffe, dans la mesure où ses obligations de confidentialité le lui permettent, ainsi qu’à la Chambre, toutes les informations en sa possession qui permettraient d’éviter les risques que pourraient faire courir à des victimes ou à des témoins la transmission de la demande de coopération susmentionnée,
INVITE le Procureur à transmettre au Greffe, dans la mesure où ses obligations de confidentialité le lui permettent, ainsi qu’à la Chambre, toutes les informations en sa possession qui faciliteraient selon lui la transmission et l’exécution de la demande de coopération susmentionnée,
ENJOINT au Greffe de se mettre en rapport avec l’Accusation pour inviter la République de Côte d’Ivoire et le Royaume des Pays-Bas à demander une dérogation à l’interdiction de voyager imposée à Simone Gbagbo par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies et le Conseil de l’Union européenne, afin de permettre la remise de l’intéressée à la CPI et son entrée sur le territoire des Pays-Bas,
DEMANDE INSTAMMENT au Greffe de prendre toutes les dispositions possibles pour permettre l’exécution immédiate du présent mandat d’arrêt.
Fait en anglais et en français, la version anglaise faisant foi.
Mme la juge Silvia Fernandez de Gurmendi
Mme la juge Elizabeth Odio Benito
M. le juge Adrian Fulford
Fait le 29 février 2012
À La Haye (Pays-Bas)
LA CHAMBRE PRELIMINAIRE III
Composée comme suit : Mme la juge Silvia Fernandez de Gurmendi,
juge président
Mme la juge Elizabeth Odio Benito
M. le juge Adrian Fulford
SITUATION EN REPUBLIQUE DE COTE D’IVOIRE AFFAIRE LE PROCUREUR c. SIMONE GBAGBO SOUS SCELLES
Traduction officielle de la Cour
1. Le 3 octobre 2011, la Chambre préliminaire III (« la Chambre ») a rendu la Décision relative à l’autorisation d’ouverture d’une enquête dans le cadre de la situation en République de Côte d’Ivoire rendue en application de l’article 15 du Statut de Rome, par laquelle elle autorisait l’ouverture d’une enquête.
2. Le 7 février 2012, le Procureur a demandé la délivrance d’un mandat d’arrêt à rencontre de Simone Gbagbo pour des chefs de crimes contre l’humanité, sur la base de la responsabilité pénale individuelle de celle-ci dans la commission de meurtres, de viols et d’autres formes de violences sexuelles, d’actes de persécution et d’autres actes inhumains pendant la crise post-électorale, à partir du 28 novembre 2010, par les Forces de défense et de sécurité ivoiriennes (FDS) appuyées par des milices de jeunes et des mercenaires loyaux au Président Gbagbo (collectivement « les forces pro-Gbagbo »), àAbidjan, notamment dans les environs de l’hôtel du Golf, et ailleurs dans le pays.
3. Ayant pris note des articles 7, 19-1, 25 et 58 du Statut de Rome (« le Statut »), la Chambre indique qu’elle exposera dans une décision ultérieure son analyse des éléments de preuve et autres renseignements fournis par le Procureur.
4. Au vu des éléments de preuve et renseignements fournis par le Procureur, et sans préjudice de la décision qu’elle rendra relativement à toute exception d’irrecevabilité susceptible d’être soulevée ultérieurement en vertu des articles 19-2-a et 19-2-b du Statut, la Chambre considère que l’affaire concernant Simone Gbagbo relève de la compétence de la Cour et qu’elle est recevable.
5. Au vu des éléments de preuve, la Chambre conclut qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’au lendemain des élections présidentielles en Côte d’Ivoire, les forces pro-Gbagbo ont attaqué la population civile à Abidjan et dans l’ouest du pays, à partir du 28 novembre 2010. Elles ont pris pour cible des civils qu’elles pensaient être des partisans d’Alassane Ouattara, et les attaques étaient souvent dirigées contre des communautés ethniques ou religieuses spécifiques.
6. La Chambre estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire que ces attaques lancées par les forces pro-Gbagbo pendant les violences post-électorales ont été menées en application de la politique d’une organisation. En outre, elles revêtaient un caractère généralisé et systématique, comme le montrent notamment la longueur de la période durant laquelle des crimes ont été commis (entre le 28 novembre 2010 et mai 2011), l’étendue géographique de ceux-ci (bon nombre des quartiers d’Abidjan et l’ouest de la Côte d’Ivoire), le grand nombre de victimes dont il a été fait état et le mode opératoire généralement suivi dans la commission des crimes.
7. Au vu des éléments de preuve, la Chambre estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire que des crimes contre l’humanité ayant pris la forme de meurtres (article 7-1-a du Statut), de viols et d’autres formes de violences sexuelles (article 7-1-g du Statut), d’autres actes inhumains (article 7-1-k du Statut) et d’actes de persécution (article 7-1-h du Statut) ont été commis en Côte d’Ivoire entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011.
8. En outre, la Chambre estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire que ces actes sont advenus dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre la population civile de la Côte d’Ivoire, au sens de l’article 7-1 du Statut.
9. La Chambre estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire que, par les crimes qui lui sont reprochés dans la demande de délivrance de mandat d’arrêt, Simone Gbagbo a engagé sa responsabilité pénale individuelle en tant que « coauteur indirect » desdits crimes au sens de l’article 25-3-a du Statut.
10. Au vu des éléments de preuve fournis par le Procureur, la Chambre estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’il existait un plan (et une politique) et que les membres de l’entourage immédiat de Laurent Gbagbo (auquel appartenait Simone Gbagbo) se réunissaient fréquemment pour discuter de la mise en oeuvre et de la coordination de ce plan. Simone Gbagbo était idéologiquement et professionnellement très proche de son mari, Laurent Gbagbo. Elle a participé à toutes les réunions tenues durant la période considérée. Bien que n’étant pas élue, elle se comportait en alter ego de son mari, en exerçant le pouvoir de prendre des décisions d’État. Elle était également proche d’autres membres de l’entourage immédiat de Laurent Gbagbo, qui étaient impliqués dans la mise en oeuvre du plan commun. En outre, lors de réunions ou de rassemblements publics tenus durant la crise post-électorale, elle a exprimé son soutien au plan commun et donné aux forces pro-Gbagbo l’instruction de commettre des crimes contre des personnes représentant une menace pour le pouvoir de son mari.
11. En outre, la Chambre estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire que Simone Gbagbo et d’autres membres de l’entourage immédiat de Laurent Gbagbo étaient conscients que la mise en oeuvre du plan commun aboutirait, dans le cours normal des événements, à la commission des crimes susmentionnés.
12. La Chambre estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire que dans le cadre de la mise en oeuvre du plan commun, Simone Gbagbo exerçait, en tant que membre de l’entourage immédiat de Laurent Gbagbo, un contrôle conjoint sur les crimes, dans la mesure où elle avait le pouvoir de contrôler les milices de jeunes et de leur donner directement des instructions, milices dont les membres étaient systématiquement recrutés, armés, formés et intégrés dans la chaîne de commandement des FDS en vue d’appuyer la mise en oeuvre du plan commun. Tout au long de la crise post-électorale, Simone Gbagbo a convoqué des réunions fréquentes avec les officiers généraux les plus gradés des FDS pour discuter, en particulier, de la situation à Abobo. Elle a également donné à d’autres officiers supérieurs des FDS des instructions sur les mesures à prendre pour dissuader les anti-Gbagbo de manifester, et leur a demandé de mettre des troupes à sa disposition pour assurer la sécurité d’un ministre. En outre, la Chambre est convaincue qu’il y a des preuves suffisantes pour établir que Simone Gbagbo a veillé à ce que les
forces régulières des FDS soient dotées de matériel militaire.
13. En outre, il y a des motifs raisonnables de croire que compte tenu de son appartenance à l’entourage immédiat de Laurent Gbagbo et du rôle qu’elle jouait dans le cadre du plan commun, Simone Gbagbo a apporté une contribution coordonnée et essentielle à la réalisation dudit plan. Elle a assisté à des réunions de l’entourage immédiat de Laurent Gbagbo et participé à la prise de décisions sur la mise en oeuvre du plan commun. À l’occasion d’une de ces réunions, le dirigeant d’une milice de jeunes pro-Gbagbo a proposé d’attaquer des membres du parti politique d’Alassane Ouattara, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), et de détruire ou de piller leurs biens, afin qu’ils souffrent comme d’autres Ivoiriens avaient souffert des actions d’Alassane Ouattara. Durant la réunion, Simone Gbagbo a ouvertement approuvé cette proposition. De plus, elle a joué un rôle clé dans le recrutement, l’armement et l’intégration de milliers de volontaires, et dans leur enrôlement au sein de la chaîne de commandement des FDS.
14. Par ailleurs, la Chambre estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire que les forces pro-Gbagbo qui ont exécuté le plan commun l’ont fait en obéissant de façon quasi automatique aux ordres reçus de Simone Gbagbo et d’autres membres de l’entourage immédiat de Laurent Gbagbo.
15. La Chambre conclut qu’il y a des motifs raisonnables de croire que Simone Gbagbo a agi avec le degré d’intention et de connaissance requis :
i) en adoptant le plan commun ;
ii) en ayant conscience de sa mise en oeuvre et des moyens dont disposaient d’autres membres de l’entourage immédiat de Laurent Gbagbo pour mettre ce plan en oeuvre ;
iii) en rencontrant des membres de l’entourage immédiat de Laurent Gbagbo pour discuter de la mise en oeuvre du plan commun et en assurer la coordination ;
iv) en jouant un rôle clé dans le recrutement et l’instruction des membres de la Galaxie patriotique, et dans leur intégration au sein des FDS; et v) en ayant conscience de la contribution apportée par d’autres membres de l’entourage immédiat de Laurent Gbagbo à la mise en oeuvre du plan commun. En outre, la Chambre est d’avis que Simone Gbagbo avait parfaitement connaissance des circonstances de fait lui permettant, à elle et à d’autres membres de l’entourage immédiat de Laurent Gbagbo, d’exercer un contrôle conjoint sur les crimes.
16. Bien que la Chambre soit convaincue que ce critère de fond (proposé par l’Accusation) est rempli, il est vraisemblable que la question de la responsabilité imputée à Simone Gbagbo en qualité de « coauteur indirect » au sens de l’article 25-3-a du Statut devra être débattue en temps voulu avec les parties et les participants.
17. La Chambre est convaincue que l’arrestation de Simone Gbagbo est nécessaire pour :
i) garantir qu’elle comparaîtra devant la Cour ;
ii) garantir qu’elle n’usera pas de son pouvoir politique ou de ses moyens financiers pour faire obstacle à l’enquête ou en compromettre le déroulement; et
iii) empêcher la commission d’autres crimes.
18. La Chambre relève que Simone Gbagbo fait l’objet d’une interdiction de voyager imposée par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies en vertu des résolutions 1572 et 1980, et par le Conseil de l’Union européenne en vertu des décisions 2010/656/CFSP et 2011/18/CFSP.
PAR CES MOTIFS, LA CHAMBRE
DÉLIVRE le présent mandat d’arrêt à l’encontre de Simone Gbagbo, née le 20 juin 1949 à Moosou, dans la préfecture de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire, de nationalité ivoirienne et membre de la tribu des Akan, au motif qu’elle serait pénalement responsable, au sens de l’article 25-3-a du Statut, de crimes contre l’humanité ayant pris la forme 1) de meurtres (article 7-1-a du Statut), 2) de viols et d’autres formes de violences sexuelles (article 7-1-g du Statut), 3) d’autres actes inhumains (article 7-1-k du Statut), et 4) d’actes de persécution (article 7-1-h du Statut), commis sur le territoire de la Côte d’Ivoire entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011,
DÉCIDE que le mandat d’arrêt doit demeurer sous scellés, ex parte et réservé à l’Accusation et au Greffe mais que, pour permettre le transfèrement de Simone Gbagbo au siège de la Cour, ce mandat pourra, selon que de besoin, être communiqué en vue de son exécution à des tierces parties (telles que les autorités de la Côte d’Ivoire et tout autre État ou organisation internationale). La Chambre envisagera en temps voulu la reclassification du mandat d’arrêt, après la remise de Simone Gbagbo à la CPI,
DÉCIDE que, dès que possible : i) le Greffe préparera une demande de coopération sollicitant l’arrestation et la remise de Simone Gbagbo, qui contiendra les renseignements et les pièces exigés aux articles 89-1 et 91 du Statut, ainsi qu’à la règle 187 du Règlement de procédure et de preuve ; et ii) le Greffe, en consultation et en coordination avec le Procureur, transmettra cette demande aux autorités compétentes de la République de Côte d’Ivoire, conformément à la règle 176-2 du même Règlement,
ENJOINT ÉGALEMENT au Greffier, conformément à l’article 89-3 du Statut, de préparer et de transmettre à tout État et organisation internationale concernés
toute demande de transit qui pourrait être nécessaire aux fins de la remise à la Cour de Simone Gbagbo,
ORDONNE au Procureur de transmettre au Greffe, dans la mesure où ses obligations de confidentialité le lui permettent, ainsi qu’à la Chambre, toutes les informations en sa possession qui permettraient d’éviter les risques que pourraient faire courir à des victimes ou à des témoins la transmission de la demande de coopération susmentionnée,
INVITE le Procureur à transmettre au Greffe, dans la mesure où ses obligations de confidentialité le lui permettent, ainsi qu’à la Chambre, toutes les informations en sa possession qui faciliteraient selon lui la transmission et l’exécution de la demande de coopération susmentionnée,
ENJOINT au Greffe de se mettre en rapport avec l’Accusation pour inviter la République de Côte d’Ivoire et le Royaume des Pays-Bas à demander une dérogation à l’interdiction de voyager imposée à Simone Gbagbo par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies et le Conseil de l’Union européenne, afin de permettre la remise de l’intéressée à la CPI et son entrée sur le territoire des Pays-Bas,
DEMANDE INSTAMMENT au Greffe de prendre toutes les dispositions possibles pour permettre l’exécution immédiate du présent mandat d’arrêt.
Fait en anglais et en français, la version anglaise faisant foi.
Mme la juge Silvia Fernandez de Gurmendi
Mme la juge Elizabeth Odio Benito
M. le juge Adrian Fulford
Fait le 29 février 2012
À La Haye (Pays-Bas)