Les candélabres se sont éteints sur la première visite d’état de l’homme fort d’Abidjan dans le district du Zanzan. Après le festival de promesses et de discours digne des campagnes électorales, place à la réalité. Le bilan en termes de retombées et de bien-être pour les populations reste mitigé. L’euphorie et le rêve font place à la déception de plus en plus grandissante d’une partie de la population de cette région abreuvée de mensonges et de chimères. Vaste région riche de sa diversité culturelle et naturelle, le Zanzan a toujours été l’objet de toutes les convoitises et le théâtre de confrontations souvent tragiques. Les principaux groupes ethniques qui peuplent cette région sont les Agni (Bona, Bini et Barabo), les Bron, les Koulango, les Lobi et les Malinké. Depuis la fin des conquêtes, ces groupes vivent en bonne intelligence malgré quelques frictions observées de temps à autre entre Lobi et Koulango. Au plan politique, après avoir été traversé par plusieurs courants politiques, le Zanzan a constitué l’un des bastions sûrs du Pdci jusqu’à la fin de la première République qui a mis un terme au long règne du parti du père fondateur, Félix Houphouët Boigny. Les élections législatives, communales et départementales organisées après la présidentielle de 2000 ont bousculé le vieux parti qui a dû céder du terrain à d’autres formations politiques dont le Front populaire ivoirien (Fpi) qui a fait élire deux maires, deux députés et un président de Conseil général. Dans son souci d’apaiser le climat politique empoisonné par la gestion scabreuse de Konan Bédié ainsi que par le coup d’Etat qui en a résulté, le Président Laurent Gbagbo a ouvert son gouvernement aux principaux partis politiques que sont le Pdci, le Rdr, le Pit et le Mfa. Cette politique salutaire pour la réconciliation nationale n’a pas permis au Président Gbagbo de nommer des militants Fpi originaires du Zanzan au gouvernement jusqu’en 2007. Ce sont le Pdci et le Mfa qui ont eu le privilège d’avoir des militants originaires du Zanzan au gouvernement de 2002 à 2010. Ce n’est qu’en 2007 après l’Accord politique de Ouaga (Apo) qu’un cadre Fpi originaire du Zanzan a fait son entrée au gouvernement pour la première fois. Pour montrer l’intérêt qu’il porte à cette région, le Président Gbagbo y a effectué de nombreux déplacements et est allé à la rencontre des populations dans les endroits les plus reculés et les plus difficiles d’accès. En 2010, c’est dans le Zanzan que le candidat de Lmp a lancé sa campagne électorale. A l’occasion du meeting qu’il a animé à Bondoukou le 28 septembre 2010, le Président Gbagbo a situé les Ivoiriens sur les raisons de son attachement à cette région. «…Nous voici à Bondoukou pour faire le discours de campagne électorale du Zanzan… Mais nous sommes là pour parler de la Côte d’Ivoire et des élections qui vont arriver bientôt.Oui, chers frères, je suis venu ici en 1990, je suis venu ici en 1993, je suis venu ici en 2006, je suis venu ici en 2008 et me voici ici aujourd’hui. Pourquoi ? Cette région, le Zanzan, est l’une des régions les moins développées de Côte d’Ivoire. Vous vous souvenez des incendies de 1984 qui ont fait disparaitre ici les cultures de cacao et de café…» Revenant sur la tentative de coup d’état de 2002 muée en rébellion, le Chef de l’État a tenu à rendre hommage une nouvelle fois de plus au Zanzan, en ces termes : « …Bondoukou a résisté. A 11 reprises, des attaques ont été lancées contre Bondoukou ; mais, à 11 reprises, Bondoukou a repoussé ces attaques. Je voudrais remercier et féliciter les femmes qui ont cotisé, ont fait la cuisine pour nourrir les militaires, les jeunes. Je voudrais féliciter les jeunes, les dignitaires religieux et les Chefs traditionnels de cette Région qui se sont mobilisés pour que Bondoukou soit épargné…». C’est un truisme de dire que Gbagbo connaît le Zanzan et reconnaît l’apport de cette région dans l’équilibre de la société ivoirienne. Toutefois, il n’ignore pas le rôle pernicieux joué par des fils de cette région dans la déstabilisation du pays. Pour autant, soucieux d’avancer, il ne s’y attarde pas. Mieux il n’en fait jamais cas. L’essentiel pour le Président Gbagbo était de créer les conditions de vie meilleure pour permettre à chaque Ivoirien de vivre heureux dans sa région d’origine ou partout ailleurs en Côte d’Ivoire. Pour cela et contrairement à ses adversaires qui promettent des milliards de francs grâce à leurs relations, le Président Gbagbo agit en bon père de famille en donnant filets, barques et instruction pour la pêche à ses enfants, plutôt que de leur offrir du poisson. C’est pourquoi « …Nous avons créé les conseils généraux pour faire le développement à la base. Nous avons créé les communes pour faire le développement à la base. Tout est communalisé aujourd’hui. Vous avez 84% d’augmentation du nombre des communes. Ici dans le Zanzan, c’est la région où j’ai créé le plus de départements. J’ai créé le département de Koun-Fao, Transua, Sandegué, Nassian, Doropo, Téhini... »
Au niveau de la promotion des cadres de la région, en dix années de pouvoir, Gbagbo a nommé Cinq (5) ministres, soit le même nombre que le pouvoir Pdci en quarante années de règne. Il apparaît utile de noter que sous Gbagbo, ces promotions ne tiennent pas compte de la famille politique des intéressés. Il en est ainsi des deux ministres issus du Mfa, du ministre issu du Pdci, de la Haute Autorité pour le Développement de Bouna, des Présidents de Conseils d’administration de sociétés d’État (Côte d’Ivoire Télécom, Sicogi, etc.), des Directeurs généraux (GESTOCI, Sodefor, Insaac, etc.), sans oublier les nombreux Directeurs et Sous-directeurs d’administration centrale. Malgré la crise qui a déstructuré le pays et qui a privé l’économie de ressources conséquentes, les trois Conseils généraux de la région, dont deux sont présidés par des militants du Pdci, ont réalisé un certain nombre d’infrastructures sociales, contribuant ainsi à l’amélioration des conditions de vie des populations. Un programme spécial d’électrification rurale a été confectionné pour cette région qui enregistrait en 2000 un taux d’électrification rurale de moins de 5%. En 2010 ce sont plus de 100 localités qui ont goûté au plaisir et au confort de l’électricité, et plus de 90 autres en cours d’électrification. Mieux, le Zanzan qui est une des régions les plus pauvres du pays occupe une place de choix dans le Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté (Dsrp) validé par le président Gbagbo et les institutions financières internationales en 2009. Le Pdci, visiblement gêné par les actions concrètes touchant au quotidien des populations, n’a eu d’autre choix que de diffamer le Président, l’accusant d’avoir créé la guerre en Côte d’Ivoire. Ces accusations aussi irresponsables qu’absurdes n’empêcheront pas le Président Gbagbo d’avoir la faveur du Zanzan. Il en est de même des promesses farfelues de distribuer des milliards de francs et d’acheter les noix de cajou à 2 000 Fcfa le kilo que le Rdr et le Pdci ont servi à profusion au mépris de la souffrance des populations. Au premier tour du scrutin d’octobre 2010, lePrésident Gbagbo est arrivé en tête avec 36,21% des voix dans toute la région, suivi de Président Bédié avec 30,38% et enfin de Monsieur Ouattara avec 24,95%. Malgré la violence qui a émaillé le second tour du scrutin à Bouna, la coalition du Rhdp (Pdci, Rdr, Udpci, Mfa, Pit, etc.) n’a eu qu’une courte avance (53%) sur le candidat de Lmp (47%). Le Président Gbagbo a battu son adversaire dans les départements du sud de la région : Tanda (50,98%), Koun-Fao (57,60%) et Transua (60,25%). Dix huit mois après l’arrestation du Président Gbagbo et l’installation de Monsieur Alassane Ouattara au pouvoir, le Zanzan vient d’accueillir l’homme fort de la Côte d’Ivoire. En réalité, en allant dans cette région, le Chef de l’État avait à cœur d’accomplir un devoir de reconnaissance à l’égard de ses chefs de guerre qui ont occupé depuis le coup d’Etat manqué de 2002 l’ancien département de Bouna. Il est bon de rappeler qu’au nombre des têtes fortes de la rébellion figurent Ouattara Issiaka dit Wattao, Kouakou Fofié, Morou Ouattara, tous originaires du Zanzan. N’ayant pu prendre Bondoukou, la rébellion s’est installée dans cette partie de la région déjà éprouvée par la rigueur du climat et par le manque de vision de développement du Pdci au cours de son long règne de quarante ans. C’est en réalité cette partie du Zanzan qui intéresse Ouattara, pour des raisons d’affinités ethniques et idéologiques, mais aussi pour celles évoquées plus haut. Le chef de l’Etat ivoirien sait en effet que cette région ne lui est pas acquise, à défaut de lui être hostile. Les résultats de la dernière présidentielle sont là pour montrer la préférence du grand peuple du Zanzan. Ouattara ne pèse que 25% dans la région. Dans les départements situés au sud de la région, il a obtenu au premier tour moins de 8% des suffrages. Mais curieusement, c’est le Rdr, qui a raflé la quasi totalité des sièges de la région à l’occasion du «désert électoral» boycotté par le Fpi en décembre 2011, au grand dam de son allié Pdci réduit aujourd’hui à sa plus simple expression. Piètre politicien, Ouattara qui connaît les chiffres de l’élection présidentielle de 2010, ne pardonne pas aux populations des régions qui lui ont fait mordre la poussière. Même dans les localités où le Rdr s’est donné, sans compétition, des députés, Ouattara sait qu’il n’a aucune audience réelle. Par ailleurs, les populations du Zanzan savent que c’est Ouattara qui est responsable de l’accroissement de la pauvreté dans la région. Non seulement, il n’a aucun plan crédible de développement, mais il est en outre incapable de restaurer ce que ses partisans ont détruit depuis 2002. C’est pourquoi, bien que réduits au silence, les partisans de Laurent Gbagbo auxquels se joignent de nombreux déçus, n’en demeurent pas moins convaincus de la justesse de la vision du fondateur du Fpi. Aujourd’hui, dans le Zanzan comme partout en Côte d’Ivoire, les Ivoiriens regrettent Laurent Gbagbo. L’avenir reste incertain en dépit du soutien massif de la communauté internationale qui porte le régime à tour de bras et couvre ses nombreux crimes. Les propos de Gbagbo relatifs aux vendeurs d’illusions et aux agents de l’étranger sonnent aujourd’hui comme une prophétie qui s’accomplit, malheureusement. Dans ces conditions, espérer effacer le souvenir du héros ivoirien de la mémoire des populations du Zanzan est une entreprise vouée à l’échec.
Fodjo Kasabi Laurent, Sociologue