Dans notre série de publication thématique de l’histoire de la Côte d’Ivoire en 120 ans d’existence, en colonie et en République, nous avons décidé de commencer sur le Président Houphouët-Boigny que nous considérons comme le dénominateur commun de notre histoire. A la demande des lecteurs, nous allons ponctuer les deux dernières éditions sur Houphouët, par d’autres thèmes. Aujourd’hui, nous ouvrons notre cahier d’histoire sur l’affaire du Sanwi. Sans parti pris et sans passion. Le 4 décembre 1961, 412 prisonniers parmi lesquels le roi Amon N’douffou du Sanwi dans la région d’Aboisso, sont autorisés à sortir de prison. L’affaire du Sanwi qui avait commencé en 1959 ne connaitra pas son épilogue mais plutôt va constituer une grosse plaie sur la belle jambe de la jeune Côte d’Ivoire indépendante pendant près de 20 ans.
Regard dans le rétroviseur.
Dès le XVIIIe siècle, certains navigateurs européens qui commerçaient avec le littoral ivoirien décident de s’établir à Assinie dans la région d’Aboisso située dans le sud-est de la Côte d’Ivoire. Après les comptoirs commerciaux, les premières écoles ont été créées et des nouvelles cultures d’enrichissement confortables telles que le café et le cacao ont vu le jour. C’est plus tard au XIXe siècle que l’école française va pénétrer l’intérieur du pays. Ainsi, les premiers cadres et intellectuels de la colonie de Côte d’ivoire sont-ils sortis de la région du sud-est, avec à leurs côtés de riches planteurs et paysans relativement aisés.
Une situation qui « a développé chez certains cadres du Sanwi un ethnocentrisme du même type que celui affiché par les ressortissants de Saint-Louis du Sénégal » comme dirait Maitre Camille Alliali. A Abidjan, les cadres et autres travailleurs ont créé une association baptisée “La Mutuelle Amicale du Sanwi”. Les membres sont tous essentiellement originiaire du cercle d’Aboisso qui couvre une superficie d’environ 6000 km² peuplé de 40 000 habitants repartis sur une vigtaine de villages des deux ethnies Agni et Ehotilé. La culture pérenne de café et de cacao a attiré l’arrivée des populations voisines et autres immigrés qui ont aygmenté la population de 17 à 31% entre 1941 et 1953. Selon des enquêteurs à l’époque, cette évolution tendait à déposséder les Agnis de leur région. Ainsi leurs terres passaient allègrement aux mains des immigrés. Ils durent s’organiser vers 1957 en une association de défense pour s’opposer aux prétentions des allochtones de s’approprier leurs terres. Déjà en 1887, un conflit foncier ayant opposé Ehotilé et Agni avec des suites juidiciaires avait duré jusqu’en 1931. En janvier 1959 les cadres de la mutualité amicale se mettent en accord pour envisager l’autonomie de leur région. Un conflit foncier éclate entre deux villages de la région : le village Sanwi Aby, situé dans la subdivision administrative d’Aboisso et le village éhotilé Abiaty, relevant de la subdivision d’Adiaké. Très rapidement, ce qui peut être considéré comme une légère altercation a vite dégénéré pour se transformer en conflit armé inter-villages et inter-ethnies. Le premier bilan établi fait état de quatre morts, plusieurs blessés, des hameaux et villages dont Abiaty sont incendiés. Les manœuvres de restauration de l’ordre menées par le gouvernement se trouvent contrariées par les autorités coutumières du Sanwi. Comme condition d’acceptation de la médiation, elles font signer une pétition pour exiger du ministère de l’intérieur « la reconnaissance par le gouvernement ivoirien de l’intégrité du royaume Sanwi dans les limites établies par un traité de protectorat conclu le 4 juillet 1843 entre le lieutenant de vaisseau Fleuriot de Langle et le roi Amon N’douffou III roi du Sanwi, afin de ne pas se reconnaîttre partie intégrante de la République autonome de Côte d’ivoire. Ils suggèrent l’ouverture de discussion entre la France et le royaume Sanwi qui sollicite son indépendance conformément à l’article 88 de la Constitution française de 1958 en vue de conclure un accord d’association et de l’échange d’ambassadeurs. Revendication à laquelle Paris offre une fin de recevoir. Aux élections législatives organisées en Côte d’ivoire le 12 avril 1959, le roi N’douffou III ordonne à ses sujets de boycotter le scrutin. La suite est illustrative de l’influence du roi. Sur 14 831 inscrits, seuls 3200 électeurs ont voté dans cette région d’Aboisso.
Le 3 mai 1959, la « République indépendante du Sanwi » est proclamée. Un gouvernement est constitué et dirigé par Monsieur Armand Ernest Attié sous l’autorité du roi. La première déclaration annonce prendre les dispositions adéquates pour saisir la Cour Internationale de justice et l’organisation des Nation Unies. Cette déclaration pousse le gouvernement ivoirien à une vive intervention pour sauvegarder l’intégrité du territoire. Il fait savoir qu’avec la création de la colonie de Côte d’ivoire par décret du 10 mars 1893, les traités antérieurs entre la France et les monarques locaux tel le traité de 1843 conclu avec le roi du Sanwi étaient devenus caduques. Face à la forte présence des forces de défense et de sécurité, le gouvernement provisoire du Sanwi décide de se réfugier au Ghana de Kwamé N’krumah qui venait de proclamer son indépendance depuis le 6 mars 1957. Les autorités ivoiriennes sollicitent et obtiennent de la France l’arrestation des deux émissaires partis revendiquer la sécession qui sont transférés à Abidjan. Ils sont jugés et condamnés à des peines de prison le 2 mai 1960 en même temps que le roi et quatre de ses notables pour atteinte à la sûreté de l’Etat et à l’intégrité du territoire. A la suite d’une demande de clémence exprimée au président Houphouët par la notabilité du Sanwi, le roi et ses co-accusés sont libérés le 4 décembre 1961. Aussitôt libre, ceux-ci décident de rejoindre au Ghana le gouvernement du Sanwi, issu du « Mouvement de la libération du Sanwi », nom donné à la revendication. Du Ghana, ils tenteront en vain d’obtenir l’arbitrage de la Cour Internationale de justice, l’OUA et l’ONU, durant le temps des hostilités entre le pouvoir d’Abidjan et les exilés, soit de 1962 à 1973. Une affaire bien arrosée par l’attitude du président ghanéen. C’est ainsi qu’après le renversement de celui-ci en février 1966, les nouvelles autorités qui désiraient tourner la page de l’affaire Sanwi décidèrent d’extrader les membres du Mouvement encore refugiés au Ghana vers la Côte d’Ivoire.
Le Président Houphouët-Boigny a alors convoqué une réunion à l’Assemblée Nationale et s’est adressé aux exilés revenus en ces termes : « En votre absence, voici ce que nous avons réalisé. Joignez-vous à l’œuvre de construction du pays ». Il fait voter ensuite une loi d’amnistie en faveur de tous ceux qui étaient impliqués dans les évènements du Sanwi. En 1969 pourtant, l’affaire du Sanwi va refaire surface. Ainsi, tirant interprétation de la reconnaissance par la Côte d’Ivoire de la volonté sécessionniste du Biafra, Ehounord Bilé reconstitue le mouvement. Des arrestations ont été opérées, suivies de détention. En 1981, l’arrivée du pape va servir de prétexte au président Houphouët qui ordonne pour la troisième fois la remise en liberté des détenus de l’affaire du Sanwi. Aussi Amon N’douffou III a été réinstallé sur son trône. Après sa disparition, le peuple Sanwi a intronisé le nouveau roi avec l’accord et la participation matérielle du président Houphouët-Boigny qui a dépêché plusieurs ministres à la cérémonie au titre de la représentation de l’Etat de Côte d’ivoire. Ainsi a pris fin l’affaire du Sanwi.
Remarque
L’Affaire Sanwi a duré pendant une décennie (1959 à 1973) parce qu’elle s’est nourrie de l’environnement favorable constitué des relations sournoises entre les présidents Houphouët et Kwame N’krumah. D’abord parce que les deux n’ont pas la même compréhension de la décolonisation du continent africain dans ce contexte où chacun était leader et disposait d’un groupe de supporters dans sa philosophie. Ensuite, originaire du village ghanéen de Nkroful près de la frontière ivoirienne dont la population est composée d’appolonien ou n’zima que l’on trouve aussi en Côte d’Ivoire, N’krumah s’accordait la liberté d’épouser la thèse indépendantiste de « ses frères » N’zima et Agni de Côte d’Ivoire. Au plan politique les deux hommes avaient exposé leurs visions lors d’une visite effectuée par N’krumah en Côte d’ivoire le 6 avril 1957. Ils ne se sont pas contenté d’exposer publiquement leurs divergences de vue dans la lutte contre la colonisation mais se sont lancé le défi de comparer le fruit de leur expérience dans 10 ans. Parti d’Abidjan, N’krumah, convaincu du bien-fondé de sa position, ne manquera aucune occasion pour initier des actions directement ou indirectement contre Houphouët, respectant sa foi dans la libération absolue de toutes les colonies africaines. S’il l’a déclaré dans son allocution le jour de la proclamation de l’indépendance de son pays, il n’hésitera pas à proposer peu après ses services pour aider tous les peuples qui choisissent de se libérer de la colonisation par tout moyen. Dans les nombreux voyages qu’il effectuait à travers l’Afrique, le chantre du panafricanisme ne rate pas d’occasion de dénoncer voire de fustiger les chefs d’Etat modérés avec à leur tête Houphouët-Boigny, les taxant de néo-colonialistes et de marionnettes de l’impérialisme. Il exprime parfois en termes clairs sa vision de les remplacer par des opposants réfugiés et entrainés au Ghana chez lui. Beaucoup de leaders de mouvements africains de libération avaient fait du Ghana leur terre d’espérance. Le gouvernement ghanéen leur consacrait beaucoup de moyens financiers et leurs fournissait les rapports d’espionnage sur leur pays.
Le 8 février 1960 le président Houphouët, dans une allocution radiodiffusée met en garde le Ghana contre « la politique irrédentiste » de ses dirigeants. Quelques mois auparavant, en décembre 1959, en pleine affaire du Sanwi, Nkrumah terminait une déclaration en faisant allusion aux évènements en Côte d’ivoire, montrant le désir des Agnis et des N’zima de Côte d’Ivoire de rejoindre son pays le Ghana. Et N’krumah de conclure : « La simple justice demande que l’opportunité leur soit totalement donnée de retrouver leurs frères et sœurs. » Le 19 septembre 1960, Houphouët et N’krumah se rencontrent à Half-Assinie à la frontière des deux pays à la demande du président Ghanéen. Le Président du Ghana fait savoir dès les premiers mots, qu’il n’a pas invité Houphouët pour faire amende honorable, mais bien au contraire il affirme ouvertement que son pays peut légitimement revendiquer la région du Sanwi. A la fin de la rencontre, N’krumah insiste pour que Houphouët passe la nuit à Half-Assinie, arguant qu’il aurait d’autres importantes décisions à communiquer le lendemain. Cette prolongation n’était pas dans le programme. Le président Houphouët se convainc que le Ghana projette de l’assassiner. Il prend donc l’initiative de quitter en pleine nuit les lieux, à bord d’un bateau tous feux éteints qu’il a fallu piloter à vue jusqu’aux eaux territoriales ivoiriennes. Les deux hommes ne feront plus parler d’eux, jusqu’à l’affaire du complot de septembre 1963 dans laquelle Jean-Baptiste Mockey était impliqué. Là encore, Houphouët voyait la main de Nkrumah dans sa volonté de nuire à son pouvoir. Comme on le voit, l’affaire du Sanwi n’a pas concerné que la localité d’Aboisso et le pouvoir central à Abidjan. Tout cela a certainement donné du grain au moulin des communautaires et interprétations de ceux qui évoquent la crise du Sanwi.
Georges Amani
Regard dans le rétroviseur.
Dès le XVIIIe siècle, certains navigateurs européens qui commerçaient avec le littoral ivoirien décident de s’établir à Assinie dans la région d’Aboisso située dans le sud-est de la Côte d’Ivoire. Après les comptoirs commerciaux, les premières écoles ont été créées et des nouvelles cultures d’enrichissement confortables telles que le café et le cacao ont vu le jour. C’est plus tard au XIXe siècle que l’école française va pénétrer l’intérieur du pays. Ainsi, les premiers cadres et intellectuels de la colonie de Côte d’ivoire sont-ils sortis de la région du sud-est, avec à leurs côtés de riches planteurs et paysans relativement aisés.
Une situation qui « a développé chez certains cadres du Sanwi un ethnocentrisme du même type que celui affiché par les ressortissants de Saint-Louis du Sénégal » comme dirait Maitre Camille Alliali. A Abidjan, les cadres et autres travailleurs ont créé une association baptisée “La Mutuelle Amicale du Sanwi”. Les membres sont tous essentiellement originiaire du cercle d’Aboisso qui couvre une superficie d’environ 6000 km² peuplé de 40 000 habitants repartis sur une vigtaine de villages des deux ethnies Agni et Ehotilé. La culture pérenne de café et de cacao a attiré l’arrivée des populations voisines et autres immigrés qui ont aygmenté la population de 17 à 31% entre 1941 et 1953. Selon des enquêteurs à l’époque, cette évolution tendait à déposséder les Agnis de leur région. Ainsi leurs terres passaient allègrement aux mains des immigrés. Ils durent s’organiser vers 1957 en une association de défense pour s’opposer aux prétentions des allochtones de s’approprier leurs terres. Déjà en 1887, un conflit foncier ayant opposé Ehotilé et Agni avec des suites juidiciaires avait duré jusqu’en 1931. En janvier 1959 les cadres de la mutualité amicale se mettent en accord pour envisager l’autonomie de leur région. Un conflit foncier éclate entre deux villages de la région : le village Sanwi Aby, situé dans la subdivision administrative d’Aboisso et le village éhotilé Abiaty, relevant de la subdivision d’Adiaké. Très rapidement, ce qui peut être considéré comme une légère altercation a vite dégénéré pour se transformer en conflit armé inter-villages et inter-ethnies. Le premier bilan établi fait état de quatre morts, plusieurs blessés, des hameaux et villages dont Abiaty sont incendiés. Les manœuvres de restauration de l’ordre menées par le gouvernement se trouvent contrariées par les autorités coutumières du Sanwi. Comme condition d’acceptation de la médiation, elles font signer une pétition pour exiger du ministère de l’intérieur « la reconnaissance par le gouvernement ivoirien de l’intégrité du royaume Sanwi dans les limites établies par un traité de protectorat conclu le 4 juillet 1843 entre le lieutenant de vaisseau Fleuriot de Langle et le roi Amon N’douffou III roi du Sanwi, afin de ne pas se reconnaîttre partie intégrante de la République autonome de Côte d’ivoire. Ils suggèrent l’ouverture de discussion entre la France et le royaume Sanwi qui sollicite son indépendance conformément à l’article 88 de la Constitution française de 1958 en vue de conclure un accord d’association et de l’échange d’ambassadeurs. Revendication à laquelle Paris offre une fin de recevoir. Aux élections législatives organisées en Côte d’ivoire le 12 avril 1959, le roi N’douffou III ordonne à ses sujets de boycotter le scrutin. La suite est illustrative de l’influence du roi. Sur 14 831 inscrits, seuls 3200 électeurs ont voté dans cette région d’Aboisso.
Le 3 mai 1959, la « République indépendante du Sanwi » est proclamée. Un gouvernement est constitué et dirigé par Monsieur Armand Ernest Attié sous l’autorité du roi. La première déclaration annonce prendre les dispositions adéquates pour saisir la Cour Internationale de justice et l’organisation des Nation Unies. Cette déclaration pousse le gouvernement ivoirien à une vive intervention pour sauvegarder l’intégrité du territoire. Il fait savoir qu’avec la création de la colonie de Côte d’ivoire par décret du 10 mars 1893, les traités antérieurs entre la France et les monarques locaux tel le traité de 1843 conclu avec le roi du Sanwi étaient devenus caduques. Face à la forte présence des forces de défense et de sécurité, le gouvernement provisoire du Sanwi décide de se réfugier au Ghana de Kwamé N’krumah qui venait de proclamer son indépendance depuis le 6 mars 1957. Les autorités ivoiriennes sollicitent et obtiennent de la France l’arrestation des deux émissaires partis revendiquer la sécession qui sont transférés à Abidjan. Ils sont jugés et condamnés à des peines de prison le 2 mai 1960 en même temps que le roi et quatre de ses notables pour atteinte à la sûreté de l’Etat et à l’intégrité du territoire. A la suite d’une demande de clémence exprimée au président Houphouët par la notabilité du Sanwi, le roi et ses co-accusés sont libérés le 4 décembre 1961. Aussitôt libre, ceux-ci décident de rejoindre au Ghana le gouvernement du Sanwi, issu du « Mouvement de la libération du Sanwi », nom donné à la revendication. Du Ghana, ils tenteront en vain d’obtenir l’arbitrage de la Cour Internationale de justice, l’OUA et l’ONU, durant le temps des hostilités entre le pouvoir d’Abidjan et les exilés, soit de 1962 à 1973. Une affaire bien arrosée par l’attitude du président ghanéen. C’est ainsi qu’après le renversement de celui-ci en février 1966, les nouvelles autorités qui désiraient tourner la page de l’affaire Sanwi décidèrent d’extrader les membres du Mouvement encore refugiés au Ghana vers la Côte d’Ivoire.
Le Président Houphouët-Boigny a alors convoqué une réunion à l’Assemblée Nationale et s’est adressé aux exilés revenus en ces termes : « En votre absence, voici ce que nous avons réalisé. Joignez-vous à l’œuvre de construction du pays ». Il fait voter ensuite une loi d’amnistie en faveur de tous ceux qui étaient impliqués dans les évènements du Sanwi. En 1969 pourtant, l’affaire du Sanwi va refaire surface. Ainsi, tirant interprétation de la reconnaissance par la Côte d’Ivoire de la volonté sécessionniste du Biafra, Ehounord Bilé reconstitue le mouvement. Des arrestations ont été opérées, suivies de détention. En 1981, l’arrivée du pape va servir de prétexte au président Houphouët qui ordonne pour la troisième fois la remise en liberté des détenus de l’affaire du Sanwi. Aussi Amon N’douffou III a été réinstallé sur son trône. Après sa disparition, le peuple Sanwi a intronisé le nouveau roi avec l’accord et la participation matérielle du président Houphouët-Boigny qui a dépêché plusieurs ministres à la cérémonie au titre de la représentation de l’Etat de Côte d’ivoire. Ainsi a pris fin l’affaire du Sanwi.
Remarque
L’Affaire Sanwi a duré pendant une décennie (1959 à 1973) parce qu’elle s’est nourrie de l’environnement favorable constitué des relations sournoises entre les présidents Houphouët et Kwame N’krumah. D’abord parce que les deux n’ont pas la même compréhension de la décolonisation du continent africain dans ce contexte où chacun était leader et disposait d’un groupe de supporters dans sa philosophie. Ensuite, originaire du village ghanéen de Nkroful près de la frontière ivoirienne dont la population est composée d’appolonien ou n’zima que l’on trouve aussi en Côte d’Ivoire, N’krumah s’accordait la liberté d’épouser la thèse indépendantiste de « ses frères » N’zima et Agni de Côte d’Ivoire. Au plan politique les deux hommes avaient exposé leurs visions lors d’une visite effectuée par N’krumah en Côte d’ivoire le 6 avril 1957. Ils ne se sont pas contenté d’exposer publiquement leurs divergences de vue dans la lutte contre la colonisation mais se sont lancé le défi de comparer le fruit de leur expérience dans 10 ans. Parti d’Abidjan, N’krumah, convaincu du bien-fondé de sa position, ne manquera aucune occasion pour initier des actions directement ou indirectement contre Houphouët, respectant sa foi dans la libération absolue de toutes les colonies africaines. S’il l’a déclaré dans son allocution le jour de la proclamation de l’indépendance de son pays, il n’hésitera pas à proposer peu après ses services pour aider tous les peuples qui choisissent de se libérer de la colonisation par tout moyen. Dans les nombreux voyages qu’il effectuait à travers l’Afrique, le chantre du panafricanisme ne rate pas d’occasion de dénoncer voire de fustiger les chefs d’Etat modérés avec à leur tête Houphouët-Boigny, les taxant de néo-colonialistes et de marionnettes de l’impérialisme. Il exprime parfois en termes clairs sa vision de les remplacer par des opposants réfugiés et entrainés au Ghana chez lui. Beaucoup de leaders de mouvements africains de libération avaient fait du Ghana leur terre d’espérance. Le gouvernement ghanéen leur consacrait beaucoup de moyens financiers et leurs fournissait les rapports d’espionnage sur leur pays.
Le 8 février 1960 le président Houphouët, dans une allocution radiodiffusée met en garde le Ghana contre « la politique irrédentiste » de ses dirigeants. Quelques mois auparavant, en décembre 1959, en pleine affaire du Sanwi, Nkrumah terminait une déclaration en faisant allusion aux évènements en Côte d’ivoire, montrant le désir des Agnis et des N’zima de Côte d’Ivoire de rejoindre son pays le Ghana. Et N’krumah de conclure : « La simple justice demande que l’opportunité leur soit totalement donnée de retrouver leurs frères et sœurs. » Le 19 septembre 1960, Houphouët et N’krumah se rencontrent à Half-Assinie à la frontière des deux pays à la demande du président Ghanéen. Le Président du Ghana fait savoir dès les premiers mots, qu’il n’a pas invité Houphouët pour faire amende honorable, mais bien au contraire il affirme ouvertement que son pays peut légitimement revendiquer la région du Sanwi. A la fin de la rencontre, N’krumah insiste pour que Houphouët passe la nuit à Half-Assinie, arguant qu’il aurait d’autres importantes décisions à communiquer le lendemain. Cette prolongation n’était pas dans le programme. Le président Houphouët se convainc que le Ghana projette de l’assassiner. Il prend donc l’initiative de quitter en pleine nuit les lieux, à bord d’un bateau tous feux éteints qu’il a fallu piloter à vue jusqu’aux eaux territoriales ivoiriennes. Les deux hommes ne feront plus parler d’eux, jusqu’à l’affaire du complot de septembre 1963 dans laquelle Jean-Baptiste Mockey était impliqué. Là encore, Houphouët voyait la main de Nkrumah dans sa volonté de nuire à son pouvoir. Comme on le voit, l’affaire du Sanwi n’a pas concerné que la localité d’Aboisso et le pouvoir central à Abidjan. Tout cela a certainement donné du grain au moulin des communautaires et interprétations de ceux qui évoquent la crise du Sanwi.
Georges Amani