La Cour Pénale Internationale est vraiment ce lieu où règne «la justice des vainqueurs», comme certains aiment à la qualifier. L’expression est d’ailleurs reprise par Amnesty International dans son récent rapport sur la Côte d’Ivoire. Évidemment, mon point de vue sur cette question va au-delà du cas de Laurent Gbagbo...
L’urgence d’une sortie de crise
J’aimerais souligner une chose jusqu’ici peu relevée par les observateurs : parfois, les lieux des exactions jugées par la CPI s’avère être complètement aberrants. Ainsi, Charles Taylor, ancien président de la République du Liberia, fut inculpé pour des faits qu’il aurait commis en Sierra Leone. Je rappelle qu’il avait fondé son pouvoir au Liberia. Et c’était bien Foday Sankoh qui dirigeait le Sierra Leone au moment des faits. Autre cas assez extraordinaire, après des élections manifestement truquées, la Cpi inculpe Jean-Pierre Bemba, le chef de l’opposition en République Démocratique du Congo, pour des faits commis... en Centrafrique!
Avec le procès de Laurent Gbagbo, nous sommes certes dans un autre cas de figure. Problème pour autant, il n’y a que lui, sa femme et plus largement son camp à être soumis à cette «justice».
L’accusation du temps du procureur Ocampo s’est basée abusivement sur le modèle rwandais : un petit groupe autour du Président et de son épouse qui auraient écrit un plan détaillé contenant des ordres d’exécution. La crainte de la Cpi qu’il y ait eu organisation et préparation d’un génocide est une fiction, notamment quand le procureur Ocampo avait déclaré : « qu’ il y avait une « Politique » déclinée en un « plan commun» (sic!).
Or, pour se forger cette conviction, le procureur n’a pris en compte que la période récente et un cas particulier. C’est très regrettable. Comment, dans ces conditions, la Cour peut-elle mettre en perspective les causes profondes de la crise, les responsabilités des uns et des autres? C’est impossible.
Il faudrait, à mon sens, trouver une sortie de crise médiane, entre la libération de Laurent Gbagbo et son maintien en détention. On pourrait ainsi imaginer provisoirement une assignation à résidence dans un pays africain, situation qui laisserait ouverte la possibilité d’une négociation et qui conduirait à la réconciliation et l’apaisement.
Depuis avril 2011, seul le camp Ouattara est responsable
Il y a des raisons d’être inquiet aujourd’hui. Surtout lorsqu’on voit Laurent Akoun, le successeur de Laurent Gbagbo à la tête du FPI, sortir de six mois de prison pour des «propos diffamatoires» envers Alassane Ouattara...L’opposition est criminalisée. À l’heure où j’écris ces lignes, il y a entre 150 et 300 détenus politiques et environ 1 500 prisonniers militaires en Côte d’Ivoire. À cet égard, le rapport d’Amnesty International est un vrai coup de tonnerre! Gaëtan Mootoo, l’un des auteurs du rapport, était récemment à Abidjan afin de présenter ledit rapport, attitude très courageuse tant les réactions peuvent être violentes.
Mais Amnesty International ne chiffre pas, dans son rapport, les milliers de morts depuis ce que j’appelle «le coup d’État franco-onusien» et l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara. Jusque-là, toutes les associations des droits de l’homme essayaient de faire l’équilibre entre les deux camps. Mais depuis le 11 avril 2011, la responsabilité des faits commis incombe clairement au président actuel.
De 2002 à 2011, au nord du pays, le camp Ouattara a été la cause des milliers de pertes humaines qui n’ont d’ailleurs pas été recensées. Mais depuis le 11 avril 2011 et jusqu’à maintenant, c’est dans l’ensemble de la Côte d’Ivoire (surtout au sud), qu’il y a eu entre 3000 et 5000 morts. Des morts dont le camp Ouattara est maintenant responsable.
En dehors du carnage commis d’avril à juin 2011 lors de la conquête d’Abidjan et ce, notamment dans des quartiers abritant des partisans de Laurent Gbagbo tel Yopougon, trois ethnies ont été ciblées : les Guérés de l’Ouest, les Bétés, l’ethnie d’origine de Laurent Gbagbo, et les Attiés qui sont un petit peuple du Nord de la capitale, Abidjan. Dès lors, si l’on parle d’ethnocide ou de «génocide rampant» à la Cpi, encore faudrait-il savoir qui est responsable de quoi. Combien de morts n’ont, pour le moment, jamais été recensés!
La France comme l’Onu ne peuvent fuir leurs responsabilités
Un troisième volet à cette affaire est également trop souvent négligé : entre la fin mars et le 11 avril 2011, il y a eu aussi des morts inconnus - les victimes civiles des frappes et des actions françaises et onusiennes. Combien sont-ils? Cela va de quelques dizaines à 2000 selon les partisans de Laurent Gbagbo - ce qui me semble beaucoup trop. Le chiffre de quelques centaines me semble plus proche de la vérité. Lorsque l’on parle de justice internationale, qu’est-ce qui, dans le mandat de l’Onu régi par la résolution 1575 de Ban Ki-Moon, a permis à une force expéditionnaire de tuer des civils ivoiriens? Un troisième acte judiciaire devrait être lancé sur cette question.
Que faire dès lors ? Comment rendre possible la réconciliation ? La réponse est très simple, puisqu’il y existe déjà un mécanisme propre à la Côte d’Ivoire à même de régler cette question : «le dialogue à l’ivoirienne». Félix Houphouët-Boigny est à l’origine de ce mécanisme sociopolitique de résolution des conflits qui consiste en une stratégie gouvernementale très habile inspirée de la tradition africaine - une version moderne de l’arbre à palabres.
Dessaisir la Cpi, mettre en place un «dialogue à l’ivoirienne»
C’est d’ailleurs cela qui avait permis à Henri Konan Bédié, chassé par les jeunes militaires du régime du général Robert Guéï, de réintégrer le jeu politique ivoirien et de se présenter aux présidentielles. De même, certes sous pression de la communauté internationale, Laurent Gbagbo à Pretoria avait réintégré Alassane Ouattara, exclu pour des «raisons de nationalité douteuse» en utilisant un article de la Constitution ivoirienne équivalent à notre article 16 (Constitution française). Lui aussi a ainsi pu se présenter devant les électeurs.
Si l’on se base sur ce mécanisme, il faudrait donc que Laurent Gbagbo soit amnistié et revienne en Côte d’Ivoire pour participer, de nouveau, à la vie politique, qu’il y ait une sorte de réconciliation post-crise. Mais cela anéantirait tous les efforts déployés par les diplomates pro-Ouattara qui espèrent éloigner le Front Populaire Ivoirien (Fpi) de Laurent Gbagbo. Cette stratégie, pourtant, va droit dans le mur. Et en attendant, le gouvernement de Ouattara s’embourbe, tous les jours, un peu plus dans la crise...
Michel Galy
Politologue, professeur de géopolitique à l’Institut des relations internationales (Ileri, Paris)
L’urgence d’une sortie de crise
J’aimerais souligner une chose jusqu’ici peu relevée par les observateurs : parfois, les lieux des exactions jugées par la CPI s’avère être complètement aberrants. Ainsi, Charles Taylor, ancien président de la République du Liberia, fut inculpé pour des faits qu’il aurait commis en Sierra Leone. Je rappelle qu’il avait fondé son pouvoir au Liberia. Et c’était bien Foday Sankoh qui dirigeait le Sierra Leone au moment des faits. Autre cas assez extraordinaire, après des élections manifestement truquées, la Cpi inculpe Jean-Pierre Bemba, le chef de l’opposition en République Démocratique du Congo, pour des faits commis... en Centrafrique!
Avec le procès de Laurent Gbagbo, nous sommes certes dans un autre cas de figure. Problème pour autant, il n’y a que lui, sa femme et plus largement son camp à être soumis à cette «justice».
L’accusation du temps du procureur Ocampo s’est basée abusivement sur le modèle rwandais : un petit groupe autour du Président et de son épouse qui auraient écrit un plan détaillé contenant des ordres d’exécution. La crainte de la Cpi qu’il y ait eu organisation et préparation d’un génocide est une fiction, notamment quand le procureur Ocampo avait déclaré : « qu’ il y avait une « Politique » déclinée en un « plan commun» (sic!).
Or, pour se forger cette conviction, le procureur n’a pris en compte que la période récente et un cas particulier. C’est très regrettable. Comment, dans ces conditions, la Cour peut-elle mettre en perspective les causes profondes de la crise, les responsabilités des uns et des autres? C’est impossible.
Il faudrait, à mon sens, trouver une sortie de crise médiane, entre la libération de Laurent Gbagbo et son maintien en détention. On pourrait ainsi imaginer provisoirement une assignation à résidence dans un pays africain, situation qui laisserait ouverte la possibilité d’une négociation et qui conduirait à la réconciliation et l’apaisement.
Depuis avril 2011, seul le camp Ouattara est responsable
Il y a des raisons d’être inquiet aujourd’hui. Surtout lorsqu’on voit Laurent Akoun, le successeur de Laurent Gbagbo à la tête du FPI, sortir de six mois de prison pour des «propos diffamatoires» envers Alassane Ouattara...L’opposition est criminalisée. À l’heure où j’écris ces lignes, il y a entre 150 et 300 détenus politiques et environ 1 500 prisonniers militaires en Côte d’Ivoire. À cet égard, le rapport d’Amnesty International est un vrai coup de tonnerre! Gaëtan Mootoo, l’un des auteurs du rapport, était récemment à Abidjan afin de présenter ledit rapport, attitude très courageuse tant les réactions peuvent être violentes.
Mais Amnesty International ne chiffre pas, dans son rapport, les milliers de morts depuis ce que j’appelle «le coup d’État franco-onusien» et l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara. Jusque-là, toutes les associations des droits de l’homme essayaient de faire l’équilibre entre les deux camps. Mais depuis le 11 avril 2011, la responsabilité des faits commis incombe clairement au président actuel.
De 2002 à 2011, au nord du pays, le camp Ouattara a été la cause des milliers de pertes humaines qui n’ont d’ailleurs pas été recensées. Mais depuis le 11 avril 2011 et jusqu’à maintenant, c’est dans l’ensemble de la Côte d’Ivoire (surtout au sud), qu’il y a eu entre 3000 et 5000 morts. Des morts dont le camp Ouattara est maintenant responsable.
En dehors du carnage commis d’avril à juin 2011 lors de la conquête d’Abidjan et ce, notamment dans des quartiers abritant des partisans de Laurent Gbagbo tel Yopougon, trois ethnies ont été ciblées : les Guérés de l’Ouest, les Bétés, l’ethnie d’origine de Laurent Gbagbo, et les Attiés qui sont un petit peuple du Nord de la capitale, Abidjan. Dès lors, si l’on parle d’ethnocide ou de «génocide rampant» à la Cpi, encore faudrait-il savoir qui est responsable de quoi. Combien de morts n’ont, pour le moment, jamais été recensés!
La France comme l’Onu ne peuvent fuir leurs responsabilités
Un troisième volet à cette affaire est également trop souvent négligé : entre la fin mars et le 11 avril 2011, il y a eu aussi des morts inconnus - les victimes civiles des frappes et des actions françaises et onusiennes. Combien sont-ils? Cela va de quelques dizaines à 2000 selon les partisans de Laurent Gbagbo - ce qui me semble beaucoup trop. Le chiffre de quelques centaines me semble plus proche de la vérité. Lorsque l’on parle de justice internationale, qu’est-ce qui, dans le mandat de l’Onu régi par la résolution 1575 de Ban Ki-Moon, a permis à une force expéditionnaire de tuer des civils ivoiriens? Un troisième acte judiciaire devrait être lancé sur cette question.
Que faire dès lors ? Comment rendre possible la réconciliation ? La réponse est très simple, puisqu’il y existe déjà un mécanisme propre à la Côte d’Ivoire à même de régler cette question : «le dialogue à l’ivoirienne». Félix Houphouët-Boigny est à l’origine de ce mécanisme sociopolitique de résolution des conflits qui consiste en une stratégie gouvernementale très habile inspirée de la tradition africaine - une version moderne de l’arbre à palabres.
Dessaisir la Cpi, mettre en place un «dialogue à l’ivoirienne»
C’est d’ailleurs cela qui avait permis à Henri Konan Bédié, chassé par les jeunes militaires du régime du général Robert Guéï, de réintégrer le jeu politique ivoirien et de se présenter aux présidentielles. De même, certes sous pression de la communauté internationale, Laurent Gbagbo à Pretoria avait réintégré Alassane Ouattara, exclu pour des «raisons de nationalité douteuse» en utilisant un article de la Constitution ivoirienne équivalent à notre article 16 (Constitution française). Lui aussi a ainsi pu se présenter devant les électeurs.
Si l’on se base sur ce mécanisme, il faudrait donc que Laurent Gbagbo soit amnistié et revienne en Côte d’Ivoire pour participer, de nouveau, à la vie politique, qu’il y ait une sorte de réconciliation post-crise. Mais cela anéantirait tous les efforts déployés par les diplomates pro-Ouattara qui espèrent éloigner le Front Populaire Ivoirien (Fpi) de Laurent Gbagbo. Cette stratégie, pourtant, va droit dans le mur. Et en attendant, le gouvernement de Ouattara s’embourbe, tous les jours, un peu plus dans la crise...
Michel Galy
Politologue, professeur de géopolitique à l’Institut des relations internationales (Ileri, Paris)