Après dix années de crise politico-militaire, et une violente crise post-électorale, la Côte d’Ivoire continue à panser ses plaies, à tenter de refaire son unité, et surtout à rebâtir un nouveau modèle de développement. Les défis à relever par le régime du président Alassane Ouattara dit ADO sont donc multiformes et immenses, voire herculéens.
Le gouvernement ivoirien a mis en route de nombreuses réformes, notamment dans le secteur de l’éducation. Aujourd’hui, c’est tout l’appareil, le système éducatif ivoirien qu’il faut faire renaître. Le régime ADO a déjà injecté des sommes colossales dans le vaste projet de renaissance de l’école ivoirienne. Mais, depuis avant-hier, les syndicats enseignants ont lancé un projet de grève pour protester contre une mesure gouvernementale qui vise à « ponctionner » les salaires de plusieurs enseignants. Si les syndicats mettent leur mot d’ordre en pratique, il paraît sûr et certain qu’on assistera à un bras de fer avec le gouvernement. Une fois de plus, les rythmes scolaires, ainsi que les examens seront perturbés, renvoyant la jeunesse ivoirienne à sa condition de « génération sacrifiée ». Mais il faut reconnaître qu’au-delà du cas ivoirien, depuis les années 90, du fait des PAS initiés par le FMI et la Banque mondiale, tous les systèmes éducatifs publics, en Afrique francophone, ont été dérégulés et mis en lambeaux.
Avec le dogmatisme intellectuel de ces institutions foncièrement libérales, on a fini par réduire l’éducation à une dimension strictement gestionnaire et économiste. Au nom d’un pragmatisme inculte et inefficace, les tenants d’une certaine « ténèbre » libérale ont réussi à transformer les écoles et universités africaines en lieux sans vie, donc sans force, sans chair et surtout sans motivation. Les maux de l’école africaine sont connus de tous : manque d’infrastructures, effectifs pléthoriques, salaires de misère du personnel enseignant, conditions « kafkaïennes » de travail. A cela, il faut ajouter l’épineuse question de la politisation et de l’idéologisation des jeunesses scolaire et estudiantine.
Bref, le mal est profond et exige un remède radical. Car, entre les acteurs du monde éducatif (élèves, étudiants, enseignants) et l’Etat, tout règne sauf la confiance mutuelle. Il est vrai et juste de reconnaître que l’indifférence irresponsable des dirigeants africains a entraîné et validé ce qu’il faut bien appeler « une loi d’inertie » dans les écoles et universités africaines. En d’autres termes, c’est comme si l’irresponsabilité elle-même était devenue le seul choix politique. En vérité, on assiste à une véritable décadence de l’idée et de la puissance publiques dans les sociétés africaines contemporaines. Ce qui se traduit, dans les politiques dites publiques, par l’abandon des jeunes et des enseignants dans leur misère matérielle et morale. Ainsi, pour exprimer leur mal-vivre, leur malheur constant et déchirant, élèves, étudiants et enseignants, se servent, de manière rituélique, de l’arme de la grève. En Côte d’Ivoire, avec la relance économique qui s’amorce, les enseignants réclament leur part du gâteau. Mais, ne doivent-ils pas, face à la persistance de la crise qui continue à frapper le pays, faire preuve, dans leurs justes revendications, de modération et de responsabilité ? Car, actuellement, il existe chez ADO, une réelle volonté politique de faire émerger l’école ivoirienne des ténèbres. ADO se distingue nettement de nombre de ses pairs africains qui ne brillent que par leur mauvaise foi et leurs raisonnements sophistiques dès qu’il est question d’éducation. Ainsi, dans nombre de pays africains, l’Etat a totalement failli, avec les systèmes éducatifs, à ses trois missions fondamentales : conférer au plus grand nombre une véritable culture, assurer un savoir-faire professionnel et offrir une formation civique.
A tel point que partout, sur notre continent, cette faillite des systèmes publics d’enseignement entraîne une désagrégation de la vie sociale et un délabrement existentiel des citoyens. Or, la réalisation de la culture, au sein de tout Etat, comme moyen de la vraie vie, pose les problèmes de l’éducation et de la formation. En Afrique, on a souvent cette habitude néfaste de dissocier éducation, culture et formation. Au contraire, il faut établir ici une étroite corrélation. C’est ce qui explique que cette absence stupéfiante de motivation chez les enseignants induise une absence systématique de motivation chez les élèves et les étudiants.
Démunis, ces derniers croient sublimer leurs frustrations et leurs rêves inaboutis par le recours à la drogue et à la violence. Et les gouvernants africains ont tort de réduire la question de l’éducation à une affaire de compétition basée sur l’idéologie de la puissance. Comme l’a si bien pensé Robert Misrahi, « toute compétition par définition, transforme en instruments ou ennemis les individus humains qui se laissent prendre aux jeux de la compétition ou qui en sont les involontaires victimes ».
L’homme n’est pas qu’une machine économique, il est un sujet autonome, libre, vivant et concret. Tous les Etats européens ont concentré, en priorité, depuis leur naissance, tous les efforts sur l’éducation et l’instruction. Ils en ont fait un levier stratégique pour leur progrès politique, social, économique et moral. Des systèmes éducatifs fiables et solides sont d’abord le fruit de choix politiques.
Et sans eux, comment les Etats africains parviendront-ils à construire leur cohérence démocratique, c’est-à-dire les conditions politiques de l’épanouissement existentiel de chacun ? Eduquer, c’est rendre à l’homme son humanité, par le pouvoir libérateur et créateur de la culture. Ce pouvoir créateur, issu d’une éducation solide, engendre, dans les sociétés, la démocratie et non des systèmes totalitaires. La démocratie, c’est d’abord et surtout le pouvoir de citoyens libres, éduqués et inventifs. C’est pourquoi, en Afrique, il est temps de reconnaître que le pouvoir de l’enseignant est infiniment plus vaste, plus profond et plus efficace qu’on ne le reconnaît ordinairement. En Côte d’Ivoire, sans une approche non-économiste de l’éducation, les Ivoiriens auront du mal à être éclairés sur l’histoire de la guerre civile qu’ils viennent de vivre, et surtout, s’opposer à toute rechute dans la barbarie. La tolérance s’apprend. Elle exige donc une éducation au respect mutuel, laquelle exclut la violence, l’arbitraire, l’endoctrinement et la sanctification de la mort inutile. Par conséquent, éduquer, c’est avoir recours aux ressources de la raison réfléchie. Le remède au drame de l’école africaine, constamment menacée d’effondrement, est unique : que les dirigeants politiques opèrent, enfin, une conversion radicale de leur vision sur l’immense chantier de l’éducation. Responsable de l’existence collective de ses concitoyens, le vrai dirigeant politique peut et doit donc savoir où il veut aller. Comprendre pourquoi l’on existe, pourquoi l’on agit, pourquoi l’on combat, est la première joie de l’esprit pour le citoyen d’une vraie République. Admettons donc que, parce qu’elle fonde l’autonomie individuelle, l’éducation est source de joie et de liberté. Oui, elle rend les citoyens aptes au bonheur. ADO ne doit pas enlever aux enseignants ivoiriens, cette joie et cette liberté. Mais à condition que leurs revendications ne soient pas totalement démesurées…
« Le Pays »
Le gouvernement ivoirien a mis en route de nombreuses réformes, notamment dans le secteur de l’éducation. Aujourd’hui, c’est tout l’appareil, le système éducatif ivoirien qu’il faut faire renaître. Le régime ADO a déjà injecté des sommes colossales dans le vaste projet de renaissance de l’école ivoirienne. Mais, depuis avant-hier, les syndicats enseignants ont lancé un projet de grève pour protester contre une mesure gouvernementale qui vise à « ponctionner » les salaires de plusieurs enseignants. Si les syndicats mettent leur mot d’ordre en pratique, il paraît sûr et certain qu’on assistera à un bras de fer avec le gouvernement. Une fois de plus, les rythmes scolaires, ainsi que les examens seront perturbés, renvoyant la jeunesse ivoirienne à sa condition de « génération sacrifiée ». Mais il faut reconnaître qu’au-delà du cas ivoirien, depuis les années 90, du fait des PAS initiés par le FMI et la Banque mondiale, tous les systèmes éducatifs publics, en Afrique francophone, ont été dérégulés et mis en lambeaux.
Avec le dogmatisme intellectuel de ces institutions foncièrement libérales, on a fini par réduire l’éducation à une dimension strictement gestionnaire et économiste. Au nom d’un pragmatisme inculte et inefficace, les tenants d’une certaine « ténèbre » libérale ont réussi à transformer les écoles et universités africaines en lieux sans vie, donc sans force, sans chair et surtout sans motivation. Les maux de l’école africaine sont connus de tous : manque d’infrastructures, effectifs pléthoriques, salaires de misère du personnel enseignant, conditions « kafkaïennes » de travail. A cela, il faut ajouter l’épineuse question de la politisation et de l’idéologisation des jeunesses scolaire et estudiantine.
Bref, le mal est profond et exige un remède radical. Car, entre les acteurs du monde éducatif (élèves, étudiants, enseignants) et l’Etat, tout règne sauf la confiance mutuelle. Il est vrai et juste de reconnaître que l’indifférence irresponsable des dirigeants africains a entraîné et validé ce qu’il faut bien appeler « une loi d’inertie » dans les écoles et universités africaines. En d’autres termes, c’est comme si l’irresponsabilité elle-même était devenue le seul choix politique. En vérité, on assiste à une véritable décadence de l’idée et de la puissance publiques dans les sociétés africaines contemporaines. Ce qui se traduit, dans les politiques dites publiques, par l’abandon des jeunes et des enseignants dans leur misère matérielle et morale. Ainsi, pour exprimer leur mal-vivre, leur malheur constant et déchirant, élèves, étudiants et enseignants, se servent, de manière rituélique, de l’arme de la grève. En Côte d’Ivoire, avec la relance économique qui s’amorce, les enseignants réclament leur part du gâteau. Mais, ne doivent-ils pas, face à la persistance de la crise qui continue à frapper le pays, faire preuve, dans leurs justes revendications, de modération et de responsabilité ? Car, actuellement, il existe chez ADO, une réelle volonté politique de faire émerger l’école ivoirienne des ténèbres. ADO se distingue nettement de nombre de ses pairs africains qui ne brillent que par leur mauvaise foi et leurs raisonnements sophistiques dès qu’il est question d’éducation. Ainsi, dans nombre de pays africains, l’Etat a totalement failli, avec les systèmes éducatifs, à ses trois missions fondamentales : conférer au plus grand nombre une véritable culture, assurer un savoir-faire professionnel et offrir une formation civique.
A tel point que partout, sur notre continent, cette faillite des systèmes publics d’enseignement entraîne une désagrégation de la vie sociale et un délabrement existentiel des citoyens. Or, la réalisation de la culture, au sein de tout Etat, comme moyen de la vraie vie, pose les problèmes de l’éducation et de la formation. En Afrique, on a souvent cette habitude néfaste de dissocier éducation, culture et formation. Au contraire, il faut établir ici une étroite corrélation. C’est ce qui explique que cette absence stupéfiante de motivation chez les enseignants induise une absence systématique de motivation chez les élèves et les étudiants.
Démunis, ces derniers croient sublimer leurs frustrations et leurs rêves inaboutis par le recours à la drogue et à la violence. Et les gouvernants africains ont tort de réduire la question de l’éducation à une affaire de compétition basée sur l’idéologie de la puissance. Comme l’a si bien pensé Robert Misrahi, « toute compétition par définition, transforme en instruments ou ennemis les individus humains qui se laissent prendre aux jeux de la compétition ou qui en sont les involontaires victimes ».
L’homme n’est pas qu’une machine économique, il est un sujet autonome, libre, vivant et concret. Tous les Etats européens ont concentré, en priorité, depuis leur naissance, tous les efforts sur l’éducation et l’instruction. Ils en ont fait un levier stratégique pour leur progrès politique, social, économique et moral. Des systèmes éducatifs fiables et solides sont d’abord le fruit de choix politiques.
Et sans eux, comment les Etats africains parviendront-ils à construire leur cohérence démocratique, c’est-à-dire les conditions politiques de l’épanouissement existentiel de chacun ? Eduquer, c’est rendre à l’homme son humanité, par le pouvoir libérateur et créateur de la culture. Ce pouvoir créateur, issu d’une éducation solide, engendre, dans les sociétés, la démocratie et non des systèmes totalitaires. La démocratie, c’est d’abord et surtout le pouvoir de citoyens libres, éduqués et inventifs. C’est pourquoi, en Afrique, il est temps de reconnaître que le pouvoir de l’enseignant est infiniment plus vaste, plus profond et plus efficace qu’on ne le reconnaît ordinairement. En Côte d’Ivoire, sans une approche non-économiste de l’éducation, les Ivoiriens auront du mal à être éclairés sur l’histoire de la guerre civile qu’ils viennent de vivre, et surtout, s’opposer à toute rechute dans la barbarie. La tolérance s’apprend. Elle exige donc une éducation au respect mutuel, laquelle exclut la violence, l’arbitraire, l’endoctrinement et la sanctification de la mort inutile. Par conséquent, éduquer, c’est avoir recours aux ressources de la raison réfléchie. Le remède au drame de l’école africaine, constamment menacée d’effondrement, est unique : que les dirigeants politiques opèrent, enfin, une conversion radicale de leur vision sur l’immense chantier de l’éducation. Responsable de l’existence collective de ses concitoyens, le vrai dirigeant politique peut et doit donc savoir où il veut aller. Comprendre pourquoi l’on existe, pourquoi l’on agit, pourquoi l’on combat, est la première joie de l’esprit pour le citoyen d’une vraie République. Admettons donc que, parce qu’elle fonde l’autonomie individuelle, l’éducation est source de joie et de liberté. Oui, elle rend les citoyens aptes au bonheur. ADO ne doit pas enlever aux enseignants ivoiriens, cette joie et cette liberté. Mais à condition que leurs revendications ne soient pas totalement démesurées…
« Le Pays »