Monsieur le président, vous connaissez bien l’expression que vos partisans ont concoctée en son temps contre le régime de votre prédécesseur. C’était plus corsée comme expression car on disait de façon catégorique ni i tèssé, i bè bô ; championnat ko lo ! En d’autres termes, il s’agit d’un championnat où si tu ne peux pas il faut abandonner. Une façon de dire à Laurent Gbagbo qui criait son exaspération dans les dures négociations d’après les évènements du 19 septembre, « je suis fatigué ». En parcourant votre interview, dans les colonnes du très bienveillant hebdomadaire international Jeune Afrique, je me suis senti désabusé de vous soupçonner entrevoir des manquements ou des insuffisances de résultats dans votre gestion. Presqu’un aveu d’incapacité et une nouvelle promesse comme en 2010. A l’époque vous nous disiez, « donnez-moi seulement cinq ans et vous verrez ». C’est vrai que votre bilan partiel que nous nous sommes évertués à établir n’est pas reluisant. Mais je pense que vous auriez dû vous résoudre à corriger les insuffisances et rattraper les manquements que de clamer aux yeux du monde en seulement deux ans d’exercice que vous pensez qu’il vous faut encore un second mandat. C’est vrai que l’appétit vient en mangeant. Mais l’appétit des reconductions de mandature est généralement commandé par les résultats. Or, à ce stade de votre mission, l’appréciation gentille qu’un professeur peut vous donner est de dire « peut mieux faire », en espérant que les trimestres ou semestres à venir permettent à l’élève de s’améliorer. Et vous nous annoncez que vous souhaitez doubler. Mon cousin Seidou qui aime bien plaisanter avec les sujets graves a aussitôt interjeté : « président, ni i tèssé, i ba fô ! » C’est vrai que monsieur le président, cette annonce de votre candidature met à mal tous vos supporters politiques, d’autant qu’elle ouvre la voie à la liberté de vous traiter avec moins d’égard par vos adversaires politiques qui vous voient comme un président en campagne plutôt que le garant des institutions républicaines. Un journal de votre chapelle a déjà annoncé que vous allez renoncer à payer les allocations versées par l’Etat aux partis politiques, histoire de les affaiblir pour mieux les dominer. D’autres vous proposent de sortir du schéma du RHDP et de préparer aisément votre réélection en solo. Ce à quoi le très lucide Cissé Bacongo, le ministre décrié par ses étudiants et candidat malheureux aux élections municipales à Koumassi répond que « si le RHDP est une mauvaise alliance, chacun des partis qui le composent est un mal nécessaire ». Monsieur le président, au lieu de chercher un second mandat, vous disposez encore de beaucoup d’atouts pour que ce soit un second mandat qui vienne vous chercher. Mais pour cela vous devriez vous débarrasser de votre manteau de président d’un clan et devenir le président de tous les Ivoiriens. Faites moins de rattrapage, écoutez un peu plus les Ivoiriens car ce sont eux votre clientèle. Sinon à ce stade de votre mandat, je peux dire avec une très fine marge d’erreur que vous êtes en train de vous tirer une bale dans les pieds devant cette annonce précipitée et la suffisance d’affirmer les choses que vous dites avoir réalisées. A Abidjan, il y a un chantier de route dotée d’un pont traversant la commune de Marcory et de Cocody. Donc juste un chantier avec plusieurs images. Mais vous dites, « tout Abidjan est en chantier et les Ivoiriens ont retrouvé du travail, la Côte d’Ivoire est en pleine croissance ». Et les grands commis financiers de la communauté internationale de défiler à Abidjan pour décréter que les Ivoiriens vivent dans l’abondance. Ils vous trompent. Ils ne prendront pas part aux votes et les naturalisations ne pourront jamais doubler la population ivoirienne par les ex-étrangers. A propos, je voudrais évoquer clairement les choses pour étayer la suspicion que vous faites peser sur vous dans l’allure de jouer les justiciers à la place de soit disant victimes. En 1992 lors de votre première grande émission télévisée de plus de trois heures de temps, un journaliste vous avait demandé à peu près ceci : « On nous a dit que vous étiez de nationalité burkinabé, puis américaine et aujourd’hui on vous dit Ivoirien. Qu’est-ce qui vous fait changer de nationalité au gré de vos intérêts » ? Vous aviez répondu que de toutes les façons, autrefois la Côte d’Ivoire s’étendait jusqu’à Ouyahigouya en plein territoire burkinabé et que votre objet du jour était de parler de la situation économique. Je n’insisterai pas sur ce sujet qui ne met pas tout le monde à l’aise. Seulement je suis plein d’interrogations quand je lis dans la presse que vous avez naturalisé par décret 8000 Burkinabé de Côte d’Ivoire. D’autres sources annoncent un chiffre plus élevé. Pour ma part, l’important n’est pas le nombre mais la manière. Nous sommes dans une république et nous nous revendiquons démocratiques et notre pays est loin d’être le Gondwana, ce pays imaginaire de notre cousin Mahamane, où le président fondateur décide de tout. Aussi, pour des dossiers aussi sensibles que le foncier et la naturalisation, je vous conseille vivement de faire intervenir les parlementaires, au mieux, de proposer ces sujets en référendum. Le traitement que nous faisons aujourd’hui du foncier est juste pour vous étayer la réalité et emmener votre excellence à saisir les murmures de la rue. C’est cela aussi notre mission et je vous en souhaite une bonne lecture.
Georges Amani
Georges Amani