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Politique Publié le samedi 1 juin 2013 | Le Patriote

Crimes postélectoraux: Les victimes d’Abobo se souviennent

© Le Patriote
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La communauté nationale et internationale évoque rarement la date du 17 mars 2011 dans la crise postélectorale qu’a connue la Côte d’Ivoire. Pourtant, à l’instar des 7 femmes tuées quelques jours plus tôt, plusieurs personnes ont perdu la vie ce jour de triste memoire et d’autres en portent encore des séquelles. Retour sur une date noire pour plusieurs habitants d’Abobo.

A l’évocation de la date du 17 mars 2017, Koné Siaka, sursaute de son fauteuil. Sa mine joviale fait place à une mine plus grave. Jeudi dernier, il est un peu plus de 15 heures quand notre équipe de reportage arrive au 4e étage d’un immeuble situé au quartier Mpomon, dans la commune d’Abobo. Nous sommes reçus par un large sourire du couple Koné. L’atmosphère est plutôt détendue et les premiers échanges conviviaux. Au fur et à mesure que la causerie avance, les nerfs lâchent, des larmes imbibent les yeux. M Koné retient son souffle et jette un regard vers de son épouse, à la recherche d’un souffle nouveau et des forces pour continuer son récit. « Les tirs avaient baissé ce jour-là. Malade, j’avais demandé à mon voisin de m’accompagner au grand marché où une pharmacie était ouverte pour m’acheter des médicaments. Après la pharmacie, nous sommes rentrés dans le marché pour acheter des plantes naturelles », se souvient-il. Tout s’était bien passé. En compagnie de plusieurs personnes, nos deux camarades prennent alors la résolution de regagner leur domicile.

Plusieurs corps gisant dans une marre de sang

«On faisait chemin quand nous avons attendu des coups, puis plus rien. Quand je suis revenu à moi quelques secondes après, c’est dans une mare de sang que je me suis retrouvé. Je ne comprenais pas pourquoi j’étais encore en vie jusqu’à ce que, à mes côtés, je vois mon voisin littéralement écrabouillé par un obus. Devant moi, l’horreur allait atteindre son comble quand j’allais découvrir un gamin décapité », poursuit-il. Les chars de Gbagbo venaient en effet de passer. Autour de Koné, c’était la désolation, plusieurs autres personnes étaient étalées, sans vie.

Notre interlocuteur se souvient que, ses esprits retrouvés, l’image du gamin sans tête allait le hanter toute la journée. «Même aujourd’hui, parfois je n’en dors pas », se lamente-il. « Nous étions plusieurs personnes à terre. Les voisins qui tentaient de nous secourir ne pouvaient pas parce que les tirs continuaient toujours ». Nous sommes à cette étape de nos échanges quand nous sommes rejoints par N’Guessan Brou, l’un des compagnons d’infortune de notre interlocuteur. Et celui-ci d’expliquer : « Il y a un monsieur qui a bravé les tirs pour venir à notre secours. Il a été imité par d’autres personnes. On attendait des pleurs. Je ne bougeais pas.

J’étais inconscient. C’est à l’hôpital que tout cela ma’ été rapporté», se remémore-t-il.
Au quartier SOS où nous rencontrons dame Koné Alice, une autre victime de cette date, quelques minutes plus tard, c’est le silence absolu. « Ici, rapporte t-elle, entre deux sanglots, on a décidé de ne plus évoquer cette date. Même si c’est un jour inoubliable, comme nous l’avons baptisé au quartier, nous évitons d’en parler », lâche-t-elle. Elle essaie de reprendre son souffle, cherchant au fond d’elle-même la force nécessaire pour poursuivre son récit. Finalement, elle se décide à nous raconter son calvaire. « Je m’apprêtais, après une dure journée, à aller me laver quand j’ai entendu un premier bruit assourdissant juste derrière notre cour. J’ai invité mes enfants à se mettre à l’abri », poursuit-elle. La famille Koné décide donc de se terrer dans la mosquée du quartier, juste à quelques mètres de leur domicile. Pour les habitants, c’était le lieu le plus sûr puisque l’édifice en dalle, les protégeait des dégâts causés par les obus. « Mes enfants m’ont donc devancé dans la mosquée. C’est en ce moment-là que juste devant ma cour, un autre obus est tombé. Elle se retient, ses yeux sont imbibés de larmes. A nouveau, un autre silence plane dans l’assistance. « J’ai senti une brûlure dans ma jambe droite, puis j’ai commencé à saigner à cet endroit. Je me suis trainée avec ma blessure jusqu’à la mosquée qui était notre seul abri », poursuit-elle. La douleur était tellement atroce que j’ai perdu connaissance.

Un calvaire sans fin ?

Finalement, nos quatre témoins se sont retrouvés pour les deux premiers au grand hôpital d’Abobo et pour la dernière à l’hôpital Houphouët-Boigny. « Les médecins, étaient débordés. Il y avait des blessés partout. Mon état nécessitait un transfert au CHU de Treichville. On a préparé une ambulance dans laquelle j’étais avec un autre blessé, qui lui, devait être transporté au CHU de Cocody. Au moment où on devrait démarrer, les tirs ont repris, l’ambulancier a abandonné la véhicule pour se mettre à l’abri », relate Koné Siaka. Et notre interlocuteur de poursuivre : « L’ambulancier n’est revenu qu’à la fin des tirs. Le monsieur qui était avec moi est décédé entre temps. Je tremblais de tout mon corps. L’ambulance m’a déposé à Cocody parce qu’il n’y avait pas de possibilité pour lui d’arriver à Treichville. Au CHU, sans moyens, c’était difficile. J’avais plusieurs éclats d’obus dans le corps. Jusqu’à ce jour, j’en ai encore dans le corps. Celui qui me fatiguait le plus a été enlevé il y a juste un mois. Mais pour retirer tous les éclats d’obus, il me faut des interventions chirurgicales évaluées à près de 6 millions». Selon Sylla Aboubakari, président d’une ONG en charge des victimes, qui nous servait de guide, se réjouit de l’état de santé du sieur Sylla. « Ce monsieur, il y a quelques mois étaient méconnaissables. Aujourd’hui il me plait de le revoir retrouver presque toutes ses facultés », atteste-t-il. Une aubaine que beaucoup de victimes de la crise dont N’Guessan Brou, n’ont pas encore eue. « J’ai encore des éclats d’obus dans le corps. Je suis à bout de souffle. Je n’ai plus les moyens de me prendre en charge », se lamente-t-il. A Abobo, beaucoup de victimes portent encore des balles ou des éclats d’abus dans le corps. Vivement qu’une aide leur soit apportée. Sinon le 17 mars 2011 continuera de troubler leur sommeil.

Thiery Latt
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