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Politique Publié le lundi 22 juillet 2013 | Le Patriote

Fatou Bensouda après une visite de 48 h à Abidjan : “J’ai des nouvelles preuves contre Laurent Gbagbo”

© Le Patriote Par DR
Conférence de presse de la procureure de la CPI à Abidjan
Vendredi 19 juillet 2013. Abidjan. La procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda et le ministre ivoirien de la jsutice, Coulibaly Gnénéma co-animent une conférence de presse.
Après un séjour de 48 heures à Abidjan pour une mission, selon elle, essentiellement technique dans le cadre de la recherche des preuves additionnelles demandées par deux juges sur trois de la chambre préliminaire I de la CPI avant la confirmation des charges contre Laurent Gbagbo, la procureure de la CPI, Fatou Bensouda était samedi dernier devant la presse pour faire le point de son voyage sur les bords de la lagune Ebrié. Après le bilan de sa visite, la magistrate gambienne a fait le tour d’horizon des questions qui entourent le dossier ivoirien en ce moment. Nouvelles preuves pour corser le document de son bureau, mandant d’arrêt contre l’ex-Première dame, Simone Gbagbo, ajournement de l’audience de confirmation des charges… ont été les sujets qui ont meublés la conférence de presse qu’elle a animée au Plateau. Nous vous proposons l’intégralité des échanges.

Doumbia Yacouba (L’Inter) : Que fera la cour si les autorités ivoiriennes refusent de remettre Simone Gbagbo à la CPI ?

Fatou Bensouda : Nous ne pensons pas que les autorités ivoiriennes refuseront de coopérer avec la Cour pénale internationale, que ce soit pour le transfèrement de Simone Gbagbo ou pour d’autres cas. Mais selon le Statut de Rome, les autorités ont plusieurs droits. Si les autorités ivoiriennes souhaitent juger Simone Gbagbo ici, elles en ont aussi le droit. Mais pour cela, elles doivent saisir la Cour pénale internationale. C’est une prérogative que le Statut de Rome leur confère. Et il sera laissé aux juges de décidé si le cas est recevable ou non. C’est ce qui est arrivé, par exemple, dans le cas de la Libye. Les autorités ont défié l’admissibilité devant les juges et ils ont décidé.

Fabrice Tété (Le Temps) : Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce qui est arrivé durant le procès de confirmation des charges, où il vous a été demandé de compléter les preuves contre Laurent Gbagbo ?

FB : Ce qui est arrivé en juin concernait la confirmation des charges contre M. Gbagbo. Selon les procédures de la CPI et le Statut de Rome, le Bureau du procureur doit apporter les preuves pour confirmer les charges. Et comme vous l’avez vu, deux juges sur les trois ont estimé que les preuves apportées par le procureur n’étaient pas suffisantes. Et ils ont demandé des preuves complémentaires. Et vous devez savoir que ces deux juges n’ont jamais dit que M. Gbagbo n’est pas responsables. Et cela doit être clair. Il faut également savoir que la confirmation des charges n’est pas le procès pour dire s’il est coupable ou pas. Il s’agit de dire simplement si l’affaire doit aller en procès ou pas. Dans ce cas, les juges ont trois options, selon le Statut de Rome : ils peuvent confirmer les charges, sans rien demander au procureur, ou les infirmer ou alors ils peuvent demander au procureur des preuves additionnelles. Et ce sont deux des trois juges qui ont demandé cela dans le cas de Laurent Gbagbo. Mais en tant que Bureau du procureur nous ne sommes pas d’accord avec ce que ces deux juges ont décidé. Et nous avons décidé de faire appel. L’autre chose que nous faisons, c’est de continuer à chercher des informations complémentaires. Vous devez vous rappeler que pendant que le Bureau du procureur fait ses enquêtes, nous pouvons continuons à chercher des informations. Même si nous n’avons pas besoin de ces informations maintenant, nous en auront besoin pendant le procès. Donc, c’est important de consolider ces preuves. C’est l’une des raisons de ma mission à Abidjan, pour faciliter le déploiement de mon équipe sur le terrain.

Ouattara Aboubacar (Frat-Mat.info) : Est-ce que votre équipe sur le terrain a pu trouver des preuves supplémentaires ?

FB : Je suis venue en Côte d’Ivoire pour consolider le travail de mon équipe. Parce que c’est cette équipe qui est chargée de récolter les informations. Et j’ai eu des assurances que toutes les requêtes auront des réponses. Et sachez que nous avons déjà certaines de ces informations. Nous n’avons pas besoin de donner toutes les informations au niveau de la confirmation des charges. Certaines des preuves que nous continuons de collecter vont servir au moment du procès.

Armand Bohui (Notre Voie) : Mme la procureure, comment va M. Gbagbo ? Vous avez dit que la CPI va émettre un mandat d’arrêt contre une autre personnalité ivoirienne. Peut-on savoir l’identité de la personnalité. Est-ce que vous voulez nous dire que c’est Soro Guillaume ?

FB : Concernant les nouvelles de Laurent Gbagbo, je pense qu’il va bien. Mais sachez que je ne suis pas responsable de la détention de Laurent Gbagbo. Je ne le vois pas tout le temps, mais je le vois pendant les audiences. C’est le greffe qui est responsable de sa détention. C’est le greffe qui a plus de précisions sur son état de santé et voit s’il peut recevoir ses avocats, sa famille... Mais je pense qu’il va bien. Pour ce qui est de la deuxième question, je voudrais juste souligner qu’il faut arrêter de spéculer sur l’identité de qui sera le prochain. Comme je l’ai toujours dit, mon bureau va regarder dans tous les camps et voir ceux qui sont vraiment responsables. Et cela ne change pas. Mais il fallait bien commencer quelque part. Et je voudrais être très claire. Ma mission n’est pas de poursuivre une personnalité, parce que la presse la cite. Nous ne fonctionnons pas comme cela. Nous faisons des enquêtes et nous vérifions si des crimes relevant de la compétence de la CPI ont été commis et qui en sont les responsables. Et quand nous identifions des responsables, nous apportons les preuves devant les juges. C’est en ce moment que nous demandons aux juges l’émission des mandats d’arrêt. Et les juges prennent le temps de regarder toutes les preuves pour s’assurer que monsieur X ou Y est responsable. Et ce sont eux, les juges qui prennent la décision d’émettre un mandat d’arrêt ou pas.

Nomel Essis (L’Expression) : Dans une récente interview, vous avez indiqué que les charges seront confirmées contre Laurent Gbagbo. Sur quels arguments vous fondez vous pour dire cela ?

FB : Je me rappelle de ce que j’avais dit. C’est que j’ai confiance en les preuves que j’ai et que ces preuves, devant les juges, pourront confirmer les charges qui sont retenues contre M. Gbagbo. C’est ce que j’avais dit. Je le répète. J’ai confiance en les preuves que nous avons. Et comme je l’ai dit ce sont les juges qui décident. Nous enverrons ces preuves devant eux. Mais, il faut savoir que les juges n’ont pas dit qu’ils ne sont pas satisfaits des preuves. Ils ont demandé des preuves complémentaires et nous allons le faire. Nous sommes prêts à faire appel, parce que nous pensons que ces preuves que nous avons sont valables.

Lacina Ouattara (Le Patriote) : Le fait que des juges vous aient demandé de compléter les preuves contre Laurent Gbagbo est considéré par une certaine opinion comme un échec pour vous. Quel commentaire en faites-vous ?

FB : Contrairement à ce qui peut être dit, je ne pense pas que ce soit un échec. Nous apportons nos preuves, la défense fait également son travail. C’est aux juges de trancher. Ils peuvent décider, comme on l’a déjà dit, confirmer les charges, ne pas les confirmer, ou alors dire nous prenons acte, mais il nous faut encore plus de preuves. C’est dans ce cas de figure que nous sommes. Nous pensons que ces juges sont objectifs. Ils font leur travail, mais mon Bureau n’est pas d’accord avec cette décision. C’est pour cela que nous avons décidé de faire appel.

Traoré Mamadou (AIP) : Dans cette requête vous avez été soutenue par une des juges qui a produit une déclaration dans laquelle elle considérait que les charges contre M. Gbagbo étaient suffisantes. Où en sommes-nous avec votre demande d’appel ? Quelle suite les juges ont donné à votre appel ?

FB : A ce niveau, concernant la chambre préliminaire, où on doit confirmer les charges, nous avons trois juges. Et toute décision qui est prise par ces juges doit être soutenue par l’ensemble des juges ou alors par la majorité, c’est-à-dire deux sur les trois. Dans la situation actuelle, ce ne sont pas tous les juges qui demandent des preuves supplémentaires. Sachez que l’un des juges sur les trois n’est pas du tout d’accord avec les deux autres. Ce dernier pense que nous avons apporté les preuves suffisantes et que nous n’avons plus besoins d’en apporter. Mais, elle est minoritaire et c’est la loi de la majorité. C’est pour cela que nous avons fait appel. Mais faire appel au niveau de le CPI n’est pas automatique. Je dois encore aller devant les mêmes juges pour obtenir leur autorisation pour cet appel. Et c’est ce que j’ai fait maintenant. Je suis allée devant ces juges pour leur demander l’autorisation de faire cet appel. Et c’est après cette autorisation que je pourrai faire appel. C’est-à-dire aller vers les cinq juges qui ne sont pas de cette chambre préliminaire. Cette chambre d’appel a cinq juges. Elle est différente de la chambre préliminaire qui a trois juges et pour la chambre du procès qui a également trois juges.

Stanislas Ndayishimiye (RFI) : Votre prédécesseur Luis Moreno Ocampo avait dit que la CPI allait poursuivre entre trois et six responsables de crimes en Côte d’Ivoire. Est-ce que vous confirmez ce chiffre ? Et les medias veulent savoir qui des responsables sera le prochain à être poursuivi. Auront-ils cette réponse avec vous ou avec votre successeur?

FB : C’était la position de mon prédécesseur concernant le nombre de personnes qui seront poursuivies. Mais je dois vous dire que ce sera un certain nombre de personnes qui seront poursuivies. La CPI n’a pas vocation à poursuivre tout le monde. La CPI ne poursuit pas les gens à la place des juridictions nationales, c’est un complément que nous apportons. Nous, nous assurons que les investigations que nous menons concernant la situation. Et ce sont les responsables de ces crimes que nous sommes en train de poursuivre. Dans les médias, on rapporte que le Bureau du procureur est en train de poursuivre telle ou telle personne. Mais nous n’avons poursuivi personne pour le moment, à part Monsieur et Mme Gbagbo. Et nous continuons notre travail. Nous poursuivons nos enquêtes pour identifier les autres personnes et le moment venu, nous pourrons donner les noms. Ceux qui attendent que je cite des noms seront déçus. Parce que je ne le ferai pas maintenant. Je ferai comme la loi me demande de faire. A savoir mener des enquêtes et identifier les responsables et pas l’inverse.

(BBC) : Vous avez dit que les enquêtes vont remonter jusqu’à 2002. Mais quelle partie sera concernée par ces enquêtes ? L’ex-rébellion ou les forces pro-gouvernementales d’alors?

FB : Nous avions limité nos investigations aux événements postélectoraux de 2010. Mais lorsque nous sommes allés devant les juges, ils nous ont indiqué que nous ne pouvons pas nous arrêter à 2010. Et que nous devrons aller jusqu’en 2002. Ce qui signifie que nous devons prendre en compte tous les crimes commis depuis 2002 jusqu’à la crise postélectorale de 2010. C’est ce que nous allons faire. Mais, dans la stratégie de mon bureau, nous sommes d’abord focalisés sur les crimes de la crise de postélectorale. Et nous voulons déjà achever cela pour être à un bon niveau d’avancement avant de nous retourner jusqu’à 2002. C’est un ordre des juges et mon Bureau va respecter ces consignes.

Fabrice Tété (Le Temps) : Le 11 juillet 2013, les juges de la CPI ont dit qu’ils étaient disposés à accorder une liberté conditionnelle à Laurent Gbagbo. Au cas où cette liberté provisoire était accordée, qu’elle sera votre réaction?

FB : Selon le Statut de Rome, M. Gbagbo a le droit, tous les trois mois de demander une liberté conditionnelle. C’est ce qu’il a fait et comme vous le savez, les juges ont rejeté sa demande. Ils ont considéré que si M. Gbagbo bénéficie d’une liberté conditionnelle, cela pourrait poser préjudice à l’affaire, au regard des éléments que nous avons fournis. Et ils ont décidé que Gbagbo reste détenu à La Haye. Je sais que ses avocats vont faire encore une autre demande, parce que c’est leur rôle. Et s’ils le font, nous allons analyser si ces conditions ne vont pas interférer sur les affaires et s’il faut nous opposer, nous allons le faire. Mais sachez que sa libération conditionnelle n’est pas du ressort de mon bureau. C’est une décision des juges. Nous, nous devons dire pourquoi nous ne voulons pas qu’il soit libéré de façon provisoire ou conditionnelle. Maintenant, vous voulez que je spécule sur ce que je ferai si le juge lui accorde une liberté. Mais le moment venu, je saurai quoi dire.

Téninbè Ousmane (Nord-Sud) : A partir de quel moment, la CPI juge un crime plus grave pour le relever de sa compétence ?

FB : Dans le préambule du Statut de Rome, vous verrez que la communauté internationale a décidé de créer la Cour pénale internationale pour juger les crimes très graves, qui sont les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les génocides. Ce sont les trois principaux crimes. Peut-être que dans le futur, il peut avoir un ajout. Au niveau de mon bureau, nous regardons ces crimes que ce soit l’un d’eux, où ils ont été commis et où se situe la gravité du crime. Cela ne concerne pas le nombre de morts, nous regardons l’étendue de la crise, la nature, l’impact dans le pays où dans la région. C’est cette analyse que le procureur mène avant de savoir si cette situation particulière mérite attention, lorsque nous choisissions les incidents. Dans celui de la Côte d’Ivoire, nous avons choisi quatre incidents majeurs. Et nous ne pouvons pas choisir tous les incidents, parce qu’il est impossible de le faire. Nous regardons ces incidents, nous voyons leur représentativité au niveau des victimes et des différents crimes. Et c’est comme cela que le Bureau travail. Nous ne pouvons pas tout faire. La CPI ne remplace pas les juridictions nationales, nous apportons un complément. Nous espérons que lorsque nous prenons ces responsabilités, la justice ivoirienne va prendre ses responsabilités pour gérer les autres cas.

Alexis Noumé (Journaliste indépendant) : Après votre rencontre avec les victimes, quelles ont été leurs préoccupations, leurs attentes ?

FB : Je n’ai pas rencontré directement les victimes. J’ai rencontré les représentants d’associations de victimes et de la société civile. Et je me suis excusée de n’avoir pas eu l’occasion de les rencontrer. Parce que je souhaitais les rencontrer. Puisque ces représentants sont tout le temps avec les victimes, j’ai pu avoir des informations sur elles. Elles s’inquiètent de la lenteur du processus, elles s’inquiètent du fait que certains font partie intégrante du processus. D’autres ont des inquiétudes concernant la protection des victimes et des témoins. Je leur ai donné mon opinion et leur ai légalement dit qu’il était très important pour la Cour et pour mon Bureau de protéger les victimes. J’ai demandé à d’autres ce qu’ils peuvent faire pour rectifier la situation. Ils ont aussi regretté un manque de communication du Bureau et ils ont fait des propositions. Et nous allons prendre en compte ces suggestions. C’est notre souhait de pouvoir être le plus possible près des victimes. Malheureusement, c’est un problème juridique et nous ne pouvons pas communiquer tout le temps. Nous allons essayer autant que possible de dire ce que nous pouvons dire.

Propos recueillis par Lacina Ouattara
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