Le Patriote : En temps que président du Collectif des victimes, que vous rappelle le charnier de 2000 ?
Diaby Issiaka : Les évènements de 2000 nous rappellent des situations douloureuses que nous, en temps que rescapé de certaines tueries, avons vécus. Nous avons été témoins de tuerie massive. Je persiste, ces tueries se sont passées dans les camps de gendarmerie, notamment le camp de gendarmerie d’Abobo et d’Agban. La majorité des personnes massacrées l’ont été par la gendarmerie qui a ciblé des individus comme étant ressortissants du Nord ou de confession musulmane. Pour nous déjà en 2000, c’était un début de génocide. Parce que tous ceux qui avaient été arrêtés et conduits dans les camps de gendarmerie étaient tous ressortissants du Nord. Nous nous sommes retrouvés avec des Yacouba ou des Abron qui avaient des noms à consonance nordique. Ceux qui après se présentaient comme Yacouba étaient relaxés, pas les Malinké. C’étaient des moments difficiles, le début d’un génocide contre les gens du Nord entretenu par Gbagbo et ses proches immédiats.
LP : Vous dites que vous êtes un rescapé du charnier, comment avez-vous échappé à la mort pendant ces évènements ?
DI : j’ai été pris à l’époque, moi et deux autres amis, à bord de mon véhicule par le commandant Bè Kpan. Moi j’ai eu la vie sauve parce que j’ai eu la chance de comprendre et de parler l’Agni. Les deux autres ont aussi échappé par miracle en sautant dans le grand trou, dans les environs du camp d’Agban. L’un a eu le tibia brisé. Il a rampé dans ce trou pour aller dormir sous le petit pont qui relie le carrefour qu’on appelle le carrefour II Plateaux. C’est après l’accalmie que nous avons informé la Croix rouge, qui est allée le chercher. Le troisième a eu le bras fracturé. Les autres personnes que nous avons retrouvées dans le camp d’Agban ont été retrouvées dans le charnier. La majorité a été exécutée par les éléments de Bè Kpan. On a désigné des survivants pour charger les corps qui devraient être conduits dans les morgues. Ces corps se sont finalement retrouvés à Yopougon. Après ce travail, tous, à l’exception d’un seul, ont été criblés de balles. Il a survécu parce qu’il a fait le mort. Me concernant, on m’a confié à deux jeunes gendarmes qui devraient me conduire vers le commandant Bè Kpan. En route, les deux se sont mis à parler l’Agni, je comprends bien. Je me suis présenté alors à eux en Agni. C’est ainsi qu’ils m’ont mis discrètement en lieu sûr. Aujourd’hui, les parents des victimes ont mal, parce que Laurent Gbagbo à évité que justice soit faite.
LP : Il y a tout de même eu un procès ?
DI : Il n’y a pas eu de procès. Comment peut-on faire un procès dans un camp de gendarmerie ? Les témoins et les victimes n’ont pu se constituer partie civile. Ça a été une parodie de justice. Nos bourreaux courent toujours. Le commandant Victor Bè Kpan, acquitté avec sept autres gendarmes ont été acquittés pour : « manques de preuves ». Nous les voyons. C’est pour quoi je mets en garde Affi N’Guessan pour ses propos. Il faut qu’il sache que personne ne peut contrôler la réaction d’une victime. Souvent, nous sommes obligés de calmer des victimes, qui jugent les propos d’Affi N’Guessan de dangereux.
Recueillis par TL
Plus jamais ça en Côte d’Ivoire !
Pour être de terrible et funeste évocation, le mot n’en est pas moins désormais encré dans le vocabulaire des Ivoiriens. Il s’agit, vous l’aurez deviné, du terme «charnier». Etymologiquement, ce mot signifie, selon le Larousse de poche, un dépôt d’ossements humains ou encore un entassement de cadavres. Un jour du 26 octobre 2000, la Côte d’Ivoire, pétrifiée, découvrait, au petit matin, le premier charnier de son histoire. Mais avant même de finir de s’émouvoir devant autant de morts qui n’avaient pas été enregistrés sur un champ de combats – donc injustifiable – d’autres crimes et exactions sont venus s’ajouter à l’horreur. Ouvrant ainsi l’ère des pires crimes que le pays n’ait jamais connus depuis son accession à l’indépendance. Dix années de crimes et d’impunité, qui vont sérieusement saper les bases de l’unité nationale, plomber le développement et hypothéquer l’avenir de millions d’Ivoiriens. Personne, en effet, ne s’est mépris sur ce qu’on pourrait qualifier de tragédie ivoirienne de la décennie dernière. Où des milliers d’anonymes ont payé de leur vie, sans forcement être partie prenante du jeu politique, les turpitudes de ceux qui avaient la gestion du pays. S’il est vrai que les grandes nations se forgent parfois dans le sang, et non les crimes, il faut espérer que les Ivoiriens tirent les leçons de ce passé. Une parenthèse, certes, douloureuse mais dont ils doivent toujours se souvenir pour éviter que cela ne se reproduise. Car, aucune nation ne peut se construire dans les crimes abominables, dans les violations des libertés individuelles et dans l’impunité. D’ailleurs, les nouvelles pages de l’histoire de ce pays qui s’écrivent depuis la fin de la crise postélectorale, sonne le glas des horreurs que nous avons vécus dans un passé récent. Le tissu social se restaure et avec lui l’unité nationale. On assiste à plus de considération accordée à la vie, et au respect des droits humains. La mort violente, exécutée à la suite d’enlèvements nocturnes ou diurnes dans les domiciles ou dans les rues d’Abidjan, n’ont plus court. Mieux, aucun militant n’est inquiété pour son militantisme dans un parti politique. La Côte d’Ivoire fait chaque jour un pas vers l’enracinement des principes démocratiques. Et comme chaque époque semble avoir son vocabulaire, on parle beaucoup plus aujourd’hui d’ « émergence», de «croissance économique» etc. Des charniers, des exactions et de l’impunité, il faut dire tout simplement d’une voix audible : plus jamais en Côte d’Ivoire !
Alexandre Lebel Ilboudo
Diaby Issiaka : Les évènements de 2000 nous rappellent des situations douloureuses que nous, en temps que rescapé de certaines tueries, avons vécus. Nous avons été témoins de tuerie massive. Je persiste, ces tueries se sont passées dans les camps de gendarmerie, notamment le camp de gendarmerie d’Abobo et d’Agban. La majorité des personnes massacrées l’ont été par la gendarmerie qui a ciblé des individus comme étant ressortissants du Nord ou de confession musulmane. Pour nous déjà en 2000, c’était un début de génocide. Parce que tous ceux qui avaient été arrêtés et conduits dans les camps de gendarmerie étaient tous ressortissants du Nord. Nous nous sommes retrouvés avec des Yacouba ou des Abron qui avaient des noms à consonance nordique. Ceux qui après se présentaient comme Yacouba étaient relaxés, pas les Malinké. C’étaient des moments difficiles, le début d’un génocide contre les gens du Nord entretenu par Gbagbo et ses proches immédiats.
LP : Vous dites que vous êtes un rescapé du charnier, comment avez-vous échappé à la mort pendant ces évènements ?
DI : j’ai été pris à l’époque, moi et deux autres amis, à bord de mon véhicule par le commandant Bè Kpan. Moi j’ai eu la vie sauve parce que j’ai eu la chance de comprendre et de parler l’Agni. Les deux autres ont aussi échappé par miracle en sautant dans le grand trou, dans les environs du camp d’Agban. L’un a eu le tibia brisé. Il a rampé dans ce trou pour aller dormir sous le petit pont qui relie le carrefour qu’on appelle le carrefour II Plateaux. C’est après l’accalmie que nous avons informé la Croix rouge, qui est allée le chercher. Le troisième a eu le bras fracturé. Les autres personnes que nous avons retrouvées dans le camp d’Agban ont été retrouvées dans le charnier. La majorité a été exécutée par les éléments de Bè Kpan. On a désigné des survivants pour charger les corps qui devraient être conduits dans les morgues. Ces corps se sont finalement retrouvés à Yopougon. Après ce travail, tous, à l’exception d’un seul, ont été criblés de balles. Il a survécu parce qu’il a fait le mort. Me concernant, on m’a confié à deux jeunes gendarmes qui devraient me conduire vers le commandant Bè Kpan. En route, les deux se sont mis à parler l’Agni, je comprends bien. Je me suis présenté alors à eux en Agni. C’est ainsi qu’ils m’ont mis discrètement en lieu sûr. Aujourd’hui, les parents des victimes ont mal, parce que Laurent Gbagbo à évité que justice soit faite.
LP : Il y a tout de même eu un procès ?
DI : Il n’y a pas eu de procès. Comment peut-on faire un procès dans un camp de gendarmerie ? Les témoins et les victimes n’ont pu se constituer partie civile. Ça a été une parodie de justice. Nos bourreaux courent toujours. Le commandant Victor Bè Kpan, acquitté avec sept autres gendarmes ont été acquittés pour : « manques de preuves ». Nous les voyons. C’est pour quoi je mets en garde Affi N’Guessan pour ses propos. Il faut qu’il sache que personne ne peut contrôler la réaction d’une victime. Souvent, nous sommes obligés de calmer des victimes, qui jugent les propos d’Affi N’Guessan de dangereux.
Recueillis par TL
Plus jamais ça en Côte d’Ivoire !
Pour être de terrible et funeste évocation, le mot n’en est pas moins désormais encré dans le vocabulaire des Ivoiriens. Il s’agit, vous l’aurez deviné, du terme «charnier». Etymologiquement, ce mot signifie, selon le Larousse de poche, un dépôt d’ossements humains ou encore un entassement de cadavres. Un jour du 26 octobre 2000, la Côte d’Ivoire, pétrifiée, découvrait, au petit matin, le premier charnier de son histoire. Mais avant même de finir de s’émouvoir devant autant de morts qui n’avaient pas été enregistrés sur un champ de combats – donc injustifiable – d’autres crimes et exactions sont venus s’ajouter à l’horreur. Ouvrant ainsi l’ère des pires crimes que le pays n’ait jamais connus depuis son accession à l’indépendance. Dix années de crimes et d’impunité, qui vont sérieusement saper les bases de l’unité nationale, plomber le développement et hypothéquer l’avenir de millions d’Ivoiriens. Personne, en effet, ne s’est mépris sur ce qu’on pourrait qualifier de tragédie ivoirienne de la décennie dernière. Où des milliers d’anonymes ont payé de leur vie, sans forcement être partie prenante du jeu politique, les turpitudes de ceux qui avaient la gestion du pays. S’il est vrai que les grandes nations se forgent parfois dans le sang, et non les crimes, il faut espérer que les Ivoiriens tirent les leçons de ce passé. Une parenthèse, certes, douloureuse mais dont ils doivent toujours se souvenir pour éviter que cela ne se reproduise. Car, aucune nation ne peut se construire dans les crimes abominables, dans les violations des libertés individuelles et dans l’impunité. D’ailleurs, les nouvelles pages de l’histoire de ce pays qui s’écrivent depuis la fin de la crise postélectorale, sonne le glas des horreurs que nous avons vécus dans un passé récent. Le tissu social se restaure et avec lui l’unité nationale. On assiste à plus de considération accordée à la vie, et au respect des droits humains. La mort violente, exécutée à la suite d’enlèvements nocturnes ou diurnes dans les domiciles ou dans les rues d’Abidjan, n’ont plus court. Mieux, aucun militant n’est inquiété pour son militantisme dans un parti politique. La Côte d’Ivoire fait chaque jour un pas vers l’enracinement des principes démocratiques. Et comme chaque époque semble avoir son vocabulaire, on parle beaucoup plus aujourd’hui d’ « émergence», de «croissance économique» etc. Des charniers, des exactions et de l’impunité, il faut dire tout simplement d’une voix audible : plus jamais en Côte d’Ivoire !
Alexandre Lebel Ilboudo