Affaire « Le Procureur de la CPI contre Laurent Gbagbo » : épisode 14. L’affaire Gbagbo fait encore la « Une » de l’actualité judiciaire. Cette fois, une partie de l’opinion croit qu’elle pourrait tourner en faveur du clan de l’ex-chef de l’Etat. « Il ya quelques mois encore, cela paraissait impensable. Pourtant, ils sont de plus en plus nombreux à espérer que l’ancien président sera bientôt autorisé à quitter la Haye. Fut-ce provisoirement…», écrit le très sérieux hebdomadaire Jeune Afrique, qui s’interroge, non sans laisser transparaître des signes qui trahissent son point de vue : « et si Gbagbo était libéré » ? Ce mardi donc, l’ancien Chef de l’Etat et ses avocats ont rendez-vous avec la Chambre préliminaire III qui rendra son verdict, suite à l’audience publique au sujet de la mise en liberté ou du maintien du prévenu, tenue le 9 octobre dernier. A quatre reprises déjà, la question a été examinée et par quatre fois, Gbagbo et ses avocats ont été déboutés.
On le voit donc, le débat à l’ordre du jour porte moins sur le fond des charges contre Laurent Gbagbo que sur la forme de sa détention. Sa défense ayant compris qu’elle gagnerait plus à verser dans le dilatoire, pour retarder le plus longtemps possible les débats dans le fond de l’affaire. Toujours est-il que le détenu du centre pénitentiaire de la CPI et ses avocats jouent ce mardi un épisode important dans ce long feuilleton d’une procédure débutée en novembre 2011, avec la délivrance du mandat d’arrêt contre l’homme qui disait « mille morts à gauche, mille morts à droite, moi j’avance ».
Faut-il, en fait, libérer l’ancien chef de la Refondation, même à titre provisoire ? Telles sont les questions que se posent beaucoup d’observateurs. De l’avis de la majorité des analystes politiques, des organisations de défense des Droits de l’Homme, une éventuelle mise en liberté provisoire de Laurent Gbagbo pourrait créer plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait, en vérité. Il faut d’ailleurs douter de cette probabilité. Ce, pour plusieurs raisons.
Une jurisprudence qui parle contre Gbagbo
D’abord, Laurent Gbagbo, pour beaucoup est un génocidaire. La gravité des faits qui lui sont imputés ne milite pas en faveur d’une telle option. Dans le mandat d’arrêt, la justice internationale soutient, entre autre, que « Laurent Gbagbo aurait engagé sa responsabilité pénale individuelle, en tant que coauteur indirect, pour quatre chefs de crimes contre l’humanité : de meurtres, de viols et d’autres violences sexuelles, d’actes de persécution et d’autres actes inhumains, qui auraient été perpétrés dans le contexte des violences postélectorales survenues sur le territoire de la Côte d’Ivoire entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011 ». Ce sont des faits suffisamment graves. Laurent Gbagbo, comme d’autres célèbres prisonniers qui l’ont précédé dans les mailles de la justice internationale, aura du mal à s’y défaire. Quelqu’un qui est accusé de crimes contre l’humanité entre autre, n’est pas un prisonnier ordinaire. Le crime contre l’Humanité appartient aujourd’hui aux concepts fondamentaux du droit. Tout comme les Congolais (Thomas Lubanga Dyilo, Germain Katanga, Bosco Ntaganda, Mathieu Ngudjolo Chui, Jean-Pierre Bemba Gombo), les Soudanais (Bahar Idriss Abu Garda, Abdallah Banda Abakaer Nourain), les Kenyans (William Samoei Ruto, Joshua Arap Sang, Uhuru Muigai Kenyatta), dont les affaires sont en cours à la CPI, Laurent Gbagbo va répondre des crimes qui lui sont reprochés. Quel que soit le temps mis avant la confirmation des charges. Thomas Lubanga a été transféré à la CPI le 16 mars 2006. Ce n’est que le 10 juillet 2012 qu’il a été condamné à une peine totale de 14 ans d’emprisonnement de laquelle sera déduit le temps qu’il a passé en détention de la CPI. Soit six années de procédure. Jean Pierre Bemba lui, présumé impliqué dans les violences en Centrafrique, a été arrêté par la Belgique en mai 2008. Depuis, son procès est en cours et est loin de connaître son épilogue. Aucun de ses prévenus n’a bénéficié de mesure de liberté provisoire. Ce ne sont pas les demandes dans ce sens qui ont manqué d’ailleurs.
Un prisonnier soupçonné d’être auteur de crimes graves, ne peut pas se retrouver, du jour au lendemain, en liberté provisoire, à la merci de ses victimes. Pour sa propre sécurité, Gbagbo est semble-t-il mieux à Scheveningen.
Les menaces de l’UA
L’Union Africaine croyait si bien faire en se braquant contre la CPI. En tout cas, sa position contre l’institution judicaire et ses menaces de boycott ne sont pas faites pour rassurer Laurent Gbagbo. Il aurait pu être accueilli dans l’un de ces pays pour lesquels il continue d’être un héro de la lutte noire pour l’émancipation des peuples. L’Angola ? L’Afrique du Sud ? L’Ouganda ? La Guinée Equatoriale ou d’autres Etats dont le soutien en 2010 avait conduit Gbagbo à commettre les actes les plus répréhensibles qui soient ? A supposé même qu’on veuille le mettre en liberté provisoire, où ira-t-il ? Ce n’est certainement pas en Côte d’Ivoire où la justice a déjà beaucoup à faire avec les épineux dossiers qu’elle n’a pas encore fini d’instruire. Aucun des pays démocratiques du continent ne pourra s’accommoder d’un tel prisonnier soupçonné d’avoir les mains dégoulinantes de sang. Il reste donc à la CPI de choisir l’un de ces pays qui ouvrent les bras pour accueillir Laurent Gbagbo. Mais le danger énorme, reste sans aucun doute, la probabilité que Gbagbo s’évapore dans la nature où qu’il trouve des parrains qui le protègent et refusent, ultérieurement, qu’il réponde à la convocation de la CPI.
Un vrai péril pour la paix
Mais, le réel danger qu’une mise en liberté provisoire de Laurent Gbagbo pourrait créer, c’est l’instabilité en Côte d’Ivoire. Notre pays se remet peu à peu du traumatisme de la crise postélectorale qui a causé plus de trois mille morts et déstructuré ses fondamentaux. Si les Ivoiriens, dans leur grande majorité, ont saisi les messages de paix et de réconciliation lancés par le Président de la République, il n’en demeure pas moins vrai que certains irréductibles de l’ancien régime, continuent de ramer à contre-courant du processus de paix. Les récents événements d’Agboville où les individus, armés de kalachnikov et de grenades ont attaqué une position des Forces républicaines de Côte d’Ivoire, en sont un exemple patent. D’autres militaires, par centaines, demeurent toujours dans les pays voisins ou sur le territoire national, en train de concocter des plans de déstabilisation. Des cadres du FPI adossés à d’épais matelas financiers, après avoir pillé, pendant dix ans, les deniers publics, leur donnent de minces espoirs de pouvoir ébranler le pays et réinstaller le Pouvoir déchu dans les urnes, par la force des armes. Tous ces mouvements se font pour Laurent Gbagbo. Le remettre en liberté et lui permettre d’entrer en contact avec ses complices, pourraient porter un coup très grave à la réconciliation en Côte d’Ivoire. Laurent Gbagbo lui-même, selon les enquêtes des Nations Unies, bénéficie d’un réseau de financement très important. La presse suisse lui a attribué au lendemain de sa chute, une fortune qui s’élevait à plus de trois mille milliards de francs Cfa. Avec une telle manne, il peut se permettre tous les rêves.
La Cour Pénale Internationale devrait pouvoir trancher dans la justesse. Choisir entre les intérêts d’un clan et l’avenir d’une Nation qui en a assez des convulsions politiques.
Charles Sanga
On le voit donc, le débat à l’ordre du jour porte moins sur le fond des charges contre Laurent Gbagbo que sur la forme de sa détention. Sa défense ayant compris qu’elle gagnerait plus à verser dans le dilatoire, pour retarder le plus longtemps possible les débats dans le fond de l’affaire. Toujours est-il que le détenu du centre pénitentiaire de la CPI et ses avocats jouent ce mardi un épisode important dans ce long feuilleton d’une procédure débutée en novembre 2011, avec la délivrance du mandat d’arrêt contre l’homme qui disait « mille morts à gauche, mille morts à droite, moi j’avance ».
Faut-il, en fait, libérer l’ancien chef de la Refondation, même à titre provisoire ? Telles sont les questions que se posent beaucoup d’observateurs. De l’avis de la majorité des analystes politiques, des organisations de défense des Droits de l’Homme, une éventuelle mise en liberté provisoire de Laurent Gbagbo pourrait créer plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait, en vérité. Il faut d’ailleurs douter de cette probabilité. Ce, pour plusieurs raisons.
Une jurisprudence qui parle contre Gbagbo
D’abord, Laurent Gbagbo, pour beaucoup est un génocidaire. La gravité des faits qui lui sont imputés ne milite pas en faveur d’une telle option. Dans le mandat d’arrêt, la justice internationale soutient, entre autre, que « Laurent Gbagbo aurait engagé sa responsabilité pénale individuelle, en tant que coauteur indirect, pour quatre chefs de crimes contre l’humanité : de meurtres, de viols et d’autres violences sexuelles, d’actes de persécution et d’autres actes inhumains, qui auraient été perpétrés dans le contexte des violences postélectorales survenues sur le territoire de la Côte d’Ivoire entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011 ». Ce sont des faits suffisamment graves. Laurent Gbagbo, comme d’autres célèbres prisonniers qui l’ont précédé dans les mailles de la justice internationale, aura du mal à s’y défaire. Quelqu’un qui est accusé de crimes contre l’humanité entre autre, n’est pas un prisonnier ordinaire. Le crime contre l’Humanité appartient aujourd’hui aux concepts fondamentaux du droit. Tout comme les Congolais (Thomas Lubanga Dyilo, Germain Katanga, Bosco Ntaganda, Mathieu Ngudjolo Chui, Jean-Pierre Bemba Gombo), les Soudanais (Bahar Idriss Abu Garda, Abdallah Banda Abakaer Nourain), les Kenyans (William Samoei Ruto, Joshua Arap Sang, Uhuru Muigai Kenyatta), dont les affaires sont en cours à la CPI, Laurent Gbagbo va répondre des crimes qui lui sont reprochés. Quel que soit le temps mis avant la confirmation des charges. Thomas Lubanga a été transféré à la CPI le 16 mars 2006. Ce n’est que le 10 juillet 2012 qu’il a été condamné à une peine totale de 14 ans d’emprisonnement de laquelle sera déduit le temps qu’il a passé en détention de la CPI. Soit six années de procédure. Jean Pierre Bemba lui, présumé impliqué dans les violences en Centrafrique, a été arrêté par la Belgique en mai 2008. Depuis, son procès est en cours et est loin de connaître son épilogue. Aucun de ses prévenus n’a bénéficié de mesure de liberté provisoire. Ce ne sont pas les demandes dans ce sens qui ont manqué d’ailleurs.
Un prisonnier soupçonné d’être auteur de crimes graves, ne peut pas se retrouver, du jour au lendemain, en liberté provisoire, à la merci de ses victimes. Pour sa propre sécurité, Gbagbo est semble-t-il mieux à Scheveningen.
Les menaces de l’UA
L’Union Africaine croyait si bien faire en se braquant contre la CPI. En tout cas, sa position contre l’institution judicaire et ses menaces de boycott ne sont pas faites pour rassurer Laurent Gbagbo. Il aurait pu être accueilli dans l’un de ces pays pour lesquels il continue d’être un héro de la lutte noire pour l’émancipation des peuples. L’Angola ? L’Afrique du Sud ? L’Ouganda ? La Guinée Equatoriale ou d’autres Etats dont le soutien en 2010 avait conduit Gbagbo à commettre les actes les plus répréhensibles qui soient ? A supposé même qu’on veuille le mettre en liberté provisoire, où ira-t-il ? Ce n’est certainement pas en Côte d’Ivoire où la justice a déjà beaucoup à faire avec les épineux dossiers qu’elle n’a pas encore fini d’instruire. Aucun des pays démocratiques du continent ne pourra s’accommoder d’un tel prisonnier soupçonné d’avoir les mains dégoulinantes de sang. Il reste donc à la CPI de choisir l’un de ces pays qui ouvrent les bras pour accueillir Laurent Gbagbo. Mais le danger énorme, reste sans aucun doute, la probabilité que Gbagbo s’évapore dans la nature où qu’il trouve des parrains qui le protègent et refusent, ultérieurement, qu’il réponde à la convocation de la CPI.
Un vrai péril pour la paix
Mais, le réel danger qu’une mise en liberté provisoire de Laurent Gbagbo pourrait créer, c’est l’instabilité en Côte d’Ivoire. Notre pays se remet peu à peu du traumatisme de la crise postélectorale qui a causé plus de trois mille morts et déstructuré ses fondamentaux. Si les Ivoiriens, dans leur grande majorité, ont saisi les messages de paix et de réconciliation lancés par le Président de la République, il n’en demeure pas moins vrai que certains irréductibles de l’ancien régime, continuent de ramer à contre-courant du processus de paix. Les récents événements d’Agboville où les individus, armés de kalachnikov et de grenades ont attaqué une position des Forces républicaines de Côte d’Ivoire, en sont un exemple patent. D’autres militaires, par centaines, demeurent toujours dans les pays voisins ou sur le territoire national, en train de concocter des plans de déstabilisation. Des cadres du FPI adossés à d’épais matelas financiers, après avoir pillé, pendant dix ans, les deniers publics, leur donnent de minces espoirs de pouvoir ébranler le pays et réinstaller le Pouvoir déchu dans les urnes, par la force des armes. Tous ces mouvements se font pour Laurent Gbagbo. Le remettre en liberté et lui permettre d’entrer en contact avec ses complices, pourraient porter un coup très grave à la réconciliation en Côte d’Ivoire. Laurent Gbagbo lui-même, selon les enquêtes des Nations Unies, bénéficie d’un réseau de financement très important. La presse suisse lui a attribué au lendemain de sa chute, une fortune qui s’élevait à plus de trois mille milliards de francs Cfa. Avec une telle manne, il peut se permettre tous les rêves.
La Cour Pénale Internationale devrait pouvoir trancher dans la justesse. Choisir entre les intérêts d’un clan et l’avenir d’une Nation qui en a assez des convulsions politiques.
Charles Sanga