En marge du séminaire organisé par la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples à l’intention des médias des pays membres de l’Union africaine en Tanzanie, la présidente de cette instance, Sophia Akuffo a éclairé sur les missions de la juridiction.
Quelles sont les attentes de la Cour par rapport au séminaire à l’intention des médias du continent qui vient de se tenir ?
Le premier objectif était pour la Cour d’inspirer les hommes et les femmes des médias en leur fournissant des connaissances nécessaires, en leur expliquant les mécanismes qui existent. Le deuxième objectif visait à fournir aux journalistes une meilleure compréhension des mécanismes internationaux en matière de défense des droits de l’Homme, surtout les mécanismes qui touchent à la Cour. La pertinence de la Cour par rapport à l’homme de la rue était également un aspect que la Cour voulait relever. Parce qu’en fin de compte, c’est l’homme de la rue qui est le vrai représentant de la personne africaine. Il s’agit donc pour cet homme de la rue d’être au courant des circonstances dans lesquelles il peut saisir la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples. Parce qu’il peut dire que la Cour est distante de lui et le concerne pas. Il s’agit aussi de voir si son pays lui permet d’accéder à la Cour.
Comment peut-on saisir la Cour?
Il n’existe pas de frais de procédures. Vous n’êtes pas obligés, par exemple, de prendre un avion pour vous rendre à la Cour, ici, à Arusha. Parce que la Cour reçoit des requêtes qui lui sont envoyées par plusieurs voies de communication. Toute décision rendue par la Cour a nécessairement un impact sur toutes les populations africaines. La Cour voudrait également que les populations puissent pousser leurs pays respectifs à ratifier le protocole portant création de cette juridiction pour ceux qui ne l’ont pas encore fait. Nous avons également souligné les limites ou les défis que la Cour est appelée à relever. Notamment le nombre de pays qui ont ratifié le protocole portant création de la Cour et aussi le nombre de pays qui ont signé la déclaration (autorisant les individus ou Ong à saisir directement la Cour, Ndlr). Parmi ces pays qui ont paraphé le protocole, on en dénombre que sept seulement à savoir le Mali, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Malawi, la Tanzanie, le Rwanda et le Ghana. Aucun pays n’a signé la déclaration prévue par ce protocole.
Quelle est la différence entre cette juridiction et la Cour pénale internationale (Cpi) ?
Il n’existe pas de relation statutaire, de relation légale entre la Cour et la Cpi. Ces deux institutions sont régies par des traités complètement différents. Contrairement à la Cpi, nous jugeons les Etats mais pas les individus. Toutes les Cours n’ont pas la compétence pénale. C’est donc l’aspect droit de l’Homme qui est relevé par notre Cour et non l’aspect de la responsabilité criminelle. Mais la violation systémique, c'est-à-dire la violation, du fait d’un système, des droits de l’Homme doit être résolue par les Etats. Pour le moment, la Cour n’a compétence qu’en matière des droits de l’Homme et en cas de violation des droits physiques de l’Homme tel le droit à la vie , elle peut relever l’aspect criminel dans l’examen de la requête. Mais elle ne va s’attarder que sur l’aspect violation des droits de l’Homme tel que prévu par la charte. Et s’il y a une implication criminelle, la Cour peut indiquer au pays concerné de prendre des mesures nécessaires pour y remédier.
Quel est le sentiment de la Cour par rapport au travail déjà abattu ?
Je ne vais pas entrer dans les détails. Ce que nous visons ici, c’est simplement faire un résumé et vous pouvez avoir des informations détaillées sur le site internet de la Cour. En ce qui concerne la compétence de la Cour, nous avons rendu certains arrêts qui ont permis de la clarifier. Par exemple la première affaire sur laquelle la Cour a rendu une décision lui a permis d’interpréter sa compétence. Ce premier jugement donc avait été de rejeter une affaire parce que la Cour s’est déclarée incompétente. La Cour a également, se faisant, pu clarifier le fait qu’elle peut être saisie que pour des affaires des Etats parties au protocole. C’est vrai que cette décision n’a pas été unanime, mais elle a été prise par la majorité. Elle a permis de clarifier que pour être devant la Cour, il faut que le pays concerné soit Etat partie au protocole. La Cour, par d’autres décisions, a relevé certains critères à remplir pour que les requêtes soient recevables auprès d’elle.
Lesquels ?
Il s’agit surtout du critère d’épuisement de voies de recours internes. Pour qu’une requête soit déclarée recevable au niveau de la Cour, il faut qu’on ait franchi toutes les étapes des procédures judiciaires dans le pays où l’affaire a été signalée. Ici l’accent a été mis sur le devoir des individus de défendre leurs intérêts en matière de droits de l’Homme. Et ces individus qui font partie des populations doivent s’assurer que leurs Etats ont ratifié le protocole et signé la déclaration requise. La charte prévoit que seuls des Etats peuvent être visés par des requêtes. Et lorsque l’Etat est accusé de violations des droits de l’Homme, la Cour peut intervenir pour essayer de rendre justice ou protéger ces droits. Cela ne signifie pas que c’est une Cour d’appel. Dans un arrêt rendu par la Cour, elle a conclu que les dispositions constitutionnelles d’un pays africain n’étaient pas conformes à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples. Elle a donc ordonné à ce pays de prendre des mesures nécessaires pour remédier à cette situation. Et ces mesures sont en train d’être prises. Dans une autre affaire, la Cour s’est rendue compte que si elle laissait passer du temps, d’autres circonstances pouvaient survenir qui rendraient l’affaire inutile. Pour cela, elle a dû prendre une ordonnance demandant au pays concerné de prendre des mesures pour éviter qu’on se retrouve dans des situations que cette juridiction aimerait éviter. Cet Etat a donc pris les mesures ordonnées par la Cour.
Voudriez-vous qu’on modifie le protocole pour rendre le travail de la Cour plus efficace ?
En ce qui concerne les aspects du protocole à revoir, le principal article est l’article 34(6) qui ne devrait pas figurer dans le protocole. C’est plutôt l’inverse qui devrait être inclus. A savoir demander aux Etats qui n’aimeraient pas que les Ongs et individus aient la possibilité de saisir la Cour de faire la déclaration requise dans ce sens. Cet article, à mon avis, n’est pas bon parce que les populations que la Cour défend sont des individus. Le problème d’exécution des décisions de justice se pose parce que l’entité qui est généralement accusée de violation des droits de l’Homme est celle-là même qui est appelée à exécuter les décidions rendues par la Cour. A l’évidence, toutes les Cours ont donc les mêmes problèmes. Le seul mécanisme que la Cour peut utiliser dans cette situation est de faire un rapport au Conseil exécutif. C’est à ce niveau que vous les médias pouvez intervenir. Parce que lorsque le rapport est fait à cet organe, une annonce est publiée pour dire que tel ou tel pays n’a pas exécuté la décision rendue par la Cour. Ce rapport sera inséré désormais dans la base de données commune que tout le monde pourra consulter. Mais je reste convaincue qu’au fil du temps, la crédibilité de la Cour va s’accroître. Plusieurs pays en vue d’éviter d’être cités sur le site internet ou par leurs pairs pour n’avoir pas respecté les décisions de la Cour vont s’exécuter.
Donnez-nous les cas de succès et les défis auxquels la Cour est confrontée ?
Je peux parler du taux relativement bas de ratification et les déclarations qui ne sont pas faites par les Etats qui ont déjà ratifié le protocole. L’autre défi est le manque de sensibilisation sur notre institution. L’objectif du travail de cette Cour est de servir les populations. C’est d’ailleurs elles qui justifient son existence. Ces populations doivent savoir qu’il existe une autre voie de recours lorsque le système national ne permet pas de satisfaire certains besoins. Et les décisions de la Cour ont effet sociologique au niveau des nations. Les populations savent que si elles ne sont pas satisfaites, au niveau des juridictions nationales, il existe une autre voie de recours, à savoir la Cour où elles peuvent se diriger pour obtenir satisfaction. Donc cela va permettre au fil du temps d’établir une confiance vis-à-vis de la Cour. Les Cours en général ne parlent pas de succès. Cependant, je me réjouis de l’organisation de cette réunion en faveur des médias qui constitue un succès dans la mesure où elle va nous permettre de surmonter les défis que je viens de mentionner. Avant cette rencontre avec les médias, nous avons achevé un séminaire avec les responsables des ordres judiciaires nationaux. C’était l’occasion d’établir un dialogue qui, j’espère, va se poursuivre afin que les Cours puissent communiquer les unes avec les autres à tous les niveaux. Il est donc important pour ces ordres judiciaires d’éviter de prendre des décisions contradictoires qui seraient au détriment des populations pour lesquelles la Cour se bat pour défendre les intérêts.
Peu d’actions, manque de visibilité... On pourrait se poser des questions sur l’utilité et la pertinence de la Cour. Finalement n’est-ce pas une juridiction de plus qui a été créée pour pouvoir caser des magistrats africains ?
Ce n’est pas du tout le cas. Je dois indiquer que la plupart des juges, en dehors de la présidente de la Cour, travaillent à temps partiel. Je veux citer mon exemple. L’année dernière, avant de venir à la présidence de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples, je travaillais à la Cour suprême du Ghana. Je suis encore membre de cette Cour. Les juges font vraiment ce que je peux appeler un sacerdoce. Lorsqu’ils viennent pour des sessions de la Cour, ils emportent avec eux des jugements à moitié rédigés. Et lorsqu’ils rentrent dans leurs pays, la Cour leur envoie du travail. Je pense que la situation actuelle est en train de créer un climat de confiance. Malgré les motivations de chaque juge, de chaque personne qui est nommée à la Cour, il y a des principes qui prévalent. Celui de la dignité, de la qualité du travail et de l’engagement à faire ce travail. Et lorsque la Cour a été saisie d’une affaire, il s’agissait pour elle de s’affirmer. Depuis ce jour, elle a fait de son mieux et fera de même lorsqu’elle sera saisie d’un plus grand nombre d’affaires. Comme toute Cour, c’est une Cour de justice et son travail est de fournir une justice de qualité. Par ailleurs, la justice ne peut être fournie dans ce domaine que lorsque les décisions qui seront prises touchent directement les populations qui se sentent intimement touchées par celles-ci. Je suis sûre que dans vos pays, vous ne pensez pas toujours aux questions des droits de l’Homme. J’espère que les droits de l’Homme sont protégés dans votre pays. Mais si ce n’est pas le cas, c’est l’occasion de poser des questions légitimes. Par exemple demander aux dirigeants pourquoi ils ont peur de permettre aux individus d’accéder directement à la Cour ? Cela permettrait d’éliminer, avec la contribution des médias, par exemple, l’article 34(6), ou pousser les Etats qui ne l’ont pas encore fait à ratifier le protocole et à signer la déclaration requise.
La Côte d’Ivoire sort de crise et les procédures judiciaires pour permettre aux victimes d’être rétablies dans leurs droits traînent encore. Dans ce cas là, que peut faire la Cour pour donner un coup d’accélérateur au processus ?
La Cour ne peut pas se saisir elle-même. Cela s’avère souvent frustrant. Parce que vous voyez quelque chose de mauvais en train de se dérouler mais vous ne pouvez pas aller traîner la personne concernée devant votre Cour. Nous ne pouvons pas, en tant que juge, emmener les gens devant notre Cour. Si nous décidons d’intenter une action, elle ne pourra se faire qu’au civil.
Vous avez parlé d’épuisement de voies de recours internes. Dans le cas ivoirien, que faire si les procédures sont trop longues ?
Il faut épuiser les voies de recours internes lorsqu’elles existent. Si malgré cela la procédure est prolongée de façon anormale, vous pouvez saisir la Cour de manière exceptionnelle. Il y a une coalition qui forme sur les procédures de saisine de la Cour africaine de justice et des droits de l’Homme.
Réalisée par Danielle Tagro, envoyée spéciale à Arusha (Tanzanie)
Quelles sont les attentes de la Cour par rapport au séminaire à l’intention des médias du continent qui vient de se tenir ?
Le premier objectif était pour la Cour d’inspirer les hommes et les femmes des médias en leur fournissant des connaissances nécessaires, en leur expliquant les mécanismes qui existent. Le deuxième objectif visait à fournir aux journalistes une meilleure compréhension des mécanismes internationaux en matière de défense des droits de l’Homme, surtout les mécanismes qui touchent à la Cour. La pertinence de la Cour par rapport à l’homme de la rue était également un aspect que la Cour voulait relever. Parce qu’en fin de compte, c’est l’homme de la rue qui est le vrai représentant de la personne africaine. Il s’agit donc pour cet homme de la rue d’être au courant des circonstances dans lesquelles il peut saisir la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples. Parce qu’il peut dire que la Cour est distante de lui et le concerne pas. Il s’agit aussi de voir si son pays lui permet d’accéder à la Cour.
Comment peut-on saisir la Cour?
Il n’existe pas de frais de procédures. Vous n’êtes pas obligés, par exemple, de prendre un avion pour vous rendre à la Cour, ici, à Arusha. Parce que la Cour reçoit des requêtes qui lui sont envoyées par plusieurs voies de communication. Toute décision rendue par la Cour a nécessairement un impact sur toutes les populations africaines. La Cour voudrait également que les populations puissent pousser leurs pays respectifs à ratifier le protocole portant création de cette juridiction pour ceux qui ne l’ont pas encore fait. Nous avons également souligné les limites ou les défis que la Cour est appelée à relever. Notamment le nombre de pays qui ont ratifié le protocole portant création de la Cour et aussi le nombre de pays qui ont signé la déclaration (autorisant les individus ou Ong à saisir directement la Cour, Ndlr). Parmi ces pays qui ont paraphé le protocole, on en dénombre que sept seulement à savoir le Mali, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Malawi, la Tanzanie, le Rwanda et le Ghana. Aucun pays n’a signé la déclaration prévue par ce protocole.
Quelle est la différence entre cette juridiction et la Cour pénale internationale (Cpi) ?
Il n’existe pas de relation statutaire, de relation légale entre la Cour et la Cpi. Ces deux institutions sont régies par des traités complètement différents. Contrairement à la Cpi, nous jugeons les Etats mais pas les individus. Toutes les Cours n’ont pas la compétence pénale. C’est donc l’aspect droit de l’Homme qui est relevé par notre Cour et non l’aspect de la responsabilité criminelle. Mais la violation systémique, c'est-à-dire la violation, du fait d’un système, des droits de l’Homme doit être résolue par les Etats. Pour le moment, la Cour n’a compétence qu’en matière des droits de l’Homme et en cas de violation des droits physiques de l’Homme tel le droit à la vie , elle peut relever l’aspect criminel dans l’examen de la requête. Mais elle ne va s’attarder que sur l’aspect violation des droits de l’Homme tel que prévu par la charte. Et s’il y a une implication criminelle, la Cour peut indiquer au pays concerné de prendre des mesures nécessaires pour y remédier.
Quel est le sentiment de la Cour par rapport au travail déjà abattu ?
Je ne vais pas entrer dans les détails. Ce que nous visons ici, c’est simplement faire un résumé et vous pouvez avoir des informations détaillées sur le site internet de la Cour. En ce qui concerne la compétence de la Cour, nous avons rendu certains arrêts qui ont permis de la clarifier. Par exemple la première affaire sur laquelle la Cour a rendu une décision lui a permis d’interpréter sa compétence. Ce premier jugement donc avait été de rejeter une affaire parce que la Cour s’est déclarée incompétente. La Cour a également, se faisant, pu clarifier le fait qu’elle peut être saisie que pour des affaires des Etats parties au protocole. C’est vrai que cette décision n’a pas été unanime, mais elle a été prise par la majorité. Elle a permis de clarifier que pour être devant la Cour, il faut que le pays concerné soit Etat partie au protocole. La Cour, par d’autres décisions, a relevé certains critères à remplir pour que les requêtes soient recevables auprès d’elle.
Lesquels ?
Il s’agit surtout du critère d’épuisement de voies de recours internes. Pour qu’une requête soit déclarée recevable au niveau de la Cour, il faut qu’on ait franchi toutes les étapes des procédures judiciaires dans le pays où l’affaire a été signalée. Ici l’accent a été mis sur le devoir des individus de défendre leurs intérêts en matière de droits de l’Homme. Et ces individus qui font partie des populations doivent s’assurer que leurs Etats ont ratifié le protocole et signé la déclaration requise. La charte prévoit que seuls des Etats peuvent être visés par des requêtes. Et lorsque l’Etat est accusé de violations des droits de l’Homme, la Cour peut intervenir pour essayer de rendre justice ou protéger ces droits. Cela ne signifie pas que c’est une Cour d’appel. Dans un arrêt rendu par la Cour, elle a conclu que les dispositions constitutionnelles d’un pays africain n’étaient pas conformes à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples. Elle a donc ordonné à ce pays de prendre des mesures nécessaires pour remédier à cette situation. Et ces mesures sont en train d’être prises. Dans une autre affaire, la Cour s’est rendue compte que si elle laissait passer du temps, d’autres circonstances pouvaient survenir qui rendraient l’affaire inutile. Pour cela, elle a dû prendre une ordonnance demandant au pays concerné de prendre des mesures pour éviter qu’on se retrouve dans des situations que cette juridiction aimerait éviter. Cet Etat a donc pris les mesures ordonnées par la Cour.
Voudriez-vous qu’on modifie le protocole pour rendre le travail de la Cour plus efficace ?
En ce qui concerne les aspects du protocole à revoir, le principal article est l’article 34(6) qui ne devrait pas figurer dans le protocole. C’est plutôt l’inverse qui devrait être inclus. A savoir demander aux Etats qui n’aimeraient pas que les Ongs et individus aient la possibilité de saisir la Cour de faire la déclaration requise dans ce sens. Cet article, à mon avis, n’est pas bon parce que les populations que la Cour défend sont des individus. Le problème d’exécution des décisions de justice se pose parce que l’entité qui est généralement accusée de violation des droits de l’Homme est celle-là même qui est appelée à exécuter les décidions rendues par la Cour. A l’évidence, toutes les Cours ont donc les mêmes problèmes. Le seul mécanisme que la Cour peut utiliser dans cette situation est de faire un rapport au Conseil exécutif. C’est à ce niveau que vous les médias pouvez intervenir. Parce que lorsque le rapport est fait à cet organe, une annonce est publiée pour dire que tel ou tel pays n’a pas exécuté la décision rendue par la Cour. Ce rapport sera inséré désormais dans la base de données commune que tout le monde pourra consulter. Mais je reste convaincue qu’au fil du temps, la crédibilité de la Cour va s’accroître. Plusieurs pays en vue d’éviter d’être cités sur le site internet ou par leurs pairs pour n’avoir pas respecté les décisions de la Cour vont s’exécuter.
Donnez-nous les cas de succès et les défis auxquels la Cour est confrontée ?
Je peux parler du taux relativement bas de ratification et les déclarations qui ne sont pas faites par les Etats qui ont déjà ratifié le protocole. L’autre défi est le manque de sensibilisation sur notre institution. L’objectif du travail de cette Cour est de servir les populations. C’est d’ailleurs elles qui justifient son existence. Ces populations doivent savoir qu’il existe une autre voie de recours lorsque le système national ne permet pas de satisfaire certains besoins. Et les décisions de la Cour ont effet sociologique au niveau des nations. Les populations savent que si elles ne sont pas satisfaites, au niveau des juridictions nationales, il existe une autre voie de recours, à savoir la Cour où elles peuvent se diriger pour obtenir satisfaction. Donc cela va permettre au fil du temps d’établir une confiance vis-à-vis de la Cour. Les Cours en général ne parlent pas de succès. Cependant, je me réjouis de l’organisation de cette réunion en faveur des médias qui constitue un succès dans la mesure où elle va nous permettre de surmonter les défis que je viens de mentionner. Avant cette rencontre avec les médias, nous avons achevé un séminaire avec les responsables des ordres judiciaires nationaux. C’était l’occasion d’établir un dialogue qui, j’espère, va se poursuivre afin que les Cours puissent communiquer les unes avec les autres à tous les niveaux. Il est donc important pour ces ordres judiciaires d’éviter de prendre des décisions contradictoires qui seraient au détriment des populations pour lesquelles la Cour se bat pour défendre les intérêts.
Peu d’actions, manque de visibilité... On pourrait se poser des questions sur l’utilité et la pertinence de la Cour. Finalement n’est-ce pas une juridiction de plus qui a été créée pour pouvoir caser des magistrats africains ?
Ce n’est pas du tout le cas. Je dois indiquer que la plupart des juges, en dehors de la présidente de la Cour, travaillent à temps partiel. Je veux citer mon exemple. L’année dernière, avant de venir à la présidence de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples, je travaillais à la Cour suprême du Ghana. Je suis encore membre de cette Cour. Les juges font vraiment ce que je peux appeler un sacerdoce. Lorsqu’ils viennent pour des sessions de la Cour, ils emportent avec eux des jugements à moitié rédigés. Et lorsqu’ils rentrent dans leurs pays, la Cour leur envoie du travail. Je pense que la situation actuelle est en train de créer un climat de confiance. Malgré les motivations de chaque juge, de chaque personne qui est nommée à la Cour, il y a des principes qui prévalent. Celui de la dignité, de la qualité du travail et de l’engagement à faire ce travail. Et lorsque la Cour a été saisie d’une affaire, il s’agissait pour elle de s’affirmer. Depuis ce jour, elle a fait de son mieux et fera de même lorsqu’elle sera saisie d’un plus grand nombre d’affaires. Comme toute Cour, c’est une Cour de justice et son travail est de fournir une justice de qualité. Par ailleurs, la justice ne peut être fournie dans ce domaine que lorsque les décisions qui seront prises touchent directement les populations qui se sentent intimement touchées par celles-ci. Je suis sûre que dans vos pays, vous ne pensez pas toujours aux questions des droits de l’Homme. J’espère que les droits de l’Homme sont protégés dans votre pays. Mais si ce n’est pas le cas, c’est l’occasion de poser des questions légitimes. Par exemple demander aux dirigeants pourquoi ils ont peur de permettre aux individus d’accéder directement à la Cour ? Cela permettrait d’éliminer, avec la contribution des médias, par exemple, l’article 34(6), ou pousser les Etats qui ne l’ont pas encore fait à ratifier le protocole et à signer la déclaration requise.
La Côte d’Ivoire sort de crise et les procédures judiciaires pour permettre aux victimes d’être rétablies dans leurs droits traînent encore. Dans ce cas là, que peut faire la Cour pour donner un coup d’accélérateur au processus ?
La Cour ne peut pas se saisir elle-même. Cela s’avère souvent frustrant. Parce que vous voyez quelque chose de mauvais en train de se dérouler mais vous ne pouvez pas aller traîner la personne concernée devant votre Cour. Nous ne pouvons pas, en tant que juge, emmener les gens devant notre Cour. Si nous décidons d’intenter une action, elle ne pourra se faire qu’au civil.
Vous avez parlé d’épuisement de voies de recours internes. Dans le cas ivoirien, que faire si les procédures sont trop longues ?
Il faut épuiser les voies de recours internes lorsqu’elles existent. Si malgré cela la procédure est prolongée de façon anormale, vous pouvez saisir la Cour de manière exceptionnelle. Il y a une coalition qui forme sur les procédures de saisine de la Cour africaine de justice et des droits de l’Homme.
Réalisée par Danielle Tagro, envoyée spéciale à Arusha (Tanzanie)