A 88 ans, Nanan Adé Pra Augustin, frère aîné de l’homme de culture Jean-Marie Adiaffi, est le chef du village de Bettié, ville de l’Indénié-Djuablin située à 160 Km d’Abidjan. Grand bâtisseur, il incarne une ‘’success story’’ à l’ivoirienne. Un vrai symbole de l’«Ivorian dream». Portrait.
Né vers 1925, Nanan Adé Pra Augustin est, depuis 1962, le chef du village de Bettié, ville de l’Indénié-Djuablin, située à 160 Km d’Abidjan. Cette agglomération est devenue coquette, en partie, grâce à ses efforts personnels. Nanan Adé Pra possède 95% du titre foncier de la commune. Lui-même vit dans un palace en plein centre-ville en bordure de la voie principale, «le Boulevard Alassane Ouattara». Toutes les bâtisses administratives et économiques lui appartiennent (pharmacie, gendarmerie, sous-préfecture, logements des fonctionnaires…). Pourtant, il n’est qu’un agriculteur. Sa performance est due à son engagement en tant que planteur. Là encore, les chiffres donnent le tournis : 255 ha de plantations d’hévéa, 60 hectares de café, 30 ha de teck et 120 ha de cacao. Il emploie 178 personnes qui vivent avec leurs familles dans ses deux campements: Prakro 1 et 2. «Tout ce qu’on veut faire dans la vie, quand on l’a en objectif, on y parvient. C’est nous, moi, mes quatre femmes (Bénié Akabla, Tokou Takua, Kouadio N’Zi Marguerite et Tanoh Akoua Elisabeth) et mes enfants, qui avons réfléchi à ce que nous voulons. Et c’est nous qui avons travaillé», explique-t-il dans son «français d’en bas de cacao».
La rencontre avec Houphouet-Boigny
Selon le chef, son orientation est partie d’une rencontre, dans les années 60, avec le président Houphouet-Boigny à Yamoussoukro. «J’étais allé à Yamoussoukro. On m’a demandé d’aller saluer le président Houphouet. Il m’a demandé de quelle région de la Côte d’Ivoire je provenais. Je lui ai répondu Abengourou. Il a voulu savoir ce que je suis venu chercher. J’ai répliqué, un peu d’argent pour pouvoir travailler. Qu’est-ce que tu plantes ? a-t-il interrogé. Cacao, j’ai répondu. Au chef de l’Etat de continuer : il paraît que vous les gens d’Abengourou n’aimez pas bien payer. Si tu prends un manœuvre, il faut le payer. Le conseil aussi que je te donne, il faut continuer à planter le cacao», se souvient-il. A son retour, le chef Adé Pra met en pratique toutes les consignes du président de la République. En 1963, il crée son premier campement. Ensuite, il retourne voir le chef de l’Etat. «Il a voulu savoir si j’avais suivi ses conseils. J’ai dit oui. C’est là qu’il m’a conseillé le café qui était acheté à un bon prix», se remémore-t-il. Et une phrase du président-paysan sonne encore dans sa tête comme une prophétie. «Il m’a dit, ce que tu as fait, c’est ce qui sera l’argent plus tard», admire-t-il la vision. Face à la baisse des prix du binôme qui a fait le succès du pays, le patriarche s’est lancé dans l’hévéaculture. Il est l’un des premiers à le faire dans la région. «Le chef nous dit que quand tu as une plantation d’hévéa, tu es comme un fonctionnaire», témoigne Béibro Olivier, jeune-planteur de Bettié.
Père de 21 enfants issus de quatre mariages avec «seulement» quatre femmes, le roi est adulé par la population. «Quand tu es gentil, tu ne peux qu’avoir la confiance des autres. Ce vieux-là, il est trop gentil. C’est pourquoi toutes les choses qu’il entreprend réussissent», a-t-on surpris une conversation dans un kiosque à café lors d’une récente visite dans la cité. Grand conseiller, il rassemble les jeunes de la ville tous les jeudis «pour leur parler». «Je ne veux pas qu’un jeune de Bettié vole. On vole quand on n’a pas quelque chose. Tout le monde vole quand il n’a pas», philosophe-t-il. Cette ‘’tribune du jeudi’’ vise à conscientiser les uns et les autres afin qu’ils ne manquent de rien. Toute chose qui n’est possible qu’en travaillant.
Au soir de sa vie, le chef de Bettié, chef de Canton par intérim depuis 1998, rêve encore. Pas pour sa personne, mais pour ses petits-fils et arrière- petits-fils. «Quand on quitte Abidjan pour Bettié, la route n’est pas bonne. Il y a aussi la Comoé qu’on doit traverser. Nous n’avons pas de pont. Il faut monter dans le bac», regrette-t-il. Les questions de la cherté de la vie et du manque de terres cultivables le préoccupent. «Il n’y a plus de terres, plus de forêts. Il y a des forêts classées. J’ai interdit à nos jeunes d’aller s’y installer. Mais, si on nous donne une partie, on peut y faire de la banane, nourriture prisée des Agni», révèle-t-il. Malgré l’étang d’eau qu’est la Comoé, aucune goutte d’eau ne verse des robinets de Bettié. «Nous sommes au bord de la Comoé mais nous n’avons pas d’eau pour nous laver. Qu’on nous aide à ouvrir la route, le pont et des terres cultivables en déclassant certaines forêts classées. Ce, en pensant à nos petits-fils et arrière- petits-fils», souhaite-t-il. Par contre, après tant de sacrifices, l’homme pense qu’il lui faut plus de reconnaissance. «J’ai écrit au gouvernement. Dans ma lettre, je fais remarquer que si décoration je dois avoir, c’est de mon vivant. Parce que c’est quand on meurt qu’on vient déposer des médailles sur le cercueil. Je suis contre cette pratique. Ce que vous voulez faire, faites devant moi», revendique-t-il. Même s’il a été lauréat du Conseil de l’entente 1999. Meilleur exploitant individuel, prix d’excellence de la Coupe nationale du progrès 1999. Il est chevalier de l’ordre national. Il est aussi officier du mérite agricole. C’est donc le titre de commandeur qu’il sollicite de tous ses vœux.
Par Sanou A.
Né vers 1925, Nanan Adé Pra Augustin est, depuis 1962, le chef du village de Bettié, ville de l’Indénié-Djuablin, située à 160 Km d’Abidjan. Cette agglomération est devenue coquette, en partie, grâce à ses efforts personnels. Nanan Adé Pra possède 95% du titre foncier de la commune. Lui-même vit dans un palace en plein centre-ville en bordure de la voie principale, «le Boulevard Alassane Ouattara». Toutes les bâtisses administratives et économiques lui appartiennent (pharmacie, gendarmerie, sous-préfecture, logements des fonctionnaires…). Pourtant, il n’est qu’un agriculteur. Sa performance est due à son engagement en tant que planteur. Là encore, les chiffres donnent le tournis : 255 ha de plantations d’hévéa, 60 hectares de café, 30 ha de teck et 120 ha de cacao. Il emploie 178 personnes qui vivent avec leurs familles dans ses deux campements: Prakro 1 et 2. «Tout ce qu’on veut faire dans la vie, quand on l’a en objectif, on y parvient. C’est nous, moi, mes quatre femmes (Bénié Akabla, Tokou Takua, Kouadio N’Zi Marguerite et Tanoh Akoua Elisabeth) et mes enfants, qui avons réfléchi à ce que nous voulons. Et c’est nous qui avons travaillé», explique-t-il dans son «français d’en bas de cacao».
La rencontre avec Houphouet-Boigny
Selon le chef, son orientation est partie d’une rencontre, dans les années 60, avec le président Houphouet-Boigny à Yamoussoukro. «J’étais allé à Yamoussoukro. On m’a demandé d’aller saluer le président Houphouet. Il m’a demandé de quelle région de la Côte d’Ivoire je provenais. Je lui ai répondu Abengourou. Il a voulu savoir ce que je suis venu chercher. J’ai répliqué, un peu d’argent pour pouvoir travailler. Qu’est-ce que tu plantes ? a-t-il interrogé. Cacao, j’ai répondu. Au chef de l’Etat de continuer : il paraît que vous les gens d’Abengourou n’aimez pas bien payer. Si tu prends un manœuvre, il faut le payer. Le conseil aussi que je te donne, il faut continuer à planter le cacao», se souvient-il. A son retour, le chef Adé Pra met en pratique toutes les consignes du président de la République. En 1963, il crée son premier campement. Ensuite, il retourne voir le chef de l’Etat. «Il a voulu savoir si j’avais suivi ses conseils. J’ai dit oui. C’est là qu’il m’a conseillé le café qui était acheté à un bon prix», se remémore-t-il. Et une phrase du président-paysan sonne encore dans sa tête comme une prophétie. «Il m’a dit, ce que tu as fait, c’est ce qui sera l’argent plus tard», admire-t-il la vision. Face à la baisse des prix du binôme qui a fait le succès du pays, le patriarche s’est lancé dans l’hévéaculture. Il est l’un des premiers à le faire dans la région. «Le chef nous dit que quand tu as une plantation d’hévéa, tu es comme un fonctionnaire», témoigne Béibro Olivier, jeune-planteur de Bettié.
Père de 21 enfants issus de quatre mariages avec «seulement» quatre femmes, le roi est adulé par la population. «Quand tu es gentil, tu ne peux qu’avoir la confiance des autres. Ce vieux-là, il est trop gentil. C’est pourquoi toutes les choses qu’il entreprend réussissent», a-t-on surpris une conversation dans un kiosque à café lors d’une récente visite dans la cité. Grand conseiller, il rassemble les jeunes de la ville tous les jeudis «pour leur parler». «Je ne veux pas qu’un jeune de Bettié vole. On vole quand on n’a pas quelque chose. Tout le monde vole quand il n’a pas», philosophe-t-il. Cette ‘’tribune du jeudi’’ vise à conscientiser les uns et les autres afin qu’ils ne manquent de rien. Toute chose qui n’est possible qu’en travaillant.
Au soir de sa vie, le chef de Bettié, chef de Canton par intérim depuis 1998, rêve encore. Pas pour sa personne, mais pour ses petits-fils et arrière- petits-fils. «Quand on quitte Abidjan pour Bettié, la route n’est pas bonne. Il y a aussi la Comoé qu’on doit traverser. Nous n’avons pas de pont. Il faut monter dans le bac», regrette-t-il. Les questions de la cherté de la vie et du manque de terres cultivables le préoccupent. «Il n’y a plus de terres, plus de forêts. Il y a des forêts classées. J’ai interdit à nos jeunes d’aller s’y installer. Mais, si on nous donne une partie, on peut y faire de la banane, nourriture prisée des Agni», révèle-t-il. Malgré l’étang d’eau qu’est la Comoé, aucune goutte d’eau ne verse des robinets de Bettié. «Nous sommes au bord de la Comoé mais nous n’avons pas d’eau pour nous laver. Qu’on nous aide à ouvrir la route, le pont et des terres cultivables en déclassant certaines forêts classées. Ce, en pensant à nos petits-fils et arrière- petits-fils», souhaite-t-il. Par contre, après tant de sacrifices, l’homme pense qu’il lui faut plus de reconnaissance. «J’ai écrit au gouvernement. Dans ma lettre, je fais remarquer que si décoration je dois avoir, c’est de mon vivant. Parce que c’est quand on meurt qu’on vient déposer des médailles sur le cercueil. Je suis contre cette pratique. Ce que vous voulez faire, faites devant moi», revendique-t-il. Même s’il a été lauréat du Conseil de l’entente 1999. Meilleur exploitant individuel, prix d’excellence de la Coupe nationale du progrès 1999. Il est chevalier de l’ordre national. Il est aussi officier du mérite agricole. C’est donc le titre de commandeur qu’il sollicite de tous ses vœux.
Par Sanou A.