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Société Publié le mardi 18 février 2014 | Nord-Sud

Déguerpissement du Boulevard Nangui-Abrogoua: Les commerçants affrontent les policiers

On peut dire de ce commerçant peu ordinaire qu’il est bien malin. Etienne Dago roule, insouciant, une vieille brouet­te remplie de Compact discs (Cd) piratés de films et musiques. Depuis le début du déguerpissement du Boulevard Nangui-Abrogoua à Adjamé, le 10 février, aucun agent de la police municipale n’a réussi à mettre la main sur lui et sa charrette. Il suffit qu’il aperçoive la couleur d’un treillis à distance, en un tour de talon, plus de Dago en vue. Le moins qu’on puisse dire c’est que l’homme a des aptitudes pour le cent mètres plat. Il n’a qu’à descendre la bretelle qui se noie dans le fourmillement du marché noir d’Adjamé appelé communément Black Marcket, pour se fondre dans la foule. Ni vu, ni connu. Aussitôt que le danger s’éloigne, le revoilà avec sa marchandise prohibée arpentant à nouveau la rue. Ses camarades qui vendent divers articles (chaussures, vêtements, appareils électroménagers) de façon ambulante sur le boulevard disposent également de deux ou trois tours dans leurs sacs. « Tu peux être un vendeur et ne plus l’être. Il suffit de glisser la marchandise dans un magasin, à l’approche de la brigade », se vante Moumine, vendeur de chemises « oridjidji » (ndlr, altération du mot ‘’original’’ dans le jargon des commerçants). Même si on devine aisément qu’il fourgue du toc aux clients et empoche le fric. Mais pour jouer à ce petit jeu, il faut être tout sauf un vendeur sédentaire tel que Karim Fofana. Ce commerçant de chaussures fait de la résistance. Et ne regrette pas d’avoir tenté d’engager la bagarre avec un agent de la police municipale qui lui a confisqué ses affaires. «Demandez à un commerçant d’arrêter de vendre, prenez-lui son gagne-pain et rouez-le de coups. Comment cro­yez-vous qu’il réagira? », crache-t-il. Ouattara Drissa le sait, lui. D’abord, il ira réclamer ses bagages  au sous-quartier Dallas, dans la même commune : « On envoie nos bagages au quartier Dallas et on nous demande de payer 10.000 à 15.000 FCFA pour pouvoir les retirer. Ce n’est pas normal, il faut nous les rendre ! », se plaint-il. Ensuite, il exigera d’être recasé : « Il nous faut des places. On ne peut pas nous chasser comme-ça, où est-ce qu’on ira ? ». Des magasins leur ont été proposés au marché du Forum, note-t-il, mais les places coûtent excessivement cher. La caution peut avoisiner les 6 millions de FCfa, indique le commerçant de vêtements. Si de nouvelles places ne sont pas trouvées pour les personnes déguerpies, jure Ouattara, ce sera la résistance jusqu’au bout. Mais le lieutenant Diaby Kassim et ses hommes n’ont pas l’intention de laisser faire. Avec le soutien de la Compagnie républicaine de sécurité (Crs) et du Centre de coordination des décisions opérationnelles (Ccdo), ils ont pu dégager la voie depuis la mairie où commence le Boulevard Nangui-Abrogoua, jusqu’au niveau de la station de la Régie de chemins de fer Abidjan-Niger (Ran). Cependant, la Crs et le Ccdo se sont retirés, et seule une dizaine d’éléments du district de police d’Adjamé assure la relève. Au niveau de la mairie et du marché du Forum, les trottoirs ont été dégagés et l’ordre règne. Mais un peu plus loin, vers la mosquée, Etienne Dago et ses camarades reviennent à chaque fois recoloniser les sites. Pour faire face à cette situation, l’officier a lancé une sorte de guerre aux récalcitrants. Hier matin par exemple, ses hommes ont cogné dur. Confiscation de marchandises, course-poursuite dans les ruelles d’Adjamé et même bagarres rangées entre policiers et commerçants. « L’un de mes éléments a été pris à partie par des commerçants », explique-t-il. Cet élément en question se fait appeler Djamanan. Selon ses dires, il porte des marques de cette agression sur le cou. Ce dernier témoigne avoir été agressé par une horde de vendeurs ambulants qu’il tentait de déloger. Il a fallu l’aide de la brigade pour le sortir des griffes de cette foule en furie. La preuve que la tâche n’est de tout repos pour les policiers. Pour le lieutenant, il fallait naturellement s’y attendre. « Nous parcourons environ deux kilomètres. Depuis la mairie jusqu’à la Ran, pour dégager tous ceux qui se trouvent sur les trottoirs», explique-t-il. Ce sont probablement les kilomètres les plus pénibles à parcourir pour lui. Du côté du boulevard, de nombreuses ruelles slaloment vers le marché du Forum ou le Black Marcket, un entrelacs de box tout aussi bondés de marchandises que de clients. Et il n’est pas toujours aisé de poursuivre un vendeur parmi ces voies engorgées. Surtout, si on s’appelle agent de la «police municipale» et qu’on a pour seule arme, une matra­que. «Nous n’abandonnerons pas », prévient l’officier. Pourtant, Diaby le sait, les commerçants non plus ne sont pas près d’abandonner la partie de sitôt, vu qu’ils sont jeunes, téméraires et visiblement déterminés. C’est dire que les jours à venir s’annoncent chauds sur cette voie publique.

Raphaël Tanoh
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