« Jupiter rend fous ceux qu’il veut perdre ». Cette assertion latine donne certainement une explication à l’attitude quasi-suicidaire qu’a eue le président Laurent Gbagbo au cours de la crise postélectorale. Dans sa folie meurtrière due à la peur de la perte du pouvoir, « Le Machiavel des Lagunes » a accumulé des fautes jusqu’à sa chute, le 11 avril 2011. Retour sur les onze péchés capitaux qui ont coulé l’ancien homme fort d’Abidjan.
Première faute. La haine pendant la campagne. C’est le début du commencement de la fin de Laurent Gbagbo. Les Ivoiriens, après près d’une décennie de querelles fratricides aspirent à la paix. L’organisation du premier tour de l’élection présidentielle, le 30 octobre 2010, une belle occasion pour eux de l’exprimer à la classe politique. Ils le font à travers un taux de participation record de plus de 83%. Mais, ce message pourtant très clair n’est pas perçu par le camp Gbagbo. Lors de la campagne entre les deux tours, le camp présidentiel ressort la rhétorique de la guerre. A tous les grands carrefours du pays, des images de personnes avec des bras et des pieds amputés sont affichées. « Voici ce que les rebelles de Ouattara ont fait », lit-on sur ces affiches. Laurent Gbagbo et son staff de campagne pensaient pouvoir ainsi effrayer et émouvoir l’opinion nationale contre le candidat du RHDP, Alassane Ouattara. Mais c’est l’effet contraire qu’ils récoltent. A cette campagne violente et outrancière, le peuple de Côte d’Ivoire, déterminé à tourner la page, répond par un taux de participation de 81% qui sera fatal au candidat de LMP. Il récoltera 45,9% des suffrages exprimés contre 54,1%.
Deuxième faute. Le refus du verdict des urnes. Après sa défaite, Laurent Gbagbo avait une chance de sortir par la grande porte. Il lui fallait tout simplement appeler son adversaire pour le féliciter. Comme il l’avait du reste promis le 26 novembre 2010, lors du face-à-face radiotélévisé. Mais il a préféré s’emmurer dans une logique de confiscation du pouvoir. Le 2 décembre, le président de la Commission électorale indépendante, Youssouf Bakayoko, annonce la victoire d'Alassane Ouattara avec 54,10 % des voix, contre 45,90 % pour Laurent Gbagbo, avec un taux de participation de 81,1 %. Mais le camp Gbagbo refuse ces résultats. Leur annonce avait été reportée plusieurs fois à cause de l’insécurité que faisait planer le camp Gbagbo au siège de la CEI. Changement de toute la sécurité de la CEI, composée de gendarmes, par des miliciens à la solde du FPI, pressions sur le président de la CEI et ses collaborateurs, destructions des procès-verbaux et des compilations des résultats. Finalement, elle est faite au Golf hôtel. Paul Yao N'Dré, nommé par le président Gbagbo, le 8 août 2009 à la tête du Conseil constitutionnel et réputé proche de Simone Gbagbo, déclare, au cours d’un point de presse le même jour, que la CEI n'avait plus l'autorité pour annoncer les résultats, car la date limite était dépassée et donc que les résultats sont invalides. Selon N'Dré, après la date limite, seul le Conseil Constitutionnel est habilité à annoncer les résultats ; c'est en effet cette institution qui doit « trancher, le cas échéant, le contentieux électoral et proclamer les résultats du scrutin». Après cette annonce, les militaires ferment les frontières du pays. Le lendemain, le 3 décembre, Laurent Gbagbo se fait investir par le Conseil constitutionnel, qui le déclare vainqueur. N'Dré annonce que les résultats dans sept régions du nord sont annulés. Cela inverse les décomptes en faveur de Gbagbo, qui est alors crédité de 51,45 % des votes alors que Ouattara n'a plus que 48,55%. Quelques minutes plus tard, l'envoyé spécial de l'Onu en Côte d'Ivoire, Young-jin Choi, proclame la victoire de Ouattara : « Les résultats du second tour de l'élection présidentielle tels qu'annoncés le 2 décembre par la commission électorale ne changent pas, ce qui confirme que le candidat Alassane Ouattara a remporté le scrutin ». Mais, le camp Gbagbo est déjà dans sa logique de confiscation du pouvoir. Le 4 décembre, Laurent Gbagbo se fait investir à la salle des « Pas perdus » et déclare : « La souveraineté de la Côte d’Ivoire, c’est elle que je suis chargé de défendre et elle, je ne la négocie pas.»
Troisième faute. La défiance contre la communauté internationale.
Dans sa logique de confiscation du pouvoir, Laurent Gbagbo a sous-estimé la détermination de la communauté internationale. Il était convaincu que les forces impartiales n’oseraient pas franchir une certaine ligne au nom du principe de la souveraineté des Etats. Mais il avait oublié une chose. En acceptant à Pretoria la certification des élections générales, notamment la présidentielle, par les Nations unies, la Côte d’Ivoire avait aliéné une bonne partie de sa souveraineté à la communauté internationale. « On nous a appelés pour venir faire un travail en Côte d’Ivoire. Nous l’avons fait. La certification démontre que c’est Alassane Ouattara qui a remporté l’élection présidentielle. Nous nous en tenons à cela. Vos querelles institutionnelles ne nous intéressent pas. Pour nous, le débat électoral est derrière nous. Il s’agit d’un problème politique maintenant. Il y a quelqu’un qui a perdu les élections et qui refuse de partir. Mais il s’en ira tôt ou tard », répondait invariablement l’ambassadeur Philip Carter III, en décembre 2010, lors d’une conférence de presse à sa résidence, face aux accusations d’ingérence de certains journalistes. Au cours de cette même rencontre, le représentant des Etats-Unis en Côte d’Ivoire de l’époque avait révélé ce qui a été une des graves erreurs de Laurent Gbagbo à cette période. « Figurez-vous qu’à trois reprises le président des Etats-Unis, Barack Obama, a essayé d’entrer en contact avec M. Gbagbo. Et trois fois, il a refusé. Voyez-vous ça, le président des Etats-Unis d’Amérique », avait tonné Philip Carter III. Refuser de prendre trois fois l’homme le plus puissant de la planète, il fallait le faire. Mais c’est cette attitude de défiance qui a le plus desservi Laurent Gbagbo. L’ex-chef d’Etat en restant sourd aux injonctions des Nations unies, des Etats-Unis d’Amérique, de la France, de l’Union européenne, de l’Union africaine et de la CEDEAO s’est mis à dos toute la planète entière. Or, nulle part dans l’histoire de l’humanité un individu ou un Etat, aussi puissant soit-il, n’a eu raison sur le monde entier. Seul Dieu pouvait sortir Laurent Gbagbo de cette impasse. Mais pour cela, il fallait qu’il soit dans la vérité.
Quatrième faute. Pillage de la BCEAO et nationalisation des banques. La guerre financière a fait du tort à Laurent Gbagbo. Le pillage de la BCEAO et la manière cavalière avec laquelle les banques commerciales privées ont été « nationalisées » a fait ressortir l’allure mafieuse et surtout anarchique que prenait le régime Gbagbo. La casse de banque centrale de la sous-région qui a coûté plus près de 1000 milliards de FCFA, a effarouché les Etats de l’UEMOA et a fini par achever de convaincre les autres Etats de la sous-région sur le virage dangereux pris par l’homme fort d’Abidjan et son clan. Quant à la « nationalisation-réquisition » des banques commerciales privées, elles ont fait comprendre à la communauté internationale le jusqu’au-boutisme inquiétant dans lequel était engagé « le Machiavel des lagunes ». Laurent Gbagbo par cet acte désespéré venait de démontrer que pour le pouvoir, il était prêt à tout. Même à sacrifier les principes sacro-saints qui régissent le monde des affaires et de la finance. Plus personne ne pouvait lui faire confiance. Or, c’est connu. Qui perd sa crédibilité, ne peut avoir l’argent qui est le nerf de la guerre.
Cinquième faute. Le double jeu. Fidèle à ses habitudes, Laurent Gbagbo croyait que sa propension à la duplicité pouvait, une fois de plus, le tirer d’affaire. Il a essayé, dans un premier temps, de diviser la communauté africaine avec l’histoire du recomptage des voix. Les premiers médiateurs de l’Union africaine ont tenté d’imposer cette exigence. Mais, le président Alassane Ouattara et le RHDP ne sont pas tombés dans le piège. Finalement, la fermeté du camp Ouattara a mis fin à cette ruse qui consistait à gagner du temps et mener en bateau tout le monde. Laurent Gbagbo a fait croire qu’il était prêt à accepter l’arbitrage de l’Union africaine, dont il a sollicité l’arbitrage pour se soustraire de la détermination de la communauté internationale. Mais la suite des événements a démontré le contraire. Le 8 mars 2011, le panel des chefs de l’Etat dépose ses conclusions. Le 10 mars, la Conseil de Paix et de sécurité donne son verdict en faveur du président élu, Alassane Ouattara. Laurent Gbagbo tenait l’ultime occasion d’entrer dans l’Histoire par la grande porte. Mais, il a préféré y aller à reculons. Le même soir, le porte-parole de Laurent Gbagbo, Ahoua Don Mello, annonce que son patron fera une importante déclaration aux Ivoiriens. Certaines indiscrétions disent qu’après avoir eu le président Jacob Zuma au téléphone, il a décidé de quitter le pouvoir. Mais cette déclaration n’aura jamais lieu. Le 4 avril, après d’intenses bombardements des forces onusiennes sur la résidence et le palais présidentiel, les proches de Laurent Gbagbo annoncent qu’il est prêt à donner sa reddition. Le général Philipe Mangou est envoyé auprès des forces onusiennes pour négocier. Et Alcide Djédjé, son conseiller diplomatique, vers l’ambassadeur de France pour discuter sur les conditions de la reddition. Mais dans la soirée, à 19 h 30, sur les antennes de LCI, Laurent Gbagbo nie tout et continue de clamer « sa victoire selon la Constitution ». La communauté internationale comprend qu’elle est en train de se faire enfariner par le « boulanger de Mama ». Les conséquences sont désastreuses pour lui. Les bombardements reprennent sur la résidence reprennent de façon plus intenses jusqu’à sa capture le 11 avril.
Sixième faute. L’assassinat des femmes d’Abobo. « La faillite morale » comme l’a qualifié le président Barack Obama. Le 3 mars 2011, de milliers de femmes sont massées devant la mairie d’Abobo. Elles marchent pour protester contre le hold-up électoral de Laurent Gbagbo. Elles ont pour la plupart dans les mains des branchettes et des casseroles dont elles se servent pour faire du bruit. Aux alentours de 10 heures, elles voient une patrouille des ex-FDS passée. Dans cette patrouille se trouve un véhicule blindé surmonté d’une mitraillette lourde. Au passage de la patrouille, les manifestantes poussent des cris de joie et applaudissent. En guise de réponse, celui qui tient la mitraillette lourde sur le blindé tire sur la foule. Le bilan est tragique. 7 femmes sont littéralement sciées en deux et atrocement mutilées par les grosses balles de l’arme lourde. Plusieurs d’entre elles sont blessées, estropiées à vie. La nouvelle fait le tour du monde. L’opinion nationale et internationale est choquée et indignée. L’assassinat des femmes d’Abobo est en quelque sorte la bourde de trop qui est venue totalement discréditée un régime déjà aux abois. A partir de ce moment, le système Gbagbo devenait difficilement défendable. Le Conseil de sécurité de l’ONU vote la résolution 1975 qui autorise les forces impartiales à détruire les armes lourdes de Laurent Gbagbo.
Septième faute Le blocus du Golf hôtel. Après la marche sur la RTI le 16 décembre 2010, le président Laurent Gbagbo a pris sur lui de faire autour du Golf hôtel, QG du camp Ouattara, un blocus total. Toutes les personnalités qui s’y trouvent n’ont plus le droit de sortir et d’entrer. Toutes les personnalités proches du RHDP sont prises au piège. Des check-points sont mis en place autour des voies qui mènent à l’hôtel. Plusieurs fois, les hommes de Laurent Gbagbo menacent de bombarder l’hôtel du Golf. « Une attaque du Golf sera considérée comme une déclaration de guerre », prévient l’ONU. Le camp Ouattara pour contourner le blocus a recours aux hélicoptères de l’ONUCI qui assurent un pont aérien entre les « prisonniers du Golf » et leurs proches. Car, il devenait suicidaire de s’aventurer dehors. Le colonel-major Dosso, ancien patron de la GATL, n’a pas eu cette chance. Venu rencontrer des personnalités au Golf hôtel, il a voulu rallier son domicile par la route. Il a été arrêté, puis assassiné par des hommes du général Dogbo Blé Bruno. Pendant ce temps, à l’extérieur, la répression sauvage contre les militants et les sympathisants de l’opposition bat son plein. Plusieurs personnes sont suppliciées au feu dans les quartiers de Yopougon et de Koumassi. Laurent Gbagbo pensait tenir ainsi son adversaire. Mais c’était mal connaitre Alassane Ouattara, qui avait prévenu pendant la campagne électorale : « On ne me volera pas ma victoire ». Finalement, le blocus du Golf qui a duré cinq mois, a permis non seulement de montrer le visage hideux du système Laurent Gbagbo, mais aussi de conforter la communauté internationale dans sa position.
Huitième faute. L’attaque du Golf hôtel. En dépit de la position claire de l’ONUCI sur la question, les forces pro-Gbagbo de plus en plus acculées passe à l’acte le 3 avril 2011. Dans l’après-midi autour de 16 heures, de lourdes détonations grondent en direction du Golf hôtel. C’est la peur et la panique dans le complexe hôtelier. Tous les locataires se précipitent vers la grande salle de conférence au sous-sol. Le grand bâtiment n’est pas touché. Mais quelques obus viennent s’échouer dans le grand jardin jouxtant le terrain de jeu de l’hôtel. Cinq minutes après, le calme revient. L’Opération des nations unies en Côte d’Ivoire est saisie. Le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Côte d’Ivoire fait sur une déclaration sur les antennes de RFI où il annonce clairement que cette attaque ne restera pas impunie. Lendemain, les premières frappes des hélicoptères onusiens tombent sur le camp d’Akouédo et le palais présidentiel transformé en poudrière et base militaire. Le bilan est terrible pour l’armée de Laurent Gbagbo.
Neuvième faute L’attaque de la base de l’ONUCI à Sébroko.
Comme s’ils étaient devenus fous, les forces pro-Gbagbo décident de s’attaquer au personnel de l’ONUCI et à toutes les patrouilles qui circulent sur tout le territoire ivoirien. Laurent Gbagbo avait depuis le 18 décembre exigé le départ des forces onusiennes qu’il considère désormais comme des forces ennemies. A partir du 18 janvier, plusieurs agressions contre les patrouilles et les agents. Obligeant le personnel à abandonner les véhicules blancs estampillés « UN » pour circuler désormais dans des voitures banalisées. Mais la goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été le bombardement du siège de l’ONUCI à Sébroko. Cette attaque a mis non seulement l’Opération des Nations unies dans l’obligation d’user du principe de la légitime défense. Mais surtout à intervenir dans la crise.
Dixième faute. L’attaque de l’ambassade de France. Le 8 avril 2011, l’ambassade de France est la cible de deux tirs de mortier et d’un tir de roquette. C’est la deuxième fois qu’une telle attaque se produit. Pour l’ambassadeur de France de l’époque, Jean-Marc Simon, c’est la provocation de trop. « La France rappelle que conformément à la résolution 1975 du Conseil de l’ONU, les forces impartiales, mission onusienne et force Licorne, son en droit de mettre en ?uvre leur mandat afin de prévenir l’usage d’armes lourdes par toutes les parties du conflit », avertit-il. Le lendemain, la deuxième vague des bombardements commence. Dans la nuit du 10 au 11 avril, la résidence de Laurent Gbagbo, le palais présidentiel et les positions des forces pro-Gbagbo sont la cible de bombardements soutenus. Jusqu’au petit matin, les hélicoptères onusiens et les gazelles de l’armée française se relayent dans le ciel d’Abidjan. Le 11 avril matin, l’assaut est lancé sur la résidence de Laurent Gbagbo. Autour de midi, « le Machiavel des lagunes » est capturé par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire et conduit au Golf hôtel avec tous les occupants du bunker. Les images font le tour du monde. Jusqu’à la fin, il est resté sourd et aveugle, multipliant bourde sur bourde. Jupiter l’avait vraiment rendu fou pour le perdre.
Jean-Claude Coulibaly
Première faute. La haine pendant la campagne. C’est le début du commencement de la fin de Laurent Gbagbo. Les Ivoiriens, après près d’une décennie de querelles fratricides aspirent à la paix. L’organisation du premier tour de l’élection présidentielle, le 30 octobre 2010, une belle occasion pour eux de l’exprimer à la classe politique. Ils le font à travers un taux de participation record de plus de 83%. Mais, ce message pourtant très clair n’est pas perçu par le camp Gbagbo. Lors de la campagne entre les deux tours, le camp présidentiel ressort la rhétorique de la guerre. A tous les grands carrefours du pays, des images de personnes avec des bras et des pieds amputés sont affichées. « Voici ce que les rebelles de Ouattara ont fait », lit-on sur ces affiches. Laurent Gbagbo et son staff de campagne pensaient pouvoir ainsi effrayer et émouvoir l’opinion nationale contre le candidat du RHDP, Alassane Ouattara. Mais c’est l’effet contraire qu’ils récoltent. A cette campagne violente et outrancière, le peuple de Côte d’Ivoire, déterminé à tourner la page, répond par un taux de participation de 81% qui sera fatal au candidat de LMP. Il récoltera 45,9% des suffrages exprimés contre 54,1%.
Deuxième faute. Le refus du verdict des urnes. Après sa défaite, Laurent Gbagbo avait une chance de sortir par la grande porte. Il lui fallait tout simplement appeler son adversaire pour le féliciter. Comme il l’avait du reste promis le 26 novembre 2010, lors du face-à-face radiotélévisé. Mais il a préféré s’emmurer dans une logique de confiscation du pouvoir. Le 2 décembre, le président de la Commission électorale indépendante, Youssouf Bakayoko, annonce la victoire d'Alassane Ouattara avec 54,10 % des voix, contre 45,90 % pour Laurent Gbagbo, avec un taux de participation de 81,1 %. Mais le camp Gbagbo refuse ces résultats. Leur annonce avait été reportée plusieurs fois à cause de l’insécurité que faisait planer le camp Gbagbo au siège de la CEI. Changement de toute la sécurité de la CEI, composée de gendarmes, par des miliciens à la solde du FPI, pressions sur le président de la CEI et ses collaborateurs, destructions des procès-verbaux et des compilations des résultats. Finalement, elle est faite au Golf hôtel. Paul Yao N'Dré, nommé par le président Gbagbo, le 8 août 2009 à la tête du Conseil constitutionnel et réputé proche de Simone Gbagbo, déclare, au cours d’un point de presse le même jour, que la CEI n'avait plus l'autorité pour annoncer les résultats, car la date limite était dépassée et donc que les résultats sont invalides. Selon N'Dré, après la date limite, seul le Conseil Constitutionnel est habilité à annoncer les résultats ; c'est en effet cette institution qui doit « trancher, le cas échéant, le contentieux électoral et proclamer les résultats du scrutin». Après cette annonce, les militaires ferment les frontières du pays. Le lendemain, le 3 décembre, Laurent Gbagbo se fait investir par le Conseil constitutionnel, qui le déclare vainqueur. N'Dré annonce que les résultats dans sept régions du nord sont annulés. Cela inverse les décomptes en faveur de Gbagbo, qui est alors crédité de 51,45 % des votes alors que Ouattara n'a plus que 48,55%. Quelques minutes plus tard, l'envoyé spécial de l'Onu en Côte d'Ivoire, Young-jin Choi, proclame la victoire de Ouattara : « Les résultats du second tour de l'élection présidentielle tels qu'annoncés le 2 décembre par la commission électorale ne changent pas, ce qui confirme que le candidat Alassane Ouattara a remporté le scrutin ». Mais, le camp Gbagbo est déjà dans sa logique de confiscation du pouvoir. Le 4 décembre, Laurent Gbagbo se fait investir à la salle des « Pas perdus » et déclare : « La souveraineté de la Côte d’Ivoire, c’est elle que je suis chargé de défendre et elle, je ne la négocie pas.»
Troisième faute. La défiance contre la communauté internationale.
Dans sa logique de confiscation du pouvoir, Laurent Gbagbo a sous-estimé la détermination de la communauté internationale. Il était convaincu que les forces impartiales n’oseraient pas franchir une certaine ligne au nom du principe de la souveraineté des Etats. Mais il avait oublié une chose. En acceptant à Pretoria la certification des élections générales, notamment la présidentielle, par les Nations unies, la Côte d’Ivoire avait aliéné une bonne partie de sa souveraineté à la communauté internationale. « On nous a appelés pour venir faire un travail en Côte d’Ivoire. Nous l’avons fait. La certification démontre que c’est Alassane Ouattara qui a remporté l’élection présidentielle. Nous nous en tenons à cela. Vos querelles institutionnelles ne nous intéressent pas. Pour nous, le débat électoral est derrière nous. Il s’agit d’un problème politique maintenant. Il y a quelqu’un qui a perdu les élections et qui refuse de partir. Mais il s’en ira tôt ou tard », répondait invariablement l’ambassadeur Philip Carter III, en décembre 2010, lors d’une conférence de presse à sa résidence, face aux accusations d’ingérence de certains journalistes. Au cours de cette même rencontre, le représentant des Etats-Unis en Côte d’Ivoire de l’époque avait révélé ce qui a été une des graves erreurs de Laurent Gbagbo à cette période. « Figurez-vous qu’à trois reprises le président des Etats-Unis, Barack Obama, a essayé d’entrer en contact avec M. Gbagbo. Et trois fois, il a refusé. Voyez-vous ça, le président des Etats-Unis d’Amérique », avait tonné Philip Carter III. Refuser de prendre trois fois l’homme le plus puissant de la planète, il fallait le faire. Mais c’est cette attitude de défiance qui a le plus desservi Laurent Gbagbo. L’ex-chef d’Etat en restant sourd aux injonctions des Nations unies, des Etats-Unis d’Amérique, de la France, de l’Union européenne, de l’Union africaine et de la CEDEAO s’est mis à dos toute la planète entière. Or, nulle part dans l’histoire de l’humanité un individu ou un Etat, aussi puissant soit-il, n’a eu raison sur le monde entier. Seul Dieu pouvait sortir Laurent Gbagbo de cette impasse. Mais pour cela, il fallait qu’il soit dans la vérité.
Quatrième faute. Pillage de la BCEAO et nationalisation des banques. La guerre financière a fait du tort à Laurent Gbagbo. Le pillage de la BCEAO et la manière cavalière avec laquelle les banques commerciales privées ont été « nationalisées » a fait ressortir l’allure mafieuse et surtout anarchique que prenait le régime Gbagbo. La casse de banque centrale de la sous-région qui a coûté plus près de 1000 milliards de FCFA, a effarouché les Etats de l’UEMOA et a fini par achever de convaincre les autres Etats de la sous-région sur le virage dangereux pris par l’homme fort d’Abidjan et son clan. Quant à la « nationalisation-réquisition » des banques commerciales privées, elles ont fait comprendre à la communauté internationale le jusqu’au-boutisme inquiétant dans lequel était engagé « le Machiavel des lagunes ». Laurent Gbagbo par cet acte désespéré venait de démontrer que pour le pouvoir, il était prêt à tout. Même à sacrifier les principes sacro-saints qui régissent le monde des affaires et de la finance. Plus personne ne pouvait lui faire confiance. Or, c’est connu. Qui perd sa crédibilité, ne peut avoir l’argent qui est le nerf de la guerre.
Cinquième faute. Le double jeu. Fidèle à ses habitudes, Laurent Gbagbo croyait que sa propension à la duplicité pouvait, une fois de plus, le tirer d’affaire. Il a essayé, dans un premier temps, de diviser la communauté africaine avec l’histoire du recomptage des voix. Les premiers médiateurs de l’Union africaine ont tenté d’imposer cette exigence. Mais, le président Alassane Ouattara et le RHDP ne sont pas tombés dans le piège. Finalement, la fermeté du camp Ouattara a mis fin à cette ruse qui consistait à gagner du temps et mener en bateau tout le monde. Laurent Gbagbo a fait croire qu’il était prêt à accepter l’arbitrage de l’Union africaine, dont il a sollicité l’arbitrage pour se soustraire de la détermination de la communauté internationale. Mais la suite des événements a démontré le contraire. Le 8 mars 2011, le panel des chefs de l’Etat dépose ses conclusions. Le 10 mars, la Conseil de Paix et de sécurité donne son verdict en faveur du président élu, Alassane Ouattara. Laurent Gbagbo tenait l’ultime occasion d’entrer dans l’Histoire par la grande porte. Mais, il a préféré y aller à reculons. Le même soir, le porte-parole de Laurent Gbagbo, Ahoua Don Mello, annonce que son patron fera une importante déclaration aux Ivoiriens. Certaines indiscrétions disent qu’après avoir eu le président Jacob Zuma au téléphone, il a décidé de quitter le pouvoir. Mais cette déclaration n’aura jamais lieu. Le 4 avril, après d’intenses bombardements des forces onusiennes sur la résidence et le palais présidentiel, les proches de Laurent Gbagbo annoncent qu’il est prêt à donner sa reddition. Le général Philipe Mangou est envoyé auprès des forces onusiennes pour négocier. Et Alcide Djédjé, son conseiller diplomatique, vers l’ambassadeur de France pour discuter sur les conditions de la reddition. Mais dans la soirée, à 19 h 30, sur les antennes de LCI, Laurent Gbagbo nie tout et continue de clamer « sa victoire selon la Constitution ». La communauté internationale comprend qu’elle est en train de se faire enfariner par le « boulanger de Mama ». Les conséquences sont désastreuses pour lui. Les bombardements reprennent sur la résidence reprennent de façon plus intenses jusqu’à sa capture le 11 avril.
Sixième faute. L’assassinat des femmes d’Abobo. « La faillite morale » comme l’a qualifié le président Barack Obama. Le 3 mars 2011, de milliers de femmes sont massées devant la mairie d’Abobo. Elles marchent pour protester contre le hold-up électoral de Laurent Gbagbo. Elles ont pour la plupart dans les mains des branchettes et des casseroles dont elles se servent pour faire du bruit. Aux alentours de 10 heures, elles voient une patrouille des ex-FDS passée. Dans cette patrouille se trouve un véhicule blindé surmonté d’une mitraillette lourde. Au passage de la patrouille, les manifestantes poussent des cris de joie et applaudissent. En guise de réponse, celui qui tient la mitraillette lourde sur le blindé tire sur la foule. Le bilan est tragique. 7 femmes sont littéralement sciées en deux et atrocement mutilées par les grosses balles de l’arme lourde. Plusieurs d’entre elles sont blessées, estropiées à vie. La nouvelle fait le tour du monde. L’opinion nationale et internationale est choquée et indignée. L’assassinat des femmes d’Abobo est en quelque sorte la bourde de trop qui est venue totalement discréditée un régime déjà aux abois. A partir de ce moment, le système Gbagbo devenait difficilement défendable. Le Conseil de sécurité de l’ONU vote la résolution 1975 qui autorise les forces impartiales à détruire les armes lourdes de Laurent Gbagbo.
Septième faute Le blocus du Golf hôtel. Après la marche sur la RTI le 16 décembre 2010, le président Laurent Gbagbo a pris sur lui de faire autour du Golf hôtel, QG du camp Ouattara, un blocus total. Toutes les personnalités qui s’y trouvent n’ont plus le droit de sortir et d’entrer. Toutes les personnalités proches du RHDP sont prises au piège. Des check-points sont mis en place autour des voies qui mènent à l’hôtel. Plusieurs fois, les hommes de Laurent Gbagbo menacent de bombarder l’hôtel du Golf. « Une attaque du Golf sera considérée comme une déclaration de guerre », prévient l’ONU. Le camp Ouattara pour contourner le blocus a recours aux hélicoptères de l’ONUCI qui assurent un pont aérien entre les « prisonniers du Golf » et leurs proches. Car, il devenait suicidaire de s’aventurer dehors. Le colonel-major Dosso, ancien patron de la GATL, n’a pas eu cette chance. Venu rencontrer des personnalités au Golf hôtel, il a voulu rallier son domicile par la route. Il a été arrêté, puis assassiné par des hommes du général Dogbo Blé Bruno. Pendant ce temps, à l’extérieur, la répression sauvage contre les militants et les sympathisants de l’opposition bat son plein. Plusieurs personnes sont suppliciées au feu dans les quartiers de Yopougon et de Koumassi. Laurent Gbagbo pensait tenir ainsi son adversaire. Mais c’était mal connaitre Alassane Ouattara, qui avait prévenu pendant la campagne électorale : « On ne me volera pas ma victoire ». Finalement, le blocus du Golf qui a duré cinq mois, a permis non seulement de montrer le visage hideux du système Laurent Gbagbo, mais aussi de conforter la communauté internationale dans sa position.
Huitième faute. L’attaque du Golf hôtel. En dépit de la position claire de l’ONUCI sur la question, les forces pro-Gbagbo de plus en plus acculées passe à l’acte le 3 avril 2011. Dans l’après-midi autour de 16 heures, de lourdes détonations grondent en direction du Golf hôtel. C’est la peur et la panique dans le complexe hôtelier. Tous les locataires se précipitent vers la grande salle de conférence au sous-sol. Le grand bâtiment n’est pas touché. Mais quelques obus viennent s’échouer dans le grand jardin jouxtant le terrain de jeu de l’hôtel. Cinq minutes après, le calme revient. L’Opération des nations unies en Côte d’Ivoire est saisie. Le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Côte d’Ivoire fait sur une déclaration sur les antennes de RFI où il annonce clairement que cette attaque ne restera pas impunie. Lendemain, les premières frappes des hélicoptères onusiens tombent sur le camp d’Akouédo et le palais présidentiel transformé en poudrière et base militaire. Le bilan est terrible pour l’armée de Laurent Gbagbo.
Neuvième faute L’attaque de la base de l’ONUCI à Sébroko.
Comme s’ils étaient devenus fous, les forces pro-Gbagbo décident de s’attaquer au personnel de l’ONUCI et à toutes les patrouilles qui circulent sur tout le territoire ivoirien. Laurent Gbagbo avait depuis le 18 décembre exigé le départ des forces onusiennes qu’il considère désormais comme des forces ennemies. A partir du 18 janvier, plusieurs agressions contre les patrouilles et les agents. Obligeant le personnel à abandonner les véhicules blancs estampillés « UN » pour circuler désormais dans des voitures banalisées. Mais la goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été le bombardement du siège de l’ONUCI à Sébroko. Cette attaque a mis non seulement l’Opération des Nations unies dans l’obligation d’user du principe de la légitime défense. Mais surtout à intervenir dans la crise.
Dixième faute. L’attaque de l’ambassade de France. Le 8 avril 2011, l’ambassade de France est la cible de deux tirs de mortier et d’un tir de roquette. C’est la deuxième fois qu’une telle attaque se produit. Pour l’ambassadeur de France de l’époque, Jean-Marc Simon, c’est la provocation de trop. « La France rappelle que conformément à la résolution 1975 du Conseil de l’ONU, les forces impartiales, mission onusienne et force Licorne, son en droit de mettre en ?uvre leur mandat afin de prévenir l’usage d’armes lourdes par toutes les parties du conflit », avertit-il. Le lendemain, la deuxième vague des bombardements commence. Dans la nuit du 10 au 11 avril, la résidence de Laurent Gbagbo, le palais présidentiel et les positions des forces pro-Gbagbo sont la cible de bombardements soutenus. Jusqu’au petit matin, les hélicoptères onusiens et les gazelles de l’armée française se relayent dans le ciel d’Abidjan. Le 11 avril matin, l’assaut est lancé sur la résidence de Laurent Gbagbo. Autour de midi, « le Machiavel des lagunes » est capturé par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire et conduit au Golf hôtel avec tous les occupants du bunker. Les images font le tour du monde. Jusqu’à la fin, il est resté sourd et aveugle, multipliant bourde sur bourde. Jupiter l’avait vraiment rendu fou pour le perdre.
Jean-Claude Coulibaly