L’ONU classe Boko Haram sur la liste noire des organisations terroristes ; le gouvernement prolonge l’état d’urgence de six mois. Comme pour narguer la terre entière et en guise de réponse, ses attentats redoublent d’intensité. Politique sécuritaire : oui ; moyens coercitifs : certes. Mais le fond du problème n’est-il pas lié à la pauvreté de la population de la partie septentrionale du Nigéria ?
De Chibok à Paris
Dans la nuit du 14 avril, 276 lycéennes ont été enlevées à Chibok (Etat de Borno). Seules quelques adolescentes ont pu se soustraire des griffes de leurs ravisseurs, qui en sautant de voiture en marche, qui encore en trompant la vigilance de leurs geôles. Quant à la destinée des 220 autres adolescentes, le message vidéo diffusé par Boko Haram, quelques semaines plus tard, était à double détente. D’abord, une preuve de vie adressée aux familles et une menace sans équivoque : les réduire en esclavage et les vendre à défaut de pouvoir les convertir à l’islam. De quoi renforcer les angoisses des familles ; d’autant plus que certaines fugitives auraient rapporté qu’elles avaient été victimes de viol collectif, pendant leur bref moment de captivité. Ensuite, à l’adresse du gouvernement fédéral, Abubakar Shekau le leader de Boko Haram avait proposé l’échange de prisonniers contre le relâchement des jeunes filles.
Pourquoi une mobilisation planétaire pour retrouver les lycéennes ?
Rappelons que dans un passé très récent, en septembre dernier, 40 élèves ont été massacrés dans un collège d’enseignement agricole à Gujba (Etat de Yobe). Comme ces 43 autres adolescents âgés de 11 à 18 ans qui ont subi le même sort au dortoir du lycée fédéral de Buni Yadi en février 2014. Ces actes ont toujours suscité de vives émotions et une condamnation véhémente de la part des autorités. L’épisode du rapt de Chibok est inédit : de par le nombre de jeunes filles enlevées, et mineures – entre 12 et 17 ans - de surcroît. Face à la lenteur des réactions des forces publiques, les familles se sont, elles-mêmes, mobilisées pour essayer de retrouver leurs enfants. Ceci a eu pour effet de mettre le président Goodluck Jonathan en porte-à-faux. Il a fallu qu’il réagisse très rapidement car cette prise d’otages risquait de ternir l’image du Nigéria, puissance invitante du « Forum économique pour l’Afrique ». Mais sa mauvaise gestion de cette crise pourrait aussi lui coûter des voix lors de la prochaine élection présidentielle de 2015.
Les Prises d’Otages massives (POM), à l’instar de celle d’In Amenas – janvier 2013 – sont maintenant intégrées dans les plans de communication des groupes terroristes. La maîtrise de cet outil confère un retentissement planétaire à leurs actes. La cassette vidéo du leader de Boko Haram Abubakar Shekau en apporte encore une fois la preuve. Non seulement, un élan de solidarité international s’est manifesté pour la libération des 200 adolescentes. Mais elle a également suscité une vague d’indignation et une réaction de la communauté internationale ; laquelle a certainement mis la pression sur le chef d’Etat nigérian pour le sommer d’agir. Mi-mai, le temps d’un week-end, Paris est redevenue la capitale de l’Afrique sécuritaire. Le président français François Hollande descendît sur le perron du palais de l’Elysée pour accueillir son homologue Johnatan Goodluck, lequel a imploré la terre entière pour retrouver ses sabines enlevées. Se sont joints ensuite à eux, les chefs d’Etat de la région : Boni Yayi (Bénin), Mahamadou Issoufou (Niger), Idriss Deby (Tchad) et Paul Biya (Cameroun). Cette belle brochette de personnalités a été complétée autour de la table par les Représentants respectifs des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de l’Union Européenne. Et l’Union Africaine ? Elle n’a pas été conviée alors qu’elle devait être à l’origine de telles initiatives ! N’a-t-on pas encore une fois raté une occasion de prendre en main notre destinée continentale ?
Le communiqué final acte plusieurs décisions pour une coopération entre les Etats voisins en vue de la libération des jeunes filles et de lutter de manière plus efficace contre Boko Haram. En outre, les grandes puissances occidentales mettront en place des moyens logistiques de surveillance aérienne par des drones.
Actuellement, une observation de la carte d’Afrique permet instantanément de découvrir l’extension de la zone à risque ; donc synonyme de foyer terroriste. L’axe Atlantique-Mer Rouge est presque galvaudé : désormais, la diagonale Mauritanie-Kenya devient l’axe majeur de crise. Les petites tâches rouges grossissent ou se rejoignent et descendent maintenant vers le golfe de Guinée.
Ainsi donc, face à l’urgence et au drame, nos chefs d’Etat ont su taire leurs ressentiments et quelques querelles de voisinage. Le Bénin ne se plaint-il pas de temps en temps de l’arrogance du Nigéria dont la population franchit allègrement les frontières alors que les béninois ne peuvent pas en faire autant ? Le Niger, situé aux portes du désert de Sahara, est très exposé aux descentes des djihadistes. Il serait avec le Tchad, un couloir de transit pour l’acheminement d’armes vers le Nigéria en provenance des arsenaux libyens éventrés. A-t-on assisté au sommet de Paris à la renaissance de la Commission du Bassin du Lac Tchad ? Crée en 1964 à N’Djaména, les membres historiques de la CBLT sont : le Cameroun, le Niger, le Nigéria et le Tchad. Elle avait pour objectif de régler les différends affectant cette zone et plus particulièrement les eaux dudit bassin. S’il faut retenir une chose de ce sommet sur la sécurité à Paris, ce serait l’engagement du président camerounais Paul Biya envers le Nigéria. Le contentieux de l’ile de Bakassi a, en effet, refroidit les relations diplomatiques entre les deux pays pendant plus de 20 ans. Or, il a accepté une coopération militaire aux abords de sa frontière. En d’autres termes, les soldats nigérians auront un droit de poursuite au-delà des montagnes de l'Adamawa, en lisière du Cameroun. Tout comme les végétations luxuriantes, donc difficilement accessibles, du parc national de Waza (Cameroun) ou la forêt de Sambisa (Nigéria) sont également des endroits considérés comme des bases-arrière de Boko Haram.
Nigéria, ce géant au pied d’argile
Pays le plus peuplé du continent, premier producteur de pétrole, tout récemment classé première puissance économique d’Afrique ; forcément l’homme le plus riche d’Afrique – Aliko Dangote - est nigérian… Malheureusement, cette économie repose essentiellement sur les hydrocarbures qui pourvoient à plus de 80% des revenus du pays. Le Nigéria n’est pas à un paradoxe près : sa production annuelle de pétrole brut avoisine les 2 millions de barils/jour alors qu’il importe jusqu’à 85% de ses besoins en carburant. Les trois ou quatre raffineries sont délibérément sous-exploitées voire sabotées comme pour retarder son indépendance énergique. Pourtant le pétrole brut – bonny light – serait techniquement facile à raffiner. Chaque année qui passe, le Nigéria perd 10 milliards $ sous-forme de fuite de capitaux, et ce depuis plus de 40 ans. Et la corruption endémique qui gangrène l’économie et toutes les strates de la société n’incite pas les capitaux étrangers à s’investir. Ceux-ci seraient estimés à plus de 100 milliards $. Lamido Sanusi, gouverneur de la Banque Centrale s’est fait brutalement débarqué par le président Goodluck Johnatan en février dernier. La raison de son éviction ? Il a demandé des comptes à la Société Pétrolière Nationale Nigériane (NNPC) sur un trou de 20 milliards $ !
Ce pillage éhonté d’hydrocarbures est le fait de la turpitude des dirigeants nigérians érigée en système et avec la connivence des majors companies (Shell, BP, Total, Exxon…). Les pouvoirs militaires qui se sont succédé depuis l’indépendance ont toujours su placer ses hommes de confiance dans les entreprises nationales. L’exploitation industrielle du pétrole à la fin des années 1970 n’a fait que renforcer cette collusion entre les intérêts privés et publics avec même la complicité des militaires reconvertis en « businessman ». Les pays occidentaux semblent enfin réagir : aider le Nigéria à retrouver les jeunes filles kidnappées devrait être l’amorce d’une coopération plus approfondie et surtout en matière de lutte contre la corruption et la mise en place d’une bonne gouvernance.
Mais le fond du problème nigérian provient de cette rente pétrolière que la population défavorisée n’en a jamais vu les retombées. Une population démunie devient perméable à toutes les idéologies (politique ou religieuse). Le Mouvement pour l’Emancipation du Delta du Niger (MEND) revendique, depuis prés de 10 ans, une meilleure allocation des revenus pétroliers pour les personnes vivant dans la région du Delta. Ces actions passent par le sabotage des oléoducs ou la prise d’otages de personnels expatriés des compagnies pétrolières. La charia a été réintroduite dans le Nord du Nigéria, au début des années 2000, concomitamment avec le départ des militaires du pouvoir. A partir de ce moment-là, les sudistes ont pris progressivement le contrôle de l’armée et de l’administration. Une douzaine d’Etats du Nord sur les 36 que compte la fédération nigériane avait instauré la loi islamiste en réaction à cette situation de paupérisation chronique. Boko Haram n’est qu’un groupe religieux parmi tant d’autres qui servent de réceptacle à toutes les frustrations des habitants des Etats du Nord. Même si depuis cinq ans, Boko Haram a basculé dans l’extrême violence, ce groupe dit « terroriste » détient une base sociale favorable. Ceci s’explique par les persécutions que subissent la population à cause des interventions brutales des forces de l’ordre ou des milices privées. D’ailleurs, dans une interview sur CNN l’ancien président Olusegun Obasanjo a suggéré « à ce que le gouvernement actuel adopte une approche à deux voies plutôt que la méthode du tout répressif ». Cette déclaration date de 2013, au moment où Goodluck Johnatan avait décrété l’état d’urgence dans les trois Etats du Nord-Est ; lequel a encore été récemment prolongé de six mois.
Les élections présidentielles de 2015 seront un test majeur pour le Nigéria. Trouvera-t-il l’homme providentiel capable de redresser cet Etat fédéral en déliquescence ? Ce pays est tiraillé depuis son indépendance, il y a 50 ans, entre le concept d’Etat-nation et les antagonismes religieux (chrétien, musulman), géographique (le Sud riche et le Nord désertique) qui à terme risquerait de fragiliser son unité.
Encadré: Boko Haram
2002 : année de naissance par le prêcheur Mohamed Yusuf dans l’Etat borno
Création d’école coranique pour enfants défavorisés autour d’une mosquée
Conscientisation d’universitaire exclus de leur formation
2003 à 2009 : attaques sporadiques des symboles de l’Etat fédéral : commissariat de police, caserne de soldats
2009 : affrontements violents entre les forces de l’ordre et les membres du mouvement
Bilan : plus de 700 morts dont le fondateur Mohamed Yusuf
2010 : avènement du leader autoproclamé Abubakar Shekau
Radicalisation du mouvement
Libération spectaculaire des prisonniers
Attentat contre les églises chrétiennes
2011 à 2012 : attentats contre les bâtiments publics (commissariat, garnison, le siège de l’ONU à Abuja)
Scission au sein du mouvement et création d’Ansaru par le dissident Abu Ussamata
A partir de 2013 : lutte sans merci contre le pouvoir fédéral qui déclare l’état d’urgence
Combien d’hommes ? Entre 25 et 30.000 hommes pour la plupart originaires de Kano ; avec un système de commandement au sommet duquel se trouve un conseil consultatif ou Choura composé d’une trentaine de membres
Le leader Abubakar Shekau ? S’il était un fanatique exalté, comme le prétend les médias occidentaux, il lui serait impossible de tenir une armée de 25.000 hommes sans défection majeure, prête à le suivre depuis cinq ans.
Et le nerf de la guerre ? Le salaire des hommes, la dotation en matérielle, pour tenir tête aux forces de l’ordre mêmes dépareillées, doivent être assez conséquents. Or la prise d’otages – synonyme de rançons - est un mode opératoire assez récent ; donc, le financement viendrait d’ailleurs. Des pays du Golfe Persique et emmené par des porteurs de valise ?
Lamine THIAM
De Chibok à Paris
Dans la nuit du 14 avril, 276 lycéennes ont été enlevées à Chibok (Etat de Borno). Seules quelques adolescentes ont pu se soustraire des griffes de leurs ravisseurs, qui en sautant de voiture en marche, qui encore en trompant la vigilance de leurs geôles. Quant à la destinée des 220 autres adolescentes, le message vidéo diffusé par Boko Haram, quelques semaines plus tard, était à double détente. D’abord, une preuve de vie adressée aux familles et une menace sans équivoque : les réduire en esclavage et les vendre à défaut de pouvoir les convertir à l’islam. De quoi renforcer les angoisses des familles ; d’autant plus que certaines fugitives auraient rapporté qu’elles avaient été victimes de viol collectif, pendant leur bref moment de captivité. Ensuite, à l’adresse du gouvernement fédéral, Abubakar Shekau le leader de Boko Haram avait proposé l’échange de prisonniers contre le relâchement des jeunes filles.
Pourquoi une mobilisation planétaire pour retrouver les lycéennes ?
Rappelons que dans un passé très récent, en septembre dernier, 40 élèves ont été massacrés dans un collège d’enseignement agricole à Gujba (Etat de Yobe). Comme ces 43 autres adolescents âgés de 11 à 18 ans qui ont subi le même sort au dortoir du lycée fédéral de Buni Yadi en février 2014. Ces actes ont toujours suscité de vives émotions et une condamnation véhémente de la part des autorités. L’épisode du rapt de Chibok est inédit : de par le nombre de jeunes filles enlevées, et mineures – entre 12 et 17 ans - de surcroît. Face à la lenteur des réactions des forces publiques, les familles se sont, elles-mêmes, mobilisées pour essayer de retrouver leurs enfants. Ceci a eu pour effet de mettre le président Goodluck Jonathan en porte-à-faux. Il a fallu qu’il réagisse très rapidement car cette prise d’otages risquait de ternir l’image du Nigéria, puissance invitante du « Forum économique pour l’Afrique ». Mais sa mauvaise gestion de cette crise pourrait aussi lui coûter des voix lors de la prochaine élection présidentielle de 2015.
Les Prises d’Otages massives (POM), à l’instar de celle d’In Amenas – janvier 2013 – sont maintenant intégrées dans les plans de communication des groupes terroristes. La maîtrise de cet outil confère un retentissement planétaire à leurs actes. La cassette vidéo du leader de Boko Haram Abubakar Shekau en apporte encore une fois la preuve. Non seulement, un élan de solidarité international s’est manifesté pour la libération des 200 adolescentes. Mais elle a également suscité une vague d’indignation et une réaction de la communauté internationale ; laquelle a certainement mis la pression sur le chef d’Etat nigérian pour le sommer d’agir. Mi-mai, le temps d’un week-end, Paris est redevenue la capitale de l’Afrique sécuritaire. Le président français François Hollande descendît sur le perron du palais de l’Elysée pour accueillir son homologue Johnatan Goodluck, lequel a imploré la terre entière pour retrouver ses sabines enlevées. Se sont joints ensuite à eux, les chefs d’Etat de la région : Boni Yayi (Bénin), Mahamadou Issoufou (Niger), Idriss Deby (Tchad) et Paul Biya (Cameroun). Cette belle brochette de personnalités a été complétée autour de la table par les Représentants respectifs des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de l’Union Européenne. Et l’Union Africaine ? Elle n’a pas été conviée alors qu’elle devait être à l’origine de telles initiatives ! N’a-t-on pas encore une fois raté une occasion de prendre en main notre destinée continentale ?
Le communiqué final acte plusieurs décisions pour une coopération entre les Etats voisins en vue de la libération des jeunes filles et de lutter de manière plus efficace contre Boko Haram. En outre, les grandes puissances occidentales mettront en place des moyens logistiques de surveillance aérienne par des drones.
Actuellement, une observation de la carte d’Afrique permet instantanément de découvrir l’extension de la zone à risque ; donc synonyme de foyer terroriste. L’axe Atlantique-Mer Rouge est presque galvaudé : désormais, la diagonale Mauritanie-Kenya devient l’axe majeur de crise. Les petites tâches rouges grossissent ou se rejoignent et descendent maintenant vers le golfe de Guinée.
Ainsi donc, face à l’urgence et au drame, nos chefs d’Etat ont su taire leurs ressentiments et quelques querelles de voisinage. Le Bénin ne se plaint-il pas de temps en temps de l’arrogance du Nigéria dont la population franchit allègrement les frontières alors que les béninois ne peuvent pas en faire autant ? Le Niger, situé aux portes du désert de Sahara, est très exposé aux descentes des djihadistes. Il serait avec le Tchad, un couloir de transit pour l’acheminement d’armes vers le Nigéria en provenance des arsenaux libyens éventrés. A-t-on assisté au sommet de Paris à la renaissance de la Commission du Bassin du Lac Tchad ? Crée en 1964 à N’Djaména, les membres historiques de la CBLT sont : le Cameroun, le Niger, le Nigéria et le Tchad. Elle avait pour objectif de régler les différends affectant cette zone et plus particulièrement les eaux dudit bassin. S’il faut retenir une chose de ce sommet sur la sécurité à Paris, ce serait l’engagement du président camerounais Paul Biya envers le Nigéria. Le contentieux de l’ile de Bakassi a, en effet, refroidit les relations diplomatiques entre les deux pays pendant plus de 20 ans. Or, il a accepté une coopération militaire aux abords de sa frontière. En d’autres termes, les soldats nigérians auront un droit de poursuite au-delà des montagnes de l'Adamawa, en lisière du Cameroun. Tout comme les végétations luxuriantes, donc difficilement accessibles, du parc national de Waza (Cameroun) ou la forêt de Sambisa (Nigéria) sont également des endroits considérés comme des bases-arrière de Boko Haram.
Nigéria, ce géant au pied d’argile
Pays le plus peuplé du continent, premier producteur de pétrole, tout récemment classé première puissance économique d’Afrique ; forcément l’homme le plus riche d’Afrique – Aliko Dangote - est nigérian… Malheureusement, cette économie repose essentiellement sur les hydrocarbures qui pourvoient à plus de 80% des revenus du pays. Le Nigéria n’est pas à un paradoxe près : sa production annuelle de pétrole brut avoisine les 2 millions de barils/jour alors qu’il importe jusqu’à 85% de ses besoins en carburant. Les trois ou quatre raffineries sont délibérément sous-exploitées voire sabotées comme pour retarder son indépendance énergique. Pourtant le pétrole brut – bonny light – serait techniquement facile à raffiner. Chaque année qui passe, le Nigéria perd 10 milliards $ sous-forme de fuite de capitaux, et ce depuis plus de 40 ans. Et la corruption endémique qui gangrène l’économie et toutes les strates de la société n’incite pas les capitaux étrangers à s’investir. Ceux-ci seraient estimés à plus de 100 milliards $. Lamido Sanusi, gouverneur de la Banque Centrale s’est fait brutalement débarqué par le président Goodluck Johnatan en février dernier. La raison de son éviction ? Il a demandé des comptes à la Société Pétrolière Nationale Nigériane (NNPC) sur un trou de 20 milliards $ !
Ce pillage éhonté d’hydrocarbures est le fait de la turpitude des dirigeants nigérians érigée en système et avec la connivence des majors companies (Shell, BP, Total, Exxon…). Les pouvoirs militaires qui se sont succédé depuis l’indépendance ont toujours su placer ses hommes de confiance dans les entreprises nationales. L’exploitation industrielle du pétrole à la fin des années 1970 n’a fait que renforcer cette collusion entre les intérêts privés et publics avec même la complicité des militaires reconvertis en « businessman ». Les pays occidentaux semblent enfin réagir : aider le Nigéria à retrouver les jeunes filles kidnappées devrait être l’amorce d’une coopération plus approfondie et surtout en matière de lutte contre la corruption et la mise en place d’une bonne gouvernance.
Mais le fond du problème nigérian provient de cette rente pétrolière que la population défavorisée n’en a jamais vu les retombées. Une population démunie devient perméable à toutes les idéologies (politique ou religieuse). Le Mouvement pour l’Emancipation du Delta du Niger (MEND) revendique, depuis prés de 10 ans, une meilleure allocation des revenus pétroliers pour les personnes vivant dans la région du Delta. Ces actions passent par le sabotage des oléoducs ou la prise d’otages de personnels expatriés des compagnies pétrolières. La charia a été réintroduite dans le Nord du Nigéria, au début des années 2000, concomitamment avec le départ des militaires du pouvoir. A partir de ce moment-là, les sudistes ont pris progressivement le contrôle de l’armée et de l’administration. Une douzaine d’Etats du Nord sur les 36 que compte la fédération nigériane avait instauré la loi islamiste en réaction à cette situation de paupérisation chronique. Boko Haram n’est qu’un groupe religieux parmi tant d’autres qui servent de réceptacle à toutes les frustrations des habitants des Etats du Nord. Même si depuis cinq ans, Boko Haram a basculé dans l’extrême violence, ce groupe dit « terroriste » détient une base sociale favorable. Ceci s’explique par les persécutions que subissent la population à cause des interventions brutales des forces de l’ordre ou des milices privées. D’ailleurs, dans une interview sur CNN l’ancien président Olusegun Obasanjo a suggéré « à ce que le gouvernement actuel adopte une approche à deux voies plutôt que la méthode du tout répressif ». Cette déclaration date de 2013, au moment où Goodluck Johnatan avait décrété l’état d’urgence dans les trois Etats du Nord-Est ; lequel a encore été récemment prolongé de six mois.
Les élections présidentielles de 2015 seront un test majeur pour le Nigéria. Trouvera-t-il l’homme providentiel capable de redresser cet Etat fédéral en déliquescence ? Ce pays est tiraillé depuis son indépendance, il y a 50 ans, entre le concept d’Etat-nation et les antagonismes religieux (chrétien, musulman), géographique (le Sud riche et le Nord désertique) qui à terme risquerait de fragiliser son unité.
Encadré: Boko Haram
2002 : année de naissance par le prêcheur Mohamed Yusuf dans l’Etat borno
Création d’école coranique pour enfants défavorisés autour d’une mosquée
Conscientisation d’universitaire exclus de leur formation
2003 à 2009 : attaques sporadiques des symboles de l’Etat fédéral : commissariat de police, caserne de soldats
2009 : affrontements violents entre les forces de l’ordre et les membres du mouvement
Bilan : plus de 700 morts dont le fondateur Mohamed Yusuf
2010 : avènement du leader autoproclamé Abubakar Shekau
Radicalisation du mouvement
Libération spectaculaire des prisonniers
Attentat contre les églises chrétiennes
2011 à 2012 : attentats contre les bâtiments publics (commissariat, garnison, le siège de l’ONU à Abuja)
Scission au sein du mouvement et création d’Ansaru par le dissident Abu Ussamata
A partir de 2013 : lutte sans merci contre le pouvoir fédéral qui déclare l’état d’urgence
Combien d’hommes ? Entre 25 et 30.000 hommes pour la plupart originaires de Kano ; avec un système de commandement au sommet duquel se trouve un conseil consultatif ou Choura composé d’une trentaine de membres
Le leader Abubakar Shekau ? S’il était un fanatique exalté, comme le prétend les médias occidentaux, il lui serait impossible de tenir une armée de 25.000 hommes sans défection majeure, prête à le suivre depuis cinq ans.
Et le nerf de la guerre ? Le salaire des hommes, la dotation en matérielle, pour tenir tête aux forces de l’ordre mêmes dépareillées, doivent être assez conséquents. Or la prise d’otages – synonyme de rançons - est un mode opératoire assez récent ; donc, le financement viendrait d’ailleurs. Des pays du Golfe Persique et emmené par des porteurs de valise ?
Lamine THIAM