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Afrique Publié le mercredi 18 février 2015 | Diasporas-News

Nigéria : Boko Haram vers l’instauration du califat de Sokoto ?

Les places fortes du Nord tombent une à une : après Baga, Monguno est tombée. Face à l’impuissance de l’armée nigériane, Boko Haram passe de la stratégie de guérilla vers une territorialisation. A l’instar d’Al-Baghadadi en Irak, Abubakar Shekau rétablira-t-il le califat de Sokoto du XIXème siècle ?

Jusqu’où Boko Haram (BH) s’arrêtera-t-elle dans cette escalade de violences ? Qualifiés d’actes innommables, les exactions perpétrées par le groupe islamiste, dès le début de l’année 2015, dépassent l’entendement. Le 2 janvier, une bombe artisanale harnachée sur une fillette et déclenchée à distance en plein marché de Maiduguri, capitale de l’Etat du Borno : 19 morts. Ensuite le 3 janvier, l’assaut final sur la base militaire de Baga suivi d’une expédition punitive sur tous les villages de pêcheurs de cette localité, située au bord du lac Tchad : plus de 2.000 victimes. Les images satellites superposées – avant et après l’attaque - diffusées par Amnesty International sont édifiantes. Elles tendent à corroborer les témoignages de quelques survivants, lors de leur fuite. Sortant enfin de leur cachette, quelques jours après le massacre, ils ont vu des cadavres jonchés le sol sur des kilomètres.
Les concentrations d’attaque dans le Nord-Est du Nigéria ces six derniers mois, indiquent une modification dans la stratégie du groupe. En effet, le dernier attentat à la voiture piégée commise à Abuja remonte maintenant au début du mois de mai 2014. Les Etats de Yobe, Adamawa, Borno sont les principaux théâtres de leurs opérations. Une trentaine de villes sont désormais sous-contrôle de BH. Il est évident que la phase de reconquête de l’armée nigériane à la suite de l’instauration de l’état d’urgence, décrété par le gouvernement fédéral en mai 2013, a acculé BH dans un réduit territorial. Aujourd’hui, les islamistes sont contraints de passer au-delà des frontières ; même si autrefois, les pays voisins étaient déjà considérés comme des bases-arrières de l’organisation terroriste.

Quant au mode opératoire, il a radicalement changé. Avant, les milices islamistes opéraient par groupe de trois à cinq personnes. Tandis qu’aujourd’hui, ils déferlent par centaine pour attaquer de front l’armée, ratisser les villages en tuant les hommes au passage et kidnapper les femmes et les jeunes filles. Face ce déchaînement de violences, même contre la population de confession musulmane, les prises d’otages occidentaux, les spécialistes se posent la question suivante : la scission – datant de 2012 - entre BH « canal historique » dirigée par Abubakar Shekau et la branche dissidente Ansaru a-t-elle fait long feu ? Cette dernière privilégiait plutôt des intérêts occidentaux tels que les attentats, comme contre le siège des Nations-Unies à Abuja (2011), et les lieux de culte chrétiens. L’exil de ses cadres après l’offensive d’envergure de l’armée en 2009 a favorisé le rapprochement d’Ansaru avec la mouvance djihadiste international comme AQMI ou les Shebabs de Somalie.

Cette fusion emmène davantage de questions que de réponses. Est-ce une fusion totale ou simplement des échanges de bons procédés en fonction de la spécialisation ou de zones géographiques de chaque groupe ? En d’autres termes, Ansaru s’occuperait des prises d’otages occidentaux et des jeunes filles ; et BH des opérations militaires. Quant au nerf de la guerre, l’organisation est devenue une affaire florissante : les hold-up de banques locales et depuis 2013 les rançons de libération d’occidentaux servent à financer les opérations militaires et à recruter des jeunes désœuvrés. Les experts estiment que cette montée en puissance est le fait de 7 à 8.000 combattants. Avec toute la logistique, BH est fort de 30.000 hommes environ. Elle détient aujourd’hui un arsenal impressionnant issu de Libye via le Niger et plus récemment de base militaire abandonnée par l’armée. Quel est le degré d’autonomie de chaque groupe par rapport au conseil de la Choura ; une sorte de gouvernement d’une trentaine de membres. En tout cas, la gestion de la communication reste le magistère de l’exalté Abubakar Shekau.

L’avènement de Boko Haram (BH)
Les cycles de violences-représailles entre les sectes musulmanes intégristes et l’armée nigériane, dans la partie septentrionale du Nigéria, remontent maintenant à plus de 30 ans.

Le mouvement millénariste Maitatsine – fondé par le prêtre camerounais Marwa dans les années 1970 - était à l’origine des premiers épisodes de violentes émeutes entre 1980 et 1985. Les interventions de l’armée et les différents affrontements se sont soldées par plus de 5.000 morts et de dizaine de milliers de déplacés.

Après deux décennies d’accalmie, une dizaine de sectes virent le jour, surfant sur la déception populaire provoquée par la fracture socioéconomique entre le Sud prospère et le Nord laissé-pour-compte. Parmi elle, BH de Muhammad Yusuf qui revendiqua l’application stricte de la Charia, seule capable à ses yeux de rétablir un peu de justice sociale.

Instrumentalisée par les hommes politiques des Etats du Nord, BH se radicalisa au tournant des années 2005. En 2009, le groupe islamiste lança une vaste offensive dans quatre Etats du Nord. La brutalité de la réponse des forces de l’ordre et les exécutions sommaires qui s’en suivirent - dont celle du fondateur Muhammad Yusuf - a engendré le monstre que le Nigéria et ses voisins ont hérité de nos jours.

Comment neutraliser Boko Haram (BH)?

5 milliards $ de budget annuel, 8.000 hommes affectés à la lutte contre BH (NDLR : D-N n° 56 octobre 2014) : malgré cette débauche de moyens, l’armée mexicaine (oh, pardon !) nigériane est obligée de faire appel à l’aide régionale et internationale. Un manque de coordination entre les différents corps de l’armée ainsi que les services de renseignement rend cette lutte pour le moins inefficace. D’ailleurs, le président Goodluck Jonathan a dû limoger les trois chefs d’état-major (air, mer, terre) en janvier 2014 pour remettre un peu d’ordre dans la maison. Un témoignage - sur Voice of America - en 2012 d’un soldat, qui a requis l’anonymat, affecté à Bama dans l’Etat de Borno semble édifiant : « il aurait reconnu certains des combattants de BH comme étant ses instructeurs militaires dans le camp d’entraînement de Kontagora (près d’Abuja)… nous avions réalisé que certains étaient des mercenaires de l’armée nigériane recrutés pour nous combattre ».

Le budget destiné à la lutte contre BH se dilue dans le maquis de la corruption. Lorsqu’un soldat est obligé d’acheter sa tenue de combat et qu’il ne reçoit que 60 cartouches de dotation – face à des miliciens aguerris équipés de canons anti-aériens - le moral des troupes en prend un sacré coup. Ce qui tend à confirmer les propos de plusieurs soldats : « leurs supérieurs ont empoché de l’argent prélevé sur le budget d’équipements des troupes ». Le matériel et les uniformes pourraient être vendus par ces officiers indélicats auprès de BH. Ceci peut expliquer une certaine réticence des pays occidentaux à aider le Nigéria. Le Secrétaire d’Etat américain John Kerry, en visite à Abuja le 25 janvier dernier, a surtout mis l’accent sur les prochaines élections présidentielles du 14 février ; la question sécuritaire et BH étaient passées au second plan.

Depuis l’instauration de l’état d’urgence en mai 2013, des milices d’autodéfense se sont créées spontanément. Il s’agit de la Civilian Joint Task Force ou Force d'Intervention Civile Conjointe (CJTF). Chasser BH de leur région ; tel est leur objectif. BH les considère aujourd’hui comme les supplétifs de l’armée ; ce qui est d’ailleurs le cas, même si les responsables militaires refusent de l’officialiser. En effet, certains membres de la CJTF ont participé à des opérations de l’armée nigériane contre BH. Le ratissage systématique d’une quinzaine de villages de la localité de Baga par les islamistes, le 2 janvier dernier, n’est rien d’autre que la chasse à tous les hommes - quelque soit leur confession - en représailles à cette collusion avec les forces de l’ordre.

Baga, un verrou stratégique

Autrefois, village paisible de pêcheurs au bord du lac Tchad, il est devenu un carrefour stratégique dans la lutte contre BH. L’horreur n’a pas de camp mais lorsque les exactions sont perpétrées par les forces multinationales, l’affaire est discrètement étouffée par les gouvernements. En avril 2013, la Force Multinationale de la Région (MNJTF) – Niger, Tchad, Nigeria - stationnée dans la base militaire de Baga a bouclé la zone avant de lancer une offensive sanglante : assaut d’une mosquée affilée à BH, guérilla urbaine, incendie de 300 maisons. Bilan selon la Croix-Rouge : 187 morts et plus d’une centaine de blessés dont des femmes et des enfants. L’injonction des Etats-Unis auprès du président Goodluck Jonathan pour l’ouverture d’une enquête s’est évanouit dans les limbes.

Les pays de la sous-région savaient que tôt ou tard BH prendra sa revanche. L’enlèvement des 256 lycéennes de Chibok, en avril 2014, fut le prétexte pour les pays membres de la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT) de renforcer cette force multinationale en intégrant le Cameroun et le Bénin. Chaque pays devait fournir un bataillon (700 hommes).

Cette force de 3.500 hommes a été officiellement mise en place fin 2014. En ce qui concerne la base opérationnelle de Baga, le Niger et le Tchad auraient retiré, sans concertation préalable avec le Nigéria, leur contingent en novembre 2014. Et ce, au prétexte de massacre de 48 pêcheurs. Stratégiquement, toutes les villes frontalières allant du Cameroun, le long du lac Tchad et la rivière Yobé – frontière entre le Nigeria et le Niger – sont sous-contrôle de BH. Donc, les experts militaires tchadiens et nigériens savaient que la prochaine cible serait Baga, sauf si le Nigéria accepte de renforcer la base. La population civile aurait donc été sacrifiée à cause d’une mauvaise coordination entre les responsables politiques et militaires des pays de la sous-région ?

Les pays voisins du Nigéria ont, pendant longtemps, fermé les yeux sur les activités de BH à la lisière de leur frontière. Ils servaient de base de ravitaillement, de sanctuaire au groupe terroriste. Pourquoi ont-ils laissé prospérer BH ? D’abord, le commerce frontalier, source de revenus substantiels pour les populations, devait être préservé. Outre les questions de leadership régional entre les chefs d’Etat, il existe également des différends historiques qui ont été exacerbés par la découverte de gisements de ressources naturelles. Alors si le voisin a quelques difficultés avec ses ennemies de l’intérieur….

Aujourd’hui, plus de 100.000 nigérians sont réfugiés au Niger (source : HCR) dont quelques 30.000 rien que ces deux derniers mois. L’armée camerounaise, ayant réussi à contenir jusque-là les assauts de BH, est en limite de capacité et redoute de se faire déborder dans l’extrême Nord. Ce qui a sonné l’urgence absolue pour le Tchad. Ndjamena, la capitale, est située à peine à 80km de la frontière du Cameroun. A la fin de l’année 2014, le Niger a décidé de maintenir la route « Tchad-Cameroun » pour acheminer son brut d’Agadem par un oléoduc jusqu’au terminal pétrolier camerounais de Kribi ; « l’ouverture officielle de la vanne est prévue à l’horizon 2016 ». Alors que face à l’insécurité grandissante à Diffa, il était encore question de passer par le Bénin, quelques mois auparavant, même si cela aurait coûté deux fois plus cher. De facto, le Niger va devoir lutter contre BH pour son intérêt vital.

Lamine THIAM

ENCADRE

Boko Haram

Le président de la Commission Electorale Indépendante (INEC) Attahiru Jegain a annoncé le 7 février dernier, le report de six semaines du calendrier électoral 2015. Ce qui renvoie les élections présidentielles et législatives au 28 mars au lieu du 14 février. Une victoire symbolique pour Boko Haram ? Cette décision a été prise à la suite d’une tractation avec l’état-major de l’armée et le Conseiller National pour la Sécurité Sambo Dasuki. Les forces armées nigérianes ont officiellement déclaré qu’elles seraient incapables d’assurer la sécurité de la région orientale; lieu où se déroule actuellement une opération militaire transnationale contre la secte Boko Haram. Six semaines seraient-elles suffisantes pour mettre hors d’état de nuire le groupe islamiste qui y sévit depuis 2009 ?
Face à la détérioration de la situation sur le terrain, les pays voisins ont décidé d’engager leurs forces armées. Et ce, en dépit de la décision de l’Union Africaine de déployer 7.500 hommes pour lutter contre Boko Haram. Comme elle est conditionnée par un mandat du Conseil de Sécurité et d’un hypothétique financement international, l’arrivée de cette force multinationale sur le théâtre des opérations n’interviendra pas avant la fin de l’année 2015.

Aujourd’hui, seule la France confirme que quelques dizaines de ses officiers de liaison sont infiltrés dans le Sud-est du Niger.

Quant au Tchad, le président Idriss Deby a obtenu de la part des autorités nigérianes un droit de poursuite sur son territoire des milices armées de Boko Haram. Ainsi l’armée tchadienne a entamé une vaste offensive au Nigéria et au Nord du Cameroun. La conquête de Boko Haram est devenue une menace pour les intérêts vitaux du Tchad. En effet, ses produits d’importation débarquent au port de Douala et empruntent un axe routier de 1.800 km pour arriver à Ndjamena. Tandis que son brut est évacué par un oléoduc jusqu’au terminal de Kribi sur l’océan Atlantique.

Quant au Niger, le parlement votera en urgence dans les jours à venir, le déploiement hors de ses frontières de son armée. Les miliciens de Boko Haram ont déjà traversé le fleuve Yobé pour s’en prendre à la région de Diffa, une attaque qui était attendue avec une certaine fatalité depuis que Abubakar Shekau a proféré sa menace de destruction des raffineries nigériennes, il y a maintenant un an.

L. T
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