Satigui Koné est le premier responsable de la CNOSCI, une faitière des organisations de la société civile ivoirienne. Dans cette interview, il dénonce les mauvaises conditions des futures élections et prévient sur tout risque de débordement.
Bonjour M Satigui Koné, vous êtes le président de la Convention Nationale des Organisations de la Société Civile Ivoirienne (CNOSCI). Comment se porte votre organisation?
La CNOSCI est sur le terrain, auprès des populations qui sont souvent très peu écoutées. Les Ivoiriens qui nous suivent savent désormais que la société civile n’est ni une question de groupe ethnique, ni de chapelle politique, ni de conviction religieuse. Tous les Ivoiriens sont égaux en droit et en devoir au sein de la CNOSCI. Et nous estimons que c’est cela la première raison de notre existence.
Depuis votre congrès constitutif à Abobo, vous vous êtes presque installés dans un silence prolongé.
A la vérité, nous misons sur l’efficacité au détriment des discours. La CNOSCI s’est très vite engagée dans la sensibilisation des populations sur les enjeux de la cohésion entre les Ivoiriens. Nous avons très vite mis en garde contre les risques sur la crédibilité des élections si les populations ne sont pas vraiment impliquées. Un taux d’abstention élevé est la preuve d’un désamour des populations pour la chose politique et une menace sur la démocratie qui est l’expression du choix individuel. Vous savez, la CNOSCI a publié, en trois mois, deux rapports et deux déclarations. Nous avons déploré les conditions de la tenue de la révision des listes électorales et prédit que la non production de la carte d’identité à temps et les difficultés pour l’obtention du certificat de nationalité seraient un sérieux obstacle à l’inscription des Ivoiriens sur les listes électorales. La suite nous a malheureusement donné raison. Moins d’un Ivoirien sur 10 nouveaux électeurs attendus par la Commission Electorale a pu s’inscrire sur le listing électoral.
A l’approche des prochaines élections, la méfiance s’accentue entre le pouvoir et l’opposition. Ne craignez-vous pas des risques d’affrontement entre les Ivoiriens?
La société civile ivoirienne est souvent écœurée de voir les difficultés que les dirigeants ont à régler les différends avec les outils de régulation sociale traditionnels.
Les Ivoiriens sont plus enclins à se tolérer que les leaders politiques. Il est urgent que les hommes politiques ivoiriens sachent que le plus important c’est le pays. Toutes les concessions sont possibles pour préserver la paix sociale et pour éviter à la Côte d’Ivoire de nouvelles heures tristes. Les organisations de la société civile ont signé un code de bonne conduite à Yamoussoukro, il y a peu. Les journalistes sont en train de jouer leur partition en se dédouanant des propos belliqueux. Celui qui par son refus de dialoguer pousse le pays à l’affrontement devra le payer face aux Ivoiriens. Nous ne voulons pas en arriver là, c’est pourquoi nous conseillons que le régime discute avec l’opposition significative.
Selon vous, les conditions sont-elles réunies pour aller aux élections en octobre prochain ?
Il reste beaucoup à faire. La société civile estime que les tensions sociales doivent être réduites par des actions concrètes. Il y a les conditions institutionnelles et des réalités sociologiques. La Côte d’Ivoire a connu des morts au sortir des dernières élections générales. Tout ce qui peut éviter les affres des affrontements doit être entrepris. Nous allons très bientôt initier, au niveau de la CNOSCI, des actions publiques pour poser les questions essentielles de cohésion et d’apaisement avant que les Ivoiriens ne se rendent aux urnes.
Pensez-vous que les tensions politiques pourraient décourager les investissements annoncés en Côte d’Ivoire ?
Les élections sont souvent appréhendées avec inquiétudes surtout quand les souvenirs récents ne sont pas rassurants. En Côte d’Ivoire, cela est d’autant plus vrai que les 3000 victimes des dernières élections incitent à la prudence. Et si les dirigeants du pays accordent un intérêt à la société civile, ce serait une opportunité de la mettre au travail pour que les populations, dans leur diversité, soient rassurées. Les investisseurs sont aussi bien nationaux qu’étrangers. Et se cantonner à faire des communiqués à la télévision nationale a montré ses limites dans la stratégie de sensibilisation des populations surtout qu’aujourd’hui quatre Ivoiriens sur cinq passent plus de temps sur les chaines de télévisions cryptées.
La vie est de plus en plus chère en Côte d’Ivoire de l’avis d’une frange importante d’Ivoiriens. Selon vous, pourquoi les Ivoiriens ne ressentent pas les effets de la relance de l’économie ivoirienne ?
Le taux de pauvreté se situe actuellement au-delà de 42% en Côte d’Ivoire et cela est énorme. La population vit effectivement une grave crise économique qui s’est accentuée avec les violences postélectorales. Un autre pan de cette crise est l’insuffisance d’accès aux infrastructures socioéconomiques de base, au taux de chômage qui ne s’améliore pas, aux ménages qui ont de plus en plus de mal à consommer, à épargner, à se déplacer et à se loger. La question du logement, par exemple, semble être sans solution. Il serait plus simple de réduire les prix du ciment, de la tôle et des autres intrants pour permettre aux Ivoiriens de se construire des maisons. Les politiques de l’habitat qui ne mettent pas les populations au centre des préoccupations ont presque toutes échoué à travers le monde. La crise des « subprimes » aux Etats Unis est assez récente pour inviter à la prudence. Les effets de la relance ne pourraient toucher les populations que si les financements des micro-projets touchent vraiment les cibles véritables. Les fonds tels que le FAFCI doivent faire l’objet d’un réel suivi. La réalité sur le terrain est totalement différente de ce qui se dit souvent. On exige que les femmes aient déjà des activités avant d’en bénéficier. Les absolument pauvres qui n’ont que des idées de projets sont de plus en plus pauvres. Il faut éviter de faire de la Côte d’Ivoire un de ces pays émergents dont la moitié de la population vit dans la misère.
Au regard de la crispation du climat politique qui pourrait accentuer le coût de la vie, que prévoit votre organisation pour remédier à la situation ?
Notre première préoccupation est que les politiques commencent à écouter la société civile. Nous faisons des actions, nous proposons des solutions souvent très simples. Mais, tant que la société civile ivoirienne ne sera utilisée que pour remplir les salles lors des cérémonies, nos efforts resteront vains. Les sociétés coopératives qui sont membres de notre organisation proposent des solutions pour ravitailler les marchés, la chefferie traditionnelle, les religieux de tous bords demandent à aller vers les populations pour les rencontrer et leur parler etc. Mais, nous sommes souvent face à des murs de silence qui expriment fort bien le profond mépris vis-à-vis des organisations de la société civile ivoirienne. D’autres pays de la sous-région impliquent la société civile dans la recherche de réponses aux questions essentielles et ils s’en portent assez bien. Nous restons optimistes qu’un jour, la société civile ivoirienne sera écoutée.
Dieudonné Wognin
Bonjour M Satigui Koné, vous êtes le président de la Convention Nationale des Organisations de la Société Civile Ivoirienne (CNOSCI). Comment se porte votre organisation?
La CNOSCI est sur le terrain, auprès des populations qui sont souvent très peu écoutées. Les Ivoiriens qui nous suivent savent désormais que la société civile n’est ni une question de groupe ethnique, ni de chapelle politique, ni de conviction religieuse. Tous les Ivoiriens sont égaux en droit et en devoir au sein de la CNOSCI. Et nous estimons que c’est cela la première raison de notre existence.
Depuis votre congrès constitutif à Abobo, vous vous êtes presque installés dans un silence prolongé.
A la vérité, nous misons sur l’efficacité au détriment des discours. La CNOSCI s’est très vite engagée dans la sensibilisation des populations sur les enjeux de la cohésion entre les Ivoiriens. Nous avons très vite mis en garde contre les risques sur la crédibilité des élections si les populations ne sont pas vraiment impliquées. Un taux d’abstention élevé est la preuve d’un désamour des populations pour la chose politique et une menace sur la démocratie qui est l’expression du choix individuel. Vous savez, la CNOSCI a publié, en trois mois, deux rapports et deux déclarations. Nous avons déploré les conditions de la tenue de la révision des listes électorales et prédit que la non production de la carte d’identité à temps et les difficultés pour l’obtention du certificat de nationalité seraient un sérieux obstacle à l’inscription des Ivoiriens sur les listes électorales. La suite nous a malheureusement donné raison. Moins d’un Ivoirien sur 10 nouveaux électeurs attendus par la Commission Electorale a pu s’inscrire sur le listing électoral.
A l’approche des prochaines élections, la méfiance s’accentue entre le pouvoir et l’opposition. Ne craignez-vous pas des risques d’affrontement entre les Ivoiriens?
La société civile ivoirienne est souvent écœurée de voir les difficultés que les dirigeants ont à régler les différends avec les outils de régulation sociale traditionnels.
Les Ivoiriens sont plus enclins à se tolérer que les leaders politiques. Il est urgent que les hommes politiques ivoiriens sachent que le plus important c’est le pays. Toutes les concessions sont possibles pour préserver la paix sociale et pour éviter à la Côte d’Ivoire de nouvelles heures tristes. Les organisations de la société civile ont signé un code de bonne conduite à Yamoussoukro, il y a peu. Les journalistes sont en train de jouer leur partition en se dédouanant des propos belliqueux. Celui qui par son refus de dialoguer pousse le pays à l’affrontement devra le payer face aux Ivoiriens. Nous ne voulons pas en arriver là, c’est pourquoi nous conseillons que le régime discute avec l’opposition significative.
Selon vous, les conditions sont-elles réunies pour aller aux élections en octobre prochain ?
Il reste beaucoup à faire. La société civile estime que les tensions sociales doivent être réduites par des actions concrètes. Il y a les conditions institutionnelles et des réalités sociologiques. La Côte d’Ivoire a connu des morts au sortir des dernières élections générales. Tout ce qui peut éviter les affres des affrontements doit être entrepris. Nous allons très bientôt initier, au niveau de la CNOSCI, des actions publiques pour poser les questions essentielles de cohésion et d’apaisement avant que les Ivoiriens ne se rendent aux urnes.
Pensez-vous que les tensions politiques pourraient décourager les investissements annoncés en Côte d’Ivoire ?
Les élections sont souvent appréhendées avec inquiétudes surtout quand les souvenirs récents ne sont pas rassurants. En Côte d’Ivoire, cela est d’autant plus vrai que les 3000 victimes des dernières élections incitent à la prudence. Et si les dirigeants du pays accordent un intérêt à la société civile, ce serait une opportunité de la mettre au travail pour que les populations, dans leur diversité, soient rassurées. Les investisseurs sont aussi bien nationaux qu’étrangers. Et se cantonner à faire des communiqués à la télévision nationale a montré ses limites dans la stratégie de sensibilisation des populations surtout qu’aujourd’hui quatre Ivoiriens sur cinq passent plus de temps sur les chaines de télévisions cryptées.
La vie est de plus en plus chère en Côte d’Ivoire de l’avis d’une frange importante d’Ivoiriens. Selon vous, pourquoi les Ivoiriens ne ressentent pas les effets de la relance de l’économie ivoirienne ?
Le taux de pauvreté se situe actuellement au-delà de 42% en Côte d’Ivoire et cela est énorme. La population vit effectivement une grave crise économique qui s’est accentuée avec les violences postélectorales. Un autre pan de cette crise est l’insuffisance d’accès aux infrastructures socioéconomiques de base, au taux de chômage qui ne s’améliore pas, aux ménages qui ont de plus en plus de mal à consommer, à épargner, à se déplacer et à se loger. La question du logement, par exemple, semble être sans solution. Il serait plus simple de réduire les prix du ciment, de la tôle et des autres intrants pour permettre aux Ivoiriens de se construire des maisons. Les politiques de l’habitat qui ne mettent pas les populations au centre des préoccupations ont presque toutes échoué à travers le monde. La crise des « subprimes » aux Etats Unis est assez récente pour inviter à la prudence. Les effets de la relance ne pourraient toucher les populations que si les financements des micro-projets touchent vraiment les cibles véritables. Les fonds tels que le FAFCI doivent faire l’objet d’un réel suivi. La réalité sur le terrain est totalement différente de ce qui se dit souvent. On exige que les femmes aient déjà des activités avant d’en bénéficier. Les absolument pauvres qui n’ont que des idées de projets sont de plus en plus pauvres. Il faut éviter de faire de la Côte d’Ivoire un de ces pays émergents dont la moitié de la population vit dans la misère.
Au regard de la crispation du climat politique qui pourrait accentuer le coût de la vie, que prévoit votre organisation pour remédier à la situation ?
Notre première préoccupation est que les politiques commencent à écouter la société civile. Nous faisons des actions, nous proposons des solutions souvent très simples. Mais, tant que la société civile ivoirienne ne sera utilisée que pour remplir les salles lors des cérémonies, nos efforts resteront vains. Les sociétés coopératives qui sont membres de notre organisation proposent des solutions pour ravitailler les marchés, la chefferie traditionnelle, les religieux de tous bords demandent à aller vers les populations pour les rencontrer et leur parler etc. Mais, nous sommes souvent face à des murs de silence qui expriment fort bien le profond mépris vis-à-vis des organisations de la société civile ivoirienne. D’autres pays de la sous-région impliquent la société civile dans la recherche de réponses aux questions essentielles et ils s’en portent assez bien. Nous restons optimistes qu’un jour, la société civile ivoirienne sera écoutée.
Dieudonné Wognin