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Politique Publié le mercredi 28 octobre 2015 |

Côte d’Ivoire : après eux le déluge?

La réélection d’Alassane Dramane Ouattara (dit «Ado») à la tête de la Côte d'Ivoire, avec plus de 83% des voix, ne s’est pas jouée dimanche dernier dans les urnes, mais il y a déjà plusieurs mois de cela, dans le cœur historique de cette ex-colonie française, en «pays baoulé».

Côte d’Ivoire : après eux le déluge?
En septembre 2014, le président sortant a rendu visite à son «aîné» et «frère», l’ancien président Henri Konan Bédié (1995-1999), dans son fief de Daoukro (centre du pays). Quatre jours de palabres, de promesses d’investissements dans la région et d’hommages appuyés afin d’obtenir son soutien, dès le premier tour de la présidentielle.

Un coup gagnant, qui explique le «coup KO» (victoire dès le premier tour) qui a suivi pour Ouattara lors de ce scrutin présidentiel. Contrairement à l’élection de 2010 où il avait concouru, Bédié a appelé à voter dès le premier tour pour son «petit frère» en décidant de ne pas présenter de candidat. Une décision qui a fait tanguer le vieux parti fondé par Félix Houphouët-Boigny et poussé quelques-uns de ses caciques à entrer en dissidence.

Mais le «Vieux» Bédié a de l’autorité, de l’expérience et des moyens (financiers) pour éteindre les feux de la contestation. A l’arrivée, les dissidents n’ont pas pesé bien lourd dans les urnes face au rouleau compresseur de la campagne bien huilée de Ouattara, et des consignes de vote données par le patron du PDCI. Or ce parti, véritable colonne vertébrale du pays, représente au moins un tiers de l’électorat local. Autant que les ethnies issues du Nord, tout acquises à «Ado». Au final, le président sortant, Alassane Ouattara, l’emporte à l’issue d’un véritable plébiscite : non pas avec les deux tiers des suffrages exprimés, mais plus des trois-quarts !

Faut-il s’en réjouir ? De prime abord, on ne peut que se féliciter d’une élection sans violence en Côte d’Ivoire. Surtout si l’on se remémore la crise post-électorale de 2011 qui a provoqué la mort d’au moins 3000 personnes et ruiné le pays. En cinq ans, le successeur de Laurent Gbagbo est parvenu à endiguer la violence et à remettre le pays sur la voie de la croissance économique et du développement. S’il n’a pas réussi à créer autant d’emplois qu’il le souhaitait, le bilan socio-économique est sans commune mesure avec celui de son prédécesseur. Un nouveau mandat de cinq ans lui permettra de poursuivre son œuvre de reconstruction du pays, et de s’attaquer aux chantiers qui demeurent ouverts : la lutte contre le chômage des jeunes, la mise en place d’une armée républicaine et une véritable réconciliation fondée sur une justice équitable, et non pas celle des vainqueurs qui a cours depuis son accession au pouvoir.

Mais Alassane Ouattara devra aussi et surtout préparer sa succession – ce que n’avait pas su faire le «père de la Nation», Félix Houphouët-Boigny (décédé fin 1993). Depuis sa mort, trois hommes se sont disputé le pouvoir en Côte d’Ivoire. Trois hommes qui sont toujours là et qui ont, d’une certaine manière, confisqué le dernier scrutin : Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié avec leur pacte, mais aussi Laurent Gbagbo. Depuis sa cellule de Scheveningen (Pays-Bas), où il attend son procès devant la Cour pénale internationale, l’ancien président a en effet réussi à torpiller la candidature de Pascal Affi N’guessan, qui portait les couleurs du FPI (Front populaire ivoirien).

Le score de ce dernier – moins de 10% - est à comparer avec celui de Laurent Gbagbo en 2010, lequel avait rassemblé 32% des voix au premier tour, et près de 46% au second. Aujourd’hui, son électorat ne s’est pas volatilisé comme par magie. Tout comme celui du PDCI, dont une partie a voté pour Ouattara, tandis qu’une autre s’est sans doute abstenue, expliquant un taux de participation en baisse sensible : environ 55% contre près de 80% en 2010. La victoire aujourd’hui de Ouattara «gèle» en quelque sorte la situation, elle lui permet de gagner du temps et au pays de la stabilité. Mais elle ne règle rien sur le fond : trois camps polarisés sont toujours en présence en Côte d’Ivoire, et l’alliance de deux d’entre eux (scellée par le pacte Ouattara-Bédié) n’est sans doute que temporaire.

Dès aujourd’hui, l’après-Ouattara a commencé. En échange de son ralliement dès le premier tour, Bédié a obtenu l’assurance que ce sera au tour du PDCI de prendre la présidence en 2020. Un arrangement qui n’a rien de constitutionnel, et qui pourrait être remis en question par les «jeunes» loups impatients du camp Ouattara : l’ancien chef rebelle Guillaume Soro (aujourd’hui président de l’Assemblée nationale) et Hamed Bakayoko (actuel ministre de l’Intérieur).

Pour finir, osons une hypothèse dérangeante pour l’avenir mais pas forcément farfelue : si Bédié n’a pas voulu présenter de candidat lors de cette élection, c’est peut-être pour ne pas risquer de la gagner ! Un bon candidat du PDCI aurait très bien pu rassembler sur son nom non seulement l’électorat baoulé traditionnel (la principale communauté du pays), mais aussi les déçus de Ouattara. Et il aurait alors simplement fallu que le FPI de Laurent Gbagbo se rallie à ce candidat virtuel pour envoyer Alassane Ouattara à la retraite. Mais Henri Konan Bédié en a décidé autrement. Pourquoi ?

La clé du mystère se trouve peut-être dans un entretien publié récemment par l’hebdomadaire Jeune Afrique dans laquelle Bédié justifie son ralliement dès le premier tour à Ouattara : «Depuis 2000, les élections en Côte d’Ivoire se sont toujours soldées par de graves troubles et des milliers de morts, dit-il. Il fallait éviter cela cette fois-ci, d’autant plus que la plupart des acteurs politiques présents lors de ces troubles sont encore actifs sur la scène politique.»

En cas d’alternance, comment auraient réagi les ex-chefs rebelles qui ont soutenu et payé le prix du sang pour Ouattara jusqu’à sa prise de pouvoir en 2011 avant d’obtenir par la suite des postes lucratifs, et sans jamais avoir de compte à rendre sur leurs actions passées durant la crise ? Il reste cinq ans à Alassane Ouattara pour préparer les conditions d’un prochain scrutin dépourvu de faux-semblants. Afin d’installer une démocratie apaisée et solide dans son pays.

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