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Société Publié le vendredi 6 novembre 2015 |

Côte d’Ivoire : un mois après leur expulsion, des "déguerpis" d’Adjouffou livrés à eux-mêmes (REPORTAGE)

© Par Serge T
Opération de déguerpissement dans le quartier précaire de "Gobelet" non loin du commissariat du 30e arrondissement (Attoban)
Mardi 22 juillet 2014. Abidjan. Opération de déguerpissement dans le quartier précaire de "Gobelet" non loin du commissariat du 30e arrondissement (Attoban).
Cette nuit, ils sont une dizaine de "déguerpis" à discuter dans une petite cour éclairée par un rayon de lune près de l’hôpital du village d’Adjouffou, dans le Sud d’Abidjan. Recueillis par la famille d’un proche, tous dormiront sur place, par terre, sur des nattes. Depuis un mois ou un an pour les uns et les autres, aucun n’a de logement. "Déguerpis" de leurs maisons, ils n’ont nulle part où aller, et les pleurs d’enfants oisifs ont succédé au fracas des tractopelles.

Fin 2014, puis à la fin du mois de septembre 2015, les autorités sont intervenues pour raser des quartiers côtiers des villages d’Abrogouama et Adjouffou, dans la commune de Port-Bouët (sud abidjanais), expulsant plusieurs centaines de personnes de leurs habitations pour des projets immobiliers et routiers.

N’ayant que quelques heures pour quitter leur logement à l’arrivée des forces de l’ordre, certains habitants n’ont pu sauver qu’une partie de leurs affaires. "J’ai perdu beaucoup de choses, les voleurs étaient là pendant que nous essayions de faire face à l’avancée des machines" témoigne Napaongo Kotime d’un air maussade. "En attendant, il n’y a pas d’intimité ici, qu’il pleuve ou qu’il fasse chaud", évoque celle qui a dû abandonner à son commerce de gbofloto, des beignets de farine populaires en Côte d’Ivoire.

Un sourire las sur le visage, Marie-Claire Edekama ne cache pas non plus sa frustration : "Mon atelier de couture est là, rangé parmi tous nos bagages. Je n’ai plus rien à faire désormais, tout mon commerce est fini".

Si la vie dehors est difficile, c’est surtout du peu de moyens dont souffrent les habitants. "On vit au jour le jour, de nos économies ou de la solidarité de nos proches. La maire de Port-Bouët, Mme Aka Anghui, s’est excusée pour ce qu’il s’est passé, mais c’est tout. Aucun d’entre nous n’a reçu les indemnisations promises", regrette Paul Ezané, président d’Adjouffou quartier, une zone désormais plane et couverte de gravats sur le front de mer.

"Je me suis fait recenser en 2012 par le Bureau national d’études techniques et de développement (BNETD). 37 personnes logeaient dans la cour dont j’étais propriétaire, dans 27 maisons. Je n’ai rien reçu, et j’ai de nombreux enfants à charge", témoigne Assouman Aristide, d’un ton calme et maîtrisé. Habitant depuis toujours le quartier, cet homme de 38 ans se rappelle des récits de son père, qui avait vu le Général De Gaulle visiter le village en pleine Seconde guerre mondiale en 1944.

Impact direct de ces destructions, les prix de l’immobilier ont augmenté. "Il faut désormais huit mois d’avance pour occuper un logement, soit plus de 320.000 francs CFA pour une maison modeste !" s’emporte Mme Edekama. "C’est bien simple, nous n’avons plus d’espoir", résume Djibril Kaba, athlétique jeune homme, le regard baissé.

"Les enfants ont dû quitter l’école. Des retraités dorment encore à la belle étoile sur la plage, faute de logement", témoigne par téléphone Kablan Eloi, ancien riverain d’Adjouffou qui s’est réfugié chez sa sœur à Gonzagueville (Sud abidjanais).

L’expulsion de ces familles peu avant les élections n’est pas sans conséquence. Si la plupart des déguerpis s’est quand même déplacée aux urnes, les premières frustrations se font sentir. "Je ne peux pas soutenir le président si je dors dehors. C’est lui qui a accepté qu’on casse nos maisons, pour le moment je ne peux pas croire ce qu’il dit", regrette Mme Kotime.

Responsable local du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), la coalition soutenant Alassane Ouattara, M. Ezané a refusé un poste d’observateur le scrutin à cause de sa situation. "J’aimerais qu’on puisse parler avec le président", souhaite-t-il. "On ne lui demande pas des milliards, renchérit M. Kaba. On veut juste vivre correctement".

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