Après la publication du rapport de la Haute autorité de la communication audiovisuelle (Haca) sur l’élection présidentielle, Ibrahim Sy Savané, sort de sa réserve. Le président de l’organe de régulation explique dans cette interview les nouveaux défis à relever, la question de l’équité au niveau de l’accès aux médias publics et la libéralisation de l’espace audiovisuel.
Les statistiques d’accès aux médias publics lors de l’élection présidentielle indiquent une réelle égalité entre les candidats en lice. Etes-vous satisfaits de ces chiffres ?
Évidemment. Nous sommes satisfaits. Mais voyez-vous, ce mérite, si mérite il y a, revient à de nombreux acteurs : à la CEI, aux différents candidats, aux conseillers et à toute la Haca. Les agents de la Haca ont veillé pratiquement jour et nuit pour qu’il en soit ainsi. Sans oublier bien sûr et avant tout, la RTI qui a fait un travail colossal, reconnu par tous. Pourtant, le principal enjeu pour nous à la Haca, ne se situe pas à ce niveau. Il nous faut réaliser, en période normale, non électorale, l’accès équitable. Vous savez que l’égalité est toujours plus facile à atteindre que l’équité.
Mais pourquoi donc?
Parce que la première relève d’une arithmétique somme toute simple à appréhender, tandis que la seconde, est d’essence, je dirai plus philosophique. Les modalités de l’égalité sont précises : chacun a la même quantité. Or l’équité, elle, se définit comme "une vertu qui consiste à régler sa conduite sur le sentiment naturel du juste et de l’in- juste". L’équité se définit également comme "une justice spontanée qui n’est pas inspirée par des règles de droit en vigueur". Voilà toute la difficulté de ce qui est pour- tant une nécessité vitale pour la démocratie et pour la cohésion sociale. Il faut que les médias, publics notamment, parviennent à réaliser cet accès équitable. C’est le principal chantier de tout régulateur. Et c’est l’objectif primordial que nous nous fixons. Les choses étant ce qu’elles sont et l’être humain ce qu’il est, vous voyez bien que de façon triviale, il faut un comput. En la matière, on ne peut s’attendre à une épiphanie aussi soudaine que généralisée qui rendrait chacun "juste et équitable". Donc, nous sommes en train de peaufiner un texte très précis sur l’usage des temps d’antenne et de parole, en dehors des périodes électorales. Dans ce processus, nous avons le premier mot, d’autres ont le dernier. Mais, nous sommes raisonnablement confiants.
Comment la Haca compte s’y prendre concrètement?
Commençons par ce que disent la Loi du 14 décembre 2004 et l’ordonnance du 21 décembre 2011. Celles-ci disposent qu’il re- vient à l’instance de régulation, à la Haca donc, de "garantir l’accès, le traitement équitable des institutions de la République, des partis politiques, des associations et des citoyens aux organes officiels d’information et de communication". Ailleurs, il lui revient de "favoriser et de garantir le pluralisme dans l’espace audiovisuel". Mais, s’en remettre uniquement au "sens naturel de la justice" de chacun ne peut pas suffire. Alors, il faut définir des modalités précises en dé- terminant le volume de temps utilisable par le gouvernement, les institutions, les partis politiques de la majorité mais égale- ment, par les partis de l’opposition et par la société civile. Vous savez, laisser accroire l’idée que certains n’ont pas droit à la parole revient à dire qu’ils n’ont pas droit de cité. L’avenir se construit à la fois avec ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. Et aussi d’ailleurs avec ceux qui ne prennent pas parti. Tous doivent avoir la possibilité de s’exprimer. Sinon, à terme, c’est l’impasse. On n’a pas idée à quel point l’exclusion de fait de l’audiovisuel public contribue à macérer les frustrations, à faire fermenter les fureurs.
Pourtant, chacun semble bien s’accommoder de la situation qui a cours jusqu’ici...
En réalité, personne ne s’en accommode vraiment. Il y a certes d’un côté, chez quelques-uns, une sorte d’ivresse et chez d’autres, une apparente résignation. Il faut rompre avec une cette situation qui perdure depuis des décennies. Paradoxalement, les plus fortes résistances se trouvent bien sou- vent dans les rouages et non nécessaire- ment dans les instances de décision. Vous savez que la plus grande force dans un système clos est toujours celle de l’inertie. Pour ce qui nous concerne à la Haca, nous dressons tous les mois un rapport sur le pluralisme, à l’attention de certaines institutions que la loi a expressément désignées. Ce rapport est donc remis à l’Assemblée nationale, aux groupes parlementaires. Nous y avons inclut le ministère de la Communication, ce qui est la moindre des choses, ainsi que la RTI. Et chaque année, nous en- voyons le rapport à une dizaine de destinataires désignés par les textes. Tout cela est destiné à attirer l’attention sur les distorsions. D’ailleurs, à partir de maintenant, nous allons rendre ce rapport public. C’est un document très détaillé qui devrait interpeler chacun de nous. Par la force des choses, le poids des médias est en effet surdéterminant dans nos sociétés modernes. Il faut donc les utiliser à bon escient pour contribuer, je le répète, à la cohésion sociale qui est la vraie finalité.
Certains pourraient vous reprocher de ne pas agir plus ouvertement...
Oui, et ils auraient raison. Dans la média- sphère, ce qui ne se voit pas n’existe pas. Et s’il est vrai également que certaines situations inhérentes à toute sortie de crises pouvaient expliquer des attitudes craintives de certains acteurs, rien ne peut plus justifier un accès si inéquitable aux médias publics. Il nous faut agir ensemble pour faire progresser les choses. Notre doctrine en la matière est basée sur la pédagogie et non sur les dénonciations permanentes, tant par rapport aux pouvoirs publics que par rapport à la RTI dont nous connaissons par ailleurs les contraintes. Précisément, notre rôle est d’aider la télévision nationale à desserrer l’étau et la saturation de sa ligne éditoriale. Figurez-vous qu’ils reçoivent à la RTI en moyenne des dizaines de demandes de reportages par semaine. Il faut trier, hiérarchiser. De simples opérations de routine qui font partie de l’activité quotidienne ne devraient pas envahir l’écran en permanence. Ce n’est pas ainsi que la RTI s’adaptera à la concurrence qui est d’ailleurs déjà là. Sans compter qu’une information banale, répétitive est contreproductive pour celui qui croit en être bénéficiaire. Au bout du compte, il y a certes une joie fugace, un peu narcissique, mais aucune véritable plus- value.
Avez-vous des exemples?
Je ne veux gêner personne. Mais quand, par exemple, une institution ou un ministère remet du matériel, des ordinateurs à ses agents, cela ne mérite pas plus qu’une brève. Chez vous dans la presse écrite, cela ne devrait faire qu’une "photo légendée", et encore ! J’ai même vu des cas plus dérisoires encore qui posent la question de la pertinence de l’information. Le public a plus vite mûri que ne le croient les acteurs. Il est beaucoup plus informé grâce aux sources multiples et son niveau d’exigence augmente chaque jour. Mais le plus important est la nécessité d’une prise de conscience collective afin d’éviter de discréditer l’information institutionnelle. Tout se passe par- fois comme si la parole et l’action publiques étaient minorées dans leur dimension mobilisatrice, surtout en ces temps de révolution des nouveaux médias.
Il faut tout de même que l’information publique ait sa place...
Qui le contesterait? C’est une évidence. Une nécessité même. Aussi bien l’information que la communication publiques ont toute leur place. Mais dans le flot des séminaires et autres colloques, il faut bien voir que les résultats de ces nombreuses rencontres mieux expliquées sont plus im- portants pour les populations que les fameuses "cérémonies d’ouverture". Vous savez très bien de quoi il s’agit. La question se pose sérieusement de savoir si "être vu" et "agir" ne se confondent pas un peu trop souvent.
Le cas de la Côte d’Ivoire est-il vraiment différent de ce qui se passe ailleurs en Afrique?
D’abord, ce n’est pas une raison pour stagner ou même régresser. Ensuite, je peux vous dire que beaucoup de pays font des efforts, c’est à eux qu’il faut se comparer. L’avenir de l’audiovisuel public se joue en ce moment même. Il suffit de regarder tout ce tourbillon avec les évolutions technologiques très rapides, des modèles économiques à la stabilité incertaine, la nécessité de la revalorisation éditoriale, la pesée de l’importance réelle de l’information délivrée en boucle, une concurrence qu’on pourrait qualifier de déloyale en provenance de nouveaux acteurs non régulés et qui considèrent la transgression comme une variable clé de leur réussite, etc. En un mot, tous les défis sont concentrés dans un temps/espace très réduit. Au niveau du Ré- seau des régulateurs de la Francophonie que la Côte d’Ivoire préside depuis quelques mois, cette réflexion est en bonne place sur la feuille de route. Tous les pays sont confrontés à divers degrés à ces enjeux, mais certains ont plus de volonté que d’autres de s’y confronter. Dans notre cas, la corrélation entre notre niveau de développement économique et celui de notre système médiatique tendra à être factice si nous ne faisons pas collectivement des ef- forts d’ajustement indispensables. A commencer par l’information pluraliste qui n’est pas une contingence surgissant épisodiquement à la veille des élections, mais doit devenir une réalité permanente à entretenir.
Vous semblez un peu pessimiste...
Non, pas du tout. Mais je vois les urgences qui se bousculent, les attentes qui montent. Mais à tout prendre, je préfère le pessimisme actif au tiède renoncement qui est une variante du faux optimisme.
Vous disiez il y a quelques temps que les choses ne changeraient vraiment qu’avec l’avènement des télé- visions privées. Qu’entendez-vous par là?
C’est ce que je continue de croire. Il faut absolument que la libéralisation devienne effective, dans les meilleurs délais et dans de bonnes conditions. Une bonne libéralisation est celle qui est transparente et qui fasse en sorte qu’abondance signifie réellement diversité. C’est donc une condition nécessaire mais pas suffisante. Comme vous le savez, cette libéralisation dépend désormais de la transition numérique. Beaucoup d’efforts sont faits depuis quelques temps. Mais, il faut réduire les pesanteurs et aller plus vite. Se donner des clauses de rendez-vous et les respecter. Faute de quoi, nous risquons le déclassement. Les pays qui avancent en ce domaine sont ceux qui ont pu dépasser les querelles picrocholines, transformer leur "ego-système" paralysant en écosystème productif. Il y a un comité de pilotage présidé par le Premier ministre lui-même, dont chacun sait l’ardeur à la tâche et le volontarisme. Il faut cependant que l’intendance suive. Mais nous avançons... Nous avançons... nous observons les autres pays qui nous observent aussi.
Certains avaient cru que 2015 était loin. Il faut se dire désormais que la butée de 2020 posée pour le passage au numérique est tout près. D’autant que de nombreuses plateformes illégales, des expérimentations hasardeuses se positionnent au-dessus de notre espace audiovisuel pour contourner toutes les réglementations en la matière. Le marché ivoirien commence d’ailleurs à être inondé de décodeurs de tout acabit. C’est un sujet préoccupant et une raison supplémentaire d’aller vite.
Quelle conclusion pouvez-vous tirer ?
Conclure provisoirement en rappelant une fois encore la nécessité de rendre l’audiovisuel pluraliste, ouverte à toutes les sensibilités politiques et donner à la société civile la place qui doit être la sienne.
C’est largement à la portée de notre pays. J’aime toujours citer cette phrase du président de la République qui disait naguère : " lorsque vous ne procédez pas vous- mêmes à l’indispensable ajustement structurel, il se fait d’une façon ou d’une autre. Mais alors, dans les pires conditions et souvent à votre détriment".
Cela est parfaitement valable en matière de mutation audiovisuelle.
Les statistiques d’accès aux médias publics lors de l’élection présidentielle indiquent une réelle égalité entre les candidats en lice. Etes-vous satisfaits de ces chiffres ?
Évidemment. Nous sommes satisfaits. Mais voyez-vous, ce mérite, si mérite il y a, revient à de nombreux acteurs : à la CEI, aux différents candidats, aux conseillers et à toute la Haca. Les agents de la Haca ont veillé pratiquement jour et nuit pour qu’il en soit ainsi. Sans oublier bien sûr et avant tout, la RTI qui a fait un travail colossal, reconnu par tous. Pourtant, le principal enjeu pour nous à la Haca, ne se situe pas à ce niveau. Il nous faut réaliser, en période normale, non électorale, l’accès équitable. Vous savez que l’égalité est toujours plus facile à atteindre que l’équité.
Mais pourquoi donc?
Parce que la première relève d’une arithmétique somme toute simple à appréhender, tandis que la seconde, est d’essence, je dirai plus philosophique. Les modalités de l’égalité sont précises : chacun a la même quantité. Or l’équité, elle, se définit comme "une vertu qui consiste à régler sa conduite sur le sentiment naturel du juste et de l’in- juste". L’équité se définit également comme "une justice spontanée qui n’est pas inspirée par des règles de droit en vigueur". Voilà toute la difficulté de ce qui est pour- tant une nécessité vitale pour la démocratie et pour la cohésion sociale. Il faut que les médias, publics notamment, parviennent à réaliser cet accès équitable. C’est le principal chantier de tout régulateur. Et c’est l’objectif primordial que nous nous fixons. Les choses étant ce qu’elles sont et l’être humain ce qu’il est, vous voyez bien que de façon triviale, il faut un comput. En la matière, on ne peut s’attendre à une épiphanie aussi soudaine que généralisée qui rendrait chacun "juste et équitable". Donc, nous sommes en train de peaufiner un texte très précis sur l’usage des temps d’antenne et de parole, en dehors des périodes électorales. Dans ce processus, nous avons le premier mot, d’autres ont le dernier. Mais, nous sommes raisonnablement confiants.
Comment la Haca compte s’y prendre concrètement?
Commençons par ce que disent la Loi du 14 décembre 2004 et l’ordonnance du 21 décembre 2011. Celles-ci disposent qu’il re- vient à l’instance de régulation, à la Haca donc, de "garantir l’accès, le traitement équitable des institutions de la République, des partis politiques, des associations et des citoyens aux organes officiels d’information et de communication". Ailleurs, il lui revient de "favoriser et de garantir le pluralisme dans l’espace audiovisuel". Mais, s’en remettre uniquement au "sens naturel de la justice" de chacun ne peut pas suffire. Alors, il faut définir des modalités précises en dé- terminant le volume de temps utilisable par le gouvernement, les institutions, les partis politiques de la majorité mais égale- ment, par les partis de l’opposition et par la société civile. Vous savez, laisser accroire l’idée que certains n’ont pas droit à la parole revient à dire qu’ils n’ont pas droit de cité. L’avenir se construit à la fois avec ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. Et aussi d’ailleurs avec ceux qui ne prennent pas parti. Tous doivent avoir la possibilité de s’exprimer. Sinon, à terme, c’est l’impasse. On n’a pas idée à quel point l’exclusion de fait de l’audiovisuel public contribue à macérer les frustrations, à faire fermenter les fureurs.
Pourtant, chacun semble bien s’accommoder de la situation qui a cours jusqu’ici...
En réalité, personne ne s’en accommode vraiment. Il y a certes d’un côté, chez quelques-uns, une sorte d’ivresse et chez d’autres, une apparente résignation. Il faut rompre avec une cette situation qui perdure depuis des décennies. Paradoxalement, les plus fortes résistances se trouvent bien sou- vent dans les rouages et non nécessaire- ment dans les instances de décision. Vous savez que la plus grande force dans un système clos est toujours celle de l’inertie. Pour ce qui nous concerne à la Haca, nous dressons tous les mois un rapport sur le pluralisme, à l’attention de certaines institutions que la loi a expressément désignées. Ce rapport est donc remis à l’Assemblée nationale, aux groupes parlementaires. Nous y avons inclut le ministère de la Communication, ce qui est la moindre des choses, ainsi que la RTI. Et chaque année, nous en- voyons le rapport à une dizaine de destinataires désignés par les textes. Tout cela est destiné à attirer l’attention sur les distorsions. D’ailleurs, à partir de maintenant, nous allons rendre ce rapport public. C’est un document très détaillé qui devrait interpeler chacun de nous. Par la force des choses, le poids des médias est en effet surdéterminant dans nos sociétés modernes. Il faut donc les utiliser à bon escient pour contribuer, je le répète, à la cohésion sociale qui est la vraie finalité.
Certains pourraient vous reprocher de ne pas agir plus ouvertement...
Oui, et ils auraient raison. Dans la média- sphère, ce qui ne se voit pas n’existe pas. Et s’il est vrai également que certaines situations inhérentes à toute sortie de crises pouvaient expliquer des attitudes craintives de certains acteurs, rien ne peut plus justifier un accès si inéquitable aux médias publics. Il nous faut agir ensemble pour faire progresser les choses. Notre doctrine en la matière est basée sur la pédagogie et non sur les dénonciations permanentes, tant par rapport aux pouvoirs publics que par rapport à la RTI dont nous connaissons par ailleurs les contraintes. Précisément, notre rôle est d’aider la télévision nationale à desserrer l’étau et la saturation de sa ligne éditoriale. Figurez-vous qu’ils reçoivent à la RTI en moyenne des dizaines de demandes de reportages par semaine. Il faut trier, hiérarchiser. De simples opérations de routine qui font partie de l’activité quotidienne ne devraient pas envahir l’écran en permanence. Ce n’est pas ainsi que la RTI s’adaptera à la concurrence qui est d’ailleurs déjà là. Sans compter qu’une information banale, répétitive est contreproductive pour celui qui croit en être bénéficiaire. Au bout du compte, il y a certes une joie fugace, un peu narcissique, mais aucune véritable plus- value.
Avez-vous des exemples?
Je ne veux gêner personne. Mais quand, par exemple, une institution ou un ministère remet du matériel, des ordinateurs à ses agents, cela ne mérite pas plus qu’une brève. Chez vous dans la presse écrite, cela ne devrait faire qu’une "photo légendée", et encore ! J’ai même vu des cas plus dérisoires encore qui posent la question de la pertinence de l’information. Le public a plus vite mûri que ne le croient les acteurs. Il est beaucoup plus informé grâce aux sources multiples et son niveau d’exigence augmente chaque jour. Mais le plus important est la nécessité d’une prise de conscience collective afin d’éviter de discréditer l’information institutionnelle. Tout se passe par- fois comme si la parole et l’action publiques étaient minorées dans leur dimension mobilisatrice, surtout en ces temps de révolution des nouveaux médias.
Il faut tout de même que l’information publique ait sa place...
Qui le contesterait? C’est une évidence. Une nécessité même. Aussi bien l’information que la communication publiques ont toute leur place. Mais dans le flot des séminaires et autres colloques, il faut bien voir que les résultats de ces nombreuses rencontres mieux expliquées sont plus im- portants pour les populations que les fameuses "cérémonies d’ouverture". Vous savez très bien de quoi il s’agit. La question se pose sérieusement de savoir si "être vu" et "agir" ne se confondent pas un peu trop souvent.
Le cas de la Côte d’Ivoire est-il vraiment différent de ce qui se passe ailleurs en Afrique?
D’abord, ce n’est pas une raison pour stagner ou même régresser. Ensuite, je peux vous dire que beaucoup de pays font des efforts, c’est à eux qu’il faut se comparer. L’avenir de l’audiovisuel public se joue en ce moment même. Il suffit de regarder tout ce tourbillon avec les évolutions technologiques très rapides, des modèles économiques à la stabilité incertaine, la nécessité de la revalorisation éditoriale, la pesée de l’importance réelle de l’information délivrée en boucle, une concurrence qu’on pourrait qualifier de déloyale en provenance de nouveaux acteurs non régulés et qui considèrent la transgression comme une variable clé de leur réussite, etc. En un mot, tous les défis sont concentrés dans un temps/espace très réduit. Au niveau du Ré- seau des régulateurs de la Francophonie que la Côte d’Ivoire préside depuis quelques mois, cette réflexion est en bonne place sur la feuille de route. Tous les pays sont confrontés à divers degrés à ces enjeux, mais certains ont plus de volonté que d’autres de s’y confronter. Dans notre cas, la corrélation entre notre niveau de développement économique et celui de notre système médiatique tendra à être factice si nous ne faisons pas collectivement des ef- forts d’ajustement indispensables. A commencer par l’information pluraliste qui n’est pas une contingence surgissant épisodiquement à la veille des élections, mais doit devenir une réalité permanente à entretenir.
Vous semblez un peu pessimiste...
Non, pas du tout. Mais je vois les urgences qui se bousculent, les attentes qui montent. Mais à tout prendre, je préfère le pessimisme actif au tiède renoncement qui est une variante du faux optimisme.
Vous disiez il y a quelques temps que les choses ne changeraient vraiment qu’avec l’avènement des télé- visions privées. Qu’entendez-vous par là?
C’est ce que je continue de croire. Il faut absolument que la libéralisation devienne effective, dans les meilleurs délais et dans de bonnes conditions. Une bonne libéralisation est celle qui est transparente et qui fasse en sorte qu’abondance signifie réellement diversité. C’est donc une condition nécessaire mais pas suffisante. Comme vous le savez, cette libéralisation dépend désormais de la transition numérique. Beaucoup d’efforts sont faits depuis quelques temps. Mais, il faut réduire les pesanteurs et aller plus vite. Se donner des clauses de rendez-vous et les respecter. Faute de quoi, nous risquons le déclassement. Les pays qui avancent en ce domaine sont ceux qui ont pu dépasser les querelles picrocholines, transformer leur "ego-système" paralysant en écosystème productif. Il y a un comité de pilotage présidé par le Premier ministre lui-même, dont chacun sait l’ardeur à la tâche et le volontarisme. Il faut cependant que l’intendance suive. Mais nous avançons... Nous avançons... nous observons les autres pays qui nous observent aussi.
Certains avaient cru que 2015 était loin. Il faut se dire désormais que la butée de 2020 posée pour le passage au numérique est tout près. D’autant que de nombreuses plateformes illégales, des expérimentations hasardeuses se positionnent au-dessus de notre espace audiovisuel pour contourner toutes les réglementations en la matière. Le marché ivoirien commence d’ailleurs à être inondé de décodeurs de tout acabit. C’est un sujet préoccupant et une raison supplémentaire d’aller vite.
Quelle conclusion pouvez-vous tirer ?
Conclure provisoirement en rappelant une fois encore la nécessité de rendre l’audiovisuel pluraliste, ouverte à toutes les sensibilités politiques et donner à la société civile la place qui doit être la sienne.
C’est largement à la portée de notre pays. J’aime toujours citer cette phrase du président de la République qui disait naguère : " lorsque vous ne procédez pas vous- mêmes à l’indispensable ajustement structurel, il se fait d’une façon ou d’une autre. Mais alors, dans les pires conditions et souvent à votre détriment".
Cela est parfaitement valable en matière de mutation audiovisuelle.