La Haute autorité de la communication audiovisuelle (Haca) a remis, jeudi dernier, son rapport annuel au président de la République, Alassane Ouattara. Après cette importante cérémonie, le Patriote a rencontré le ministre Ibrahim Sy Savané, président de la Haca. Dans cette interview, il fait l’état des lieux du paysage audiovisuel ivoirien et annonce les grands projets de la Haca.
Le Patriote: Il y a quelques jours, la Haca a remis son rapport annuel au président de la République. Que peut-on en retenir?
Ibrahim Sy Savané : Notons d’abord que la remise du rapport annuel est une obligation pour la Haca. Mais, la rapidité avec laquelle le Président a reçu la Haca et surtout l’écoute attentive qu’il a montrée sont une preuve supplémentaire de son intérêt pour le secteur audiovisuel qui est en plein bouleversement partout dans le monde. Nous avons présenté dans ce rapport un état des lieux général, des enjeux, des questions spécifiques liées à l’accès équitable aux médias. Nous avons rappelé que la prise en compte de la diversité des opinions demeure un élément de consolidation de la cohésion sociale. Nous avons également évoqué la nécessité d’accélérer la libéralisation de l’espace télévisuel. Mais nous n’avons pas besoin de trop insister puisque c’est aussi la conviction du président et de ses collaborateurs.
LP : Nos compatriotes sont un peu sceptiques quant à la libéralisation de l’espace audiovisuel. Comment les convaincre que cette fois est la bonne?
ISS: Ce qui est important, ce sont les actes. Depuis pratiquement trois ans, la Haca à qui il revient d’organiser les appels d’offres, a déjà préparé les dossiers ; le Comité national en charge de la transition numérique est à la tâche. Nous avons certes relevé des lenteurs, mais les choses avancent.
Autre élément important, une communication relative à la libéralisation télévisuelle est sur la table du gouvernement. Je crois savoir que M. le Premier ministre a demandé aux ministres concernés de forcer le rythme. Il ne s’agit donc plus de convaincre par la rhétorique, mais d’enclencher un ensemble d’actions qui produisent des résultats tangibles.
LP: On sent, en tout cas, que de nombreuses personnes sont agacées par la lenteur du processus et le font savoir, notamment sur les réseaux sociaux. Certains n’hésitent pas à vous ‘’allumer " !
ISS: C’est vrai. Nous comprenons cela. Vous savez, lorsque vous gérez de nombreuses contraintes et que vos efforts ne sont pas visibles dans un domaine, il faut accepter d’être "allumé" comme vous dites. Disons qu’il ne faut pas être trop "inflammable" non plus. Il faut écouter mais garder le cap et la trajectoire vers des objectifs déjà définis. Peu de gens sont autant pressés que nous qui voyons s’esquisser une nouvelle géopolitique de l’image et de l’information aussi bien dans notre sous région que dans le monde. Le fameux concept de "soft-power" qui est trivialement la domination culturelle et intellectuelle de pays actifs sur les autres, passe aussi bien évidemment par les médias audiovisuels.
L’on ne peut pas se contenter longtemps d’être des consommateurs. Nous avons des talents thésaurisés, il faut leur donner la chance de faire ce qu’ils savent faire.
LP: Justement, sur la question de l’accès équitable aux médias publics, n’est-ce pas une vue de l’esprit ?
ISS: On peut le penser a priori. Mais nous sommes convaincus que toutes les différentes opinions doivent s’exprimer, sauf à admettre que certains citoyens aient droit de cité et d’autres pas. J’ai expliqué à un de vos confrères que le déni d’accès conscient ou non aux grands médias a pour conséquence au minimum, l’accumulation et la fermentation des rancoeurs. Cela concerne la sphère politique et au-delà, la société civile, les syndicats, etc. Regardez comment au moindre désaccord on délaisse les modalités normales de résolution de conflit pour emprunter des voies plutôt violentes. Nous sommes convaincus que donner la parole, débattre même de façon un peu virile, ne peut que faire du bien à un pays et à sa cohésion. C’est pourquoi nous proposons que même l’accès équitable plus complexe que l’accès égalitaire, fasse l’objet d’un minimum de codification. Pourquoi ce que nous réussissons à faire dans une période électorale faite de rudes confrontations ne serait pas possible par temps calmes? Sans compter l’effet pédagogique de ces débats sur les jeunes qui s’habituent ainsi à ce qui fait l’essence du pluralisme et de la démocratie.
LP: N’est-ce pas-là un point de vue minoritaire?
ISS: Pas du tout ! Je pense au contraire que chacun admet le principe, mais qu’il appartient aux professionnels de faire preuve de plus d’audace pour mettre cela en pratique. Désormais toute la classe politique actuelle sait ce qu’est être au pouvoir et être dans l’opposition. Le pluralisme d’opinion est partout aujourd’hui une tendance lourde. Plus rien ne remettra cela en cause. Alors, il faut organiser les espaces appropriés qui tiennent compte de cette réalité. Et les médias publics sont le lieu par excellence de cette expression plurielle
LP: Qu’en est-il de ces diffuseurs non autorisés que vous avez mentionnés?
ISS: L’espace audiovisuel n’est pas une forêt où chacun vient tailler une portion, parfois en utilisant le système de brûlis. Ce n’est pas, non plus, un haut lieu de braconnage. La régulation est nécessaire aussi bien pour les populations, pour les créateurs, pour les opérateurs euxmêmes qui sécurisent leurs investissements que pour l’État qui a droit à des redevances. Or, ce qui se passe, c’est que par ignorance ou plus encore par transgression volontaire, certains inondent le marché de décodeurs
pour proposer des chaînes dont ils n’ont pas de droits vérifiables et qui échappent à toute régulation.
Dans l’immédiat, cela peut sembler profitable au grand public. Mais si aucun droit des créateurs n’est respecté, à terme, il n’y a plus de création. Chacun doit pouvoir vivre de son art. Dans le même temps, nous reconnaissons que cette situation est favorisée, même si elle n’est pas excusée, par une forme d’immobilisme. Ce paysage télévisuel trop longtemps en jachère qu’il faut ensemencer.
C’est d’ailleurs pour cela que l’appel d’offres relatif aux bouquets satellitaires a été organisé. Trois et peut-être quatre autorisations seront accordées très prochainement dès que l’information sera passée en conseil des ministres. Ce qui ne devrait pas tarder, je crois.
LP: Pouvez-vous nous en dire plus sur les projets que vous avez égrenés lors de la présentation du rapport?
ISS: Nous avons par exemple signé une convention avec la Capec du Cires pour évaluer l’impact véritable des radios de proximité sur les populations. Cet organisme national mais intellectuellement indépendant, à l’habitude de ce genre d’études. Les résultats permettront de faire un premier bilan, plus de quinze ans après l’autorisation des premières radios de proximité.
Nous allons examiner également de façon approfondie le cas des radios confessionnelles. Figurez vous qu’il y a pratiquement une demande de fréquence religieuse par jour, toutes obédiences confondues. Et en la matière, ceux qui disposent déjà d’une radio confessionnelle ne font pas toujours preuve d’un large oecuménisme.
Or, les fréquences sont des ressources rares. Il nous faudra donc trouver d’autres modèles d’usages en commun. Une autre question que nous allons aborder dès ce mois de février, le 24 précisément, concerne les mesures d’audience. C’est une question très importante qui est au coeur même de l’économie des médias.
La HACA organise donc un atelier sur la question, avec des spécialistes d’ici et d’ailleurs. Des instituts de très bonne réputation, de grandes agences ont confirmé leur participation.
On débattra donc des enjeux, des méthodologies des études d’audience et de la problématique de leur financement. D’autres questions relatives à l’avenir des médias publics, aux archives audiovisuelles seront traitées dans un cadre plus large, celui du Réseau Francophone des régulateurs de médias (REFRAM) dont la Côte d’Ivoire assure actuellement la présidence. Vous voyez qu’il y a de la matière.
LP : Justement, tant de projets, n’est ce pas un peu trop ambitieux?
ISS: Nous ferons de notre mieux, mes collaborateurs, mes homologues et moi. Ce n’est pas séquentiel. Plusieurs projets peuvent se mener simultanément. C’est vrai, nous ferons de notre mieux dans l’intérêt public, tout en ayant conscience que dans ce travail, comme dans la vie tout court, un jour en plus est un jour en moins.
JAD
Le Patriote: Il y a quelques jours, la Haca a remis son rapport annuel au président de la République. Que peut-on en retenir?
Ibrahim Sy Savané : Notons d’abord que la remise du rapport annuel est une obligation pour la Haca. Mais, la rapidité avec laquelle le Président a reçu la Haca et surtout l’écoute attentive qu’il a montrée sont une preuve supplémentaire de son intérêt pour le secteur audiovisuel qui est en plein bouleversement partout dans le monde. Nous avons présenté dans ce rapport un état des lieux général, des enjeux, des questions spécifiques liées à l’accès équitable aux médias. Nous avons rappelé que la prise en compte de la diversité des opinions demeure un élément de consolidation de la cohésion sociale. Nous avons également évoqué la nécessité d’accélérer la libéralisation de l’espace télévisuel. Mais nous n’avons pas besoin de trop insister puisque c’est aussi la conviction du président et de ses collaborateurs.
LP : Nos compatriotes sont un peu sceptiques quant à la libéralisation de l’espace audiovisuel. Comment les convaincre que cette fois est la bonne?
ISS: Ce qui est important, ce sont les actes. Depuis pratiquement trois ans, la Haca à qui il revient d’organiser les appels d’offres, a déjà préparé les dossiers ; le Comité national en charge de la transition numérique est à la tâche. Nous avons certes relevé des lenteurs, mais les choses avancent.
Autre élément important, une communication relative à la libéralisation télévisuelle est sur la table du gouvernement. Je crois savoir que M. le Premier ministre a demandé aux ministres concernés de forcer le rythme. Il ne s’agit donc plus de convaincre par la rhétorique, mais d’enclencher un ensemble d’actions qui produisent des résultats tangibles.
LP: On sent, en tout cas, que de nombreuses personnes sont agacées par la lenteur du processus et le font savoir, notamment sur les réseaux sociaux. Certains n’hésitent pas à vous ‘’allumer " !
ISS: C’est vrai. Nous comprenons cela. Vous savez, lorsque vous gérez de nombreuses contraintes et que vos efforts ne sont pas visibles dans un domaine, il faut accepter d’être "allumé" comme vous dites. Disons qu’il ne faut pas être trop "inflammable" non plus. Il faut écouter mais garder le cap et la trajectoire vers des objectifs déjà définis. Peu de gens sont autant pressés que nous qui voyons s’esquisser une nouvelle géopolitique de l’image et de l’information aussi bien dans notre sous région que dans le monde. Le fameux concept de "soft-power" qui est trivialement la domination culturelle et intellectuelle de pays actifs sur les autres, passe aussi bien évidemment par les médias audiovisuels.
L’on ne peut pas se contenter longtemps d’être des consommateurs. Nous avons des talents thésaurisés, il faut leur donner la chance de faire ce qu’ils savent faire.
LP: Justement, sur la question de l’accès équitable aux médias publics, n’est-ce pas une vue de l’esprit ?
ISS: On peut le penser a priori. Mais nous sommes convaincus que toutes les différentes opinions doivent s’exprimer, sauf à admettre que certains citoyens aient droit de cité et d’autres pas. J’ai expliqué à un de vos confrères que le déni d’accès conscient ou non aux grands médias a pour conséquence au minimum, l’accumulation et la fermentation des rancoeurs. Cela concerne la sphère politique et au-delà, la société civile, les syndicats, etc. Regardez comment au moindre désaccord on délaisse les modalités normales de résolution de conflit pour emprunter des voies plutôt violentes. Nous sommes convaincus que donner la parole, débattre même de façon un peu virile, ne peut que faire du bien à un pays et à sa cohésion. C’est pourquoi nous proposons que même l’accès équitable plus complexe que l’accès égalitaire, fasse l’objet d’un minimum de codification. Pourquoi ce que nous réussissons à faire dans une période électorale faite de rudes confrontations ne serait pas possible par temps calmes? Sans compter l’effet pédagogique de ces débats sur les jeunes qui s’habituent ainsi à ce qui fait l’essence du pluralisme et de la démocratie.
LP: N’est-ce pas-là un point de vue minoritaire?
ISS: Pas du tout ! Je pense au contraire que chacun admet le principe, mais qu’il appartient aux professionnels de faire preuve de plus d’audace pour mettre cela en pratique. Désormais toute la classe politique actuelle sait ce qu’est être au pouvoir et être dans l’opposition. Le pluralisme d’opinion est partout aujourd’hui une tendance lourde. Plus rien ne remettra cela en cause. Alors, il faut organiser les espaces appropriés qui tiennent compte de cette réalité. Et les médias publics sont le lieu par excellence de cette expression plurielle
LP: Qu’en est-il de ces diffuseurs non autorisés que vous avez mentionnés?
ISS: L’espace audiovisuel n’est pas une forêt où chacun vient tailler une portion, parfois en utilisant le système de brûlis. Ce n’est pas, non plus, un haut lieu de braconnage. La régulation est nécessaire aussi bien pour les populations, pour les créateurs, pour les opérateurs euxmêmes qui sécurisent leurs investissements que pour l’État qui a droit à des redevances. Or, ce qui se passe, c’est que par ignorance ou plus encore par transgression volontaire, certains inondent le marché de décodeurs
pour proposer des chaînes dont ils n’ont pas de droits vérifiables et qui échappent à toute régulation.
Dans l’immédiat, cela peut sembler profitable au grand public. Mais si aucun droit des créateurs n’est respecté, à terme, il n’y a plus de création. Chacun doit pouvoir vivre de son art. Dans le même temps, nous reconnaissons que cette situation est favorisée, même si elle n’est pas excusée, par une forme d’immobilisme. Ce paysage télévisuel trop longtemps en jachère qu’il faut ensemencer.
C’est d’ailleurs pour cela que l’appel d’offres relatif aux bouquets satellitaires a été organisé. Trois et peut-être quatre autorisations seront accordées très prochainement dès que l’information sera passée en conseil des ministres. Ce qui ne devrait pas tarder, je crois.
LP: Pouvez-vous nous en dire plus sur les projets que vous avez égrenés lors de la présentation du rapport?
ISS: Nous avons par exemple signé une convention avec la Capec du Cires pour évaluer l’impact véritable des radios de proximité sur les populations. Cet organisme national mais intellectuellement indépendant, à l’habitude de ce genre d’études. Les résultats permettront de faire un premier bilan, plus de quinze ans après l’autorisation des premières radios de proximité.
Nous allons examiner également de façon approfondie le cas des radios confessionnelles. Figurez vous qu’il y a pratiquement une demande de fréquence religieuse par jour, toutes obédiences confondues. Et en la matière, ceux qui disposent déjà d’une radio confessionnelle ne font pas toujours preuve d’un large oecuménisme.
Or, les fréquences sont des ressources rares. Il nous faudra donc trouver d’autres modèles d’usages en commun. Une autre question que nous allons aborder dès ce mois de février, le 24 précisément, concerne les mesures d’audience. C’est une question très importante qui est au coeur même de l’économie des médias.
La HACA organise donc un atelier sur la question, avec des spécialistes d’ici et d’ailleurs. Des instituts de très bonne réputation, de grandes agences ont confirmé leur participation.
On débattra donc des enjeux, des méthodologies des études d’audience et de la problématique de leur financement. D’autres questions relatives à l’avenir des médias publics, aux archives audiovisuelles seront traitées dans un cadre plus large, celui du Réseau Francophone des régulateurs de médias (REFRAM) dont la Côte d’Ivoire assure actuellement la présidence. Vous voyez qu’il y a de la matière.
LP : Justement, tant de projets, n’est ce pas un peu trop ambitieux?
ISS: Nous ferons de notre mieux, mes collaborateurs, mes homologues et moi. Ce n’est pas séquentiel. Plusieurs projets peuvent se mener simultanément. C’est vrai, nous ferons de notre mieux dans l’intérêt public, tout en ayant conscience que dans ce travail, comme dans la vie tout court, un jour en plus est un jour en moins.
JAD