Invité, le mercredi 24 février 2016, par l’Association des étudiants politologues de l’Institut universitaire d’Abidjan (AEP-IUA), à prononcer une conférence sur le thème : « Le rôle des médias dans le processus de transition démocratique en Côte d’Ivoire », le journaliste-écrivain et communicateur ivoirien André Silver Konan, a souligné le rôle souvent méconnu de Félix Houphouët-Boigny, dans le journalisme engagé en Côte d’Ivoire. Ci-dessous l’intégralité de son exposé liminaire.
Merci à Dr César Flan, Phd en sciences politiques, l’un des plus brillants politologues ivoirien et ce n’est pas par hasard qu’il est le directeur du Centre de recherche politique d’Abidjan.
Merci à la présidente de l’Association des étudiants politologues de l’Institut universitaire d’Abidjan, Laurène Touré et à sa secrétaire générale Nafi Cissé, ainsi qu’à la modératrice Brenda Kacou.
Permettez que je dise merci à trois amis, trois frères. Mon éditeur Charles Pemont, écrivain émérite, un vrai passionné, l’Ivoirien le plus honnête que je connaisse. Samou Diawara, le monsieur Communication du ministère des Transports, qui m’a fait la surprise et l’amitié, d’effectuer le déplacement, en dépit de ses charges. Enfin Souleymane Yaméogo, un ami de longue date, que j’ai connu à la faveur du prix Norbert Zongo, en 2007, bientôt dix ans donc. Depuis lors, nous sommes restés ensemble. Souley est un garçon intelligent qui a su formater l’esprit civique et républicain, de milliers de jeunes burkinabé, à travers son concept du Thé Batteur, dans la périphérie du Balai citoyen. Si vous n’avez jamais vu un jeune révolutionnaire burkinabé de vos propres yeux, eh bien voici un.
Merci aux étudiants, merci au corps enseignant, à l’administration et à tous ceux qui ont effectué le déplacement.
Mon propos liminaire ne sera pas long. Je souhaite que les échanges soient davantage interactifs. Bien sûr, je me prêterai au jeu des questions-réponses et aucun sujet ne sera tabou. Bref.
« On nous a trop volés !»
Avant de commencer cette conférence, j’aimerais faire une ou deux précisions. D’abord, le thème. Je le trouve assez vaste et sujet à des polémiques. Par exemple l’expression transition nous renvoie à la transition militaire de 1999 à 2000. Depuis lors, il n’y a plus eu de transition du tout en Côte d’Ivoire. Et l’expression processus de transition démocratique alimente davantage la controverse. Alors on va faire simple, c’est l’un de mes principes (ne pas faire compliqué ce qui est simple). On va donc circonscrire notre thème pour qu’il soit libellé ainsi : « Le rôle des médias ivoiriens, dans le renforcement de la démocratie en Côte d’Ivoire ».
Il faut bien entendre par renforcement de la démocratie, pas seulement pour les citoyens, le fait de choisir librement leurs dirigeants, mais aussi et surtout le fait pour eux d’avoir accès à l’information, à l’information diversifiée, à la pluralité des opinions. Le fait que les gouvernants soient plus vigilants dans l’accomplissement de leurs missions publiques, que les groupes de pression exercent mieux leurs rôles d’alerte et de vigilance, etc.
Je distingue donc quatre grandes dates, dans le rôle des médias, dans le renforcement de la démocratie en Côte d’Ivoire : la période coloniale, la période post-indépendance, la période du retour au multipartisme et la période actuelle que j’appelle la période post-rébellion.
Première période. Nous sommes le 22 décembre 1932. Dans un éditorial enflammé, Houphouët-Boigny, qui signe sous pseudo, dénonce le système de fixation des prix par les autorités coloniales et en profite pour dénoncer l’oppression dont sont victimes les « indigènes ». L’article parait dans un journal distribué en Côte d’Ivoire, proche de la gauche française. Le journal s’appelle Trait d’union. Trait d’union, sans peut-être le soupçonner, a joué un rôle majeur dans la suite de l’histoire démocratique de la Côte d’Ivoire. Pourquoi ? Parce que le séisme que l’article crée au sein de la bourgeoisie coloniale, l’adhésion populaire des indigènes, à cette initiative risquée, forge la conviction d’Houphouët-Boigny, qu’il y a nécessité de se mettre au service de la lutte pour l’indépendance. La suite est connue. Au commencement du journalisme ivoirien engagé, se trouve donc Houphouët-Boigny, en 1932.
Deuxième période. Nous sommes le 26 octobre 1962. La RTI ouvre ses antennes. C’est comme une révolution. Des paysans de Bocanda, des commerçants de Boundiali, des petits fonctionnaires de Zoukougneu, etc., qui ne savaient absolument rien de ce qui se passait dans les autres contrées du pays, pouvaient ainsi s’acheter un transistor et avoir des informations du pays. La politique de l’école télévisuelle, les Télé pour tous, etc, participent à la formation du citoyen. De cette période, je retiens un nom : Noel X Ebony (Essy Kouamé Noel; 1953-1986). Jeune, autodidacte à la limite, il est le premier journaliste ivoirien à poser publiquement, la question de la succession d’Houphouët-Boigny, en 1980 (si j’ai bonne mémoire). C’était à l’époque un sujet tabou, autant qu’un crime de lèse-majesté. Noël Ebony est donc le pionnier de l’impertinence en journalisme, en Côte d’Ivoire. Il sera suivi plus tard par un autre grand nom du journalisme ivoirien, aujourd’hui présentateur vedette en Martinique. Pour moi, ils sont des modèles. L’impertinence en règle générale relève de l’effronterie, et donc est un défaut plutôt qu’une qualité. Mais dans le contexte médiatique, c’est plus une qualité qu’un défaut. L’impertinence n’est pas la propension à l’injure, c’est un trait de caractère qui place celui qui l’utilise, dans une posture où il ne se laisse pas impressionner. Face aux puissants, si vous faiblissez, vous vous mettez dans une position de dominé et de complexé, pendant toute votre carrière.
Troisième période. 1990. Retour au multipartisme. 178 publications sont enregistrées entre 1990 et 1996. C’est le printemps de la presse ivoirienne. L’explosion des titres, l’explosion des dérives aussi. Il y a une explication à cela. La plupart des journaux qui se créent sont adossés à des partis politiques. Un quart de siècle après, la tendance n’a pas changé ou presque pas changé. Mais le bon côté des choses, c’est que désormais, les faits et gestes des gouvernants et des politiciens de tous bords en général, sont décryptés et la pensée unique n’a plus sa place.
Quatrième période. C’est notre période actuelle. A côté des médias traditionnels, les nouveaux médias, donc les sites Internet, les réseaux sociaux. Entre 2000 et maintenant, les journalistes, qu’ils soient de la presse papier ou en ligne, des blogueurs ou des activistes, ont réussi à dévoiler de nombreuses affaires qui n’auraient jamais été rendues publiques, s’ils n’avaient pas été là. Du scandale des déchets toxiques, que j’ai contribué à dévoiler au grand public, en août 2006, comme la modératrice l’a souligné tout à l’heure, dans ma biographie, au phénomène récent des disparitions d’enfants, en passant par le phénomène dit des microbes, etc. Les médias ivoiriens, en dépit de la libéralisation de l’espace audiovisuel qui se fait attendre (je viens d’apprendre que c’est prévu pour juin de cette année) et que nous appelons de tout notre vœux, en dépit de son ancrage congénital à droite ou à gauche, en tout cas pour la plupart des quotidiens, en dépit de ses dérives ; sont dans leur rôle de lanceurs d’alerte et de dévoilement des dossiers qui touchent à la vie de la Nation.
Désormais, avant de prendre une décision, le politique est bien obligé de réfléchir par sept fois, un journaliste impertinent pouvant toujours dévoiler l’acte pris dans la silence du bureau.
Mais je le dis et je le dis fermement, tant que les Ivoiriens eux-mêmes, ne feront aucun effort de discernement face à des informations manipulées ou prostituées qui viennent de toutes parts, tant que les lecteurs ne se déchargeront pas de leur soif de lire ce qu’ils veulent lire et non ce qui est propre à lire, tant que la société civile ne sera pas organisée et ne s’emparera des problèmes soulevés par les journalistes, eh bien, la démocratie sera certes renforcée en Côte d’Ivoire, mais elle sera renforcée au rythme voulu par les politiciens. Chaque peuple mérite aussi bien ses politiciens, que ses journalistes.
Je vous remercie. J’attends vos questions, je précise que pour moi, il n’y a pas de sujet tabou. Merci.
Merci à Dr César Flan, Phd en sciences politiques, l’un des plus brillants politologues ivoirien et ce n’est pas par hasard qu’il est le directeur du Centre de recherche politique d’Abidjan.
Merci à la présidente de l’Association des étudiants politologues de l’Institut universitaire d’Abidjan, Laurène Touré et à sa secrétaire générale Nafi Cissé, ainsi qu’à la modératrice Brenda Kacou.
Permettez que je dise merci à trois amis, trois frères. Mon éditeur Charles Pemont, écrivain émérite, un vrai passionné, l’Ivoirien le plus honnête que je connaisse. Samou Diawara, le monsieur Communication du ministère des Transports, qui m’a fait la surprise et l’amitié, d’effectuer le déplacement, en dépit de ses charges. Enfin Souleymane Yaméogo, un ami de longue date, que j’ai connu à la faveur du prix Norbert Zongo, en 2007, bientôt dix ans donc. Depuis lors, nous sommes restés ensemble. Souley est un garçon intelligent qui a su formater l’esprit civique et républicain, de milliers de jeunes burkinabé, à travers son concept du Thé Batteur, dans la périphérie du Balai citoyen. Si vous n’avez jamais vu un jeune révolutionnaire burkinabé de vos propres yeux, eh bien voici un.
Merci aux étudiants, merci au corps enseignant, à l’administration et à tous ceux qui ont effectué le déplacement.
Mon propos liminaire ne sera pas long. Je souhaite que les échanges soient davantage interactifs. Bien sûr, je me prêterai au jeu des questions-réponses et aucun sujet ne sera tabou. Bref.
« On nous a trop volés !»
Avant de commencer cette conférence, j’aimerais faire une ou deux précisions. D’abord, le thème. Je le trouve assez vaste et sujet à des polémiques. Par exemple l’expression transition nous renvoie à la transition militaire de 1999 à 2000. Depuis lors, il n’y a plus eu de transition du tout en Côte d’Ivoire. Et l’expression processus de transition démocratique alimente davantage la controverse. Alors on va faire simple, c’est l’un de mes principes (ne pas faire compliqué ce qui est simple). On va donc circonscrire notre thème pour qu’il soit libellé ainsi : « Le rôle des médias ivoiriens, dans le renforcement de la démocratie en Côte d’Ivoire ».
Il faut bien entendre par renforcement de la démocratie, pas seulement pour les citoyens, le fait de choisir librement leurs dirigeants, mais aussi et surtout le fait pour eux d’avoir accès à l’information, à l’information diversifiée, à la pluralité des opinions. Le fait que les gouvernants soient plus vigilants dans l’accomplissement de leurs missions publiques, que les groupes de pression exercent mieux leurs rôles d’alerte et de vigilance, etc.
Je distingue donc quatre grandes dates, dans le rôle des médias, dans le renforcement de la démocratie en Côte d’Ivoire : la période coloniale, la période post-indépendance, la période du retour au multipartisme et la période actuelle que j’appelle la période post-rébellion.
Première période. Nous sommes le 22 décembre 1932. Dans un éditorial enflammé, Houphouët-Boigny, qui signe sous pseudo, dénonce le système de fixation des prix par les autorités coloniales et en profite pour dénoncer l’oppression dont sont victimes les « indigènes ». L’article parait dans un journal distribué en Côte d’Ivoire, proche de la gauche française. Le journal s’appelle Trait d’union. Trait d’union, sans peut-être le soupçonner, a joué un rôle majeur dans la suite de l’histoire démocratique de la Côte d’Ivoire. Pourquoi ? Parce que le séisme que l’article crée au sein de la bourgeoisie coloniale, l’adhésion populaire des indigènes, à cette initiative risquée, forge la conviction d’Houphouët-Boigny, qu’il y a nécessité de se mettre au service de la lutte pour l’indépendance. La suite est connue. Au commencement du journalisme ivoirien engagé, se trouve donc Houphouët-Boigny, en 1932.
Deuxième période. Nous sommes le 26 octobre 1962. La RTI ouvre ses antennes. C’est comme une révolution. Des paysans de Bocanda, des commerçants de Boundiali, des petits fonctionnaires de Zoukougneu, etc., qui ne savaient absolument rien de ce qui se passait dans les autres contrées du pays, pouvaient ainsi s’acheter un transistor et avoir des informations du pays. La politique de l’école télévisuelle, les Télé pour tous, etc, participent à la formation du citoyen. De cette période, je retiens un nom : Noel X Ebony (Essy Kouamé Noel; 1953-1986). Jeune, autodidacte à la limite, il est le premier journaliste ivoirien à poser publiquement, la question de la succession d’Houphouët-Boigny, en 1980 (si j’ai bonne mémoire). C’était à l’époque un sujet tabou, autant qu’un crime de lèse-majesté. Noël Ebony est donc le pionnier de l’impertinence en journalisme, en Côte d’Ivoire. Il sera suivi plus tard par un autre grand nom du journalisme ivoirien, aujourd’hui présentateur vedette en Martinique. Pour moi, ils sont des modèles. L’impertinence en règle générale relève de l’effronterie, et donc est un défaut plutôt qu’une qualité. Mais dans le contexte médiatique, c’est plus une qualité qu’un défaut. L’impertinence n’est pas la propension à l’injure, c’est un trait de caractère qui place celui qui l’utilise, dans une posture où il ne se laisse pas impressionner. Face aux puissants, si vous faiblissez, vous vous mettez dans une position de dominé et de complexé, pendant toute votre carrière.
Troisième période. 1990. Retour au multipartisme. 178 publications sont enregistrées entre 1990 et 1996. C’est le printemps de la presse ivoirienne. L’explosion des titres, l’explosion des dérives aussi. Il y a une explication à cela. La plupart des journaux qui se créent sont adossés à des partis politiques. Un quart de siècle après, la tendance n’a pas changé ou presque pas changé. Mais le bon côté des choses, c’est que désormais, les faits et gestes des gouvernants et des politiciens de tous bords en général, sont décryptés et la pensée unique n’a plus sa place.
Quatrième période. C’est notre période actuelle. A côté des médias traditionnels, les nouveaux médias, donc les sites Internet, les réseaux sociaux. Entre 2000 et maintenant, les journalistes, qu’ils soient de la presse papier ou en ligne, des blogueurs ou des activistes, ont réussi à dévoiler de nombreuses affaires qui n’auraient jamais été rendues publiques, s’ils n’avaient pas été là. Du scandale des déchets toxiques, que j’ai contribué à dévoiler au grand public, en août 2006, comme la modératrice l’a souligné tout à l’heure, dans ma biographie, au phénomène récent des disparitions d’enfants, en passant par le phénomène dit des microbes, etc. Les médias ivoiriens, en dépit de la libéralisation de l’espace audiovisuel qui se fait attendre (je viens d’apprendre que c’est prévu pour juin de cette année) et que nous appelons de tout notre vœux, en dépit de son ancrage congénital à droite ou à gauche, en tout cas pour la plupart des quotidiens, en dépit de ses dérives ; sont dans leur rôle de lanceurs d’alerte et de dévoilement des dossiers qui touchent à la vie de la Nation.
Désormais, avant de prendre une décision, le politique est bien obligé de réfléchir par sept fois, un journaliste impertinent pouvant toujours dévoiler l’acte pris dans la silence du bureau.
Mais je le dis et je le dis fermement, tant que les Ivoiriens eux-mêmes, ne feront aucun effort de discernement face à des informations manipulées ou prostituées qui viennent de toutes parts, tant que les lecteurs ne se déchargeront pas de leur soif de lire ce qu’ils veulent lire et non ce qui est propre à lire, tant que la société civile ne sera pas organisée et ne s’emparera des problèmes soulevés par les journalistes, eh bien, la démocratie sera certes renforcée en Côte d’Ivoire, mais elle sera renforcée au rythme voulu par les politiciens. Chaque peuple mérite aussi bien ses politiciens, que ses journalistes.
Je vous remercie. J’attends vos questions, je précise que pour moi, il n’y a pas de sujet tabou. Merci.