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Politique Publié le mercredi 13 avril 2016 | Partis Politiques

Interview/ Depuis son exil, Stéphane Kipré, président de l’UNG : « Il faut arrêter les procédures judiciaires en cours, parce que le pouvoir en place n’est pas capable d’appliquer la justice »

© Partis Politiques Par DR
Stéphane Kipré, président de l`Union des Nouvelles Générations (UNG)
Samedi 01 novembre 2014. Italie.
De passage à Accra, au Ghana, d'où il partage son temps d'exil avec la France, Stéphane Kipré se souvient encore du 11 avril 2011. Date à laquelle son mentor, l'ex-président Laurent Gbagbo est parti brutalement du pouvoir au terme d'une longue crise post-électorale. Cinq ans après, le président de l'Union des nouvelles générations (UNG) jette un regard sur le rétroviseur. Il en profite pour donner sa position sur les questions de l'actualité. Entretien !

Président Kipré, que vous inspire ce 11 avril 2016 qui marque la fin brutale du régime du président Laurent Gbagbo, votre mentor ?

Le 11 avril a toujours été pour moi une date de douleur, parce qu'au delà de ce qui est arrivé au président Laurent Gbagbo, elle marque la mort de la démocratie en Côte d'Ivoire. Le 11 avril n'est pas la situation d'une personne, mais la fin de la démocratie pour laquelle le peuple s'est battu pour l'avoir en 2000. C'est, donc, le début d'un combat pour retrouver cette démocratie que nous avons perdue.

Ce combat appelle des actions sur le terrain pendant que vous êtes en exil. Qu'est-ce qui vous y retient ?

Aucune personne ne part volontairement en exil. On part en exil quand il y a une situation dans son pays qui vous y contraint. La Côte d'Ivoire était dans une situation qui était difficile. Il y a eu la chasse à l'homme, nos vies étaient en danger. Il était question de nous mettre en sécurité. Aujourd'hui, c'est la situation pour laquelle nous sommes parti en exil qui continue de me retenir. Parce quand on voit que 5 ans après, on continue de faire les mêmes débats comme si nous étions en 2011, on continue de faire des arrestations, de parler de prisonniers, de gels de compte et d'occupation des maisons, cela veut dire que ce qui nous a contraint en exil existe toujours. Donc, on ne peut pas rentrer tant que cela n'est pas fini.

Certains de vos proches ont annoncé votre retour il y a quelques jours. Vous le confirmez ?
Je confirme qu'un jour je rentrerai en Côte d'Ivoire. Mais, la date, je ne la connais pas encore. Parce qu'il y a une situation politique que nous vivons qui est prioritaire pour ma personne. Je veux rentrer en Côte d'Ivoire, mais dans une Côte d'ivoire démocratique où il n'existe plus de prisonnier politique, où la traque à l'homme est terminée. Donc, je sais qu'il y a cette volonté des militants de me voir revenir, mais il y a cette volonté de retrouver une Côte d'Ivoire démocratique qui est un combat plus important.

Le choix de l'exil n'est-il pas une occasion que vous donnez au pouvoir en place de vous y maintenir pour ne rien avoir véritablement en face comme opposition ?

Je ne pense pas qu'il y a un vide, parce que nous avons des camarades sur le terrain. Le combat se mène sur le terrain, mais aussi à l'extérieur. Mais, le manque de liberté d'expression et de manifester en Côte d'Ivoire est un frein à l'avancée du travail, malgré tout l'engagement et la mobilisation dont nos camarades sont capables. Nous sommes les relais pour dénoncer ces freins là. C'est tout ce que nous faisons de l'intérieur et de l'extérieur qui nous fera ramener la démocratie en Côte d'Ivoire. Il était aussi important d'aller laver le mensonge sur lequel s'est bâti ce qui s'était passé en 2011 et de dire la vérité à l'Occident qui a toujours été l'allié du pouvoir actuel. C'est tout ce combat que nous sommes en train de mener, et qui devra aboutir au retour de la démocratie dans notre pays.

On vous dira que la liberté s'acquiert et ce conquiert. Qu'en direz-vous ?

Voilà pourquoi nous sommes toujours en train de lutter malgré la traque aux opposants, le refus des manifestations et le manque de liberté d'expression. Parce que ceux qui pensent que la liberté et la démocratie seront données en allant s'inféoder à un pouvoir comprendront qu'ils ne pourront pas l'obtenir.

Pour conquérir cette liberté, il est annoncé que vous envisagez la création d'un front de l'opposition contre le pouvoir en place. Est-ce le cas ?

Je n'ai pas cette information, mais ce que je sais, c'est qu'on le dit toujours : l'union fait la force. Se mettre ensemble, dans un objectif commun, pour obtenir un résultat commun est quelque chose de positif. Est-ce qu'il y a quelque chose en préparation. Si c'est le cas, l'Ung que je dirige y prendra part à 100%.

Vous étiez déjà à la Coalition nationale du changement (Cnc) qui n'a pas marché. Quel bilan en aviez-vous tiré ?

La Cnc, dès le départ, était voué à l'échec. Parce que nous n'avions pas le même objectif. On ne peut pas faire une coalition dans laquelle il y a des partis politiques et candidats, des gens qui pensaient seulement élections. Mais, en toute chose, il y a une leçon à tirer. J'ai vu à travers la Cnc que le peuple ivoirien a soif de la vérité, de retour de démocratie et du changement. Malheureusement, nous les membres de cette coalition, nous n'avons pas compris les aspirations de ce peuple, mais nous avons plutôt voulu l'utiliser pour obtenir des objectifs individuels et personnels.

Vous qui rencontrez souvent le président Gbagbo, l'avez-vous vu ces derniers temps ?
Je m'arrange à rencontrer le président Gbagbo une fois par mois. Depuis que son procès a commencé je l'ai vu. Je suis allé le soutenir à la Haye.

Quelles sont les nouvelles que vous rapportez de lui ? Dans quelle posture est-il ?

Il va comme un prisonnier doit aller. C'est un prisonnier, mais il est toujours dans la posture combattante. C'est quelqu'un qui a toujours dit que tant que son peuple tiendra, il tiendra. De toutes les rencontres que j'ai eu avec lui, c'est quelqu'un qui n'est pas dans un esprit de vengeance, mais plutôt dans un esprit de : ''nous devons restaurer ensemble la Côte d'Ivoire''. A chaque fois que je vais le voir, c'est de cela que nous parlons. Comment restaurer la Côte d'Ivoire et comment tourner définitivement cette page dans laquelle notre pays est.

Et Charles Blé Goudé, aviez-vous eu l'occasion de le voir ?

J'ai rencontré le ministre Charles Blé Goudé. Chaque fois que je vais voir le président Gbagbo, on se croise. On s'est déjà rencontré.

Comment avez-vous appréhendez les premiers mois de son procès ?

Les 3 premiers mois de ce procès nous montrent la suite des débats. Nous sommes que nous sommes dans un procès qui n'a aucune base juridique. Quand nous avons écouté les premiers témoignages, nous avons vu ce qui se passera. A la lumière de ce qui s'est passé au Kenya, où le procès de la crise post-électorale de 2007 a été abandonné, il est important que la communauté internationale qui tient le président Gbagbo comme un otage pour aider un pouvoir en place à s'installer depuis 5 ans, tienne compte du fait que çà ne marche pas et il faut changer de stratégie. Il faudrait que tous les enfants de Côte d'Ivoire puissent se réunir pour traiter définitivement la situation du pays pour qu'on puisse avancer. Détenir un en pensant que cela allait faire avancer les choses, parce que le peuple allait l'oublier, çà n'a pas marché. Alors, trouvons une autre solution en permettant que chacun puisse apporter du sien pour que la Côte d'Ivoire puisse repartir sur l'esprit de cohésion sociale.

Quelle solution entrevoyez-vous ?

A la convention de l'Ung, nous avons proposé le dialogue politique inclusif. Nous avons proposé que tous les enfants de Côte d'Ivoire se retrouvent pour traiter de la question de ce pays. Nous sommes allés plus loin pour dire que même les militaires, qui ont défendu valablement l'Etat de Côte d'Ivoire puissent participer pour dire leur part de vérité. La situation de la Côte d'Ivoire ne pourra pas se régler de façon judiciaire. Parce qu'il n'y a pas cette capacité d'appliquer la justice. Cette situation se réglera lorsque tous les enfants de ce pays pourront se retrouver, vider le contentieux et demander pardon au peuple ivoirien et tourner définitivement la page, parce que chacun a sa part d'erreur et de raison. Nul ne peut dire qu'il a raison sur le peuple ou qu'il a tort. Si on veut appliquer le tort dans un camp et ne pas être capable de voir ce qui se passe dans son camp, cela est voué à l'échec.

En parlant de retrouvailles, faites-vous allusion au président Gbagbo ?

C'est le premier, parce ce sont deux camps qui s'étaient affrontés : le camp du président Gbagbo et ses partisans et le camp d'Alassane Ouattara et ses partisans. Donc, pourquoi vouloir faire un dialogue, une réconciliation sans le leader de l'un des camps ? Pour que la Côte d'Ivoire arrive aux élections après la crise politique de 2002, il avait fallu que Konan Bédié, Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo et Soro Guillaume qui représentait les forces rebelles, s'asseyent autour d'une table, que chacun prenne un engagement et l'applique avec son peuple. C'est ce qui a donné les élections de 2010, même si on savait que toutes les conditions n'étaient pas réunies. Donc, pourquoi cette fois-ci on veut mettre un des leaders et changer d'interlocuteur. Tant qu'on ne voudra pas reconnaître qui est l'interlocuteur véritable pour que la Côte d'Ivoire puisse se réconcilier avec tous ses enfants, çà sera vouer à l'échec.

Ce qui voudrait dire qu'il faut arrêter les procédures judiciaires en cours. Comment y parvenir ?

Il faut arrêter les procédures judiciaires en cours, parce que le pouvoir en place n'est pas capable d'appliquer la justice. Quand tu n'es pas capable d'appliquer une justice équitable, alors tu ne l'appliques pas pour tous.

Sam l'Africain, un pro-Gbagbo, est allé témoigner à la Cpi, à l'appel de l'Accusation. Comment avez-vous apprécié son audition ?

Sam l'Africain a dit sa part de vérité. Aujourd'hui, il est présenté comme un héro. Or, avant lui, il y a eu des gens qui ont témoigné. Ils n'ont pas été célébrés. Mais, pourquoi celui qui était supposé témoigner contre, et qui a dit sa part de vérité qui allait dans le sens du président Gbagbo, est célébré ? Cela veut dire que ce que Sam l'Africain a dit, c'est ce que le peuple de Côte d'Ivoire sait, et c'est dans çà que ce peuple se reconnaît.

Les généraux Mangou et Kassaraté, qui étaient les chefs de commandement de l'armée du président Gbagbo sont annoncés parmi les témoins. Ces témoins ne vous font-ils pas peur ?

Avoir peur d'un témoin, cela veut dire qu'il y a quelque chose à cacher. Pour moi, tous ceux qui ont été annoncés comme témoins iront dire leur vérité, et je n'ai rien à craindre, parce que la vérité est sue. Cette vérité st que la Côte d'Ivoire a organisé des élections en 2010. Le Conseil constitutionnel a déclaré un candidat gagnant. L'autre camp a refusé. Le président Gbagbo a été bombardé, et un coup d'Etat a été opéré le 11 avril 2011.

Le Gal Mangou, chef d'Etat major d'alors a déjà annoncé les couleurs en disant qu'il avait demandé au président Gbagbo de céder le pouvoir....

Il est honteux d'entendre le Gal Mangou dire çà, parce que l'histoire est têtue. Qu'il ait le courage d'aller jusqu'au bout et on verra ce qu'il va dire, sinon, je mets ses premiers propos là sur le compte de la rumeur.

Après les premiers mois, comment entrevoyez-vous la suite de ce procès, de l'espoir ?
Oui, j'ai de l'espoir quant à la libération du président Laurent Gbagbo, parce que pour moi, ce n'est pas le procès qui est le plus important. Mais, celui qui le détient en otage, pensant qu'en le gardant il va aider un pouvoir à s'installer, comprendra que ce n'est pas la stratégie qui marche. C'est la vérité qui sera sue et montrera que ce n'est pas lui le problème, mais c'est lui la solution de la Côte d'Ivoire. Finalement, ce procès va servir à comprendre que c'est en réalité le bourreau qui tente de faire juger la victime.

Pendant qu'il est à la Haye, le parti du président Gbagbo, le Fpi, est en crise. Vous qui le côtoyez, vous a-t-il une fois fait des confidences sur cette crise ?

Le Fpi était en crise. Mais, cette crise est terminée depuis le congrès de Mama. Le reste, ce sont les tentacules du pouvoir en place qui veut utiliser des ex-membres de ce parti pour le détruire. Le président Gbagbo et moi, on n'en parle pas, parce que c'est une question interne au Fpi. Mais, sur la question, je pense qu'il est plus déçu par le comportement de personnes qui étaient supposées avoir appris à son école.

Comment voyez-vous l'avenir de ce parti avec cette crise?

Je ne vois pas cette crise telle que vous la voyez. Pour moi, ce n'est pas une crise qui tend à anéantir le Fpi en tant que tel. C'est un pouvoir qui veut utiliser le combat politique d'un homme. C'est le combat politique de Gbagbo qu'on veut étouffer, parce que c'est un combat qui impacte le peuple. Vous voyez que malgré toutes les tentatives, ce peuple reste debout derrière ce combat. Ceux-qui sont utilisés aujourd'hui par le pouvoir en place ont lié leur destin politique à ce pouvoir. Pour moi, ils ne sont plus membres de l'opposition. Ils font partie de la majorité au pouvoir. Mais, tant que les militants se reconnaissent dans ce combat dans lequel on est là avec le Fpi, quelque soit la rudesse de ce combat, il aboutira.

Est-ce Affi N'guessan et son groupe que vous présentez comme des complices du pouvoir ?

Exactement ! Je ne les présente pas, mais ce sont les complices du pouvoir.

Ils vous répondront qu'ils se battent aussi pour le président Gbagbo ?

Qu'est-ce qu'il a obtenu. Faisons le point et voyons. Qu'est-ce qu'ils ont fait avancer ?

Le dégel de comptes et la libération de certains prisonniers....

Oui, ils ont obtenu le dégel de leurs comptes, mais aujourd'hui, après 5 ans, il y a encore plus de 250 prisonniers politiques par la volonté d'un pouvoir, le combat est loin d'aboutir. Donc, ils ont pu obtenir quelques prisonniers libérés, et un statut pour eux, etc. C'est la première fois que je vois qu'on prend un décret présidentiel pour nommer un opposant comme un ministre d'Etat. Ce sont des gens qui ont attaché leur destin politique au pouvoir actuel, et l'avenir nous le dira.

Faites-vous allusion au statut de l'opposition adopté par le gouvernement ?

Je ne parle pas de statut de l'opposition, je parle de celui du chef de l'opposition. Dans le monde entier, le chef de l'opposition est celui qui a le plus grand nombre de représentants au parlement. Mais, aujourd'hui, on a un chef de l'opposition nommé par décret présidentiel. Donc, la démocratie est l'envers en Côte d'Ivoire et on verra ce que çà donnera.

Parlons de l'Ung, votre parti, qui est presqu'inexistant sur l'échiquier national, depuis votre départ en exil. Cette formation politique ne va-t-elle pas mourir elle aussi de l'absence de son leader ?

L'Ung n'est pas inexistante. Nous avons engagé une tournée nationale, nous sommes allés vers nos militants. Mais, la vérité, c'est que les médias d'Etat étant confisqués, on ne peut pas voir ce qui se fait. L'Ung fonctionne au rythme de la démocratie en Côte d'Ivoire. La période dans laquelle nous sommes est très décisive. La vie d'un parti politique n'est pas faite seulement de tournée de masse et spectaculaire. Aujourd'hui, nous sommes dans un combat idéologique. S'il n'y a pas de liberté d'expression et de démocratie en Côte d'Ivoire, çà ne sert à rien d'avoir des partis politiques ou d'aller chercher à présenter une vision politique dans ce pays. Donc, pour le moment, nous menons le combat du retour de la démocratie pour que nos différents partis politiques puissent s'exprimer et qu'on donne le choix au peuple de pouvoir adhérer à une vision. Mais, aujourd'hui, le pouvoir a été retiré des mains du peuple et est confisqué. Alors que la démocratie, pour nous, est la seule véritable clé pour faire adhérer le peuple à note vision. Mais quand on impose d'autres choix à ce peuple, même quand il adhère, je pense que nous devons revenir à un combat idéologique pour que le peuple ait véritablement le pouvoir dans ses mains.

Justement, pour que le peuple ait le pouvoir entre ses mains, cela dépend des suffrages universels. Votre parti, l'Ung, va-t-il participer aux échéances législatives à venir vu le contexte que vous décrivez ?

La participation aux élections ne dépend pas du président de l'Ung. Elle dépend de la convention. Le parti ira en convention pour décider de la conduite à tenir. Mais, en tant que militant et président, je m'interroge et je me dis : qu'est-ce qui a bougé entre l'élection présidentielle et ces législatives. Est-ce que la Commission électorale indépendante (Cei) qui est en train de l'organiser a changé. Qu'est-ce qui a changé entre ce que nous avons décrié de cette Cei hier et ce qu'elle est aujourd'hui pour qu'elle soit apte à organiser les élections ? Tout parti politique a pour ambition de participer aux élections. C'est en participant aux élections qu'on peut jauger la force d'un parti politique. Mais, est-ce qu'il faut participer aux élections pour participer, pour accompagner un pouvoir ou pour entendre véritablement le choix du peuple. Nous avons vu à la présidentielle. Le pouvoir s'est donné le score qu'il voulait ainsi qu'à son opposant. Parce que, pour moi, le score qu'il a obtenu est en deça deçà de la réalité. Quand le pouvoir en place peut déterminer le tau de participation comme il veut, alors nous nous demandons si une élection organisée dans ces conditions là diront la vérité selon la volonté du peuple. En tout état de cause, la convention de l'Ung tranchera la question.

Vous parlez du taux de participation. A la présidentielle, il a été de 52%, soit 48% d'abstentions auxquelles on peut ajouter les voix des opposants. N'est-ce pas que cette opposition ivoirienne se fait du tort en boycottant les scrutins ?

Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que nous avons un pouvoir imposé au peuple de Côte d'Ivoire. Ce pouvoir n'a pas remporté une victoire électorale, mais un coup de force. Automatiquement, l'opposition tient toujours sa place, parce que tous les mots d'ordre qui ont été lancés, à commencer par les législatives en 2011, le recensement jusqu'à la présidentielle de 2015 ont été tous suivis. Ils se sont donnés un taux de 52%, mais sachez que c'est en deçà de ce chiffre. Quand l'opposition lance un tel mot d'ordre et qu'il est aussi suivi, le pouvoir en place dit savoir que cette opposition a véritablement sa place et engage un vrai dialogue avec les interlocuteurs qu'il faut pour qu'on puisse avancer avec un processus inclusif dans l'intérêt du peuple.

Pour que l'opposition réussisse ce combat, n'est-ce pas indiqué pour elle de mettre fin à la politique de la chaise vide pour faire entendre sa voix au Parlement ?

Avant de parler de ce sujet, c'est ceux qui ont le pouvoir en main qui doivent faire le plus d'effort. Çà coûte quoi au pouvoir en place aujourd'hui de libérer les 252 prisonniers encore en détention ? Qu'est-ce que çà coûte de poser des actes forts en permettant le retour des exilés ? Quand vous avez des exilés qui rentrent, et que certains passe par le bureau du ministre de l'Intérieur pour pouvoir recouvrer tous leurs droits et que ceux qui refusent de passer par ce bureau se retrouvent au camp pénal de Bouaké, vous pensez que c'est un pouvoir qui est capable de faire la paix. C'est celui qui est debout qui tend la main à celui qui est couché et l'aide à se relever. Mais, nous nous rendons compte qu'il n'y a pas cette volonté. A chaque discours à l'indépendance, il y a 3000 prisonniers qui sont libérés, mais on ne voit rien par la suite. Si les 3000 prisonniers annoncés depuis 2011 étaient libérés, il n'y aurait plus de prisonnier politique en Côte d'Ivoire. Donc, il y a cette volonté de tenir des discours politiques pour faire plaisir à leurs mandants, mais, cela n'enlève rien à cette autre volonté de continuer d'embastiller le peuple de Côte d'Ivoire.

Dans le contexte que vous décriez, il y a un référendum qui est annoncé d'ici la fin de cette année 2016. Auriez-vous des réserves vis-à-vis de la réforme constitutionnelle en vue?

Pour moi, ce référendum n'a pas lieu d'être. On organise un référendum dans un pays lorsque tous les enfants de ce pays sont là. Mais, à la vérité, ce référendum, c'est pour permettre au chef de l'Etat actuel, voyant que la guerre de sa succession fait rage, de se représenter pour calmer les ardeurs le temps qu'un camp parmi les héritiers prennent le dessus pour lui céder le fauteuil. On voit qu'ils vont s'entre-déchirer pour le pouvoir.

Quelle sera la position de l'Ung à ce référendum ?

Nous allons traiter cette question à la Convention comme toutes les questions qui touchent à l'intérêt national. Mais, moi, en tant que président de l'Ung, j'irai défendre ma position devant nos camarades que nous ne nous sentons pas concernés par ce référendum. Parce que, comme la présidentielle qui s'est tenue pendant que les enfants de la Côte d'Ivoire étaient en prison, ce référendum sera un autre scrutin calqué sur mesure par les tenants du pouvoir.

Outre ces échéances à venir, 2020 c'est dans 4 ans. Quel est le projet de Stéphane Kipré par rapport à cette échéance ?

Effectivement, 2020 c'est dans 4 ans. Mais, il y a des combats à mener avant d'y arriver. Il y a encore des priorités. La priorité aujourd'hui, c'est que la démocratie revienne en Côte d'Ivoire, qu'il y ait plus de prisonniers politiques et que tous les enfants de ce pays se retrouvent. Quelques soient les joutent électorales qui vont arriver, les mêmes causes produiront les mêmes effets si ces questions ne sont pas toujours traitées. Nous avons encore le temps de penser à cela, mais nous n'avons plus assez de temps pour que ce combat pour la démocratie aboutisse. Il est difficile de faire voir à quelqu'un qui n'est pas aveugle. Donc, nous devons trouver le mécanisme pour lui faire comprendre que c'est seulement la démocratie qui peut engager un peuple ensemble dans le développement.

Quelle stratégie entendez-vous encore adopter pour faire aboutir ce combat, qui semble aller en piétinement ?

Il y a plusieurs manières de faire aboutir un combat. Pour moi, aujourd'hui, je pense que le dialogue est la meilleure voie. Mais, je retrouve la réponse de votre question dans sa formulation même. Parce que si après 5 ans, on continue de parler comme si nous étions au lendemain du 11 avril 2011, cela dire qu'en 5 ans, le pouvoir en place n'a rien fait pour que la cohésion sociale puisse avancer d'un iota. Nous voyons qu'il y a une volonté manifeste de mettre de côté cette priorité de la véritable réconciliation dans notre pays. C'est pourquoi il faut trouver d'autres moyens pour leur faire comprendre que c'est çà la priorité.

Comment allez-vous vous y prendre ?

S'il y a véritablement une volonté d'union de tous les Ivoiriens épris de leur liberté, c'est la première étape. S'unir pour être plus forts et faire aboutir notre combat.

Justement en face, on parle de parti unifié et même d'alternance 2020 en famille. N'est-ce pas le signe qu'il n'y a plus d'opposition en Côte d'Ivoire ?

Non, je n'ai pas l'habitude de me mêler des débats des autres, mais quand vous voyez déjà ce qu'on appelle union et alternance, cela me fait peur. Quand j'entends les propos entre les cadres du Pdci et du Rdr, je me dis qu'ils se sont unis dans le mal pour faire tomber un pouvoir en Côte d'Ivoire. Mais, est-ce qu'ils seront vraiment unis. On verra !

Bon an mal an, n'est-ce pas que pour cette coalition au pouvoir il n'y a rien en face avec une opposition qui n'existe que de nom. Ce qui explique qu'on débat déjà de l'alternance en interne ?

L'opposition n'existe pas que de nom. Le pouvoir veut faire croire que l'opposition n'existe que de nom. Or, cette opposition existe bel et bien. Parce que si elle n'existait pas, on n'allait pas empêcher des opposants de sortir du pays. Quand on n'a rien à craindre, on n'empêche pas un opposant qui va entretenir la diaspora de sortir du pays, on ne continue pas de détenir des prisonniers politiques, on n'empêche pas les médias d'Etat de divulguer les messages des autres. C'est parce qu'on sait qu'il y a une véritable force en face qu'il y a tous ces agissements. Par rapport à çà, nous avons essayé, chacun, à sa manière de faire aboutir ce combat de la démocratie. Mais, j'appelle encore et je pense qu'ensemble, avec la force du peuple, nous pouvons y arriver. Parce que nul ne peut rien contre la volonté du peuple. Nul ne peut embastiller indéfiniment un peuple quel que soit le temps que çà prendre.

Revenons à vous. Vous étiez au Ghana que vous aviez quitté pour rejoindre la France. Vous sentiez-vous menacé dans ce pays voisin ?

Je ne me sentais pas menacé. Il y avait une nécessité. Je mets mon exil à contribution pour deux choses. Il s'agit de faire connaître la vérité sur ce qui se passe en Côte d'Ivoire. Etant en Afrique, j'ai eu l'occasion de rencontrer beaucoup de leaders africains pour leur expliquer ce qui s'est passé. Mais, il était aussi important de le faire au niveau de l'Occident. Pour moi, la déportation du président Laurent Gbagbo de la Côte d'Ivoire à la Haye marquait aussi la déportation du combat politique de l'Afrique vers l'Occident. Donc, je continue d'être en Afrique, au Ghana, en Europe, en France, partout où il faut aller faire savoir ce qui se passe en Côte d'Ivoire.

En France, avez-vous eu des rencontres avec la classe politique à ce sujet, notamment le pouvoir socialiste ?

On a des rencontres ! Je ne vais pas spécifier avec le pouvoir socialiste français. Mais, on a des rencontres avec des leaders africains, des hommes politiques occidentaux et des autres continents, parce que politiques, nous sommes obligés d'avoir des rencontres avec tout le monde pour pouvoir faire connaître la vérité.

Comment expliquez-vous que les socialistes soient au pouvoir en France et que leurs camarades en Côte d'Ivoire soient confrontés à des difficultés. Croyez-vous à la grande famille des Socialistes et à la solidarité qui devrait la caractériser ?

Il va falloir poser la question aux socialistes en France. Mais, je ne suis pas membre de l'International Socialiste, dont je ne peux pas savoir exactement comment se passe la gestion des relations entre eux.

L'actualité au pays est dominée ces derniers temps par l'attentat terroriste qui a frappé la Côte d'Ivoire. Une première dans l'histoire de ce pays. Comment aviez-vous vécu ce triste événement depuis votre lieu d'exil ?

Je voudrais saluer la mémoire de tous ces Ivoiriens qui sont tombés suite à cet attentat. Les attentats terroristes sont devenus un phénomène mondial. Mais, comme vous le dites, la Côte d'Ivoire n'a jamais été la cible d'un tel phénomène, malgré tout ce qui se passait dans la sous-région. La question que nous nous posons, c'est ceci : pourquoi la Côte d'Ivoire qui n'était pas une cible du terrorisme, hier, depuis 1960, l'est devenue aujourd'hui ? Ce sont les actes posés par le pouvoir en place. Quand tu t'allies aux terroristes, quand tu héberges des terroristes, tu deviens une cible des terroristes. Après l'attentat de Ouagadougou, le président du Burkina Faso a ouvertement accusé Blaise Compaoré d'être à la base de cette attaque. Si notre nouveau compatriote, Blaise Compaoré, hébergé par la Côte d'Ivoire, est accusé, il est clair que cela nous expose comme une cible de ces terroristes. Donc, pour moi, c'est la politique sous-régionale de la Côte d'Ivoire menée par les dirigeants en place qui l'a fait changer de statut en l'exposant comme une cible des terroristes.

En tant que leader politique, comment entrevoyez-vous les moyens pour combattre ce fléau ?

C'est un véritable phénomène qu'il va falloir traiter de façon générale. Pour moi, le terrorisme émane du mauvais traitement qu'on en fait. Quand on voit que dans certaines crises, les terroristes sont adulés pour faire partir un pouvoir, et dans une autre crise, ils sont combattus, c'est un problème. Voyez ce qui s'est passé en Libye pour faire tomber Kadhafi, et en Syrie contre Bachar. Donc on ne peut pas être amis avec les terroristes sur un territoire et ennemi sur un autre territoire. Il va falloir un traitement équitable de la question. Il faut qu'il y ait une volonté claire et nette au niveau de l'Onu contre l'utilisation de tout ce qui est organisations terroristes dans les crises à l'intérieur des pays. A côté de cela, il y a une immixtion trop directe dans les questions internes des pays. La Libye et la Syrie ont connues. Aujourd'hui, ces pays ne se retrouvent plus. Mais, ceux qui ont combattu en Libye, ce sont les mêmes qui ont combattu en Syrie. Ceux qui ont combattu en Syrie, ce sont les mêmes qui font des attentats en Europe, parce qu'ils voient l'Europe comme les alliés d'hier.

Un rapport de l'Onu révèle que le président de l'Assemblée nationale disposerait de 300 tonnes d'armement. Avez-vous un commentaire sur la question ?

Quand l'Onu disait qu'on était dans les conditions d'organiser des élections pendant qu'on disait que le désarmement était une priorité, on ne le croyait pas. Voilà que la vérité est en train de sortir. Mais, je ne suis pas d'accord qu'on dise que ces armes appartiennent à Soro. Elles appartiennent à ceux qui ont armé les rebelles qui ont attaqué la Côte d'Ivoire depuis 2002. Il y a des propriétaires officiels, mais aussi des propriétaires officieux. C'est un tout un groupe à qui appartiennent ces armes là.

Pour conclure cet entretien, quelles sont les propositions concrètes que vous faites pour la normalisation de la situation en Côte d'Ivoire ?

Pour moi, le 11 avril 2016 devrait être marquée par la prise d'une décision de libération de tous les prisonniers de la crise post-électorale. Après 5 ans, toute cette haine devrait normalement s'estomper. C'est l'acte fort, aujourd'hui que le pouvoir en place peut poser pour pouvoir donner un coup d'accélérateur à la réconciliation, et ensuite créer les conditions du retour de tous les exilés. Sinon, la situation sera toujours crispée.

Sont-ce là les conditions de votre retour au pays ?

Bien sûr ! Personne ne vit mieux ailleurs que chez soi. Personne n'est heureux d'être en exil. Mais, nous sommes en exil pour porter un combat. La négociation, la discussion et le dialogue, c'est le donner et le recevoir. Si en face, nous voyons que le pouvoir pose un acte fort, nous sommes aussi prêts à poser un acte dans ce sens là.

Entretien réalisé à Accra par Félix D.BONY
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