C’est la première fois que je fais ce témoignage. Je pense qu’il est temps de briser le silence complice autour de ce tabou honteux dont on ne parle pas assez, sinon pas du tout, du moins en public : le racket enseignant, lors des oraux d’examens à grand tirage.
J’étais en Terminale D. C’était ma première expérience avec le racket enseignant, avec le racket tout court ; et j’en suis sorti bouleversé. Retourné. Ce jour-là, dans une salle de classe du Collège Henri Poincaré de Bouaké, où je devrais passer à l’oral, devant le professeur d’anglais, j’avais été alerté par des élèves, quelques minutes plus tôt, sur une pratique pour le moins inattendue. Ils disaient qu’ils avaient remis de l’argent à l’examinateur, en échange d’une note confortable à l’oral. Je ne croyais pas une seconde ces allégations. Ce fut mon tour. J’étais plutôt confiant en anglais. A l’époque, on m’appelait « The best », et pour cause. Après avoir choisi mon sujet, je m’assis en face du professeur et entamai la lecture du texte. Celui-ci m’interrompit d’un geste agacé : « What do you put in motorbike ? », me demanda-t-il, le regard fuyant.
Je craignais d’avoir mal saisi l’allusion et rétorquai : « Sorry sir ? ». Il reprit, cette fois, en français, sans toujours me regarder, et sur un air de plaisanterie, lança : « Qu’est-ce que tu mets dans une moto pour qu’elle démarre ? ». « De l’essence ?», répondis-je, naïvement.
« Très bien. Mets de l’essence dans ma moto, tu vas laisser
la place à un autre ».
J’étais face à un dilemme. Si je refusais de payer, le type déterminé devant moi, avec son air cynique, risquait de me coller une mauvaise note. Si j’acceptais de payer, j’aurais payé pour rien, parce que de toutes les façons, je ne me débrouillais déjà pas mal en anglais, pour un élève de Terminale scientifique. A ce dilemme, s’ajoutait un sérieux embarras : je n’avais pas un kopeck. Je demandai alors la permission de sortir un instant. Je partis à la rencontre d’un ami de classe dont je ne me rappelle plus le nom, tant on était habitué à l’appeler « Quatorze », sa presque immanquable note en mathématiques Lol. Il me remit 1 000 FCFA, avec pour ferme consigne de lui ramener 500 FCFA.
Je retournai vers l’examinateur, lui remis les 1 000 FCFA et lui réclamai la monnaie. « Je n’ai pas de monnaie », me répondit-il sèchement.
Je lui précisai alors que les 500 FCFA restants, étaient la paye par avance, de mon ami « Quatorze », qui devrait opportunément passer une heure après moi. Il acquiesça d’un signe de tête indifférent. Devant moi, il marqua 18/20, sur sa feuille de note. Je savais que c’était une farce, il l’avait marqué au crayon. Quand j’ai été admis au Baccalauréat, la première chose que je voulais découvrir sur mon relevé, était ma note à l’oral d’anglais. Il m’avait donné 14. Non seulement, le type n’avait pas respecté son contrat, mais comble des frustrations, il n’avait pas tenu compte de ce que j’avais pré-payé pour mon ami « Quatorze », puisqu’il lui avait réclamé encore de l’argent, pour lui coller, une fois de plus… 14.
Rencontre avec mon
racketteur
Quelques années plus tard, j’étais devenu un jeune journaliste impertinent, qui n’avait aucun froid dans les yeux. Je couvrais une grève d’enseignants à Abidjan et j’ai reconnu mon racketteur parmi les responsables des grévistes. Au moment de faire le point de presse, et devant le bureau exécutif de son syndicat réuni, je lui ai gentiment rappelé, que des années plus tôt, il m’avait maladroitement racketté à l’oral d’anglais à Bouaké. Il ne se rappelait plus ma tête. Ce à quoi je répondis que cela ne me surprenait pas, puisqu’il n’a pas osé me regarder dans les yeux, ce jour-là et que de toute évidence, je n’étais pas le seul à avoir été racketté depuis toutes ces années. Il admit confusément avoir été souvent examinateur à l’oral d’anglais, sans démentir formellement sa pratique de racket.
Quant à ses collègues syndicalistes, ils ne semblaient nullement étonnés. L’un d’eux finit par dire : « Voilà pourquoi on vous dit d’arrêter ce genre de pratique. Maintenant qu’il est journaliste, il peut écrire un article sur toi ».
L’enseignant me demanda pardon et je lui répondis que je n’étais pas fâché, mais qu’il n’avait pas à me racketter pour une note que je pensais pouvoir mériter, s’il m’avait correctement interrogé. Il était honteux et moi heureux de m’être déchargé de cette frustration qui durait depuis des années. Une frustration qui avait enclenché en en moi le processus de désacralisation de l’enseignant.
Je raconte aujourd’hui cette histoire, pour dire aux enseignants combien c’est traumatisant pour les adlescents d’être rackettés et dévalorisant pour l’enseignant qui rackette.
Je raconte aujourd’hui cette histoire, pour demander très respectueusement aux ministres Kandia Camara (Education nationale) et Ly Ramata (Enseignement supérieur), qui ignorent, sans doute, l’existence de cette pratique autant détestable qu’honteuse ; de tout mettre en œuvre, pour y mettre fin. Si celle-ci était peu coutumière, surtout à leur époque, aujourd’hui, elle est un tabou caché par les élèves et étudiants à qui cela profite (nombre d’entre eux ne se fatiguent plus pour réviser leurs cours), camouflé par les nombreux syndicats d’enseignants qui ont connaissance de la pratique, si certains de leurs membres ne s’y adonnent pas carrément, et ignoré des autorités.
Demandez autour de vous, les témoignages de jeunes gens qui ont été rackettés aux oraux du BEPC, du Bac et du BTS, vous édifieront.
Pour mettre fin à cette pratique qui formate un « Ivoirien nouveau » enclin à la facilité, c’est très simple. Les inspecteurs de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur doivent faire leur job. Il leur suffit de recueillir des témoignages d’élèves et étudiants rackettés, au sortir des salles d’examens et de passer les brebis galeuses au conseil de discipline, en vue de sanctions exemplaires. Ils peuvent même aller plus loin, en plaçant des micros, au préalable sur des élèves et des étudiants, qui de toute évidence, se prêteront au jeu.
Il faut que ce tabou sur le racket silencieux des enseignants, lors des oraux d’examens à grand tirage, tombe. Et il tombera !
André Silver Konan
Journaliste-écrivain
J’étais en Terminale D. C’était ma première expérience avec le racket enseignant, avec le racket tout court ; et j’en suis sorti bouleversé. Retourné. Ce jour-là, dans une salle de classe du Collège Henri Poincaré de Bouaké, où je devrais passer à l’oral, devant le professeur d’anglais, j’avais été alerté par des élèves, quelques minutes plus tôt, sur une pratique pour le moins inattendue. Ils disaient qu’ils avaient remis de l’argent à l’examinateur, en échange d’une note confortable à l’oral. Je ne croyais pas une seconde ces allégations. Ce fut mon tour. J’étais plutôt confiant en anglais. A l’époque, on m’appelait « The best », et pour cause. Après avoir choisi mon sujet, je m’assis en face du professeur et entamai la lecture du texte. Celui-ci m’interrompit d’un geste agacé : « What do you put in motorbike ? », me demanda-t-il, le regard fuyant.
Je craignais d’avoir mal saisi l’allusion et rétorquai : « Sorry sir ? ». Il reprit, cette fois, en français, sans toujours me regarder, et sur un air de plaisanterie, lança : « Qu’est-ce que tu mets dans une moto pour qu’elle démarre ? ». « De l’essence ?», répondis-je, naïvement.
« Très bien. Mets de l’essence dans ma moto, tu vas laisser
la place à un autre ».
J’étais face à un dilemme. Si je refusais de payer, le type déterminé devant moi, avec son air cynique, risquait de me coller une mauvaise note. Si j’acceptais de payer, j’aurais payé pour rien, parce que de toutes les façons, je ne me débrouillais déjà pas mal en anglais, pour un élève de Terminale scientifique. A ce dilemme, s’ajoutait un sérieux embarras : je n’avais pas un kopeck. Je demandai alors la permission de sortir un instant. Je partis à la rencontre d’un ami de classe dont je ne me rappelle plus le nom, tant on était habitué à l’appeler « Quatorze », sa presque immanquable note en mathématiques Lol. Il me remit 1 000 FCFA, avec pour ferme consigne de lui ramener 500 FCFA.
Je retournai vers l’examinateur, lui remis les 1 000 FCFA et lui réclamai la monnaie. « Je n’ai pas de monnaie », me répondit-il sèchement.
Je lui précisai alors que les 500 FCFA restants, étaient la paye par avance, de mon ami « Quatorze », qui devrait opportunément passer une heure après moi. Il acquiesça d’un signe de tête indifférent. Devant moi, il marqua 18/20, sur sa feuille de note. Je savais que c’était une farce, il l’avait marqué au crayon. Quand j’ai été admis au Baccalauréat, la première chose que je voulais découvrir sur mon relevé, était ma note à l’oral d’anglais. Il m’avait donné 14. Non seulement, le type n’avait pas respecté son contrat, mais comble des frustrations, il n’avait pas tenu compte de ce que j’avais pré-payé pour mon ami « Quatorze », puisqu’il lui avait réclamé encore de l’argent, pour lui coller, une fois de plus… 14.
Rencontre avec mon
racketteur
Quelques années plus tard, j’étais devenu un jeune journaliste impertinent, qui n’avait aucun froid dans les yeux. Je couvrais une grève d’enseignants à Abidjan et j’ai reconnu mon racketteur parmi les responsables des grévistes. Au moment de faire le point de presse, et devant le bureau exécutif de son syndicat réuni, je lui ai gentiment rappelé, que des années plus tôt, il m’avait maladroitement racketté à l’oral d’anglais à Bouaké. Il ne se rappelait plus ma tête. Ce à quoi je répondis que cela ne me surprenait pas, puisqu’il n’a pas osé me regarder dans les yeux, ce jour-là et que de toute évidence, je n’étais pas le seul à avoir été racketté depuis toutes ces années. Il admit confusément avoir été souvent examinateur à l’oral d’anglais, sans démentir formellement sa pratique de racket.
Quant à ses collègues syndicalistes, ils ne semblaient nullement étonnés. L’un d’eux finit par dire : « Voilà pourquoi on vous dit d’arrêter ce genre de pratique. Maintenant qu’il est journaliste, il peut écrire un article sur toi ».
L’enseignant me demanda pardon et je lui répondis que je n’étais pas fâché, mais qu’il n’avait pas à me racketter pour une note que je pensais pouvoir mériter, s’il m’avait correctement interrogé. Il était honteux et moi heureux de m’être déchargé de cette frustration qui durait depuis des années. Une frustration qui avait enclenché en en moi le processus de désacralisation de l’enseignant.
Je raconte aujourd’hui cette histoire, pour dire aux enseignants combien c’est traumatisant pour les adlescents d’être rackettés et dévalorisant pour l’enseignant qui rackette.
Je raconte aujourd’hui cette histoire, pour demander très respectueusement aux ministres Kandia Camara (Education nationale) et Ly Ramata (Enseignement supérieur), qui ignorent, sans doute, l’existence de cette pratique autant détestable qu’honteuse ; de tout mettre en œuvre, pour y mettre fin. Si celle-ci était peu coutumière, surtout à leur époque, aujourd’hui, elle est un tabou caché par les élèves et étudiants à qui cela profite (nombre d’entre eux ne se fatiguent plus pour réviser leurs cours), camouflé par les nombreux syndicats d’enseignants qui ont connaissance de la pratique, si certains de leurs membres ne s’y adonnent pas carrément, et ignoré des autorités.
Demandez autour de vous, les témoignages de jeunes gens qui ont été rackettés aux oraux du BEPC, du Bac et du BTS, vous édifieront.
Pour mettre fin à cette pratique qui formate un « Ivoirien nouveau » enclin à la facilité, c’est très simple. Les inspecteurs de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur doivent faire leur job. Il leur suffit de recueillir des témoignages d’élèves et étudiants rackettés, au sortir des salles d’examens et de passer les brebis galeuses au conseil de discipline, en vue de sanctions exemplaires. Ils peuvent même aller plus loin, en plaçant des micros, au préalable sur des élèves et des étudiants, qui de toute évidence, se prêteront au jeu.
Il faut que ce tabou sur le racket silencieux des enseignants, lors des oraux d’examens à grand tirage, tombe. Et il tombera !
André Silver Konan
Journaliste-écrivain