Procès Gbagbo à la CPI, procès de Simone Gbagbo à Abidjan, réforme constitutionnelle… Autant de sujets qui cristallisent l’actualité sociopolitique ivoirienne et interpellent les Ivoiriens. Le président de l’Union des nouvelles générations (UNG) Stéphane Kipré dans cet entretien passe se prononce sur ces question d’intérêt national sans faux fuyant.
Bonjour président, comment vous portez-vous ?
Je me porte bien moralement, physiquement et intellectuellement Dieu faisant grâce. C’est plutôt l’état général de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens qui me préoccupe vu ce qui se passe actuellement dans mon pays avec cette grogne sociale qui s’intensifie et cette réconciliation réclamée par le peuple et que le pouvoir refuse de mettre en œuvre par des décisions d’apaisement.
Vous avez récemment été entendu au Tribunal de grande instance de Paris, dans le cadre d’une commission rogatoire, dans ce qu’il est convenu d’appeler "l’affaire Joël N’Guessan". Que retenir de cette audition ?
Ce qu’il convient de retenir, c’est l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques à laquelle se livre le régime Ouattara depuis 2011. Il se sert de la justice pour rependre l’injustice à travers la traque de ses opposants politiques et de tous ceux qui ne partagent pas ses idées. Il faut retenir qu’il ne se contente plus d’enfermer des politiques mais il s’en prend aussi maintenant à des hommes de cultures tels que Sidiki Bakaba qui font partie du patrimoine culturel ivoirien.
Qu’est-ce qui s’est réellement passé ce 8 avril 2011, puisqu’aussi bien à la CPI qu’au procès de Séka Séka, Joël N’Guessan a affirmé que vous étiez présent quand ses gardes du corps ont été abattus?
Comme vous le soulignez, j’ai été simplement entendu et je ne sais pas encore la suite qui sera donnée à cette affaire par la justice. Par conséquent, mes avocats m’ont conseillé de réserver ma version des faits en attendant que nous soyons situés. Cependant, je peux vous confirmer que ce que raconte M. Joël N’guessan est très loin de la version qu’il m’a lui même donné ce 8 avril lorsqu’il a été secouru par l’armée. A aucun moment, il ne m’a dit que ses gardes de corps avaient été abattus par le commandant Séka. Bien au contraire, il nous remerciait d’être arrivés au bon moment pour lui sauver la vie.
Avez-vous l’intention de saisir la justice ?
Non, puisque pour le moment je ne suis accusé de rien.
Votre parti célèbre ses 9 ans en ce mois de juillet. Quel bilan faites-vous ? Vos objectifs ont-ils été atteints ? Êtes-vous satisfait de l’implantation du parti ?
Notre parti a neuf ans en effet et comme toute œuvre humaine, il y a des imperfections et des motifs de satisfaction. Lorsque nous avons créé ce parti, notre objectif était de nous implanter partout en Côte d’Ivoire afin de porter le message qui est le nôtre. C’est-à-dire qu’une autre Côte d’Ivoire où les Ivoiriens, main dans la main travaillent au rayonnement de ce pays à partir d’un projet de société que nous avons appelé «Bâtir la Côte d’Ivoire des Nouvelles Générations» est possible.
Malheureusement, il y a eu la crise postélectorale, contraignant plusieurs cadres de notre parti dont moi-même à l’exil et envoyant un autre groupe en prison par la volonté d’instrumentalisation de la justice à des fins politiques par le régime Ouattara. Ce qui fait qu’en réalité, nous n’avons eu que trois années d’exercice politique, c’est à dire de 2007, année de création du parti à 2010, année de la crise.
Je suis cependant satisfais car à ce jour, nous avons relevé le premier défi qui est celui d’exister dans les conditions politiques que nous connaissons en Côte d’Ivoire. Vous avez dû remarquer que plusieurs formations politiques ont disparu du fait de la violence politique orchestrée par les nouveaux tenants du pouvoir. Cependant, à l’UNG, nous avons su faire face et maintenir notre formation dans le jeu politique.
L’autre motif de satisfaction est que nous avons pu éviter à notre parti toute division et maintenir la cohésion en notre sein afin de mener le combat pour la libération du président Gbagbo, de tous les prisonniers politiques et le retour des exilés. En un mot, l’UNG joue pleinement sa partition dans le combat pour le retour de la démocratie en terre d’Eburnie. Les populations adhèrent à notre démarche et à notre message et c’est bien pourquoi nous sommes représentés dans la majorité des départements de Côte d’Ivoire et continuons d’implanter notre vision à l’extérieur.
Cinq années d’exil, ça laisse forcément des traces ?
Oui, bien entendu ! Surtout parce que les militants ont besoin de communiquer avec leur leader. Mais la direction du parti à Abidjan bien qu’évoluant dans un contexte de dictature atroce arrive à faire vivre le parti et à maintenir la flamme militante en eux. C’est à mettre à leur actif.
Quelle est votre position sur la prochaine réforme constitutionnelle ?
L’Union des Nouvelles Générations a produit une déclaration pour se prononcer clairement sur cette question. Nous estimons que les conditions ne sont pas remplies pour passer à une autre République puisque nous n’avons pas encore soldé les comptes de celle que nous vivons actuellement. Nous pensons que les priorités actuelles des populations ivoiriennes restent la satisfaction de leurs besoins fondamentaux notamment : le règlement de la cherté de la vie, le règlement de l’insécurité (phénomène des microbes) et la réconciliation nationale.
Comment faire barrage à cette réforme si l’opposition ne s’implique pas dans la révision électorale en cours ?
Je pourrais vous retourner la question et demander : quel est l’intérêt de s’inscrire sur les listes électorales alors que la crédibilité du scrutin n’est pas garantie et que nous soupçonnons le pouvoir de préparer une fraude massive ?
Regarder autour de vous ! Comment parler de réforme constitutionnelle alors que la cherté de la vie entraine des remous dans plusieurs villes du pays ? Les Ivoiriens sont en train de faire comprendre au régime actuel que ce qui les préoccupe, ce n’est pas la constitution qu’ils ont plébiscitée à plus de 83% mais la cherté de la vie qui les étrangle.
C’est parce que je comprends la colère du peuple que j’invite M. Ouattara à surseoir à ce projet pour engager un vrai dialogue national pour juguler les problèmes auxquels le pays est confronté.
Les législatives et municipales à venir, votre parti y pense?
Nous y pensons comme tout parti politique qui aspire à prendre et gérer le pouvoir d’Etat. C’est d’ailleurs pourquoi nous nous réunirons très bientôt en convention extraordinaire pour faire connaître notre position sur ces échéances.
L’actualité ivoirienne est aussi marquée par une grogne sociale: cherté de la vie, situation universitaire, hausse des factures d’électricité ayant entraîné des manifestations dans plusieurs localités... Quel est votre point de vue sur toutes ces questions ?
C’est justement ce que je vous expliquais auparavant ! Le régime Ouattara ne comprend pas le langage du peuple. Il est sourd face à la grogne qui monte. Lorsque pendant des années on a fait croire au peuple qu’on est l’ami des plus puissants de ce monde et que l’on sait comment chercher l’argent pour résoudre les problèmes, il est normal que les populations se révoltent lorsqu’elles constatent qu’elles ont été dupées.
Cela fait des années maintenant que les Ivoiriens se plaignent ! Ils disent à Ouattara qu’ils ne ressentent pas les effets positifs de la croissance dont il parle. Ils disent qu’ils s’appauvrissent et qu’en plus, les charges augmentent de manière indécente. Malheureusement, il a continué à faire de la communication au lieu de résoudre les problèmes. Il dit avoir tapé du poing sur la table et pris des mesures mais rien ne change. Comment d’ailleurs les choses pourraient changer lorsqu’on installe le copinage au sommet de l’Etat ? Comment ne pas évoquer le détournement des fonds alloués à la rénovation de l’université sans que personne ne soit inquiété ? On annonce le bitumage de certaines voies mais en quelques mois, elles se dégradent et personne n’est sanctionné ?
Au moment où nous enregistrons cette interview, plusieurs établissements bancaires sont pillés par des manifestants mécontents face à l’augmentation du prix de l’électricité. Des commerces sont vandalisés et le ministre de la Sécurité qui s’est spécialisé dans la traque des pro-Gbagbo est porté disparu. Nous sommes dirigés par des incompétents.
Et la question du maintien en détention de prisonniers politiques sans jugement?
Justement cela fait partie des activités qui occupent le pouvoir tandis que la grogne monte et que les Ivoiriens ne savent plus à quel saint se vouer ! Comment expliquer que 6 années après la fin de la crise, des ivoiriens soient encore en prison sans jugement ? Son seul projet de société, c’est la traque des opposants politiques d’ou son échec face aux problèmes de la nation.
Avant les vacances judiciaires, le procès à la CPI était rentré dans une phase marquée par des huis clos, pour dit-on protéger des témoins. Cela ne constitue-il pas une entrave à l’éclatement de la vérité ?
La CPI n’a jamais été dans une logique de rechercher la vérité mais de contribuer à remplir la mission que la France lui a confiée par rapport à la Côte d’Ivoire. Il s’agit essentiellement d’éloigner un adversaire politique afin de permettre à leur poulain d’asseoir son hégémonie. Sinon qu’est-ce qui peut expliquer que le président Gbagbo passe 6 années en prison alors que sa culpabilité n’est pas encore avérée ? Pourquoi lui refuser la libération conditionnelle ?
Donc le témoignage à huis-clos fait partie de cette volonté de masquer les évènements réels qui se sont déroulés en Côte d’Ivoire et les Ivoiriens le savent.
Dans ces conditions peut-on toujours espérer que le président Gbagbo sera acquitté ?
Le président Gbagbo sera libéré parce que cela va paraître trop gros de le condamner au vu des témoignages que nous avons entendus qui ressemblent plus à des ragots de bistrots qu’au réel déroulé de la crise avec tous les acteurs. Il faut libérer le président Gbagbo afin qu’il retrouve son peuple et s’investisse dans la réconciliation si chère aux Ivoiriens. Le garder en prison, c’est contribuer à accentuer le climat politique déjà si délétère.La Côte d’Ivoire a besoin de lui comme le corps humain a besoin d’oxygène.
Justement à propos de la libération du président Gbagbo, l’écrivain ivoirien Bernard Dadié et le Togolais Joseph Koffigoh ont lancé récemment une pétition internationale, que vous soutenez d’ailleurs. Quelle est la portée d’une telle initiative ?
Nous pensons que le procès du président Gbagbo est un procès politique. Dès lors, toutes les actions politiques sont les bienvenues pour faire entendre sa cause et exiger sa libération. Dans les démocraties, une pétition est le moyen de recueillir l’avis des citoyens sur un sujet bien précis le combat du président Gbagbo a toujours été d’user d’armes démocratiques pour faire triompher ses idées. Il faut donc saluer les initiateurs de cette pétition pour l’occasion qu’ils donnent aux Ivoiriens de réaffirmer leur attachement au président et aux valeurs qu’il porte.
Nous savons que dans une démarche de lobbying, vous aviez rencontré des dirigeants africains. Quel est leur regard sur l’affaire Gbagbo ?
J’ai rencontré des dirigeants africains mais aussi des hommes politiques européens et américains mais vous conviendrez avec moi qu’une action de lobbying ne s’expose pas sur la place publique. Retenez simplement que leur compréhension de notre crise a beaucoup évolué depuis 2011. Car à défaut d’avoir une diplomatie de pointe, nous les avons laissés se faire intoxiquer par les medias internationaux et le point de vue de notre ex colonisateur.
Certains sont prêts à s’engager à nos côtés afin que le président Gbagbo soit libre. Ils y œuvrent en fonction des moyens dont ils disposent et je suis convaincu que ce travail finira par payer.
Donc nous continuons de nous battre, nous continuons de taper à toutes les portes pour nous expliquer et le message est bien perçu.
Simone Gbagbo est jugée en ce moment pour crimes contre l’humanité. Croyez-vous que la justice ivoirienne pourrait dire le droit ?
Il ne faut pas attendre de cette justice aux ordres qu’elle dise le droit. Je sais combien de fois les juges subissent des pressions afin de dire ce que le pouvoir veut entendre. En Côte d’Ivoire, Ouattara est à la fois policier, procureur et juge. L’on est condamné avant même d’être jugé parce qu’on est partisan du président Gbagbo.
Revenons à la situation sociopolitique. Comment voyez- vous la décrispation politique ? La réconciliation est-elle possible ?
Oui je suis persuadé que la Côte d’Ivoire peut encore se retrouver et se parler afin de se réconcilier mais une forte volonté politique de la part des dirigeants actuels est nécessaire. La réconciliation nationale passe par la libération de tous les détenus politiques à commencer par le premier d’entre eux, le président Laurent Gbagbo, le retour de tous les exilés et l’instauration de ce que nous avons à l’UNG appelé le Dialogue Politique Inclusif (DPI) qui va rassembler toutes les forces vives de la nation dans un dialogue franc et sincère. Il n’y a pas d’alternative : il ne peut y avoir de réconciliation nationale avec le président Gbagbo en prison et une partie des Ivoiriens en exil tandis que ceux qui sont en Côte d’Ivoire sont brimés.
Il y a quelques semaines, des exilés sont rentrés, dont l’ancien ministre de la Défense et Conseiller spécial de Laurent Gbagbo, Bertin Kadet. Quel commentaire ?
C’est leur choix et leur appréciation de la situation politique et sécuritaire actuelle. Je n’ai aucun commentaire particulier à faire les concernant.
A quand votre retour en Côte d’Ivoire ?
A cette question je voudrais répondre par un extrait de la dernière lettre de Patrice Lumumba adressée à sa femme : «Ni brutalités, ni sévices, ni tortures ne m’ont jamais amené à demander la grâce, car je préfère mourir la tête haute, la foi inébranlable et la confiance profonde dans la destinée de mon pays, plutôt que vivre dans la soumission et le mépris des principes sacrés».
Réalisée par Gérard Koné
Bonjour président, comment vous portez-vous ?
Je me porte bien moralement, physiquement et intellectuellement Dieu faisant grâce. C’est plutôt l’état général de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens qui me préoccupe vu ce qui se passe actuellement dans mon pays avec cette grogne sociale qui s’intensifie et cette réconciliation réclamée par le peuple et que le pouvoir refuse de mettre en œuvre par des décisions d’apaisement.
Vous avez récemment été entendu au Tribunal de grande instance de Paris, dans le cadre d’une commission rogatoire, dans ce qu’il est convenu d’appeler "l’affaire Joël N’Guessan". Que retenir de cette audition ?
Ce qu’il convient de retenir, c’est l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques à laquelle se livre le régime Ouattara depuis 2011. Il se sert de la justice pour rependre l’injustice à travers la traque de ses opposants politiques et de tous ceux qui ne partagent pas ses idées. Il faut retenir qu’il ne se contente plus d’enfermer des politiques mais il s’en prend aussi maintenant à des hommes de cultures tels que Sidiki Bakaba qui font partie du patrimoine culturel ivoirien.
Qu’est-ce qui s’est réellement passé ce 8 avril 2011, puisqu’aussi bien à la CPI qu’au procès de Séka Séka, Joël N’Guessan a affirmé que vous étiez présent quand ses gardes du corps ont été abattus?
Comme vous le soulignez, j’ai été simplement entendu et je ne sais pas encore la suite qui sera donnée à cette affaire par la justice. Par conséquent, mes avocats m’ont conseillé de réserver ma version des faits en attendant que nous soyons situés. Cependant, je peux vous confirmer que ce que raconte M. Joël N’guessan est très loin de la version qu’il m’a lui même donné ce 8 avril lorsqu’il a été secouru par l’armée. A aucun moment, il ne m’a dit que ses gardes de corps avaient été abattus par le commandant Séka. Bien au contraire, il nous remerciait d’être arrivés au bon moment pour lui sauver la vie.
Avez-vous l’intention de saisir la justice ?
Non, puisque pour le moment je ne suis accusé de rien.
Votre parti célèbre ses 9 ans en ce mois de juillet. Quel bilan faites-vous ? Vos objectifs ont-ils été atteints ? Êtes-vous satisfait de l’implantation du parti ?
Notre parti a neuf ans en effet et comme toute œuvre humaine, il y a des imperfections et des motifs de satisfaction. Lorsque nous avons créé ce parti, notre objectif était de nous implanter partout en Côte d’Ivoire afin de porter le message qui est le nôtre. C’est-à-dire qu’une autre Côte d’Ivoire où les Ivoiriens, main dans la main travaillent au rayonnement de ce pays à partir d’un projet de société que nous avons appelé «Bâtir la Côte d’Ivoire des Nouvelles Générations» est possible.
Malheureusement, il y a eu la crise postélectorale, contraignant plusieurs cadres de notre parti dont moi-même à l’exil et envoyant un autre groupe en prison par la volonté d’instrumentalisation de la justice à des fins politiques par le régime Ouattara. Ce qui fait qu’en réalité, nous n’avons eu que trois années d’exercice politique, c’est à dire de 2007, année de création du parti à 2010, année de la crise.
Je suis cependant satisfais car à ce jour, nous avons relevé le premier défi qui est celui d’exister dans les conditions politiques que nous connaissons en Côte d’Ivoire. Vous avez dû remarquer que plusieurs formations politiques ont disparu du fait de la violence politique orchestrée par les nouveaux tenants du pouvoir. Cependant, à l’UNG, nous avons su faire face et maintenir notre formation dans le jeu politique.
L’autre motif de satisfaction est que nous avons pu éviter à notre parti toute division et maintenir la cohésion en notre sein afin de mener le combat pour la libération du président Gbagbo, de tous les prisonniers politiques et le retour des exilés. En un mot, l’UNG joue pleinement sa partition dans le combat pour le retour de la démocratie en terre d’Eburnie. Les populations adhèrent à notre démarche et à notre message et c’est bien pourquoi nous sommes représentés dans la majorité des départements de Côte d’Ivoire et continuons d’implanter notre vision à l’extérieur.
Cinq années d’exil, ça laisse forcément des traces ?
Oui, bien entendu ! Surtout parce que les militants ont besoin de communiquer avec leur leader. Mais la direction du parti à Abidjan bien qu’évoluant dans un contexte de dictature atroce arrive à faire vivre le parti et à maintenir la flamme militante en eux. C’est à mettre à leur actif.
Quelle est votre position sur la prochaine réforme constitutionnelle ?
L’Union des Nouvelles Générations a produit une déclaration pour se prononcer clairement sur cette question. Nous estimons que les conditions ne sont pas remplies pour passer à une autre République puisque nous n’avons pas encore soldé les comptes de celle que nous vivons actuellement. Nous pensons que les priorités actuelles des populations ivoiriennes restent la satisfaction de leurs besoins fondamentaux notamment : le règlement de la cherté de la vie, le règlement de l’insécurité (phénomène des microbes) et la réconciliation nationale.
Comment faire barrage à cette réforme si l’opposition ne s’implique pas dans la révision électorale en cours ?
Je pourrais vous retourner la question et demander : quel est l’intérêt de s’inscrire sur les listes électorales alors que la crédibilité du scrutin n’est pas garantie et que nous soupçonnons le pouvoir de préparer une fraude massive ?
Regarder autour de vous ! Comment parler de réforme constitutionnelle alors que la cherté de la vie entraine des remous dans plusieurs villes du pays ? Les Ivoiriens sont en train de faire comprendre au régime actuel que ce qui les préoccupe, ce n’est pas la constitution qu’ils ont plébiscitée à plus de 83% mais la cherté de la vie qui les étrangle.
C’est parce que je comprends la colère du peuple que j’invite M. Ouattara à surseoir à ce projet pour engager un vrai dialogue national pour juguler les problèmes auxquels le pays est confronté.
Les législatives et municipales à venir, votre parti y pense?
Nous y pensons comme tout parti politique qui aspire à prendre et gérer le pouvoir d’Etat. C’est d’ailleurs pourquoi nous nous réunirons très bientôt en convention extraordinaire pour faire connaître notre position sur ces échéances.
L’actualité ivoirienne est aussi marquée par une grogne sociale: cherté de la vie, situation universitaire, hausse des factures d’électricité ayant entraîné des manifestations dans plusieurs localités... Quel est votre point de vue sur toutes ces questions ?
C’est justement ce que je vous expliquais auparavant ! Le régime Ouattara ne comprend pas le langage du peuple. Il est sourd face à la grogne qui monte. Lorsque pendant des années on a fait croire au peuple qu’on est l’ami des plus puissants de ce monde et que l’on sait comment chercher l’argent pour résoudre les problèmes, il est normal que les populations se révoltent lorsqu’elles constatent qu’elles ont été dupées.
Cela fait des années maintenant que les Ivoiriens se plaignent ! Ils disent à Ouattara qu’ils ne ressentent pas les effets positifs de la croissance dont il parle. Ils disent qu’ils s’appauvrissent et qu’en plus, les charges augmentent de manière indécente. Malheureusement, il a continué à faire de la communication au lieu de résoudre les problèmes. Il dit avoir tapé du poing sur la table et pris des mesures mais rien ne change. Comment d’ailleurs les choses pourraient changer lorsqu’on installe le copinage au sommet de l’Etat ? Comment ne pas évoquer le détournement des fonds alloués à la rénovation de l’université sans que personne ne soit inquiété ? On annonce le bitumage de certaines voies mais en quelques mois, elles se dégradent et personne n’est sanctionné ?
Au moment où nous enregistrons cette interview, plusieurs établissements bancaires sont pillés par des manifestants mécontents face à l’augmentation du prix de l’électricité. Des commerces sont vandalisés et le ministre de la Sécurité qui s’est spécialisé dans la traque des pro-Gbagbo est porté disparu. Nous sommes dirigés par des incompétents.
Et la question du maintien en détention de prisonniers politiques sans jugement?
Justement cela fait partie des activités qui occupent le pouvoir tandis que la grogne monte et que les Ivoiriens ne savent plus à quel saint se vouer ! Comment expliquer que 6 années après la fin de la crise, des ivoiriens soient encore en prison sans jugement ? Son seul projet de société, c’est la traque des opposants politiques d’ou son échec face aux problèmes de la nation.
Avant les vacances judiciaires, le procès à la CPI était rentré dans une phase marquée par des huis clos, pour dit-on protéger des témoins. Cela ne constitue-il pas une entrave à l’éclatement de la vérité ?
La CPI n’a jamais été dans une logique de rechercher la vérité mais de contribuer à remplir la mission que la France lui a confiée par rapport à la Côte d’Ivoire. Il s’agit essentiellement d’éloigner un adversaire politique afin de permettre à leur poulain d’asseoir son hégémonie. Sinon qu’est-ce qui peut expliquer que le président Gbagbo passe 6 années en prison alors que sa culpabilité n’est pas encore avérée ? Pourquoi lui refuser la libération conditionnelle ?
Donc le témoignage à huis-clos fait partie de cette volonté de masquer les évènements réels qui se sont déroulés en Côte d’Ivoire et les Ivoiriens le savent.
Dans ces conditions peut-on toujours espérer que le président Gbagbo sera acquitté ?
Le président Gbagbo sera libéré parce que cela va paraître trop gros de le condamner au vu des témoignages que nous avons entendus qui ressemblent plus à des ragots de bistrots qu’au réel déroulé de la crise avec tous les acteurs. Il faut libérer le président Gbagbo afin qu’il retrouve son peuple et s’investisse dans la réconciliation si chère aux Ivoiriens. Le garder en prison, c’est contribuer à accentuer le climat politique déjà si délétère.La Côte d’Ivoire a besoin de lui comme le corps humain a besoin d’oxygène.
Justement à propos de la libération du président Gbagbo, l’écrivain ivoirien Bernard Dadié et le Togolais Joseph Koffigoh ont lancé récemment une pétition internationale, que vous soutenez d’ailleurs. Quelle est la portée d’une telle initiative ?
Nous pensons que le procès du président Gbagbo est un procès politique. Dès lors, toutes les actions politiques sont les bienvenues pour faire entendre sa cause et exiger sa libération. Dans les démocraties, une pétition est le moyen de recueillir l’avis des citoyens sur un sujet bien précis le combat du président Gbagbo a toujours été d’user d’armes démocratiques pour faire triompher ses idées. Il faut donc saluer les initiateurs de cette pétition pour l’occasion qu’ils donnent aux Ivoiriens de réaffirmer leur attachement au président et aux valeurs qu’il porte.
Nous savons que dans une démarche de lobbying, vous aviez rencontré des dirigeants africains. Quel est leur regard sur l’affaire Gbagbo ?
J’ai rencontré des dirigeants africains mais aussi des hommes politiques européens et américains mais vous conviendrez avec moi qu’une action de lobbying ne s’expose pas sur la place publique. Retenez simplement que leur compréhension de notre crise a beaucoup évolué depuis 2011. Car à défaut d’avoir une diplomatie de pointe, nous les avons laissés se faire intoxiquer par les medias internationaux et le point de vue de notre ex colonisateur.
Certains sont prêts à s’engager à nos côtés afin que le président Gbagbo soit libre. Ils y œuvrent en fonction des moyens dont ils disposent et je suis convaincu que ce travail finira par payer.
Donc nous continuons de nous battre, nous continuons de taper à toutes les portes pour nous expliquer et le message est bien perçu.
Simone Gbagbo est jugée en ce moment pour crimes contre l’humanité. Croyez-vous que la justice ivoirienne pourrait dire le droit ?
Il ne faut pas attendre de cette justice aux ordres qu’elle dise le droit. Je sais combien de fois les juges subissent des pressions afin de dire ce que le pouvoir veut entendre. En Côte d’Ivoire, Ouattara est à la fois policier, procureur et juge. L’on est condamné avant même d’être jugé parce qu’on est partisan du président Gbagbo.
Revenons à la situation sociopolitique. Comment voyez- vous la décrispation politique ? La réconciliation est-elle possible ?
Oui je suis persuadé que la Côte d’Ivoire peut encore se retrouver et se parler afin de se réconcilier mais une forte volonté politique de la part des dirigeants actuels est nécessaire. La réconciliation nationale passe par la libération de tous les détenus politiques à commencer par le premier d’entre eux, le président Laurent Gbagbo, le retour de tous les exilés et l’instauration de ce que nous avons à l’UNG appelé le Dialogue Politique Inclusif (DPI) qui va rassembler toutes les forces vives de la nation dans un dialogue franc et sincère. Il n’y a pas d’alternative : il ne peut y avoir de réconciliation nationale avec le président Gbagbo en prison et une partie des Ivoiriens en exil tandis que ceux qui sont en Côte d’Ivoire sont brimés.
Il y a quelques semaines, des exilés sont rentrés, dont l’ancien ministre de la Défense et Conseiller spécial de Laurent Gbagbo, Bertin Kadet. Quel commentaire ?
C’est leur choix et leur appréciation de la situation politique et sécuritaire actuelle. Je n’ai aucun commentaire particulier à faire les concernant.
A quand votre retour en Côte d’Ivoire ?
A cette question je voudrais répondre par un extrait de la dernière lettre de Patrice Lumumba adressée à sa femme : «Ni brutalités, ni sévices, ni tortures ne m’ont jamais amené à demander la grâce, car je préfère mourir la tête haute, la foi inébranlable et la confiance profonde dans la destinée de mon pays, plutôt que vivre dans la soumission et le mépris des principes sacrés».
Réalisée par Gérard Koné