Selon Alain Bauer, l’un des meilleurs experts du terrorisme islamique, la déroute de Daesh en Syrie et en Irak, ne signifie pas la fin de la capacité de nuire des groupes terroristes. Si l’Occident peut désormais s’appuyer sur « l’efficacité des services de renseignements qui ont enfin appris la culture de l’antiterrorisme », selon Alain Bauer, qu’en est-il de la capacité des pays africains à vaincre le terrorisme ? Aujourd’hui, de nombreux groupes terroristes présents dans la zone sahélo-sahélienne ont les moyens de mener des actions à fort retentissement médiatique, comme ce vendredi 2 mars, à Ouagadougou, où deux attaques simultanées, manifestement coordonnées, ont été perpétrées contre l’ambassade de France et l’état-major des armées burkinabè. Les cibles n’ont pas été choisies au hasard : la France pour son engagement au côté de G5 Sahel et c’est la première fois qu’une représentation diplomatique française est attaquée dans le pays ; Ouagadougou, parce que le Burkina fait figure de maillon faible, la capitale ayant déjà subi les attentats du 15 janvier 2016 et du 13 août 2017.
L’attaque terroriste : des représailles contre la France
Selon le journaliste Antoine Glaser, ancien patron de La Lettre du Continent,il s’agit d’une attaque jihadiste, qu’il faut « relier à l’opération des forces spéciales françaises à la frontière algérienne dans la nuit du 13 au 14 février 2018. Jamais, l’armée française ne s’était approchée de la frontière algérienne de si près. En choisissant de venir aussi près de la frontière algérienne, près de Tin Zaouaten, un raid militaire, appuyé par la force Barkhane, avait permis l’élimination ou la capture d’une vingtaine de terroristes appartenant au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans. Affilié à Al-Qaïda, ce groupe, fondé le 1er mars 2017, fédère plusieurs groupuscules jihadistes d’Afrique de l’Ouest. Il est commandé par le fondateur d’Ansar Dine, le Malien Iyad Ag Ghali, dont la stratégie est de « montrer la fragilité des capitales africaines », Ouagadougou étant le maillon faible. N’oublions pas aussi que la France a installé le Commandement des Opérations Spéciales (COS) de l’Opération Barkhane à Ouagadougou.
Le G5 Sahel
Le Président Emmanuel Macron, s’il considère que la France doit continuer à jouer un rôle majeur dans la sécurisation de la zone sahélo-sahélienne, il tient à mettre en place une force africaine, le G5 Sahel, regroupant cinq pays de la région dont le Mali et le Burkina Faso. La priorité du G5 concerne justement la zone des trois frontières entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Mais, le G5 Sahel tarde à se mettre en place pour trois raisons : l’absence de financement, l’absence de coordination entre les armées de chaque pays, l’absence de coopération entre les services de renseignement. Appuyée par Barkhane, une première opération sur le terrain, lancée en octobre 2017, avait permis de réunir les armées du G5 Sahel, préfigurant ainsi ce que devait être une force militaire conjointe africaine destinée à sécuriser la zone.
Il est évident que les attentats du vendredi 2 mars visaient le G5 Sahel. Clément Pengwendé Sawadogo, le ministre burkinabè de la Sécurité, a déclaré : « À l'état-major, il y avait une réunion sur le G5 Sahel qui devait se tenir et qui, finalement, s'est tenue dans une autre salle. Si la réunion s'était tenue dans la salle initialement désignée, il y aurait eu une situation extrêmement grave et dramatique, parce que beaucoup de nos officiers devaient se retrouver avec le chef d'état-major pour cette réunion (…). En tout cas, cette salle a été littéralement détruite par l'explosion ». La symbolique de frapper le G5 Sahel est évidemment très importante pour les djihadistes.
Le Burkina Faso : maillon faible dans la zone sahélo-sahélienne ?
Depuis le premier trimestre 2015, les attaques jihadistes contre le Burkina ont fait 133 morts en 80 attaques, selon un bilan officiel. Ces attaques s’inscrivent dans une stratégie globale qui vise à accroître la zone d’opérations des terroristes au sud du Sahel. Wassim Nasr, journaliste à France24 et expert de la mouvance jihadiste, tient à rappeler que si Daesh est en train de perdre son sanctuaire Syro-irakien, il a réussi à exporter son idéologie bien au-delà de la Syrie et de l’Irak : « En septembre 2017, Ayman al-Zawahiri, le chef d’Al-Qaïda a fait un long discours dont une bonne partie était consacrée à l’Afrique et au Sahel. Il y a nommé la France plusieurs fois et a appelé à des attaques contre les intérêts occidentaux, y compris au Burkina, en Côte d’Ivoire, en Mauritanie et jusqu’aux montagnes de l’Atlas. »
Le Burkina est une cible toute désignée pour deux raisons : 1) une frontière poreuse avec le Mali au Nord, difficilement contrôlable, alors que se multiplient les incursions de petits groupes armés et les livraisons d’armes, jusque dans la capitale ; 2) un affaiblissement de son armée. Depuis la chute du président Blaise Compaoré et la tentative de coup d’Etat qui a suivi, le pays a engagé une restructuration complète de son armée et de ses services, ce qui prend du temps. Les groupes terroristes jouent sur cet affaiblissement de l’appareil militaire burkinabé pour mener des attaques récurrentes.
La déstabilisation du Sahel : un grave danger pour toute l’Afrique et le monde
Au-delà de la France et du Burkina Faso, c’est en réalité toute l’Afrique qui est menacée par la déstabilisation du Sahel. Les pays du G5 sont des digues qu’il faut consolider. La détermination des pays africains, en relation avec leurs alliés occidentaux, doit être totale dans la lutte contre le terrorisme et des ambitions transnationales des djihadistes sahéliens. Les djihadistes ont des filiales au Sinaï en Égypte, en Libye, en Somalie, au Yémen, en Afghanistan, aux Philippines, dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne. Après le Burkina Faso et le Mali, la Côte d'Ivoire a été la cible, le dimanche 13 mars 2016, d'une attaque djihadiste. Depuis cette attaque, la Côte d’Ivoire a considérablement renforcé sa capacité de lutte contre le terrorisme, évitant ainsi plusieurs attentats ces dernières années. Elle va accueillir, dès le mois de juillet 2018, une école régionale de lutte contre le terrorisme, dont la vocation de former les cadres des armées et notamment les forces spéciales engagées dans la lutte contre le terrorisme.
La réponse sécuritaire ne doit pas faire oublier la question du développement
Certes, la réponse sécuritaire s’impose. Mais, il ne peut pas y avoir de sécurité durable sans développement économique et social. La sécurité est un facteur de développement et le développement est un facteur de sécurité. On ne peut se contenter de l’idée selon laquelle les questions de sécurité relèvent uniquement de la sphère militaire, une armée puissante étant seule capable de défendre la nation contre tout attaquant extérieur ou intérieur contestant la souveraineté et l’unité nationales. A l’origine de la montée du terrorisme, nous trouvons certes des causes culturelles, mais aussi des causes liées à la pauvreté et aux insuffisances de développement. Ces causes vont s’aggraver avec le « boom » démographique, l’appauvrissement du plus grand nombre et la faillite de l’école. Au Cameroun, dans la région de l’Extrême-Nord, où sévissent les djihadistes de Boko Haram, des femmes réduisent des pierres en gravier, afin de scolariser leurs enfants.
Christian Gambotti
Directeur général du think tank
Afrique et Partage
Directeur général de l’Institut Choiseul
Directeur de la Collection
L’Afrique en marche
L’attaque terroriste : des représailles contre la France
Selon le journaliste Antoine Glaser, ancien patron de La Lettre du Continent,il s’agit d’une attaque jihadiste, qu’il faut « relier à l’opération des forces spéciales françaises à la frontière algérienne dans la nuit du 13 au 14 février 2018. Jamais, l’armée française ne s’était approchée de la frontière algérienne de si près. En choisissant de venir aussi près de la frontière algérienne, près de Tin Zaouaten, un raid militaire, appuyé par la force Barkhane, avait permis l’élimination ou la capture d’une vingtaine de terroristes appartenant au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans. Affilié à Al-Qaïda, ce groupe, fondé le 1er mars 2017, fédère plusieurs groupuscules jihadistes d’Afrique de l’Ouest. Il est commandé par le fondateur d’Ansar Dine, le Malien Iyad Ag Ghali, dont la stratégie est de « montrer la fragilité des capitales africaines », Ouagadougou étant le maillon faible. N’oublions pas aussi que la France a installé le Commandement des Opérations Spéciales (COS) de l’Opération Barkhane à Ouagadougou.
Le G5 Sahel
Le Président Emmanuel Macron, s’il considère que la France doit continuer à jouer un rôle majeur dans la sécurisation de la zone sahélo-sahélienne, il tient à mettre en place une force africaine, le G5 Sahel, regroupant cinq pays de la région dont le Mali et le Burkina Faso. La priorité du G5 concerne justement la zone des trois frontières entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Mais, le G5 Sahel tarde à se mettre en place pour trois raisons : l’absence de financement, l’absence de coordination entre les armées de chaque pays, l’absence de coopération entre les services de renseignement. Appuyée par Barkhane, une première opération sur le terrain, lancée en octobre 2017, avait permis de réunir les armées du G5 Sahel, préfigurant ainsi ce que devait être une force militaire conjointe africaine destinée à sécuriser la zone.
Il est évident que les attentats du vendredi 2 mars visaient le G5 Sahel. Clément Pengwendé Sawadogo, le ministre burkinabè de la Sécurité, a déclaré : « À l'état-major, il y avait une réunion sur le G5 Sahel qui devait se tenir et qui, finalement, s'est tenue dans une autre salle. Si la réunion s'était tenue dans la salle initialement désignée, il y aurait eu une situation extrêmement grave et dramatique, parce que beaucoup de nos officiers devaient se retrouver avec le chef d'état-major pour cette réunion (…). En tout cas, cette salle a été littéralement détruite par l'explosion ». La symbolique de frapper le G5 Sahel est évidemment très importante pour les djihadistes.
Le Burkina Faso : maillon faible dans la zone sahélo-sahélienne ?
Depuis le premier trimestre 2015, les attaques jihadistes contre le Burkina ont fait 133 morts en 80 attaques, selon un bilan officiel. Ces attaques s’inscrivent dans une stratégie globale qui vise à accroître la zone d’opérations des terroristes au sud du Sahel. Wassim Nasr, journaliste à France24 et expert de la mouvance jihadiste, tient à rappeler que si Daesh est en train de perdre son sanctuaire Syro-irakien, il a réussi à exporter son idéologie bien au-delà de la Syrie et de l’Irak : « En septembre 2017, Ayman al-Zawahiri, le chef d’Al-Qaïda a fait un long discours dont une bonne partie était consacrée à l’Afrique et au Sahel. Il y a nommé la France plusieurs fois et a appelé à des attaques contre les intérêts occidentaux, y compris au Burkina, en Côte d’Ivoire, en Mauritanie et jusqu’aux montagnes de l’Atlas. »
Le Burkina est une cible toute désignée pour deux raisons : 1) une frontière poreuse avec le Mali au Nord, difficilement contrôlable, alors que se multiplient les incursions de petits groupes armés et les livraisons d’armes, jusque dans la capitale ; 2) un affaiblissement de son armée. Depuis la chute du président Blaise Compaoré et la tentative de coup d’Etat qui a suivi, le pays a engagé une restructuration complète de son armée et de ses services, ce qui prend du temps. Les groupes terroristes jouent sur cet affaiblissement de l’appareil militaire burkinabé pour mener des attaques récurrentes.
La déstabilisation du Sahel : un grave danger pour toute l’Afrique et le monde
Au-delà de la France et du Burkina Faso, c’est en réalité toute l’Afrique qui est menacée par la déstabilisation du Sahel. Les pays du G5 sont des digues qu’il faut consolider. La détermination des pays africains, en relation avec leurs alliés occidentaux, doit être totale dans la lutte contre le terrorisme et des ambitions transnationales des djihadistes sahéliens. Les djihadistes ont des filiales au Sinaï en Égypte, en Libye, en Somalie, au Yémen, en Afghanistan, aux Philippines, dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne. Après le Burkina Faso et le Mali, la Côte d'Ivoire a été la cible, le dimanche 13 mars 2016, d'une attaque djihadiste. Depuis cette attaque, la Côte d’Ivoire a considérablement renforcé sa capacité de lutte contre le terrorisme, évitant ainsi plusieurs attentats ces dernières années. Elle va accueillir, dès le mois de juillet 2018, une école régionale de lutte contre le terrorisme, dont la vocation de former les cadres des armées et notamment les forces spéciales engagées dans la lutte contre le terrorisme.
La réponse sécuritaire ne doit pas faire oublier la question du développement
Certes, la réponse sécuritaire s’impose. Mais, il ne peut pas y avoir de sécurité durable sans développement économique et social. La sécurité est un facteur de développement et le développement est un facteur de sécurité. On ne peut se contenter de l’idée selon laquelle les questions de sécurité relèvent uniquement de la sphère militaire, une armée puissante étant seule capable de défendre la nation contre tout attaquant extérieur ou intérieur contestant la souveraineté et l’unité nationales. A l’origine de la montée du terrorisme, nous trouvons certes des causes culturelles, mais aussi des causes liées à la pauvreté et aux insuffisances de développement. Ces causes vont s’aggraver avec le « boom » démographique, l’appauvrissement du plus grand nombre et la faillite de l’école. Au Cameroun, dans la région de l’Extrême-Nord, où sévissent les djihadistes de Boko Haram, des femmes réduisent des pierres en gravier, afin de scolariser leurs enfants.
Christian Gambotti
Directeur général du think tank
Afrique et Partage
Directeur général de l’Institut Choiseul
Directeur de la Collection
L’Afrique en marche