Le passage de l’afro-pessimisme à l’afro-optimisme ou du « hopeless continent » au « hopeful continent »
Dans un monde désormais multipolaire, multilinguistique et multiculturel, le XXIè siècle sera peut-être africain, si l’Afrique, un continent qui possède tous les atouts de l’émergence, se donne les moyens de son développement. Mais, le futur de l’Afrique n’est pas encore écrit tant les foyers de tension habituels restent présents.
L’époque de la marginalisation
L’Afrique des indépendances politiques a longtemps été en panne. Contrairement aux Nouveaux pays industrialisés (NPI) asiatiques, contrairement à la Chine et l'Inde, l'Afrique, longtemps marginalisée, a été tenue à l’écart du processus de mondialisation à cause de la faiblesse de son poids économique et politique sur la scène internationale.
Les raisons de cette marginalisation sont d’abord géopolitiques : dès les indépendances, acquises pour la plupart dans les années 1960, l’Afrique subsaharienne devient, pendant la Guerre froide, le lieu de l’affrontement militaire entre l’Union soviétique et les Occidentaux. La fin de la Guerre froide entraîne un déclassement stratégique de l’Afrique. Les Etats africains, qui ne bénéficient plus des aides apportées par les Etats-Unis ou l’Union soviétique, sont alors livrés à eux-mêmes. Ils ne disposent pas tous des ressources nécessaires et se retrouvent plongés dans des contextes locaux spécifiques avec, pour les pouvoirs en place, des dérives autoritaires.
Les raisons sont aussi économiques. De nombreux pays africains se sont enfermés dans la trappe de l’économie de la rente pétrolière, minière ou forestière, avec des logiques prédatrices qui accompagnent ce type d’économie. Aujourd’hui encore, les produits bruts, agricoles et miniers, représentent 70 % du total des exportations africaines. La diversification des économies est trop lente, voire inexistante.
La crise prolongée des économies africaines s’explique aussi par la forte instabilité politique, la persistance des rivalités ethniques, tribales ou régionales. Les guerres ethniques recouvrent le plus souvent une réalité politique avec, comme enjeu, la conquête du pouvoir pour le contrôle des richesses. La crise du politique accentue les effets de la mal-gouvernance et favorise les pratiques corruptrices.
Le temps de l’émergence
En ce début de XXIè siècle, le temps de l’émergence est arrivé, c’est ce que constatent tous les observateurs, avec la deuxième indépendance de l’Afrique, l’indépendance économique. Le magazine The Economist, qui titrait, en 2000, à propos de l’Afrique, « The hopeless continent », titre, en 2013, « Africa rising : a hopeful continent».
La révolution de cette Afrique en marche, selon les projections de l'Organisation des nations unies (ONU), sera d'abord démographique avec plus de 2 milliard d'habitants prévus pour 2050, plus de 4 milliards à la fin du XXIè siècle,. Ce « boum » démographique sans précédent dans l’histoire de l’humanité, représente un formidable vecteur de croissance.
Autres révolutions déjà enclenchées, sous la pression des instances internationales et des bailleurs de fonds dans les années 1980-1990, et qui commencent à porter leurs fruits : les politiques d’équilibre des budgets et des comptes extérieurs avec la réduction des dettes publiques, l’investissement public productif et la libéralisation de l’économie. Le secteur privé se développe. Depuis près de vingt ans, l’Afrique connaît une croissance économique forte et régulière, avec, en moyenne, un taux de croissance qui se situe autour des 5 %.
Autre signe qui ne trompe pas : les investissements étrangers. En 2014, les investissements étrangers en Afrique ont, en effet, battu des records et sont devenus, avec 80 milliards de dollars, la première source d'apports financiers extérieurs, devant l’aide publique au développement. La vitalité de la croissance africaine attire les investissements directs étrangers (IDE) et les investissements de portefeuille tournés vers la rentabilité du capital. Deux raisons expliquent cette hausse record des IDE : l'abondance des matières premières en Afrique et l'émergence d'une classe moyenne de près de 400 millions de consommateurs.
Quant aux matières premières, l’Afrique en regorge : pétrole, métaux précieux, bois, produits agricoles. Mais il n’existe pas de miracle économique lié à l’exportation des matières premières, tant les marchés sont fluctuants et les mécanismes du commerce international favorables aux pays riches. Chaque pays doit donc trouver sa propre voie pour gérer ses matières premières. Là où l’Afrique doit rester vigilante, c’est justement sur la gestion de ses matières premières et de ses terres agricoles ; elle ne peut devenir une espèce de libre-service des matières premières et des terres, où de nouveaux prédateurs viendraient se servir sans participer au développement du pays et sans contribuer à la création d’emplois et à l’élévation des niveaux de vie des populations.
Et la Chine ?
La Chine, qui a compris ce que représente l'Afrique, y investit massivement. Est-ce toujours dans un rapport gagnant-gagnant ? Je ne le crois pas. Il est évident que la « Chinafrique » a changé la donne en Afrique. Ce sujet mériterait à lui seul un long article. Pour de nombreux observateurs, l’arrivée de la Chine, loin de résoudre tous les problèmes, soulève de nombreuses difficultés. Selon un banquier africain, spécialiste des financements à travers les guichets chinois, d’ici la fin du siècle, plusieurs dizaines de millions de Chinois se seront installés en Afrique. Est-ce une simple rumeur ? En attendant, grâce à la Chine, l’Afrique peut désormais se passer de ses partenaires historiques, en particulier la France et l’Europe. Mais, à cause des prêts chinois, l’Afrique est sous la menace d’un surendettement. Depuis l’an 2000, la Chine a déversé plus de 140 milliards de dollars en Afrique sous forme de prêts, assujettis à l’attribution de marchés aux entreprises chinoises et à l’exploitation de ressources naturelles locales. En un peu plus d’une dizaine d’années, la Chine s’est hissée au rang de premier créancier de l’Afrique, Les agences de notation financière estiment que la dette africaine, actuellement moins soutenable que par le passé, risque de provoquer une nouvelle crise des dettes semblable à celle qui a frappé le continent dans les années 1990.
Christian GAMBOTTI
Président du think tank Afrique & Partage
Directeur général de la société ECFY
Directeur de la Collection l’Afrique en Marche
Professeur-associé au CIREJ (Abidjan)
Dans un monde désormais multipolaire, multilinguistique et multiculturel, le XXIè siècle sera peut-être africain, si l’Afrique, un continent qui possède tous les atouts de l’émergence, se donne les moyens de son développement. Mais, le futur de l’Afrique n’est pas encore écrit tant les foyers de tension habituels restent présents.
L’époque de la marginalisation
L’Afrique des indépendances politiques a longtemps été en panne. Contrairement aux Nouveaux pays industrialisés (NPI) asiatiques, contrairement à la Chine et l'Inde, l'Afrique, longtemps marginalisée, a été tenue à l’écart du processus de mondialisation à cause de la faiblesse de son poids économique et politique sur la scène internationale.
Les raisons de cette marginalisation sont d’abord géopolitiques : dès les indépendances, acquises pour la plupart dans les années 1960, l’Afrique subsaharienne devient, pendant la Guerre froide, le lieu de l’affrontement militaire entre l’Union soviétique et les Occidentaux. La fin de la Guerre froide entraîne un déclassement stratégique de l’Afrique. Les Etats africains, qui ne bénéficient plus des aides apportées par les Etats-Unis ou l’Union soviétique, sont alors livrés à eux-mêmes. Ils ne disposent pas tous des ressources nécessaires et se retrouvent plongés dans des contextes locaux spécifiques avec, pour les pouvoirs en place, des dérives autoritaires.
Les raisons sont aussi économiques. De nombreux pays africains se sont enfermés dans la trappe de l’économie de la rente pétrolière, minière ou forestière, avec des logiques prédatrices qui accompagnent ce type d’économie. Aujourd’hui encore, les produits bruts, agricoles et miniers, représentent 70 % du total des exportations africaines. La diversification des économies est trop lente, voire inexistante.
La crise prolongée des économies africaines s’explique aussi par la forte instabilité politique, la persistance des rivalités ethniques, tribales ou régionales. Les guerres ethniques recouvrent le plus souvent une réalité politique avec, comme enjeu, la conquête du pouvoir pour le contrôle des richesses. La crise du politique accentue les effets de la mal-gouvernance et favorise les pratiques corruptrices.
Le temps de l’émergence
En ce début de XXIè siècle, le temps de l’émergence est arrivé, c’est ce que constatent tous les observateurs, avec la deuxième indépendance de l’Afrique, l’indépendance économique. Le magazine The Economist, qui titrait, en 2000, à propos de l’Afrique, « The hopeless continent », titre, en 2013, « Africa rising : a hopeful continent».
La révolution de cette Afrique en marche, selon les projections de l'Organisation des nations unies (ONU), sera d'abord démographique avec plus de 2 milliard d'habitants prévus pour 2050, plus de 4 milliards à la fin du XXIè siècle,. Ce « boum » démographique sans précédent dans l’histoire de l’humanité, représente un formidable vecteur de croissance.
Autres révolutions déjà enclenchées, sous la pression des instances internationales et des bailleurs de fonds dans les années 1980-1990, et qui commencent à porter leurs fruits : les politiques d’équilibre des budgets et des comptes extérieurs avec la réduction des dettes publiques, l’investissement public productif et la libéralisation de l’économie. Le secteur privé se développe. Depuis près de vingt ans, l’Afrique connaît une croissance économique forte et régulière, avec, en moyenne, un taux de croissance qui se situe autour des 5 %.
Autre signe qui ne trompe pas : les investissements étrangers. En 2014, les investissements étrangers en Afrique ont, en effet, battu des records et sont devenus, avec 80 milliards de dollars, la première source d'apports financiers extérieurs, devant l’aide publique au développement. La vitalité de la croissance africaine attire les investissements directs étrangers (IDE) et les investissements de portefeuille tournés vers la rentabilité du capital. Deux raisons expliquent cette hausse record des IDE : l'abondance des matières premières en Afrique et l'émergence d'une classe moyenne de près de 400 millions de consommateurs.
Quant aux matières premières, l’Afrique en regorge : pétrole, métaux précieux, bois, produits agricoles. Mais il n’existe pas de miracle économique lié à l’exportation des matières premières, tant les marchés sont fluctuants et les mécanismes du commerce international favorables aux pays riches. Chaque pays doit donc trouver sa propre voie pour gérer ses matières premières. Là où l’Afrique doit rester vigilante, c’est justement sur la gestion de ses matières premières et de ses terres agricoles ; elle ne peut devenir une espèce de libre-service des matières premières et des terres, où de nouveaux prédateurs viendraient se servir sans participer au développement du pays et sans contribuer à la création d’emplois et à l’élévation des niveaux de vie des populations.
Et la Chine ?
La Chine, qui a compris ce que représente l'Afrique, y investit massivement. Est-ce toujours dans un rapport gagnant-gagnant ? Je ne le crois pas. Il est évident que la « Chinafrique » a changé la donne en Afrique. Ce sujet mériterait à lui seul un long article. Pour de nombreux observateurs, l’arrivée de la Chine, loin de résoudre tous les problèmes, soulève de nombreuses difficultés. Selon un banquier africain, spécialiste des financements à travers les guichets chinois, d’ici la fin du siècle, plusieurs dizaines de millions de Chinois se seront installés en Afrique. Est-ce une simple rumeur ? En attendant, grâce à la Chine, l’Afrique peut désormais se passer de ses partenaires historiques, en particulier la France et l’Europe. Mais, à cause des prêts chinois, l’Afrique est sous la menace d’un surendettement. Depuis l’an 2000, la Chine a déversé plus de 140 milliards de dollars en Afrique sous forme de prêts, assujettis à l’attribution de marchés aux entreprises chinoises et à l’exploitation de ressources naturelles locales. En un peu plus d’une dizaine d’années, la Chine s’est hissée au rang de premier créancier de l’Afrique, Les agences de notation financière estiment que la dette africaine, actuellement moins soutenable que par le passé, risque de provoquer une nouvelle crise des dettes semblable à celle qui a frappé le continent dans les années 1990.
Christian GAMBOTTI
Président du think tank Afrique & Partage
Directeur général de la société ECFY
Directeur de la Collection l’Afrique en Marche
Professeur-associé au CIREJ (Abidjan)