L’Arrêt de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 18 Novembre 2016: De quoi s’agit-il ?
• Osons le débat ! (Épisode 2)
En date du 12 juillet 2014, l’ONG Actions pour la Protection des Droits de l’Homme (APDH) a saisi la Cour africaine des Droits de l’Homme et des Peuples pour alléguer de la violation par l’Etat de Côte d’Ivoire de son engagement de créer un organe électoral indépendant et impartial ainsi que son engagement de protéger le droit à l’égalité devant la loi et à la protection égale par la loi en vertu de certains textes et du Droit international dont la Côte d’Ivoire est signataire. Ce sont notamment, la Constitution ivoirienne en vigueur, la Charte des Droits de l’Homme, la Charte africaine sur la démocratie, le Protocole de la CEDEAO sur la démocratie, la Déclaration Universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
L’actuel épisode vise à expliquer la nature de l’Arrêt de la Cour, à le rendre plus accessible à un plus grand nombre de nos concitoyens le sens de l’allégation portée contre la Côte d’Ivoire devant cette Cour qui relève de l’Union Africaine.
Avant toute analyse, retenons deux choses importantes à propos de la Démocratie et de la Bonne gouvernance électorale. Ce sont le principe de l’intégrité des élections et le principe de la certitude procédurale. Toute démocratie ou toute gouvernance démocratique qui ne tient pas compte de ces deux principes élémentaires est, a priori, une autocratie, un régime autoritaire dans l’âme avec les puérils oripeaux de la démocratie. Ni plus ni moins.
Tous les Etats du monde - y compris le nôtre - qui prétendent appliquer les règles de la démocratie populaire et la (bonne) gouvernance électorale ont intégré ces deux principes fondamentaux. Et, croyez-nous, toutes nos institutions africaines nationales, régionales et continentales ont admis l’utilité de cette précaution. Notre Etat est partie, c’est-à-dire signataire de toutes les Chartes et protocoles, des Actes fondateurs et des Pactes qui engagent les Etats-partie à l’application de ces principes.
Ils visent à répondre à une préoccupation simple. Comment faire pour que nos élections nationales ne soient pas de simples rituels de cérémonies, utilisés pour donner le cachet de la démocratie à des régimes autoritaires? Comment faire pour ne pas céder au « Sophisme de l’électoralisme »? (le terme est du Pr Terry Karl (1986).
Résumons-nous donc. Pour que nos élections soient reconnues comme étant crédibles et que les résultats soient légitimes, les règles et les systèmes électoraux doivent être connus, acceptés par consensus, prévisibles, sans que leurs résultats ne soient eux-mêmes connus avant la tenue du scrutin.
Dans notre cas, il y a un double problème. La loi électorale du 05 juin 2014 en ses articles 5, 15, 16 et 17 qui a fait l’objet du jugement de la Cour, donne la composition des organes de la Commission Electorale Indépendante (CEI) et fait une large part à certaines personnalités comme le président de la République, le ministre chargé de l’Administration du territoire, le ministre chargé des Finances et le président de l’Assemblée nationale.
La loi alléguée donne à ces personnalités le droit de disposer d’un représentant chacun, soit donc, 04 personnalités issues du régime qui vont siéger dans la Commission centrale de la CEI. Il faut y ajouter le magistrat désigné par le Conseil Supérieur de la Magistrature et 04 représentants issus aussi du parti ou du groupement politique au pouvoir. Rappelons que la Commission centrale comprend 17 membres au total et sur cette base, le régime dispose d’une majorité simple de 09 membres, soit 52,9%. Si l’on tient compte du fait que seul le régime dispose d’une discrétion sur l’admission des 04 autres membres de la société civile, l’on décompterait au total 13 membres sur les 17; soit 76,4%.
Tout ceci enlève indépendance, transparence et impartialité à la CEI puisque l’article 36 stipule que « les délibérations de la Commission centrale sont prises à la majorité simple des membres présents ». Peu importe la neutralité supposée des 04 autres membres issus des organisations de la société civile, des confessions religieuses ou de l’avocat désigné par le Barreau. Les autres partis politiques de l’opposition ne représentent que 23,5% avec leurs 04 représentants. Ne parlons même pas de toute la confusion entretenue autour de la réalité de l’opposition puisqu’aucune loi ne la définit. Cela manque d’équité, de transparence et d’équilibre.
D’une part donc, la plainte que l’APDH a formulée alléguait de ce déséquilibre des organes de la CEI, du viol de l’égalité de tous devant la loi. Le président de la République, le ministre chargé de l’Administration du territoire, celui en charge des Finances et le président de l’Assemblée nationale n’ont pas à jouir d’un avantage quelconque dans l’organisation et le fonctionnement de l’Institution en charge des élections. Devant la loi, ils/elles ont le même statut que le dernier ouvrier agricole de Zakoua. Si ces personnalités ont droit à un représentant dans la Commission centrale de la CEI, il faudrait bien que notre paysan de Zakoua y dispose aussi d’un représentant. Il devra en être ainsi pour tous nos concitoyens. Ce qui est pratiquement impensable, voire absurde! Absurde aussi alors, illégale et illégitime la présence de représentants de ces personnalités dans ladite Commission centrale.
D’autre part, en sa qualité d’Etat-partie de certaines conventions internationales dont la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui figure au préambule de notre Constitution, l’Acte fondateur de l’UA et de ses protocoles additionnels, ceux de la CEDEAO sur la démocratie, l’Etat ivoirien s’est engagé à instituer un organe électoral impartial, indépendant pour que toutes les élections qu’elle organisera soient crédibles, sincères et ses résultats légitimes et imposables à tous. Cet engagement-là aussi est violé par la Loi N°2014-335 du 05 juin 2014 du fait du déséquilibre organique et fonctionnel contenu dans l’organisation de la Commission centrale et des commissions régionales.
La Cour africaine a donc jugé recevable la plainte de l’APDH. Elle a levé à l’unanimité toutes les exceptions d’irrecevabilité formulées par la Côte d’Ivoire et a ordonné à notre Etat de rattraper les violations qu’il a opérées avec sa loi du 05 juin 2014 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement de la CEI, et de produire un rapport sur l’ensemble des mesures correctives prises. A défaut de l’avoir fait dans les délais impartis et jusqu’à ce jour d’ailleurs, la Cour a convoqué de nouveau les protagonistes pour entendre les raisons pour lesquelles notre pays et son gouvernement se soustraient des obligations et ordonnances de l’Arrêt du 18 novembre 2016. Il faut s’étonner de cette maladresse qui n’honore pas notre pays!
La Côte d’Ivoire a reconnu la compétence de la Cour africaine depuis le 25 janvier 2004. Notre Chef de l’Etat s’est solennellement engagé à deux reprises, au cours des discours à la nation des 06 août et 31 décembre 2018, à reformer la loi électorale conformément à l’Arrêt de la Cour. La légitimité de la Cour, la reconnaissance de la justesse de son arrêt ne souffrent de rien dans l’entendement du Chef de l’Etat. L’Arrêt en question a été pris à la majorité; il est définitif et ne peut faire l’objet d’appel selon l’article 28 alinéa 2. Toutefois, sa mise en application pose problème. L’Etat de Côte d’Ivoire le considère juste comme un avis. Une grave erreur d’interprétation.
En guise de réponse, la Côte d’Ivoire a refait sa loi sur la CEI. Il s’agit de la Loi N°2019-708 du 05 août 2019 qui a d’ailleurs été promulguée dans des conditions qui défient toutes les formes de légalité constitutionnelle. Les experts constitutionnalisés nous en diront bien davantage.
L’on y constate l’élimination de certaines formes et la réduction du nombre des membres de la Commission centrale qui passe de 17 à 15. Désormais, seules la présidence de la République et le ministre en charge de l’Administration du territoire ont droit de proposer des personnalités. Comme si les groupes nominaux « représentant du président de la République » et « personnalité proposée par la présidence de la République » étaient foncièrement différents!
Le régime dispose toujours de 12 membres nommés par ses soins sur les 15 qui composent la Composition centrale. Le même déséquilibre a persisté dans la loi d’août 2019 ainsi que le même viol des engagements de l’Etat à mettre en place un organe électoral impartial, transparent et équilibré. Soit on exploite l’ignorance du peuple de Côte d’Ivoire soit on n’a aucune considération de ce qu’il représente dans ce pays. Il faut bien que cela change positivement.
Les reproches de l’opposition ne sont donc pas une fable. Notre loi électorale manque d’équité. Il va de soi donc que les résultats des élections que cette CEI va organiser ne seront pas légitimes, c’est-à-dire, qu’ils risquent de ne refléter aucunement la volonté populaire du peuple. Nos deux principes de l’intégrité des élections et la certitude procédurale ne sont pas assurés ici.
Dans ces conditions, seuls les lendemains calamiteux d’élections sont prévisibles; crises et violences post-électorales, guerres et tueries massives d’innocentes populations. Voilà le tableau. Et octobre 2018, dans nombreuses de nos localités, en est l’illustration. Nous avons, toutes et tous, le devoir de prévenir cela. Chacun en ce qui le concerne.
KOBENAN TAH Thomas,
Vice-président du PDCI-RDA
• Osons le débat ! (Épisode 2)
En date du 12 juillet 2014, l’ONG Actions pour la Protection des Droits de l’Homme (APDH) a saisi la Cour africaine des Droits de l’Homme et des Peuples pour alléguer de la violation par l’Etat de Côte d’Ivoire de son engagement de créer un organe électoral indépendant et impartial ainsi que son engagement de protéger le droit à l’égalité devant la loi et à la protection égale par la loi en vertu de certains textes et du Droit international dont la Côte d’Ivoire est signataire. Ce sont notamment, la Constitution ivoirienne en vigueur, la Charte des Droits de l’Homme, la Charte africaine sur la démocratie, le Protocole de la CEDEAO sur la démocratie, la Déclaration Universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
L’actuel épisode vise à expliquer la nature de l’Arrêt de la Cour, à le rendre plus accessible à un plus grand nombre de nos concitoyens le sens de l’allégation portée contre la Côte d’Ivoire devant cette Cour qui relève de l’Union Africaine.
Avant toute analyse, retenons deux choses importantes à propos de la Démocratie et de la Bonne gouvernance électorale. Ce sont le principe de l’intégrité des élections et le principe de la certitude procédurale. Toute démocratie ou toute gouvernance démocratique qui ne tient pas compte de ces deux principes élémentaires est, a priori, une autocratie, un régime autoritaire dans l’âme avec les puérils oripeaux de la démocratie. Ni plus ni moins.
Tous les Etats du monde - y compris le nôtre - qui prétendent appliquer les règles de la démocratie populaire et la (bonne) gouvernance électorale ont intégré ces deux principes fondamentaux. Et, croyez-nous, toutes nos institutions africaines nationales, régionales et continentales ont admis l’utilité de cette précaution. Notre Etat est partie, c’est-à-dire signataire de toutes les Chartes et protocoles, des Actes fondateurs et des Pactes qui engagent les Etats-partie à l’application de ces principes.
Ils visent à répondre à une préoccupation simple. Comment faire pour que nos élections nationales ne soient pas de simples rituels de cérémonies, utilisés pour donner le cachet de la démocratie à des régimes autoritaires? Comment faire pour ne pas céder au « Sophisme de l’électoralisme »? (le terme est du Pr Terry Karl (1986).
Résumons-nous donc. Pour que nos élections soient reconnues comme étant crédibles et que les résultats soient légitimes, les règles et les systèmes électoraux doivent être connus, acceptés par consensus, prévisibles, sans que leurs résultats ne soient eux-mêmes connus avant la tenue du scrutin.
Dans notre cas, il y a un double problème. La loi électorale du 05 juin 2014 en ses articles 5, 15, 16 et 17 qui a fait l’objet du jugement de la Cour, donne la composition des organes de la Commission Electorale Indépendante (CEI) et fait une large part à certaines personnalités comme le président de la République, le ministre chargé de l’Administration du territoire, le ministre chargé des Finances et le président de l’Assemblée nationale.
La loi alléguée donne à ces personnalités le droit de disposer d’un représentant chacun, soit donc, 04 personnalités issues du régime qui vont siéger dans la Commission centrale de la CEI. Il faut y ajouter le magistrat désigné par le Conseil Supérieur de la Magistrature et 04 représentants issus aussi du parti ou du groupement politique au pouvoir. Rappelons que la Commission centrale comprend 17 membres au total et sur cette base, le régime dispose d’une majorité simple de 09 membres, soit 52,9%. Si l’on tient compte du fait que seul le régime dispose d’une discrétion sur l’admission des 04 autres membres de la société civile, l’on décompterait au total 13 membres sur les 17; soit 76,4%.
Tout ceci enlève indépendance, transparence et impartialité à la CEI puisque l’article 36 stipule que « les délibérations de la Commission centrale sont prises à la majorité simple des membres présents ». Peu importe la neutralité supposée des 04 autres membres issus des organisations de la société civile, des confessions religieuses ou de l’avocat désigné par le Barreau. Les autres partis politiques de l’opposition ne représentent que 23,5% avec leurs 04 représentants. Ne parlons même pas de toute la confusion entretenue autour de la réalité de l’opposition puisqu’aucune loi ne la définit. Cela manque d’équité, de transparence et d’équilibre.
D’une part donc, la plainte que l’APDH a formulée alléguait de ce déséquilibre des organes de la CEI, du viol de l’égalité de tous devant la loi. Le président de la République, le ministre chargé de l’Administration du territoire, celui en charge des Finances et le président de l’Assemblée nationale n’ont pas à jouir d’un avantage quelconque dans l’organisation et le fonctionnement de l’Institution en charge des élections. Devant la loi, ils/elles ont le même statut que le dernier ouvrier agricole de Zakoua. Si ces personnalités ont droit à un représentant dans la Commission centrale de la CEI, il faudrait bien que notre paysan de Zakoua y dispose aussi d’un représentant. Il devra en être ainsi pour tous nos concitoyens. Ce qui est pratiquement impensable, voire absurde! Absurde aussi alors, illégale et illégitime la présence de représentants de ces personnalités dans ladite Commission centrale.
D’autre part, en sa qualité d’Etat-partie de certaines conventions internationales dont la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui figure au préambule de notre Constitution, l’Acte fondateur de l’UA et de ses protocoles additionnels, ceux de la CEDEAO sur la démocratie, l’Etat ivoirien s’est engagé à instituer un organe électoral impartial, indépendant pour que toutes les élections qu’elle organisera soient crédibles, sincères et ses résultats légitimes et imposables à tous. Cet engagement-là aussi est violé par la Loi N°2014-335 du 05 juin 2014 du fait du déséquilibre organique et fonctionnel contenu dans l’organisation de la Commission centrale et des commissions régionales.
La Cour africaine a donc jugé recevable la plainte de l’APDH. Elle a levé à l’unanimité toutes les exceptions d’irrecevabilité formulées par la Côte d’Ivoire et a ordonné à notre Etat de rattraper les violations qu’il a opérées avec sa loi du 05 juin 2014 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement de la CEI, et de produire un rapport sur l’ensemble des mesures correctives prises. A défaut de l’avoir fait dans les délais impartis et jusqu’à ce jour d’ailleurs, la Cour a convoqué de nouveau les protagonistes pour entendre les raisons pour lesquelles notre pays et son gouvernement se soustraient des obligations et ordonnances de l’Arrêt du 18 novembre 2016. Il faut s’étonner de cette maladresse qui n’honore pas notre pays!
La Côte d’Ivoire a reconnu la compétence de la Cour africaine depuis le 25 janvier 2004. Notre Chef de l’Etat s’est solennellement engagé à deux reprises, au cours des discours à la nation des 06 août et 31 décembre 2018, à reformer la loi électorale conformément à l’Arrêt de la Cour. La légitimité de la Cour, la reconnaissance de la justesse de son arrêt ne souffrent de rien dans l’entendement du Chef de l’Etat. L’Arrêt en question a été pris à la majorité; il est définitif et ne peut faire l’objet d’appel selon l’article 28 alinéa 2. Toutefois, sa mise en application pose problème. L’Etat de Côte d’Ivoire le considère juste comme un avis. Une grave erreur d’interprétation.
En guise de réponse, la Côte d’Ivoire a refait sa loi sur la CEI. Il s’agit de la Loi N°2019-708 du 05 août 2019 qui a d’ailleurs été promulguée dans des conditions qui défient toutes les formes de légalité constitutionnelle. Les experts constitutionnalisés nous en diront bien davantage.
L’on y constate l’élimination de certaines formes et la réduction du nombre des membres de la Commission centrale qui passe de 17 à 15. Désormais, seules la présidence de la République et le ministre en charge de l’Administration du territoire ont droit de proposer des personnalités. Comme si les groupes nominaux « représentant du président de la République » et « personnalité proposée par la présidence de la République » étaient foncièrement différents!
Le régime dispose toujours de 12 membres nommés par ses soins sur les 15 qui composent la Composition centrale. Le même déséquilibre a persisté dans la loi d’août 2019 ainsi que le même viol des engagements de l’Etat à mettre en place un organe électoral impartial, transparent et équilibré. Soit on exploite l’ignorance du peuple de Côte d’Ivoire soit on n’a aucune considération de ce qu’il représente dans ce pays. Il faut bien que cela change positivement.
Les reproches de l’opposition ne sont donc pas une fable. Notre loi électorale manque d’équité. Il va de soi donc que les résultats des élections que cette CEI va organiser ne seront pas légitimes, c’est-à-dire, qu’ils risquent de ne refléter aucunement la volonté populaire du peuple. Nos deux principes de l’intégrité des élections et la certitude procédurale ne sont pas assurés ici.
Dans ces conditions, seuls les lendemains calamiteux d’élections sont prévisibles; crises et violences post-électorales, guerres et tueries massives d’innocentes populations. Voilà le tableau. Et octobre 2018, dans nombreuses de nos localités, en est l’illustration. Nous avons, toutes et tous, le devoir de prévenir cela. Chacun en ce qui le concerne.
KOBENAN TAH Thomas,
Vice-président du PDCI-RDA