À nouvelle constitution, dispositions renouvelées. La preuve pour Sidi Tiémoko Touré, ministre et porte-parole du gouvernement : avec chacun deux mandats au compteur, Bédié et Gbagbo sont candidats.
À deux mois de l'échéance présidentielle du 31 octobre 2020, la Côte d'Ivoire est-elle sur un volcan constitutionnel ? La question mérite d'être posée tant la candidature du président Alassane Ouattara anime les débats en Côte d'Ivoire, en Afrique et dans la diaspora. Il faut dire que le scénario servi par le destin était des plus improbables. Alors que le 5 mars dernier devant les deux chambres, il avait annoncé sa décision « de ne pas être candidat à la présidentielle du 31 octobre 2020 et de transférer le pouvoir à une jeune génération », Alassane Ouattara a, le 6 août dernier, reconsidéré sa position, évoquant « l'appel de ses concitoyens » et surtout son « devoir citoyen » imposé par le « cas de force majeure » qu'a constitué la disparition subite d'Amadou Gon Coulibaly, Premier ministre et candidat désigné du parti présidentiel, le RHDP. Depuis, les commentaires vont bon train, certains dénonçant « une violation de la Constitution » ou « une candidature pas nécessaire », d'autres applaudissant des deux mains arguant de la nécessité de ne pas perdre le bénéfice des dix années de présidence Ouattara dans « la paix, la sécurité et la stabilité ». Quoi qu'il en soit, le débat est loin d'être clos au regard des interprétations différentes quant à la rétroactivité des dispositions concernant les mandats présidentiels ivoiriens. Dans l'atmosphère de défiance au troisième mandat qui touche toute l'Afrique, Sidi Tiémoko Touré, ministre de la Communication et des Médias, porte-parole du gouvernement, a répondu aux questions du Point Afrique. Sur la Constitution, l'indépendance des institutions, le Conseil constitutionnel et la Commission électorale indépendante et leur rôle dans la configuration actuelle, la justice, la question ethnico-régionale et la quête du vivre-ensemble à l'ivoirienne, la situation de Laurent Gbagbo, celle de Guillaume Soro, la Côte d'Ivoire face au terrorisme islamiste, la résilience économique face au Covid, la question de la monnaie et la solidarité sous-régionale.
Le Point Afrique : Comment qualifierez-vous le climat préélectoral en Côte d'Ivoire ?
Sidi Tiémoko Touré : Comme tout climat préélectoral, c'est un climat très animé par des débats contradictoires. C'est aussi ça la dynamique de la démocratie que nous observons à la veille d'une échéance électorale importante.
La Côte d'Ivoire est au cœur de plusieurs sujets importants. Celui qui retient le plus l'attention aujourd'hui est celui du troisième mandat du président Ouattara. Que pouvez-vous nous dire à ce propos ?
Je m'empresse de faire juste une mise au point. Il ne s'agit pas du troisième mandat du président Ouattara. La Côte d'Ivoire a, depuis 2016, entrepris un changement constitutionnel en profondeur qui a donné naissance à une IIIe République. Dans ce cadre, des critères comme la limite d'âge ont été changés, ce qui permet d'ailleurs au président Henri Konan Bédié d'être candidat du PDCI bien qu'il avoisine les 90 ans, alors que la limite d'âge était fixée à 75 ans avant. C'est également cette constitution qui fonde la IIIe République qui permet toujours à Henri Konan Bédié, malgré le fait qu'il a déjà fait deux mandats sous l'égide des précédentes Républiques, de faire un troisième terme de mandat dans le cadre de cette nouvelle République. C'est aussi cette constitution qui permet à Laurent Gbagbo d'espérer participer à cette élection, bien qu'il ait déjà fait deux mandats sous l'égide de la précédente République. Donc, légitimement, le président Ouattara a le droit de se présenter pour un premier mandat dans le cadre de cette nouvelle constitution, et ce d'autant que nombre d'Ivoiriens le souhaitent. C'est très important que cela soit souligné pour que les uns et les autres le comprennent.
Quels sont les critères qui permettent de considérer qu'il y a une rupture d'une République à une autre, de la fin d'une République à une autre. Que nous disent les constitutionnalistes et quelle est votre analyse ?
Notre référent en la matière est le juge constitutionnel. Aujourd'hui, tous les différents candidats sont libres de postuler. Il y en a une trentaine au terme de la période ouverte à cet effet par la Commission électorale indépendante. Le juge constitutionnel se prononcera en son temps. En ma qualité de novice et pas de professionnel de la Constitution, j'observe comme tout le monde d'ailleurs que la limite d'âge a été levée, que l'ordre de succession à la tête de l'État, en cas de vacance de la présidence, a changé. Dans l'ancienne République, c'est le président de l'Assemblée nationale qui assurait automatiquement la succession du président de la République. Aujourd'hui, nous avons un vice-président qui est dans l'ordre institutionnel. Je constate que nous disposons désormais d'un Sénat dans lequel siègent tous les différents partis politiques. Il y a aussi la gestion structurelle des relations des différentes institutions qui a été réadaptée. Ce sont là autant de changements, pas de forme mais de fond, qui fondent la création d'une nouvelle République qui est active depuis un moment déjà dans sa phase transitionnelle et qui connaîtra ses premières élections le 31 octobre 2020.
Dans la hiérarchie des organismes, quel est celui qui dit la Constitution. Cette question s'explique par l'existence de la Commission électorale, d'un côté, et de la Cour constitutionnelle, de l'autre. Entre les deux, beaucoup ne comprennent pas.
Il faut savoir que chaque institution a un rôle bien déterminé dans notre dispositif légal, juridictionnel et institutionnel. Il revient à la Commission électorale d'organiser les élections, de préparer les éléments opérationnels pour que le peuple puisse en dernier ressort faire son choix parmi les candidats. Il revient au gouvernement de créer le cadre serein d'organisation de ces élections pour le compte de la Commission électorale indépendante. Quant au Conseil constitutionnel, il lui revient de juger de toute inconstitutionnalité observée dans la procédure sur des sujets spécifiques qui appellent sa compétence. En matière électorale, il s'agit de savoir qui est éligible ou pas. Ensuite, au bout du processus électoral, il s'agit de savoir qui a été élu.
Sinon, quels sont les critères qui font que certains candidats sont admis et d'autres non ?
Je ne pourrai pas me prononcer sur les éléments juridiques. Je relève cependant que chaque Ivoirien, quelle que soit sa qualité, est libre d'être candidat. Quant aux conditions à remplir, elle est appréciée par l'institution en charge. Donc, ce n'est pas au gouvernement de se prononcer sur l'éligibilité ou pas de telle ou telle personne. Je voudrais, par la suite, relever avec force que M. Guillaume Soro est sous le coup d'une procédure judiciaire. Pour des faits de détournement de deniers publics. Il est aussi sous le coup d'une procédure d'instruction judiciaire pour des actes attentatoires à la sûreté de l'État dont il a reconnu la véracité à partir d'enregistrements. Cela est d'ailleurs acté par son conseil juridique. Je prends aussi le cas de M. Laurent Gbagbo qui est également sous le coup d'une procédure judiciaire pour la casse, je dirais même mieux, le braquage de la Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest (BCEAO). C'est cet argent, d'ailleurs expatrié sur le Ghana, qui a financé les tentatives de déstabilisation de la Côte d'Ivoire. Ce sont là autant d'éléments dans les mains de la justice qui est la seule apte à apprécier et à condamner. Ce sont les points qui entrent certainement dans l'appréciation de la candidature de tel ou tel.
Au fond, d'aucuns s'interrogent sur l'indépendance de ces organismes par rapport au pouvoir exécutif. Que répondez-vous ?
On ne peut pas juger ces organismes sans les avoir vus à l'œuvre. C'est comme la Commission électorale indépendante. On lui fait un procès alors qu'elle n'a même pas commencé à travailler. Il en est de même pour toutes les autres institutions. Accordons-leur le bénéfice du doute, qu'elles fassent la preuve de leur indépendance, la preuve de leur efficacité. Par ailleurs, ces personnalités qui doutent de l'indépendance de ces organismes ne sont pas inspirées de clouer au pilori nos institutions de la République. Il faut savoir raison garder dans ce genre d'appréciation. En revenant sur un fait historique, je prendrai un exemple concernant la France. En compétition avec le général de Gaulle, François Mitterrand avait mis au pilori la Constitution. Quand il a été élu, il a changé de point de vue et l'a trouvée pertinente pour la République. Il y a l'appréciation politique, mais il y a aussi les faits réglementaires qu'il faut apprécier.
Qu'est-ce qui s'oppose aujourd'hui à ce que Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé reçoivent leur passeport ? Beaucoup s'étonnent que la procédure de délivrance prenne autant de temps.
Le passeport est un document administratif qui fait l'objet d'une procédure pour son acquisition. Le passeport est pour celui qui l'a demandé. À ce jour, à ma connaissance, Laurent Gbagbo en a fait la requête je ne saurais être affirmatif quant à Charles Blé Goudé. Face à une telle situation, il faut se poser la question de savoir si celui qui a demandé le passeport a donné toutes les pièces permettant de produire le passeport. C'est vraiment une question tout à fait basique mais, en tout état de cause, nous n'avons aucun intérêt à retenir un citoyen ivoirien à l'extérieur de la Côte d'Ivoire.
Au regard de la situation actuelle, quel est l'ordre d'intérim au sommet de l'État en cas d'empêchement définitif du président de la République ?
Cette Constitution a été adoptée par le peuple ivoirien à plus de 80 % lors de ce référendum en 2016 parce que les termes repris dans l'écriture de cette Constitution permettaient de préserver la Côte d'Ivoire de toute aventure et de toute instabilité. Elle permet donc quelles que soient les circonstances de maintenir le cap et de ne pas perturber le développement serein de la nation ivoirienne. C'était là l'ambition que le président Ouattara avait voulu insuffler à travers l'écriture de cette Constitution qui a été adoptée par tous, y compris les différents leaders politiques qui, aujourd'hui, pour des besoins propres et ponctuels, renient cet engagement à l'adoption de cette Constitution.
Donc, aujourd'hui, sur l'ordre successionnel, il faut juste relever que si le président de la République n'est pas disponible, nous avons le vice-président. Si celui-ci n'est pas disponible, nous avons le Premier ministre. Dans son sillage, nous avons les ministres d'État et les ministres selon l'ordre protocolaire, etc. Donc, il n'y a pas de risque d'un vide institutionnel particulier, d'où l'importance pour nous de tenir, à date, cette élection parce que cette Constitution de la IIIe République fixe même la date de tenue de cette élection qui ne peut être changée. C'est le dernier week-end du mois d'octobre. Cela est inscrit dans la Constitution. Donc tout est bien encadré à l'effet qu'il n'y ait aucune perturbation institutionnelle dans le développement de la Côte d'Ivoire.
De par sa position dans la zone soudano-sahélienne, la Côte d'Ivoire a reçu bien des populations venues d'un peu partout de la sous-région. Cela conduit certains à dire qu'il y a aujourd'hui en Côte d'Ivoire un problème ethnique. Qu'en dites-vous ?
Il faut juste relever qu'au niveau de sa composition démographique, la Côte d'Ivoire compte 20 à 25 % de population de la sous-région ouest-africaine et même d'ailleurs. Quelqu'un a pu ainsi relever que la proportion d'imbrication était l'une des plus élevées, sinon la plus élevée. Ce qui en ferait le pays qui accepte le plus grand nombre d'« étrangers » dans son corps social. Ceci peut avoir des incidences sociologiques à certains moments. Cela dit, il revient à chacune des personnes qui ont pour vocation de diriger la Côte d'Ivoire de prendre en main le destin des Ivoiriens et des non-Ivoiriens vivant dans le pays, de tenir le bon langage pour éviter quelque dérive que ce soit. Ça, c'est véritablement un sacerdoce d'homme politicien. Quand on est homme politique, on doit avoir cette responsabilité à intégrer en soi-même. Donc, il peut y avoir de temps en temps quelques flambées sociologiques, mais ceci n'est pas exceptionnel en soi et ne peut pas empêcher la tenue d'une quelconque élection. Si on prend l'exemple de la France, il y a eu l'épisode des Gilets jaunes. Cela n'a pourtant pas empêché la tenue des élections à leurs dates. Donc, globalement, nous sommes une société très imbriquée, très plurielle, et nous sommes riches de cette diversité. Nous mettons en valeur cette diversité et comptons continuer à la valoriser.
Que dire de l'impact au niveau institutionnel des différences religieuses, d'origine, etc. ? Est-ce que, par exemple, la distinction gens du Nord/gens du Sud entre en ligne de compte dans la vie même des Ivoiriens aujourd'hui ?
Non, ceci n'entre pas en ligne de compte. Les Ivoiriens dans leur quotidien vivent ensemble. Moi qui suis ministre de la Communication, j'ai des parents qui sont à Abobo. Ils y vivent dans leurs cours communes où, selon les quartiers, vous pouvez trouver toutes les communautés de la Côte d'Ivoire, y compris des communautés étrangères. Nous vivons ensemble. Il peut y avoir des divergences de points de vue entre les politiciens, mais c'est la tonalité du langage des politiques qui amène des communautés à s'affronter. Cela doit nous alerter tous afin que nous maintenions cette cohésion nationale, ce vivre-ensemble pertinent pour le développement de la Côte d'Ivoire. Je pense que vous, professionnels de presse, devez nous y aider aussi parce que si le mauvais message passe, personne n'est à l'abri de quelque déflagration… surtout à la veille d'une période d'élection où le ton est beaucoup plus haut que d'habitude. Il faut rassurer les uns et les autres. La différence de la catégorisation des personnes vivant en Côte d'Ivoire n'est pas dans une logique institutionnelle ou réglementaire ou d'une politique gouvernementale. Ceci n'est pas le cas. Nous prenons, nous vivons et nous sommes riches de notre diversité.
Avant la crise du Covid-19, personne ne niait les avancées remarquables sur le plan économique de la Côte d'Ivoire. Par contre sur le plan de la justice au sens large du terme, des questions ont pu être posées, notamment par rapport à l'histoire récente du pays, trouvant que presque exclusivement seuls des responsables du camp non présidentiel ont été jugés. Quel est votre commentaire sur cette assertion ?
Sur la problématique du Covid, la Côte d'Ivoire a fait son expérience de la gestion de cette crise de la maladie. Vous l'avez relevé : depuis 2011, c'est-à-dire l'arrivée à la tête de l'État du président Ouattara, la Côte d'Ivoire a enregistré des taux de croissance avoisinant les 8 % annuels. Malheureusement, du fait du Covid-19, aujourd'hui, selon les scénarios les plus pessimistes, nous pourrions peut-être chuter jusqu'à 2 % de taux de croissance ; ce qui, j'imagine, ferait pâlir d'envie beaucoup de pays européens. Mais, ceci est le fruit d'un travail acharné. D'ailleurs, quand le président de la République est arrivé, le taux de pauvreté était aux alentours de 55 %. Aujourd'hui, on en est à 39 %. Le taux a donc sensiblement baissé, ce qui permet de mieux intégrer les populations dans le circuit positif de notre société. D'ailleurs, faut-il le rappeler. Le taux de croissance en 2011, quand le président Ouattara est arrivé, était à - 5,8 %. Entretemps, il est monté à 8 % pour se stabiliser jusqu'à ce jour. Donc, c'est un travail de fourmi qui a permis d'adresser les besoins les plus nécessaires des populations, que ce soit en matière d'eau, d'électricité, d'infrastructures, etc. qu'il convient de conserver pour l'avenir de ces différentes populations.
Pour ce qui est de la justice, le gouvernement n'a pas matière à gérer les questions judiciaires, que ce soit au niveau national ou international. Nous avons des institutions de justice qui sont très fortes, qui sont indépendantes et qui décident selon ce que les uns et les autres auront posé comme actes dans leur parcours politique ou ordinaire. Tout le monde est justiciable, y compris le président de la République, et l'initiative des poursuites relève des différentes juridictions et non des gouvernements. Ceci ne peut donc pas être mis à l'actif du gouvernement. Si des personnes sont traduites devant les institutions, ce sera du fait de ces institutions mais aussi des faits que ces personnes auront posés. Donc, encore une fois, je vous invite, vous les médias, à nous aider à éviter de catégoriser les Ivoiriens. Il n'y a pas d'Ivoiriens privilégiés pendant que d'autres sont martyrisés. Non, les Ivoiriens sont pris dans leur ensemble et chacun est apprécié du point de vue judiciaire selon nos règlements et textes en vigueur en Côte d'Ivoire.
Sur le dossier du terrorisme islamiste sur lequel la Côte d'Ivoire a eu à payer son tribut, où en est la Côte d'Ivoire ? Quelles sont les dispositions prises au niveau national, mais aussi pour travailler avec les autres pays voisins ?
Vous me donnez l'occasion de saluer la forte collaboration qui existe fort heureusement entre les pays africains, précisément dans la sous-région ouest-africaine, pour adresser cette problématique du terrorisme, mais aussi la contribution très appréciée des différents partenaires bilatéraux, techniques et financiers. Je pense à la France qui est très impliquée dans la lutte contre le terrorisme du côté de l'Afrique. Cela dit, la Côte d'Ivoire a malheureusement été frappée il y a quelques années à Bassam par un acte terroriste et, plus récemment, à sa frontière, il y a eu une tentative d'infiltration. Cela dit, notre pays tient les rênes de sa sécurité de fort belle manière. Cela est possible aussi grâce à la solidarité et au renseignement régional qui est très développé et qui permet de faire face à ces différentes menaces. Cela nous amène à comprendre que, quel que soit le contexte, politique ou non, la sécurité doit être une priorité, car ces menaces terroristes profiteront de toutes les faiblesses de nos différents États pour faire des percées et venir imposer leur loi. Cela ne peut être accepté dans nos différents pays. Pour ce qui est de la Côte d'Ivoire, nous veillons au grain. Nous apportons notre solidarité au pays frère du Burkina Faso qui est régulièrement en ligne de front face à cette menace, sans oublier bien sûr le Mali qui vit des heures difficiles mais avec lequel nous affirmons notre solidarité pleine.
Une question économique ayant trait à la monnaie : le franc CFA, l'éco… On connaît la place de leader de la Côte d'Ivoire dans la région. Y a-t-il un calendrier de prévu, un rythme pour aller vers l'éco dans un environnement pas simple avec un Nigeria assez sourcilleux ?
La monnaie éco est une ambition qui a trouvé son aboutissement grâce au leadership affirmé du président Ouattara, qui a joué un fort grand rôle dans l'aboutissement de ce dossier. La mise en circulation de la monnaie physique de l'éco procède d'un parcours qui est d'abord vécu par les différents pays dans l'accomplissement des différents critères de convergence vers lesquels tendent les différents pays. Certains, dont les économies sont très fortes comme le Nigeria, prendront certainement leur temps pour y arriver, mais tout le monde est conscient que nous ne pourrons pas faire l'économie de cette transition qui nous permet d'ailleurs d'éviter des spéculations, des interprétations anciennes par rapport à la dénomination de la monnaie actuelle mais qui nous rassure sur l'avenir par rapport à la prise en main des différents leviers économiques nécessaires au développement de l'Afrique.
Toujours dans le champ économique : la Côte d'Ivoire est productrice de beaucoup de matières premières agricoles. Deux points paraissent importants aujourd'hui : d'abord l'inclusivité, c'est-à-dire que les populations locales puissent participer et profiter de ces productions, ensuite la création de valeurs sur place. Quels sont les chantiers majeurs sur lesquels la Côte d'Ivoire se trouve aujourd'hui pour permettre d'aboutir sur ces deux points ?
C'est une question très pertinente. Je peux vous affirmer que la Côte d'Ivoire est engagée sur ces deux chantiers. Pour ce qui est de la transformation, elle est affirmée dans le plan national de développement dans sa version 2016-2020 et réaffirmée dans la nouvelle mouture du Plan national de développement dans sa version 2021-2025. L'idée étant effectivement de ne pas être dans la posture de productrice exclusive mais de passer à au moins une phase de première ou seconde transformation pour ajouter de la valeur dans la contribution aux échanges du commerce international. Nous l'avons très bien compris et, dans cette même ligne, la Côte d'Ivoire et le Ghana se sont associés sur l'une de leur production, le cacao, à l'effet de pouvoir régulièrement être en pointe pour fixer les prix de façon conjointe et donner le tempo de la revalorisation des prix et paiements aux parents producteurs qui sont à la tâche dans les champs. C'est véritablement une grosse avancée. La perspective que le président Ouattara a donnée à notre industrie locale, c'est de faire arriver jusqu'à la seconde transformation au moins 50 % de la production locale. Nous sommes aujourd'hui à 30 % pour le premier niveau de transformation. Donc, la pente est bonne et nous pensons très vite arriver à faire la différence pour garder plus de valeur et de ressources dans nos différents pays pour le bénéfice des différents parents paysans. Donc, ça, c'est en termes d'impact pour les différents producteurs. Sur les autres aspects d'inclusivité, il faut juste ajouter qu'il y a des initiatives pas forcément liées au secteur agricole qui concourent à assurer l'inclusivité du point de vue du partage des richesses à l'endroit de toutes les populations vulnérables de Côte d'Ivoire. Ceci a été formulé dans le cadre d'une initiative gouvernementale qu'on appelle le Plan social du gouvernement et qui permet aujourd'hui d'enregistrer les populations les plus vulnérables dans un cercle vertueux de prise en charge sociale de sorte qu'elles puissent avoir la couverture maladie universelle, qu'elles aient l'école gratuite pour leurs enfants jusqu'à l'âge de 16 ans, les infrastructures scolaires en proximité pour ne pas avoir besoin d'aller dans les grands centres urbains pour inscrire leurs enfants à l'école, etc. Donc la démarche de prise en compte de l'inclusivité est dans le champ de travail du gouvernement.
Si vous deviez décrire la Côte d'Ivoire à un investisseur en termes de risque, qu'est-ce que vous lui diriez ? Un bon risque, un risque moyen ou un mauvais risque ?
Je serai mal placé pour le conseiller. Généralement, lorsqu'un investisseur va dans un pays, il se réfère à ce que les autres disent et non prendre l'avis d'une personne locale, qui plus est membre du gouvernement, car celle-ci ne dira que de bonnes choses. Donc, je vous rappelle juste que la Côte d'Ivoire fait partie des trois premiers pays les plus réformateurs au niveau de l'Afrique quant à son environnement des affaires. Elle fait partie des dix meilleurs pays au monde au niveau de son taux de croissance. Ce sont là autant d'éléments qui ont du sens pour un investisseur qui peut, par ce biais, faire confiance à la destination Côte d'Ivoire.
À deux mois de l'échéance présidentielle du 31 octobre 2020, la Côte d'Ivoire est-elle sur un volcan constitutionnel ? La question mérite d'être posée tant la candidature du président Alassane Ouattara anime les débats en Côte d'Ivoire, en Afrique et dans la diaspora. Il faut dire que le scénario servi par le destin était des plus improbables. Alors que le 5 mars dernier devant les deux chambres, il avait annoncé sa décision « de ne pas être candidat à la présidentielle du 31 octobre 2020 et de transférer le pouvoir à une jeune génération », Alassane Ouattara a, le 6 août dernier, reconsidéré sa position, évoquant « l'appel de ses concitoyens » et surtout son « devoir citoyen » imposé par le « cas de force majeure » qu'a constitué la disparition subite d'Amadou Gon Coulibaly, Premier ministre et candidat désigné du parti présidentiel, le RHDP. Depuis, les commentaires vont bon train, certains dénonçant « une violation de la Constitution » ou « une candidature pas nécessaire », d'autres applaudissant des deux mains arguant de la nécessité de ne pas perdre le bénéfice des dix années de présidence Ouattara dans « la paix, la sécurité et la stabilité ». Quoi qu'il en soit, le débat est loin d'être clos au regard des interprétations différentes quant à la rétroactivité des dispositions concernant les mandats présidentiels ivoiriens. Dans l'atmosphère de défiance au troisième mandat qui touche toute l'Afrique, Sidi Tiémoko Touré, ministre de la Communication et des Médias, porte-parole du gouvernement, a répondu aux questions du Point Afrique. Sur la Constitution, l'indépendance des institutions, le Conseil constitutionnel et la Commission électorale indépendante et leur rôle dans la configuration actuelle, la justice, la question ethnico-régionale et la quête du vivre-ensemble à l'ivoirienne, la situation de Laurent Gbagbo, celle de Guillaume Soro, la Côte d'Ivoire face au terrorisme islamiste, la résilience économique face au Covid, la question de la monnaie et la solidarité sous-régionale.
Le Point Afrique : Comment qualifierez-vous le climat préélectoral en Côte d'Ivoire ?
Sidi Tiémoko Touré : Comme tout climat préélectoral, c'est un climat très animé par des débats contradictoires. C'est aussi ça la dynamique de la démocratie que nous observons à la veille d'une échéance électorale importante.
La Côte d'Ivoire est au cœur de plusieurs sujets importants. Celui qui retient le plus l'attention aujourd'hui est celui du troisième mandat du président Ouattara. Que pouvez-vous nous dire à ce propos ?
Je m'empresse de faire juste une mise au point. Il ne s'agit pas du troisième mandat du président Ouattara. La Côte d'Ivoire a, depuis 2016, entrepris un changement constitutionnel en profondeur qui a donné naissance à une IIIe République. Dans ce cadre, des critères comme la limite d'âge ont été changés, ce qui permet d'ailleurs au président Henri Konan Bédié d'être candidat du PDCI bien qu'il avoisine les 90 ans, alors que la limite d'âge était fixée à 75 ans avant. C'est également cette constitution qui fonde la IIIe République qui permet toujours à Henri Konan Bédié, malgré le fait qu'il a déjà fait deux mandats sous l'égide des précédentes Républiques, de faire un troisième terme de mandat dans le cadre de cette nouvelle République. C'est aussi cette constitution qui permet à Laurent Gbagbo d'espérer participer à cette élection, bien qu'il ait déjà fait deux mandats sous l'égide de la précédente République. Donc, légitimement, le président Ouattara a le droit de se présenter pour un premier mandat dans le cadre de cette nouvelle constitution, et ce d'autant que nombre d'Ivoiriens le souhaitent. C'est très important que cela soit souligné pour que les uns et les autres le comprennent.
Quels sont les critères qui permettent de considérer qu'il y a une rupture d'une République à une autre, de la fin d'une République à une autre. Que nous disent les constitutionnalistes et quelle est votre analyse ?
Notre référent en la matière est le juge constitutionnel. Aujourd'hui, tous les différents candidats sont libres de postuler. Il y en a une trentaine au terme de la période ouverte à cet effet par la Commission électorale indépendante. Le juge constitutionnel se prononcera en son temps. En ma qualité de novice et pas de professionnel de la Constitution, j'observe comme tout le monde d'ailleurs que la limite d'âge a été levée, que l'ordre de succession à la tête de l'État, en cas de vacance de la présidence, a changé. Dans l'ancienne République, c'est le président de l'Assemblée nationale qui assurait automatiquement la succession du président de la République. Aujourd'hui, nous avons un vice-président qui est dans l'ordre institutionnel. Je constate que nous disposons désormais d'un Sénat dans lequel siègent tous les différents partis politiques. Il y a aussi la gestion structurelle des relations des différentes institutions qui a été réadaptée. Ce sont là autant de changements, pas de forme mais de fond, qui fondent la création d'une nouvelle République qui est active depuis un moment déjà dans sa phase transitionnelle et qui connaîtra ses premières élections le 31 octobre 2020.
Dans la hiérarchie des organismes, quel est celui qui dit la Constitution. Cette question s'explique par l'existence de la Commission électorale, d'un côté, et de la Cour constitutionnelle, de l'autre. Entre les deux, beaucoup ne comprennent pas.
Il faut savoir que chaque institution a un rôle bien déterminé dans notre dispositif légal, juridictionnel et institutionnel. Il revient à la Commission électorale d'organiser les élections, de préparer les éléments opérationnels pour que le peuple puisse en dernier ressort faire son choix parmi les candidats. Il revient au gouvernement de créer le cadre serein d'organisation de ces élections pour le compte de la Commission électorale indépendante. Quant au Conseil constitutionnel, il lui revient de juger de toute inconstitutionnalité observée dans la procédure sur des sujets spécifiques qui appellent sa compétence. En matière électorale, il s'agit de savoir qui est éligible ou pas. Ensuite, au bout du processus électoral, il s'agit de savoir qui a été élu.
Sinon, quels sont les critères qui font que certains candidats sont admis et d'autres non ?
Je ne pourrai pas me prononcer sur les éléments juridiques. Je relève cependant que chaque Ivoirien, quelle que soit sa qualité, est libre d'être candidat. Quant aux conditions à remplir, elle est appréciée par l'institution en charge. Donc, ce n'est pas au gouvernement de se prononcer sur l'éligibilité ou pas de telle ou telle personne. Je voudrais, par la suite, relever avec force que M. Guillaume Soro est sous le coup d'une procédure judiciaire. Pour des faits de détournement de deniers publics. Il est aussi sous le coup d'une procédure d'instruction judiciaire pour des actes attentatoires à la sûreté de l'État dont il a reconnu la véracité à partir d'enregistrements. Cela est d'ailleurs acté par son conseil juridique. Je prends aussi le cas de M. Laurent Gbagbo qui est également sous le coup d'une procédure judiciaire pour la casse, je dirais même mieux, le braquage de la Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest (BCEAO). C'est cet argent, d'ailleurs expatrié sur le Ghana, qui a financé les tentatives de déstabilisation de la Côte d'Ivoire. Ce sont là autant d'éléments dans les mains de la justice qui est la seule apte à apprécier et à condamner. Ce sont les points qui entrent certainement dans l'appréciation de la candidature de tel ou tel.
Au fond, d'aucuns s'interrogent sur l'indépendance de ces organismes par rapport au pouvoir exécutif. Que répondez-vous ?
On ne peut pas juger ces organismes sans les avoir vus à l'œuvre. C'est comme la Commission électorale indépendante. On lui fait un procès alors qu'elle n'a même pas commencé à travailler. Il en est de même pour toutes les autres institutions. Accordons-leur le bénéfice du doute, qu'elles fassent la preuve de leur indépendance, la preuve de leur efficacité. Par ailleurs, ces personnalités qui doutent de l'indépendance de ces organismes ne sont pas inspirées de clouer au pilori nos institutions de la République. Il faut savoir raison garder dans ce genre d'appréciation. En revenant sur un fait historique, je prendrai un exemple concernant la France. En compétition avec le général de Gaulle, François Mitterrand avait mis au pilori la Constitution. Quand il a été élu, il a changé de point de vue et l'a trouvée pertinente pour la République. Il y a l'appréciation politique, mais il y a aussi les faits réglementaires qu'il faut apprécier.
Qu'est-ce qui s'oppose aujourd'hui à ce que Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé reçoivent leur passeport ? Beaucoup s'étonnent que la procédure de délivrance prenne autant de temps.
Le passeport est un document administratif qui fait l'objet d'une procédure pour son acquisition. Le passeport est pour celui qui l'a demandé. À ce jour, à ma connaissance, Laurent Gbagbo en a fait la requête je ne saurais être affirmatif quant à Charles Blé Goudé. Face à une telle situation, il faut se poser la question de savoir si celui qui a demandé le passeport a donné toutes les pièces permettant de produire le passeport. C'est vraiment une question tout à fait basique mais, en tout état de cause, nous n'avons aucun intérêt à retenir un citoyen ivoirien à l'extérieur de la Côte d'Ivoire.
Au regard de la situation actuelle, quel est l'ordre d'intérim au sommet de l'État en cas d'empêchement définitif du président de la République ?
Cette Constitution a été adoptée par le peuple ivoirien à plus de 80 % lors de ce référendum en 2016 parce que les termes repris dans l'écriture de cette Constitution permettaient de préserver la Côte d'Ivoire de toute aventure et de toute instabilité. Elle permet donc quelles que soient les circonstances de maintenir le cap et de ne pas perturber le développement serein de la nation ivoirienne. C'était là l'ambition que le président Ouattara avait voulu insuffler à travers l'écriture de cette Constitution qui a été adoptée par tous, y compris les différents leaders politiques qui, aujourd'hui, pour des besoins propres et ponctuels, renient cet engagement à l'adoption de cette Constitution.
Donc, aujourd'hui, sur l'ordre successionnel, il faut juste relever que si le président de la République n'est pas disponible, nous avons le vice-président. Si celui-ci n'est pas disponible, nous avons le Premier ministre. Dans son sillage, nous avons les ministres d'État et les ministres selon l'ordre protocolaire, etc. Donc, il n'y a pas de risque d'un vide institutionnel particulier, d'où l'importance pour nous de tenir, à date, cette élection parce que cette Constitution de la IIIe République fixe même la date de tenue de cette élection qui ne peut être changée. C'est le dernier week-end du mois d'octobre. Cela est inscrit dans la Constitution. Donc tout est bien encadré à l'effet qu'il n'y ait aucune perturbation institutionnelle dans le développement de la Côte d'Ivoire.
De par sa position dans la zone soudano-sahélienne, la Côte d'Ivoire a reçu bien des populations venues d'un peu partout de la sous-région. Cela conduit certains à dire qu'il y a aujourd'hui en Côte d'Ivoire un problème ethnique. Qu'en dites-vous ?
Il faut juste relever qu'au niveau de sa composition démographique, la Côte d'Ivoire compte 20 à 25 % de population de la sous-région ouest-africaine et même d'ailleurs. Quelqu'un a pu ainsi relever que la proportion d'imbrication était l'une des plus élevées, sinon la plus élevée. Ce qui en ferait le pays qui accepte le plus grand nombre d'« étrangers » dans son corps social. Ceci peut avoir des incidences sociologiques à certains moments. Cela dit, il revient à chacune des personnes qui ont pour vocation de diriger la Côte d'Ivoire de prendre en main le destin des Ivoiriens et des non-Ivoiriens vivant dans le pays, de tenir le bon langage pour éviter quelque dérive que ce soit. Ça, c'est véritablement un sacerdoce d'homme politicien. Quand on est homme politique, on doit avoir cette responsabilité à intégrer en soi-même. Donc, il peut y avoir de temps en temps quelques flambées sociologiques, mais ceci n'est pas exceptionnel en soi et ne peut pas empêcher la tenue d'une quelconque élection. Si on prend l'exemple de la France, il y a eu l'épisode des Gilets jaunes. Cela n'a pourtant pas empêché la tenue des élections à leurs dates. Donc, globalement, nous sommes une société très imbriquée, très plurielle, et nous sommes riches de cette diversité. Nous mettons en valeur cette diversité et comptons continuer à la valoriser.
Que dire de l'impact au niveau institutionnel des différences religieuses, d'origine, etc. ? Est-ce que, par exemple, la distinction gens du Nord/gens du Sud entre en ligne de compte dans la vie même des Ivoiriens aujourd'hui ?
Non, ceci n'entre pas en ligne de compte. Les Ivoiriens dans leur quotidien vivent ensemble. Moi qui suis ministre de la Communication, j'ai des parents qui sont à Abobo. Ils y vivent dans leurs cours communes où, selon les quartiers, vous pouvez trouver toutes les communautés de la Côte d'Ivoire, y compris des communautés étrangères. Nous vivons ensemble. Il peut y avoir des divergences de points de vue entre les politiciens, mais c'est la tonalité du langage des politiques qui amène des communautés à s'affronter. Cela doit nous alerter tous afin que nous maintenions cette cohésion nationale, ce vivre-ensemble pertinent pour le développement de la Côte d'Ivoire. Je pense que vous, professionnels de presse, devez nous y aider aussi parce que si le mauvais message passe, personne n'est à l'abri de quelque déflagration… surtout à la veille d'une période d'élection où le ton est beaucoup plus haut que d'habitude. Il faut rassurer les uns et les autres. La différence de la catégorisation des personnes vivant en Côte d'Ivoire n'est pas dans une logique institutionnelle ou réglementaire ou d'une politique gouvernementale. Ceci n'est pas le cas. Nous prenons, nous vivons et nous sommes riches de notre diversité.
Avant la crise du Covid-19, personne ne niait les avancées remarquables sur le plan économique de la Côte d'Ivoire. Par contre sur le plan de la justice au sens large du terme, des questions ont pu être posées, notamment par rapport à l'histoire récente du pays, trouvant que presque exclusivement seuls des responsables du camp non présidentiel ont été jugés. Quel est votre commentaire sur cette assertion ?
Sur la problématique du Covid, la Côte d'Ivoire a fait son expérience de la gestion de cette crise de la maladie. Vous l'avez relevé : depuis 2011, c'est-à-dire l'arrivée à la tête de l'État du président Ouattara, la Côte d'Ivoire a enregistré des taux de croissance avoisinant les 8 % annuels. Malheureusement, du fait du Covid-19, aujourd'hui, selon les scénarios les plus pessimistes, nous pourrions peut-être chuter jusqu'à 2 % de taux de croissance ; ce qui, j'imagine, ferait pâlir d'envie beaucoup de pays européens. Mais, ceci est le fruit d'un travail acharné. D'ailleurs, quand le président de la République est arrivé, le taux de pauvreté était aux alentours de 55 %. Aujourd'hui, on en est à 39 %. Le taux a donc sensiblement baissé, ce qui permet de mieux intégrer les populations dans le circuit positif de notre société. D'ailleurs, faut-il le rappeler. Le taux de croissance en 2011, quand le président Ouattara est arrivé, était à - 5,8 %. Entretemps, il est monté à 8 % pour se stabiliser jusqu'à ce jour. Donc, c'est un travail de fourmi qui a permis d'adresser les besoins les plus nécessaires des populations, que ce soit en matière d'eau, d'électricité, d'infrastructures, etc. qu'il convient de conserver pour l'avenir de ces différentes populations.
Pour ce qui est de la justice, le gouvernement n'a pas matière à gérer les questions judiciaires, que ce soit au niveau national ou international. Nous avons des institutions de justice qui sont très fortes, qui sont indépendantes et qui décident selon ce que les uns et les autres auront posé comme actes dans leur parcours politique ou ordinaire. Tout le monde est justiciable, y compris le président de la République, et l'initiative des poursuites relève des différentes juridictions et non des gouvernements. Ceci ne peut donc pas être mis à l'actif du gouvernement. Si des personnes sont traduites devant les institutions, ce sera du fait de ces institutions mais aussi des faits que ces personnes auront posés. Donc, encore une fois, je vous invite, vous les médias, à nous aider à éviter de catégoriser les Ivoiriens. Il n'y a pas d'Ivoiriens privilégiés pendant que d'autres sont martyrisés. Non, les Ivoiriens sont pris dans leur ensemble et chacun est apprécié du point de vue judiciaire selon nos règlements et textes en vigueur en Côte d'Ivoire.
Sur le dossier du terrorisme islamiste sur lequel la Côte d'Ivoire a eu à payer son tribut, où en est la Côte d'Ivoire ? Quelles sont les dispositions prises au niveau national, mais aussi pour travailler avec les autres pays voisins ?
Vous me donnez l'occasion de saluer la forte collaboration qui existe fort heureusement entre les pays africains, précisément dans la sous-région ouest-africaine, pour adresser cette problématique du terrorisme, mais aussi la contribution très appréciée des différents partenaires bilatéraux, techniques et financiers. Je pense à la France qui est très impliquée dans la lutte contre le terrorisme du côté de l'Afrique. Cela dit, la Côte d'Ivoire a malheureusement été frappée il y a quelques années à Bassam par un acte terroriste et, plus récemment, à sa frontière, il y a eu une tentative d'infiltration. Cela dit, notre pays tient les rênes de sa sécurité de fort belle manière. Cela est possible aussi grâce à la solidarité et au renseignement régional qui est très développé et qui permet de faire face à ces différentes menaces. Cela nous amène à comprendre que, quel que soit le contexte, politique ou non, la sécurité doit être une priorité, car ces menaces terroristes profiteront de toutes les faiblesses de nos différents États pour faire des percées et venir imposer leur loi. Cela ne peut être accepté dans nos différents pays. Pour ce qui est de la Côte d'Ivoire, nous veillons au grain. Nous apportons notre solidarité au pays frère du Burkina Faso qui est régulièrement en ligne de front face à cette menace, sans oublier bien sûr le Mali qui vit des heures difficiles mais avec lequel nous affirmons notre solidarité pleine.
Une question économique ayant trait à la monnaie : le franc CFA, l'éco… On connaît la place de leader de la Côte d'Ivoire dans la région. Y a-t-il un calendrier de prévu, un rythme pour aller vers l'éco dans un environnement pas simple avec un Nigeria assez sourcilleux ?
La monnaie éco est une ambition qui a trouvé son aboutissement grâce au leadership affirmé du président Ouattara, qui a joué un fort grand rôle dans l'aboutissement de ce dossier. La mise en circulation de la monnaie physique de l'éco procède d'un parcours qui est d'abord vécu par les différents pays dans l'accomplissement des différents critères de convergence vers lesquels tendent les différents pays. Certains, dont les économies sont très fortes comme le Nigeria, prendront certainement leur temps pour y arriver, mais tout le monde est conscient que nous ne pourrons pas faire l'économie de cette transition qui nous permet d'ailleurs d'éviter des spéculations, des interprétations anciennes par rapport à la dénomination de la monnaie actuelle mais qui nous rassure sur l'avenir par rapport à la prise en main des différents leviers économiques nécessaires au développement de l'Afrique.
Toujours dans le champ économique : la Côte d'Ivoire est productrice de beaucoup de matières premières agricoles. Deux points paraissent importants aujourd'hui : d'abord l'inclusivité, c'est-à-dire que les populations locales puissent participer et profiter de ces productions, ensuite la création de valeurs sur place. Quels sont les chantiers majeurs sur lesquels la Côte d'Ivoire se trouve aujourd'hui pour permettre d'aboutir sur ces deux points ?
C'est une question très pertinente. Je peux vous affirmer que la Côte d'Ivoire est engagée sur ces deux chantiers. Pour ce qui est de la transformation, elle est affirmée dans le plan national de développement dans sa version 2016-2020 et réaffirmée dans la nouvelle mouture du Plan national de développement dans sa version 2021-2025. L'idée étant effectivement de ne pas être dans la posture de productrice exclusive mais de passer à au moins une phase de première ou seconde transformation pour ajouter de la valeur dans la contribution aux échanges du commerce international. Nous l'avons très bien compris et, dans cette même ligne, la Côte d'Ivoire et le Ghana se sont associés sur l'une de leur production, le cacao, à l'effet de pouvoir régulièrement être en pointe pour fixer les prix de façon conjointe et donner le tempo de la revalorisation des prix et paiements aux parents producteurs qui sont à la tâche dans les champs. C'est véritablement une grosse avancée. La perspective que le président Ouattara a donnée à notre industrie locale, c'est de faire arriver jusqu'à la seconde transformation au moins 50 % de la production locale. Nous sommes aujourd'hui à 30 % pour le premier niveau de transformation. Donc, la pente est bonne et nous pensons très vite arriver à faire la différence pour garder plus de valeur et de ressources dans nos différents pays pour le bénéfice des différents parents paysans. Donc, ça, c'est en termes d'impact pour les différents producteurs. Sur les autres aspects d'inclusivité, il faut juste ajouter qu'il y a des initiatives pas forcément liées au secteur agricole qui concourent à assurer l'inclusivité du point de vue du partage des richesses à l'endroit de toutes les populations vulnérables de Côte d'Ivoire. Ceci a été formulé dans le cadre d'une initiative gouvernementale qu'on appelle le Plan social du gouvernement et qui permet aujourd'hui d'enregistrer les populations les plus vulnérables dans un cercle vertueux de prise en charge sociale de sorte qu'elles puissent avoir la couverture maladie universelle, qu'elles aient l'école gratuite pour leurs enfants jusqu'à l'âge de 16 ans, les infrastructures scolaires en proximité pour ne pas avoir besoin d'aller dans les grands centres urbains pour inscrire leurs enfants à l'école, etc. Donc la démarche de prise en compte de l'inclusivité est dans le champ de travail du gouvernement.
Si vous deviez décrire la Côte d'Ivoire à un investisseur en termes de risque, qu'est-ce que vous lui diriez ? Un bon risque, un risque moyen ou un mauvais risque ?
Je serai mal placé pour le conseiller. Généralement, lorsqu'un investisseur va dans un pays, il se réfère à ce que les autres disent et non prendre l'avis d'une personne locale, qui plus est membre du gouvernement, car celle-ci ne dira que de bonnes choses. Donc, je vous rappelle juste que la Côte d'Ivoire fait partie des trois premiers pays les plus réformateurs au niveau de l'Afrique quant à son environnement des affaires. Elle fait partie des dix meilleurs pays au monde au niveau de son taux de croissance. Ce sont là autant d'éléments qui ont du sens pour un investisseur qui peut, par ce biais, faire confiance à la destination Côte d'Ivoire.