Alassane Ouattara a été réélu pour un troisième mandat controversé en Côte d'Ivoire. Pour Michel Galy, politologue spécialiste de l'Afrique de l'Ouest, "on est en pleine catastrophe, et elle peut encore s'aggraver". Il était l’invité de Tv5 Afrique ce mardi 3 octobre.
Vous êtes politologue et spécialiste de l’Afrique. Est-ce qu’avec ce qui se passe en Côte d’Ivoire, l’on court à la catastrophe comme l’a dit le président Laurent Gbagbo, jeudi dernier, sur nos antennes ?
Oui, c’est certain et on est en plein la-dedans et cette catastrophe peut encore s’aggraver comme l’a dit l’un de vos interlocuteurs à Abidjan. C’est la situation inverse de 2010-2011. Il y a deux légitimités, deux gouvernements en devenir. Puisqu’Henri Konan Bédié a été nommé président du Conseil national de Transition. Et c’est pourquoi, cet après-midi (mardi midi Ndlr) il y a eu ces événement dont vous venez de parler car il devrait y avoir un gouvernement de transition de l’opposition qui, à mon sens, est très majoritaire puisque nous n’avons pas à rappeler à Alassane Ouattara que 95%, c’est environ sur un taux de 8% à 10 % le taux de participation. Ce qui équivaut entre 10% à 15% sur son électorat actuel. Donc nous pouvons dire que la situation est de plus en plus catastrophique.
Alassane Ouattara qui promet de ne pas faire un troisième mandat mais qui revient là-dessus après la mort de son dauphin. Il ne choisit pas un autre dauphin. Est-ce qu’il n’y avait pas d’autre alternative pour Alassane Ouattara ?
Il avait dit effectivement qu’il ne se représenterait plus et sur l’effet, le président Macron l’a félicité et tout d’un coup, il change d’avis contre la Constitution qui ne prévoit que deux mandats. Il veut faire un troisième mandat. Dès lors, on savait que nous allions, comme on le disait tout à l’heure, à la catastrophe. Il y a eu des manifestations au mois d’août où la leader de la Société civile, Pulcherie Gbalet, a été emprisonnée pour avoir demandé que l’on respecte la Constitution. Depuis, il y a une centaine de morts, plusieurs centaines de blessés et de prisonniers politiques. Ce que nous avons vu dans votre reportage, ce sont les forces spéciales qui sont logées à l’hôtel Sebroko, dirigées par le frère de M. Ouattara et qui sont chargées de la répression. Pourquoi ? C’est parce que l’armée est divisée en deux. L’opposition qui a fondé le Conseil national de transition pense qu’une partie des forces armées, ceux qu’on appelle les corps habillés, c’est-à-dire les gendarmes et la police vont, comme cela s’est passé dans d’autres pays, se retourner et se ranger du côté du conseil national de transition. Un peu le modèle à la Burkinabé au moment de la chute du président Blaise Compaoré en 2014.
Parlant de cette stratégie de l’opposition, un militant du Pdci disait que désormais la rue va prendre le dessus. Alors que le constat, c’est que l’opposition n’a pas réussi à bloquer le pays comme elle le souhaitait parce que les gens ont peur. Est-ce qu’avec ce Conseil national de transition, cette stratégie va marcher ?
Je ne dis pas un peu de cristal mais effectivement parler de Ouagadougou en 2014, Compaoré est tombé en quelques jours avec un prix humain un peu élevé, c’est un peu ce que voudrait l’opposition. Seulement il y a la question des forces armées comme je le disais. Il n’y a plus les forces des Nations Unies comme en 2011, la base de l’armée française du 43è Bima, reste, pour le moment, neutre. Donc l’opposition espère que les forces armées vont se diviser petit à petit, vont se ranger vers l’opposition qui est très très majoritaire à mon sens dans le pays parce qu’en gros, le Fpi de Laurent Gbagbo représente 1/3 de l’électorat, le Pdci d’Henri Konan Bédié représente également 1/3. Donc cela fait 2/3. Et il reste pour le Rdr d’Alassane Ouattara environ à l’heure actuelle de 15 à 20%.
Vous parlez du scénario Burkinabé, mais il y a le scénario Ali Bongo, qui, au final, c’est le pouvoir qui a gagné ?
Oui effectivement mais il y a une question de répression, le sang qui coule. Mais je voudrais vous rappeler qu’en août, il y a eu un entretien assez animé entre le président Macron et le président Ouattara, puisqu’il y avait plusieurs dizaines de morts qui avaient été corroborés par Amnesty International. Donc à partir d’un certain nombre de victimes, dans la presse internationale, cela devient insupportable. Et ces victimes sont causées par qui ? Ce ne sont pas des jeunes gens qui s’affrontent. Mais ce sont des miliciens pro Ouattara munis de machettes, qui sont en parallèle, selon le document d’Amnesty international, des forces républicaines ou forces de l’ordre, qui vont découper les gens à la machette dans les villages. Donc nous savons très bien qui sont les agresseurs actuellement, ce sont des gens, il faut bien le dire, du camp Ouattara.
Est-ce que dans ce contexte, il est encore possible de négocier avec cette opposition qui dit qu’Alassane Ouattara est un président illégal ?
C’est ce qu’a dit le président Gbagbo dans l’entretien avec Denise Epoté, où il a dit asseyons-nous et discutons. S’il y a des violences qui montent à partir de ce moment, que ce soit Alassane Ouattara ou avec ses proches, il y a toujours des discussions possibles à mon avis.
La Cedeao, l’Ua, dans une déclaration, appellent l’opposition à respecter l’ordre constitutionnel. Est-ce que c’est mal parti pour l’opposition qui, visiblement, ne reçoit aucun soutien ?
Vous savez, et nous l’avons vu pendant la crise de 2010-2011, La Cedeao, c’est vraiment une coquille vide. Elle suit comme l’Union Africaine les consignes des chancelleries occidentales et parfois française, il faut le dire. C’est ce que, dans le milieu des politologues, l’on appelle le syndicat des chefs d’Etats africains. Ils se soutiennent un peu entre eux, quitte à changer complètement de cheval au moment où il y aura un renversement de régime.
Cette situation de la Côte d’Ivoire nous rappelle étrangement le cas de la Guinée où l’opposition conteste la victoire d’Alpha Condé. Un mot sur cette situation de la Guinée ?
C’est tentant de comparer ces deux situations parce qu’il y a des présidents un peu âgés qui voulaient des troisièmes mandats et qui étaient contestés par l’opposition. Mais je pense que la différence, c’est qu’Alpha Condé, certes, a fait voter une Constitution, pour autant personnellement ayant connu la Guinée à plusieurs reprises, il me semble qu’Alpha Condé a un électorat beaucoup plus large qu’Alassane Ouattara.
Propos retranscrits par JEROME N’DRI
Vous êtes politologue et spécialiste de l’Afrique. Est-ce qu’avec ce qui se passe en Côte d’Ivoire, l’on court à la catastrophe comme l’a dit le président Laurent Gbagbo, jeudi dernier, sur nos antennes ?
Oui, c’est certain et on est en plein la-dedans et cette catastrophe peut encore s’aggraver comme l’a dit l’un de vos interlocuteurs à Abidjan. C’est la situation inverse de 2010-2011. Il y a deux légitimités, deux gouvernements en devenir. Puisqu’Henri Konan Bédié a été nommé président du Conseil national de Transition. Et c’est pourquoi, cet après-midi (mardi midi Ndlr) il y a eu ces événement dont vous venez de parler car il devrait y avoir un gouvernement de transition de l’opposition qui, à mon sens, est très majoritaire puisque nous n’avons pas à rappeler à Alassane Ouattara que 95%, c’est environ sur un taux de 8% à 10 % le taux de participation. Ce qui équivaut entre 10% à 15% sur son électorat actuel. Donc nous pouvons dire que la situation est de plus en plus catastrophique.
Alassane Ouattara qui promet de ne pas faire un troisième mandat mais qui revient là-dessus après la mort de son dauphin. Il ne choisit pas un autre dauphin. Est-ce qu’il n’y avait pas d’autre alternative pour Alassane Ouattara ?
Il avait dit effectivement qu’il ne se représenterait plus et sur l’effet, le président Macron l’a félicité et tout d’un coup, il change d’avis contre la Constitution qui ne prévoit que deux mandats. Il veut faire un troisième mandat. Dès lors, on savait que nous allions, comme on le disait tout à l’heure, à la catastrophe. Il y a eu des manifestations au mois d’août où la leader de la Société civile, Pulcherie Gbalet, a été emprisonnée pour avoir demandé que l’on respecte la Constitution. Depuis, il y a une centaine de morts, plusieurs centaines de blessés et de prisonniers politiques. Ce que nous avons vu dans votre reportage, ce sont les forces spéciales qui sont logées à l’hôtel Sebroko, dirigées par le frère de M. Ouattara et qui sont chargées de la répression. Pourquoi ? C’est parce que l’armée est divisée en deux. L’opposition qui a fondé le Conseil national de transition pense qu’une partie des forces armées, ceux qu’on appelle les corps habillés, c’est-à-dire les gendarmes et la police vont, comme cela s’est passé dans d’autres pays, se retourner et se ranger du côté du conseil national de transition. Un peu le modèle à la Burkinabé au moment de la chute du président Blaise Compaoré en 2014.
Parlant de cette stratégie de l’opposition, un militant du Pdci disait que désormais la rue va prendre le dessus. Alors que le constat, c’est que l’opposition n’a pas réussi à bloquer le pays comme elle le souhaitait parce que les gens ont peur. Est-ce qu’avec ce Conseil national de transition, cette stratégie va marcher ?
Je ne dis pas un peu de cristal mais effectivement parler de Ouagadougou en 2014, Compaoré est tombé en quelques jours avec un prix humain un peu élevé, c’est un peu ce que voudrait l’opposition. Seulement il y a la question des forces armées comme je le disais. Il n’y a plus les forces des Nations Unies comme en 2011, la base de l’armée française du 43è Bima, reste, pour le moment, neutre. Donc l’opposition espère que les forces armées vont se diviser petit à petit, vont se ranger vers l’opposition qui est très très majoritaire à mon sens dans le pays parce qu’en gros, le Fpi de Laurent Gbagbo représente 1/3 de l’électorat, le Pdci d’Henri Konan Bédié représente également 1/3. Donc cela fait 2/3. Et il reste pour le Rdr d’Alassane Ouattara environ à l’heure actuelle de 15 à 20%.
Vous parlez du scénario Burkinabé, mais il y a le scénario Ali Bongo, qui, au final, c’est le pouvoir qui a gagné ?
Oui effectivement mais il y a une question de répression, le sang qui coule. Mais je voudrais vous rappeler qu’en août, il y a eu un entretien assez animé entre le président Macron et le président Ouattara, puisqu’il y avait plusieurs dizaines de morts qui avaient été corroborés par Amnesty International. Donc à partir d’un certain nombre de victimes, dans la presse internationale, cela devient insupportable. Et ces victimes sont causées par qui ? Ce ne sont pas des jeunes gens qui s’affrontent. Mais ce sont des miliciens pro Ouattara munis de machettes, qui sont en parallèle, selon le document d’Amnesty international, des forces républicaines ou forces de l’ordre, qui vont découper les gens à la machette dans les villages. Donc nous savons très bien qui sont les agresseurs actuellement, ce sont des gens, il faut bien le dire, du camp Ouattara.
Est-ce que dans ce contexte, il est encore possible de négocier avec cette opposition qui dit qu’Alassane Ouattara est un président illégal ?
C’est ce qu’a dit le président Gbagbo dans l’entretien avec Denise Epoté, où il a dit asseyons-nous et discutons. S’il y a des violences qui montent à partir de ce moment, que ce soit Alassane Ouattara ou avec ses proches, il y a toujours des discussions possibles à mon avis.
La Cedeao, l’Ua, dans une déclaration, appellent l’opposition à respecter l’ordre constitutionnel. Est-ce que c’est mal parti pour l’opposition qui, visiblement, ne reçoit aucun soutien ?
Vous savez, et nous l’avons vu pendant la crise de 2010-2011, La Cedeao, c’est vraiment une coquille vide. Elle suit comme l’Union Africaine les consignes des chancelleries occidentales et parfois française, il faut le dire. C’est ce que, dans le milieu des politologues, l’on appelle le syndicat des chefs d’Etats africains. Ils se soutiennent un peu entre eux, quitte à changer complètement de cheval au moment où il y aura un renversement de régime.
Cette situation de la Côte d’Ivoire nous rappelle étrangement le cas de la Guinée où l’opposition conteste la victoire d’Alpha Condé. Un mot sur cette situation de la Guinée ?
C’est tentant de comparer ces deux situations parce qu’il y a des présidents un peu âgés qui voulaient des troisièmes mandats et qui étaient contestés par l’opposition. Mais je pense que la différence, c’est qu’Alpha Condé, certes, a fait voter une Constitution, pour autant personnellement ayant connu la Guinée à plusieurs reprises, il me semble qu’Alpha Condé a un électorat beaucoup plus large qu’Alassane Ouattara.
Propos retranscrits par JEROME N’DRI