Excellence Monsieur le Président de la République de Côte d’Ivoire !
A l’entame de votre nouveau mandat, les membres du Conseil constitutionnel, par ma modeste voix, vous expriment leurs vives et chaleureuses félicitations et vous souhaitent une gouvernance paisible, dans la santé et la sérénité.
Nous associons à ces vœux Madame Dominique OUATTARA, votre distinguée épouse, la Première dame de la République, votre soutien de tous les instants.
Les membres du Conseil constitutionnel émettent par-dessus tout, le souhait ardent d’un mandat fructueux et d’une très grande prospérité pour notre pays, la Côte d’Ivoire, dans la paix et la concorde.
Excellence, Messieurs les Présidents des Républiques sœurs !
Les Membres du Conseil constitutionnel vous saluent avec déférence. Ils vous remercient du grand honneur que vous leur faites d’assister à cette audience, et voudraient vous assurer de ce que votre distinguée présence, qui leur procure une réelle et légitime fierté, constituera, à n’en point douter, l’un des meilleurs souvenirs de leur carrière.
Excellence Monsieur le Président de la République Côte d’Ivoire !
Nous voici au terme d’un processus électoral qui a fait couler beaucoup d’encre, de salive, de larmes et même, hélas ! Beaucoup de sang.
Il en a été ainsi parce que, un débat fondamentalement juridique et d’une technicité suffisamment pointue pour diviser, même les spécialistes de cette matière, a quitté son domaine naturel, le droit, notamment le droit constitutionnel, pour investir un autre champ et devenir, de ce fait, un débat politique.
Chacun y est donc allé de son interprétation, depuis les Professeurs titulaires de la chaire de droit constitutionnel, jusqu’à ceux qui ne possèdent, comme seul diplôme, que leur acte de naissance.
Ainsi, des plaidoyers « pro domo » ont été érigés en vérités irréfragables.
Dans cette atmosphère de contestation intellectuelle débridée, le Conseil constitutionnel est très vite apparu comme un mur des lamentations, pour ne pas dire le souffre-douleur privilégié d’une catégorie d’Ivoiriens, donnant ainsi corps aux scénarii les plus rocambolesques, et aux fantasmes les plus extravagants.
Excellence Monsieur le Président de la République !
Mesdames et Messieurs !
Pour l’honneur bafoué de ces humbles serviteurs de l’Etat, dont le tort aura été finalement de n’avoir pas fait mieux que Dieu, qui, même lui, n’a pas encore réussi à faire l’unanimité de ses créatures, c’est-à-dire, rendre des décisions emportant l’impossible unanimité des ivoiriens dans le cas d’espèce. C’est pourquoi il me plaît d’affirmer, d’entrée de propos, à la ville et au monde, afin que nul n’en ignore, que chacun des sept membres du Conseil constitutionnel ici présent, est en parfaite harmonie avec sa conscience, relativement au vote qu’il a émis, après délibérations, au moment de l’adoption des décisions concernant tant l’éligibilité que l’élection du Président de la République.
Excellence Monsieur le Président de la République !
Distinguées personnalités !
Mesdames et Messieurs !
La guerre des interprétations qui a engendré la polémique à laquelle je faisais tantôt allusion, a laissé des séquelles dans la société, et certains de nos compatriotes ont pensé, ou continuent encore de penser, que les décisions rendues par le Conseil constitutionnel dans le cadre de ce scrutin, ne doivent pas être exécutées.
A tous ceux de nos concitoyens qui raisonnent ainsi, de bonne ou de mauvaise foi, il nous parait nécessaire de rappeler la spécificité des décisions de la juridiction constitutionnelle, par rapport à celles des juridictions classiques, mieux connues.
En effet, selon l’article 138 de la Constitution, « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toute autorité administrative, juridictionnelle, militaire et à toute personne physique ou morale ».
En disposant ainsi, le Constituant ivoirien a entendu désigner le Conseil constitutionnel comme étant le seul organe à qui il conférait le pouvoir D’INTERPRETER OFFICIELLEMENT LA LOI FONDAMENTALE, faisant de lui, l’interprète le plus authentique de la Constitution, celui dont l’interprétation fait foi.
En effet, il peut y avoir plusieurs interprétations de la Constitution. Mais, dès que le Conseil constitutionnel a fait connaître la sienne à travers une décision, c’est elle qui s’impose, et tout le monde est tenu de s’y conformer.
Un éminent constitutionnaliste français, le Professeur Guy Carcassonne, traduit bien cette idée lorsqu’il affirme que : « Le Conseil constitutionnel dit le droit constitutionnel, le droit réel, sur les sujets dont il est saisi » et, qu’il poursuit en ajoutant : « les spécialistes peuvent, à l’occasion, estimer telle ou telle décision contestable, voire infondée telle ou telle argumentation, mais cela est inopérant dans le droit réel sur lequel le Conseil constitutionnel à un monopole absolu ». Fin de citation.
Ainsi, lorsque le Conseil constitutionnel a tranché, le citoyen peut approuver ou regretter sa décision, mais il doit savoir, et surtout accepter, que ni lui, ni quiconque, ne peut la remettre en cause.
Lorsque le Conseil constitutionnel déclare un candidat éligible, il est éligible !
Lorsque le Conseil constitutionnel déclare un candidat élu, il est élu !
Cette idée de l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel tient tellement à cœur au pouvoir constituant ivoirien, qu’il lui a consacré deux articles de notre Constitution :
- d’abord l’article 137 alinéa 4, qui indique que les décisions du Conseil constitutionnel « s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles » ;
- ensuite, et comme pour insister particulièrement sur cette idée, l’article 138 qui ajoute à cette première liste, l’autorité « militaire et toute personne physique ou morale ».
L’on se souvient que, dans cette même Côte d’Ivoire, en octobre 2000, et à l’occasion d’une élection présidentielle comme celle qui vient de se tenir, la juridiction constitutionnelle avait déclaré un candidat inéligible en invoquant à sa charge la mauvaise moralité, tout simplement parce que, suite à un prêt bancaire contracté par lui, il restait encore devoir à sa banque, au moment du scrutin.
Point n’est besoin d’être grand Clerc pour imaginer tout le mal que le concerné a pu penser, ou pense même encore, de cette décision qui faisait du crédit bancaire, cet indispensable instrument de la vie moderne, une preuve de mauvaise moralité.
Pour autant, il n’a pas levé une armée pour aller à l’abordage de la République. Il n’a pas, non plus cherché à imposer sa candidature par tous les moyens, ni voué aux gémonies les auteurs de cette décision.
Contre mauvaise fortune, il a fait bon cœur !
Ni l’avènement de la démocratie multipartisane, ni les changements de Constitutions, n’ont altéré la règle de l’opposabilité à tous des décisions du Conseil constitutionnel.
Excellence, Monsieur le Président de la République !
Mesdames et Messieurs !
Une autre particularité attachée aux décisions du Conseil constitutionnel est qu’elles sont définitivement gravées dans le marbre, et, par conséquent, exécutoires dès leur publication au Journal Officiel. Elles ne peuvent donc pas être remises en cause par un tiers, raison pour laquelle le législateur n’a prévu aucun organe de recours contre lesdites décisions.
Oui, du haut de cette tribune me parviennent en écho les cris d’orfraie de ceux qui croient pouvoir évoquer un précédent ou, comme ils se plaisent à le dire, une prétendue jurisprudence de 2010, pour apporter la contradiction sur ce point.
A ceux-là, je voudrais rappeler que l’élection présidentielle de 2010 et celle de 2020 ne peuvent être comparées, en droit, car elles ont été organisées dans des cadres juridiques totalement différents.
En effet, s’agissant de l’élection présidentielle de 2010, il faut se souvenir de ce que, à la recherche d’une solution de sortie de la crise qui avait cours dans notre pays, de nombreuses réunions avaient été organisées, de Linas-Marcoussis, en France, jusqu’à Ouagadougou, au Burkina-Faso.
L’une de ces rencontres s’est tenue à Pretoria, du 03 au 06 avril 2005, à l’initiative de Monsieur Thabo Mbéki, à l’époque Président de la République Sud-Africaine, et surtout Médiateur de l’Union Africaine pour la Côte d’Ivoire.
C’est au cours de cette réunion que les autorités ivoiriennes, notamment, Messieurs Laurent Gbagbo, alors Président de la République, Henri Konan Bédié, ancien Président de la République et Président du PDCI-RDA, Alassane Ouattara, ancien Premier Ministre et Président du RDR, feu Seydou Elimane Diarra, alors Premier Ministre, et Soro Kigbafori Guillaume, à l’époque Ministre d’Etat et responsable des Forces Nouvelles, ont convenu, en toute liberté et responsabilité, de demander à l’Organisation des Nations Unies (ONU) de s’impliquer dans l’organisation des élections à venir en Côte d’Ivoire.
Faisant droit à cette requête, le Conseil de Sécurité de l’ONU a créé, par sa Résolution N°1603 du 03 juin 2005, un poste de Haut Représentant pour les Elections, avec pour mission de certifier, « à titre exceptionnel », toutes les étapes du processus électoral.
En exécution de cette Résolution, deux Certificateurs des élections se sont succédé en Côte d’Ivoire à savoir, Monsieur Antonio Monteiro, diplomate et ancien Ministre portugais des Affaires Etrangères, puis Monsieur Gérard Stoudmann, un diplomate de nationalité Suisse.
Par la suite, le poste de Haut Représentant aux Elections a été supprimé mais, la fonction, conservée, a été confiée au Représentant Spécial du Secrétaire général de l’ONU en Côte d’Ivoire, en l’occurrence, Monsieur CHOÏ Young-Jin, qui s’est retrouvé ainsi investi d’une double mission : celle de Représentant Spécial du Secrétaire général de l’ONU, et celle de Certificateur des élections.
Dans sa Résolution N°1826 du 29 juillet 2008, l’ONU a clairement précisé les chapitres de sortie de crise sur lesquels devait porter la certification à savoir : la paix, l’inclusion, les médias d’Etat, la liste électorale et les résultats de l’élection.
S’agissant précisément de ce dernier chapitre, c’est-à-dire les résultats de l’élection, la Résolution indiquait, sans équivoque que : « Les résultats des élections seront certifiés d’une façon explicite. Une fois certifiés, le Certificateur n’admettra pas que les résultats fassent l’objet de contestations non démocratiques ou de compromissions ». Fin de citation.
Cette Résolution, adoptée sous le chapitre VII de la Charte des Nations Unies, c’est-à-dire revêtue de la force exécutoire, et avec l’aval de la partie ivoirienne, créait ainsi une nouvelle structure, à savoir l’organe de certification, hiérarchiquement placé au-dessus du Conseil constitutionnel, et doté, exceptionnellement, du pouvoir de remettre en cause ses décisions.
Cet organe apparaissait donc clairement comme une instance de recours contre les décisions de notre juridiction constitutionnelle.
C’est la mise en œuvre de ce dispositif « sui generis », librement accepté par toutes les parties, qui a justifié que toutes les étapes de l’élection présidentielle de 2010 aient été certifiées et que le Certificateur ait pu contester la décision du Conseil constitutionnel et valider les résultats proclamés par la Commission Electorale Indépendante (CEI), donnant ainsi vainqueur le candidat Alassane OUATTARA.
S’agissant de l’élection du 31 octobre 2020, il n’existait aucune structure de cette nature, la Côte d’Ivoire ayant renoué avec la normalité, et l’ONU s’étant retirée avec tout son dispositif, y compris l’organe de Certification des élections, conformément au paragraphe 8 de la Résolution sus citée qui précisait bien que le mandat du certificateur prendrait fin après la tenue des élections générales en Côte d’Ivoire.
Dans cette normalité institutionnelle retrouvée, le Conseil constitutionnel qui a recouvré tout son impérium, n’a plus, au-dessus de lui, une structure pouvant contester ou remettre en cause ses décisions, en particulier celles prises dans le cadre de ce scrutin.
C’est pourquoi, il n’est pas exact de dire qu’il existe en Côte d’Ivoire une pratique ou une jurisprudence apparue en 2010.
Au total, et pour conclure, comme on peut le constater, l’acceptation, même à contre-cœur, d’une décision du Conseil constitutionnel publiée au Journal Officiel, n’est pas une option pour chacun, mais plutôt une obligation pour tous.
- Notre Constitution nous le commande ;
- la discipline inscrite dans notre devise nous le demande ;
- et le civisme nous le recommande.
En persistant dans la défiance, c’est-à-dire en continuant de penser que notre interprétation personnelle de la Constitution est la seule qui vaille, et non aucune autre de nos vingt-cinq millions de concitoyens, encore moins celle de l’instance qualifiée dont c’est pourtant la vocation, et en soutenant que seules les décisions qui soignent nos intérêts et nos ambitions méritent d’être exécutées, sachons alors, que ce n’est pas la démocratie que nous construisons. C’est plutôt « l’Abbaye de Thélème », telle que décrite par Rabelais, que nous reconstruisons. Ce n’est pas une République que nous bâtissons. C’est plutôt « la cour du roi Pétaud » que nous restaurons.
Refuser de se soumettre à une décision du Conseil constitutionnel est une violation de la Constitution, notamment de ses articles 137 alinéa 4 et 138. Et tout comportement, ou raisonnement, prétendant réparer une violation supposée de la Constitution par une violation avérée de la même Constitution, souffrirait manifestement, d’un déficit de cohérence.
Pour sa part, le Conseil constitutionnel, sous d’autres cieux appelé « les sages », continuera, sans désemparer, de remplir sa mission avec sagesse ; cette sagesse qui féconde et humanise le droit ; cette sagesse dont la quête inlassable justifie que les anciens Présidents de la République soient membres de droit de cette haute juridiction, quelle que soit leur formation académique ; cette sagesse que nous considérons, au Conseil constitutionnel, comme le dernier article de la Constitution, celui qui n’est pas écrit, certainement parce qu’il va sans dire.
C’est sous le bénéfice de ces observations que je voudrais clore mon propos.
Je vous remercie pour votre aimable attention.
A l’entame de votre nouveau mandat, les membres du Conseil constitutionnel, par ma modeste voix, vous expriment leurs vives et chaleureuses félicitations et vous souhaitent une gouvernance paisible, dans la santé et la sérénité.
Nous associons à ces vœux Madame Dominique OUATTARA, votre distinguée épouse, la Première dame de la République, votre soutien de tous les instants.
Les membres du Conseil constitutionnel émettent par-dessus tout, le souhait ardent d’un mandat fructueux et d’une très grande prospérité pour notre pays, la Côte d’Ivoire, dans la paix et la concorde.
Excellence, Messieurs les Présidents des Républiques sœurs !
Les Membres du Conseil constitutionnel vous saluent avec déférence. Ils vous remercient du grand honneur que vous leur faites d’assister à cette audience, et voudraient vous assurer de ce que votre distinguée présence, qui leur procure une réelle et légitime fierté, constituera, à n’en point douter, l’un des meilleurs souvenirs de leur carrière.
Excellence Monsieur le Président de la République Côte d’Ivoire !
Nous voici au terme d’un processus électoral qui a fait couler beaucoup d’encre, de salive, de larmes et même, hélas ! Beaucoup de sang.
Il en a été ainsi parce que, un débat fondamentalement juridique et d’une technicité suffisamment pointue pour diviser, même les spécialistes de cette matière, a quitté son domaine naturel, le droit, notamment le droit constitutionnel, pour investir un autre champ et devenir, de ce fait, un débat politique.
Chacun y est donc allé de son interprétation, depuis les Professeurs titulaires de la chaire de droit constitutionnel, jusqu’à ceux qui ne possèdent, comme seul diplôme, que leur acte de naissance.
Ainsi, des plaidoyers « pro domo » ont été érigés en vérités irréfragables.
Dans cette atmosphère de contestation intellectuelle débridée, le Conseil constitutionnel est très vite apparu comme un mur des lamentations, pour ne pas dire le souffre-douleur privilégié d’une catégorie d’Ivoiriens, donnant ainsi corps aux scénarii les plus rocambolesques, et aux fantasmes les plus extravagants.
Excellence Monsieur le Président de la République !
Mesdames et Messieurs !
Pour l’honneur bafoué de ces humbles serviteurs de l’Etat, dont le tort aura été finalement de n’avoir pas fait mieux que Dieu, qui, même lui, n’a pas encore réussi à faire l’unanimité de ses créatures, c’est-à-dire, rendre des décisions emportant l’impossible unanimité des ivoiriens dans le cas d’espèce. C’est pourquoi il me plaît d’affirmer, d’entrée de propos, à la ville et au monde, afin que nul n’en ignore, que chacun des sept membres du Conseil constitutionnel ici présent, est en parfaite harmonie avec sa conscience, relativement au vote qu’il a émis, après délibérations, au moment de l’adoption des décisions concernant tant l’éligibilité que l’élection du Président de la République.
Excellence Monsieur le Président de la République !
Distinguées personnalités !
Mesdames et Messieurs !
La guerre des interprétations qui a engendré la polémique à laquelle je faisais tantôt allusion, a laissé des séquelles dans la société, et certains de nos compatriotes ont pensé, ou continuent encore de penser, que les décisions rendues par le Conseil constitutionnel dans le cadre de ce scrutin, ne doivent pas être exécutées.
A tous ceux de nos concitoyens qui raisonnent ainsi, de bonne ou de mauvaise foi, il nous parait nécessaire de rappeler la spécificité des décisions de la juridiction constitutionnelle, par rapport à celles des juridictions classiques, mieux connues.
En effet, selon l’article 138 de la Constitution, « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toute autorité administrative, juridictionnelle, militaire et à toute personne physique ou morale ».
En disposant ainsi, le Constituant ivoirien a entendu désigner le Conseil constitutionnel comme étant le seul organe à qui il conférait le pouvoir D’INTERPRETER OFFICIELLEMENT LA LOI FONDAMENTALE, faisant de lui, l’interprète le plus authentique de la Constitution, celui dont l’interprétation fait foi.
En effet, il peut y avoir plusieurs interprétations de la Constitution. Mais, dès que le Conseil constitutionnel a fait connaître la sienne à travers une décision, c’est elle qui s’impose, et tout le monde est tenu de s’y conformer.
Un éminent constitutionnaliste français, le Professeur Guy Carcassonne, traduit bien cette idée lorsqu’il affirme que : « Le Conseil constitutionnel dit le droit constitutionnel, le droit réel, sur les sujets dont il est saisi » et, qu’il poursuit en ajoutant : « les spécialistes peuvent, à l’occasion, estimer telle ou telle décision contestable, voire infondée telle ou telle argumentation, mais cela est inopérant dans le droit réel sur lequel le Conseil constitutionnel à un monopole absolu ». Fin de citation.
Ainsi, lorsque le Conseil constitutionnel a tranché, le citoyen peut approuver ou regretter sa décision, mais il doit savoir, et surtout accepter, que ni lui, ni quiconque, ne peut la remettre en cause.
Lorsque le Conseil constitutionnel déclare un candidat éligible, il est éligible !
Lorsque le Conseil constitutionnel déclare un candidat élu, il est élu !
Cette idée de l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel tient tellement à cœur au pouvoir constituant ivoirien, qu’il lui a consacré deux articles de notre Constitution :
- d’abord l’article 137 alinéa 4, qui indique que les décisions du Conseil constitutionnel « s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles » ;
- ensuite, et comme pour insister particulièrement sur cette idée, l’article 138 qui ajoute à cette première liste, l’autorité « militaire et toute personne physique ou morale ».
L’on se souvient que, dans cette même Côte d’Ivoire, en octobre 2000, et à l’occasion d’une élection présidentielle comme celle qui vient de se tenir, la juridiction constitutionnelle avait déclaré un candidat inéligible en invoquant à sa charge la mauvaise moralité, tout simplement parce que, suite à un prêt bancaire contracté par lui, il restait encore devoir à sa banque, au moment du scrutin.
Point n’est besoin d’être grand Clerc pour imaginer tout le mal que le concerné a pu penser, ou pense même encore, de cette décision qui faisait du crédit bancaire, cet indispensable instrument de la vie moderne, une preuve de mauvaise moralité.
Pour autant, il n’a pas levé une armée pour aller à l’abordage de la République. Il n’a pas, non plus cherché à imposer sa candidature par tous les moyens, ni voué aux gémonies les auteurs de cette décision.
Contre mauvaise fortune, il a fait bon cœur !
Ni l’avènement de la démocratie multipartisane, ni les changements de Constitutions, n’ont altéré la règle de l’opposabilité à tous des décisions du Conseil constitutionnel.
Excellence, Monsieur le Président de la République !
Mesdames et Messieurs !
Une autre particularité attachée aux décisions du Conseil constitutionnel est qu’elles sont définitivement gravées dans le marbre, et, par conséquent, exécutoires dès leur publication au Journal Officiel. Elles ne peuvent donc pas être remises en cause par un tiers, raison pour laquelle le législateur n’a prévu aucun organe de recours contre lesdites décisions.
Oui, du haut de cette tribune me parviennent en écho les cris d’orfraie de ceux qui croient pouvoir évoquer un précédent ou, comme ils se plaisent à le dire, une prétendue jurisprudence de 2010, pour apporter la contradiction sur ce point.
A ceux-là, je voudrais rappeler que l’élection présidentielle de 2010 et celle de 2020 ne peuvent être comparées, en droit, car elles ont été organisées dans des cadres juridiques totalement différents.
En effet, s’agissant de l’élection présidentielle de 2010, il faut se souvenir de ce que, à la recherche d’une solution de sortie de la crise qui avait cours dans notre pays, de nombreuses réunions avaient été organisées, de Linas-Marcoussis, en France, jusqu’à Ouagadougou, au Burkina-Faso.
L’une de ces rencontres s’est tenue à Pretoria, du 03 au 06 avril 2005, à l’initiative de Monsieur Thabo Mbéki, à l’époque Président de la République Sud-Africaine, et surtout Médiateur de l’Union Africaine pour la Côte d’Ivoire.
C’est au cours de cette réunion que les autorités ivoiriennes, notamment, Messieurs Laurent Gbagbo, alors Président de la République, Henri Konan Bédié, ancien Président de la République et Président du PDCI-RDA, Alassane Ouattara, ancien Premier Ministre et Président du RDR, feu Seydou Elimane Diarra, alors Premier Ministre, et Soro Kigbafori Guillaume, à l’époque Ministre d’Etat et responsable des Forces Nouvelles, ont convenu, en toute liberté et responsabilité, de demander à l’Organisation des Nations Unies (ONU) de s’impliquer dans l’organisation des élections à venir en Côte d’Ivoire.
Faisant droit à cette requête, le Conseil de Sécurité de l’ONU a créé, par sa Résolution N°1603 du 03 juin 2005, un poste de Haut Représentant pour les Elections, avec pour mission de certifier, « à titre exceptionnel », toutes les étapes du processus électoral.
En exécution de cette Résolution, deux Certificateurs des élections se sont succédé en Côte d’Ivoire à savoir, Monsieur Antonio Monteiro, diplomate et ancien Ministre portugais des Affaires Etrangères, puis Monsieur Gérard Stoudmann, un diplomate de nationalité Suisse.
Par la suite, le poste de Haut Représentant aux Elections a été supprimé mais, la fonction, conservée, a été confiée au Représentant Spécial du Secrétaire général de l’ONU en Côte d’Ivoire, en l’occurrence, Monsieur CHOÏ Young-Jin, qui s’est retrouvé ainsi investi d’une double mission : celle de Représentant Spécial du Secrétaire général de l’ONU, et celle de Certificateur des élections.
Dans sa Résolution N°1826 du 29 juillet 2008, l’ONU a clairement précisé les chapitres de sortie de crise sur lesquels devait porter la certification à savoir : la paix, l’inclusion, les médias d’Etat, la liste électorale et les résultats de l’élection.
S’agissant précisément de ce dernier chapitre, c’est-à-dire les résultats de l’élection, la Résolution indiquait, sans équivoque que : « Les résultats des élections seront certifiés d’une façon explicite. Une fois certifiés, le Certificateur n’admettra pas que les résultats fassent l’objet de contestations non démocratiques ou de compromissions ». Fin de citation.
Cette Résolution, adoptée sous le chapitre VII de la Charte des Nations Unies, c’est-à-dire revêtue de la force exécutoire, et avec l’aval de la partie ivoirienne, créait ainsi une nouvelle structure, à savoir l’organe de certification, hiérarchiquement placé au-dessus du Conseil constitutionnel, et doté, exceptionnellement, du pouvoir de remettre en cause ses décisions.
Cet organe apparaissait donc clairement comme une instance de recours contre les décisions de notre juridiction constitutionnelle.
C’est la mise en œuvre de ce dispositif « sui generis », librement accepté par toutes les parties, qui a justifié que toutes les étapes de l’élection présidentielle de 2010 aient été certifiées et que le Certificateur ait pu contester la décision du Conseil constitutionnel et valider les résultats proclamés par la Commission Electorale Indépendante (CEI), donnant ainsi vainqueur le candidat Alassane OUATTARA.
S’agissant de l’élection du 31 octobre 2020, il n’existait aucune structure de cette nature, la Côte d’Ivoire ayant renoué avec la normalité, et l’ONU s’étant retirée avec tout son dispositif, y compris l’organe de Certification des élections, conformément au paragraphe 8 de la Résolution sus citée qui précisait bien que le mandat du certificateur prendrait fin après la tenue des élections générales en Côte d’Ivoire.
Dans cette normalité institutionnelle retrouvée, le Conseil constitutionnel qui a recouvré tout son impérium, n’a plus, au-dessus de lui, une structure pouvant contester ou remettre en cause ses décisions, en particulier celles prises dans le cadre de ce scrutin.
C’est pourquoi, il n’est pas exact de dire qu’il existe en Côte d’Ivoire une pratique ou une jurisprudence apparue en 2010.
Au total, et pour conclure, comme on peut le constater, l’acceptation, même à contre-cœur, d’une décision du Conseil constitutionnel publiée au Journal Officiel, n’est pas une option pour chacun, mais plutôt une obligation pour tous.
- Notre Constitution nous le commande ;
- la discipline inscrite dans notre devise nous le demande ;
- et le civisme nous le recommande.
En persistant dans la défiance, c’est-à-dire en continuant de penser que notre interprétation personnelle de la Constitution est la seule qui vaille, et non aucune autre de nos vingt-cinq millions de concitoyens, encore moins celle de l’instance qualifiée dont c’est pourtant la vocation, et en soutenant que seules les décisions qui soignent nos intérêts et nos ambitions méritent d’être exécutées, sachons alors, que ce n’est pas la démocratie que nous construisons. C’est plutôt « l’Abbaye de Thélème », telle que décrite par Rabelais, que nous reconstruisons. Ce n’est pas une République que nous bâtissons. C’est plutôt « la cour du roi Pétaud » que nous restaurons.
Refuser de se soumettre à une décision du Conseil constitutionnel est une violation de la Constitution, notamment de ses articles 137 alinéa 4 et 138. Et tout comportement, ou raisonnement, prétendant réparer une violation supposée de la Constitution par une violation avérée de la même Constitution, souffrirait manifestement, d’un déficit de cohérence.
Pour sa part, le Conseil constitutionnel, sous d’autres cieux appelé « les sages », continuera, sans désemparer, de remplir sa mission avec sagesse ; cette sagesse qui féconde et humanise le droit ; cette sagesse dont la quête inlassable justifie que les anciens Présidents de la République soient membres de droit de cette haute juridiction, quelle que soit leur formation académique ; cette sagesse que nous considérons, au Conseil constitutionnel, comme le dernier article de la Constitution, celui qui n’est pas écrit, certainement parce qu’il va sans dire.
C’est sous le bénéfice de ces observations que je voudrais clore mon propos.
Je vous remercie pour votre aimable attention.