A Abidjan, la chichia connaît un boom dans les terrasses de café, dans des lounges et même des quartiers précaires, où cette pipe à eau permettant de fumer du tabac, est prisée pour son côté acidulé et parfumé.
"Le goût est merveilleux et ça défonce très bien", affirme César, un jeune homme de 22 ans, à quelques encablures d'une grande surface à Marcory, une commune située dans le Sud d'Abidjan, confiant que la charge du charbon "fait que la chichia sort bien".
La chicha, aussi appelée "narguilé", est une pipe à eau de taille variée, destinée principalement à fumer du tabac ou encore de l'essence de fruits. Elle est populaire dans diverses régions du monde, surtout dans les pays arabes.
Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la Chichia serait fumée chaque jour par plus de 100 millions de personnes et est parfois consommée chez les plus jeunes (15-20 ans) qui la fument lors d'occasions spéciales, notamment en périodes festives.
Les experts rapportent que sa composition comprend en général "28% de tabac associé à 70% de mélasse (liquide sirupeux contenant 50% de sucre) et des arômes de fruits (fraise, noix de coco) qui lui donnent ce goût suret et parfumé qui trompe les fumeurs.
Dans chaque pays, des saveurs sont proposées aux fumeurs. Un tour dans une terrasse à Abidjan, une serveuse déplie l'offre des arômes de chicha (pomme, raisin et menthe, citron et menthe, citron, menthe, love 66 et Hawall), la dose étant cédée à 7.000 Fcfa
La chicha aussi nocive que la cigarette
Une cinquantaine de bouffées de chicha sur une durée moyenne d'une heure équivalent à deux paquets de cigarettes. Le monoxyde de carbone présent dans la fumée est sept fois supérieure à celui présent dans la fumée d'une cigarette, révèle une étude sur le site spécialisé e-cancer.fr.
En outre, la fumée d'une chicha contient autant de pollution au monoxyde de carbone (CO) qu'environ 15 à 52 cigarettes et autant de goudron que 27 à 102 cigarettes. Et, sa teneur en chrome, cobalt, plomb et nickel est plus élevée que celle de la fumée de cigarette.
De plus, un millilitre de fumée de chicha contient plus d'un million de microparticules. Selon Dr Claire Lewandowski, médecin généraliste, "croire que fumer la chicha est plus sain que fumer des cigarettes est une erreur. Au contraire, la fumée de la chicha est particulièrement toxique, y compris pour les fumeurs passifs".
A l'instar de toutes les fumées de substances organiques qui brûlent, celles de la chicha libèrent lors de la combustion près de 4.000 substances chimiques. Pour Dr Rita Gouessé, biologiste de la santé, ces substances "augmentent fortement les risques de cancers du poumon, des lèvres, de la vessie et des voies aérodigestives supérieures".
Par ailleurs, comme un effet de mode, plusieurs friment avec la cigarette électronique, dont l'usage donne d'être atypique et spécial. Mais, "chaque fois que l’on inspire dans nos poumons, et à périodicité élevée, autre chose que de l’air frais, il y a un risque d’effet négatif", fait observer Dr Rita Gouessé.
Outre la dépendance à la nicotine, le vapotage favorise aussi l’obstruction des voies respiratoires, ce qui expose le fumeur à un risque élevé de bronchite pulmonaire obstructive chronique et des risques de maladies cardiovasculaires, poursuit Dr Gouessé.
Certains arômes ou des substances contenues dans le liquide des cigarettes élélectroniques (formaldéhyde, acroléine, etc.) sont "des composés potentiellement cancérigènes", mentionne Dr Rita Gouessé qui effectue actuellement en Côte d'Ivoire des recherches sur le cancer du sein.
Le narguilé peut entraîner la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), une maladie due à une anomalie des voies respiratoires, qui se caractérise par une limitation du débit d'air. Ce dysfonctionnement, évitable, est causé par une exposition importante aux gaz nocifs.
Les effets sur le système cardiovasculaire sont encore plus indéniables. Dr Mathieu Nogbou Aka, médecin neurologue, renseigne qu'ils affectent le rythme cardiaque, la pression et la rigidité artérielle, de sorte qu'à long terme, les risques de développer des maladies cardiovasculaires sont plus élevés.
Impacts sur la santé reproductive
Ici, les principaux risques sont ceux associés à la consommation de tabac, fait remarquer la biologiste en santé, Dr Rita Gouessé, qui révèle que "le tabagisme entraîne des conséquences sur l'ovulation, la fécondation et l'implantation de l'embryon" chez la femme.
Le tabagisme diminue la production d'œstrogène, entraînant des troubles du cycle menstruel, et influence la qualité des ovules qui peuvent présenter des anomalies ou être moins aptes à être fécondés, fait-elle remarquer, indiquant qu'il a des effets négatifs sur l’endomètre, la muqueuse servant à accueillir l’embryon au début de la grossesse.
De plus, dira-t-elle, "chez la femme enceinte, l’usage du tabac pourrait augmenter les risques d’avortements spontanés, de grossesse extra-utérine et autres anomalies de la grossesse ou encore de malformations congénitales chez le nourrisson".
En outre, fumer la chicha, augmentant le taux de monoxyde de carbone dans le sang, cela rétrécit les artères et nuit à la circulation sanguine. Pour cette raison, les fumeurs ont plus de difficultés à obtenir et maintenir une érection que les hommes qui ne fument pas.
Chez les hommes, le tabagisme diminue la production de spermes et des spermatozoïdes et réduit les possibilités de fécondation de l'ovule. Il augmente également la quantité de globules blancs présents dans le sperme et leur hausse provoque souvent la présence d'infections, ce qui peut rendre infertile.
Pour réduire la consommation du tabac, l'Etat de Côte d'Ivoire, a relevé d'un point l'imposition sur les produits du tabac, notamment le droit d'accise au titre de l'année fiscale 2021, passant d'un taux de 38% à 39%, ce qui porte le taux applicable à 46%.
Spécialisée dans la lutte contre le tabagisme et la drogue, l'ONG ivoirienne Clucod recommande une augmentation de ces droits d'accise à 50%, voire au moins 100% afin de casser la courbe de consommation du tabac qui connaît une progression dans le pays.
En Côte d'Ivoire, l'on estime le taux de prévalence du tabagisme à 14,6%, selon des données de l'Enquête démographique et de santé (EDS, 2011-2012). Le professeur Pascal Bogui, révèle dans une étude que "le coût de la prise en charge annuelle des maladies induites par le tabac est évalué à 28 milliards Fcfa".
AP/ls/APA