Abidjan - Lancé en fin juillet 2021 à Abidjan, le projet "Promouvoir la production de cacao sans déforestation pour réduire les émissions en Côte d’Ivoire (PROMIRE)" vise à parvenir à la restauration du couvert forestier fortement dégradé. David Solano, expert des questions d’agroforesterie au sein de la représentation de l'Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en Côte d’Ivoire, explique l’intérêt du projet dans cette interview accordée à l'AIP.
AIP: Qu’est-ce que le projet de promotion d’une production de cacao sans déforestation pour réduire les émissions en Côte d’Ivoire ?
David Solano: C’est un projet qui appuiera la finalisation et l’opérationnalisation de l’architecture REDD+ en renforçant les capacités institutionnelles pour assurer une mise en œuvre efficace des outils aux plans national et régional, le développement de nouveaux modèles agricoles à faible émission de carbone à travers la promotion de l’agriculture zéro déforestation. Nous observons que l’une des principales causes de la déforestation rapide, c’est l’exploitation agricole. Il s’agit de changer cette approche longtemps adoptée par les populations en faisant en sorte que sur toutes les parcelles cultivées, qu’on puisse insérer des arbres. Ce projet d’un coût de 10 millions de dollars financé par le Fonds Vert pour le Climat est exécuté sur cinq ans en Côte d’Ivoire sur la période 2021-2026 à travers la FAO qui est l’agence d’exécution.
AIP: Comment la Côte d’Ivoire a-t-elle bénéficié de ce projet ?
DS: Il faut rappeler qu’en vue d’assurer le développement durable et résilient face aux changements climatiques, la Côte d’Ivoire s’est engagée en juin 2011 dans le mécanisme international de Réduction des émissions de gaz à effet de serre dues à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD+) avec pour objectif d’augmenter sa couverture forestière jusqu’à 20% à l’horizon 2030. Ce mécanisme se met en œuvre en trois phases (de préparation, de mise en œuvre et de paiements basés sur les résultats). La phase de préparation au mécanisme REDD+ de la Côte d’Ivoire a bénéficié de l’appui de plusieurs partenaires techniques et financiers. Ces appuis ont permis à la Côte d’Ivoire de se doter de la majorité des instruments nécessaires à la mise en œuvre dudit mécanisme. A savoir la Stratégie nationale REDD+, adoptée en novembre 2017 par le gouvernement et le Cadre national d’investissement de la REDD+ développé en 2018, le niveau d’émissions de référence des forêts et des émissions, soumis à la convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques en 2019, un système national de surveillance des forêts et un système d’information sur les sauvegardes. C’est dans la suite logique de ce mécanisme.
AIP: Quel est l’intérêt du projet de promotion d’une production de cacao sans déforestation pour réduire les émissions en Côte d’Ivoire et pour les agriculteurs ivoiriens ?
DS: Ce projet permettra à la Côte d’Ivoire de demeurer non seulement premier producteur de cacao et retrouver son couvert forestier. C’est une reconnaissance aux efforts de la Côte d’Ivoire dans la lutte contre la déforestation et le changement climatique, en guise d’investissement pour passer des discussions et des consensus obtenus depuis 2014 aux faits et aux résultats sur le terrain. C’est le premier projet de ce genre que le Fonds Vert pour le Climat approuve en Afrique et sa bonne exécution permettra à ce Fonds et aux autres investisseurs de s’intéresser davantage à la Côte d’Ivoire. Il va permettre enfin d’appliquer sur le terrain, une agriculture sans déforestation et la politique de restauration des forêts engagée par les autorités ivoiriennes depuis 2014 avec le concours de plusieurs ministères, des partenaires techniques et financiers, de la société civile et du secteur privé. Tous ces acteurs travaillent depuis lors pour concevoir ensemble un cadre politique, législatif, technique, financier et partenarial adéquat à cet investissement. Ce cadre, y compris la sensibilisation de la société sont pratiquement achevés et c’est l’investissement sur le terrain qui manquait.
AIP: Pourquoi, c’est uniquement le cacao qui est mis en exergue dans ce projet ?
DS: Le cacao est indiqué dans le titre du projet puisque c’est le facteur de déforestation le plus important dans l’agriculture en Côte d’Ivoire. Les autres spéculations existantes dans les mêmes paysages à dominance cacaoyère telles que l’hévéa, l’huile de palme, les cultures vivrières, etc., seront prises en compte aussi. Et ce, par une planification participative du territoire et l’application de techniques de production plus durables et performantes dans chaque unité aménagée pour faire un ensemble en équilibre rendant des biens et des services multiples et contribuant à la lutte contre le changement climatique.
AIP: Donc toutes les autres spéculations seront prises en compte dans ce projet ?
DS: En effet, comme indiqué plus haut, toutes les spéculations contenues dans les mêmes paysages qui se sont avérées non durables doivent changer vers des modèles plus adaptés aux enjeux environnementaux et sociaux actuels. Bien sûr, les pays qui ont le plus de recul avec ces spéculations sont en train de poursuivre des voies similaires avec la planification territoriale, l’agroforesterie et la restauration de paysages. En Côte d’Ivoire, le cacao est priorisé maintenant et bientôt l’anacarde le sera aussi. Des techniques similaires utilisées par ces pays avec les autres produits pourront être promues aussi en Côte d’Ivoire. La Société de développement des forêts (SODEFOR) a un projet dans ce domaine à Adzopé où l’expérience a montré que la cohabitation plante-agriculture marche très bien. Les arbres créent des micro-climats qui favorisent une bonne agroforesterie.
AIP: Ce projet a-t-il déjà été expérimenté dans certains pays et quels ont été les résultats ?
DS: Les pays bénéficiaires du programme portant sur la Réduction des Emissions des Gaz à Effet de Serre dues à la Déforestation et la Dégradation des Forêts (REDD+) qui sont parvenus à la dernière étape de la mise en œuvre de ce programme perçoivent une rémunération en récompense des efforts consentis à tous les niveaux (gouvernement, communautés, société civile, secteur privé, recherche…) pour conserver, mieux gérer et reconstituer le couvert forestier. Chaque pays élabore un plan de partage de bénéfices pour distribuer ces payements, généralement entre ceux qui ont contribué aux efforts (propriétaires terriens, communautés, société civile, secteur privé, administration…). Idéalement, une partie de ces payements sont réinvesties dans la durabilité des actions. Avec le projet PROMIRE, la Côte d’Ivoire peut arriver à ces mêmes résultats avant cinq ans.
AIP: Concrètement dans 20 ou 30 ans, quel est l’objectif visé par la FAO pour la restauration du couvert forestier de la Côte d’Ivoire estimé à près de trois millions d’hectares actuellement et dont l’ambition du gouvernement est d’atteindre 20% à l’horizon 2030?
DS: En Côte d’Ivoire comme ailleurs, la FAO cherche à promouvoir une agriculture durable, et éliminer l’insécurité alimentaire et la pauvreté. Ce pays possède tous les atouts pour réussir bien avant le délai que vous avez indiqué. La FAO appuie les pays dans la génération et diffusion des connaissances et l’élaboration et la mise en place de politiques dans le respect des normes et des accords internationaux concernant l’agriculture, l’élevage, la pêche, les forêts. Tous les signaux sont au vert pour la réussite du projet dans les cinq ans à venir.
AIP: Qu’est-ce que vous attendez du gouvernement ivoirien pour la réussite de ce projet ?
DS: La persévérance dans les efforts entrepris depuis 2014 et l’appropriation par tous les ministères concernés pour que chacun puisse y contribuer avec sa part de responsabilité dans une action gouvernementale coordonnée. La lutte contre le changement climatique, la lutte contre la pauvreté, la conservation de l’environnement ainsi que le développement durable et inclusifs concernent une panoplie de thématiques et d’acteurs gouvernementaux ainsi que les administrés où les arbres doivent être vus comme le lien à partager et à valoriser d’une manière consensuelle pour satisfaire simultanément à ces objectifs et non seulement comme bénéfice exclusif de certains. L’Etat doit être garant de l’intérêt général et les techniques et méthodes pour y parvenir existent, ainsi qu’un marché global, des consommateurs et des bailleurs de plus en plus regardants sur la durabilité et l’inclusion.
AIP: Comment trouvez-vous le niveau de déforestation en Côte d’Ivoire ?
DS: Alarmant. Depuis mon arrivée en Côte d’Ivoire en 1997, j’observe de moins en moins d’arbres dans mes parcours habituels dans n’importe quelle direction au départ d’Abidjan. Et non seulement dans le milieu rural mais aussi dans les villes. L’on observe l’abattage d’arbres partout dans les anciennes et dans les nouvelles rues et je me demande si les planificateurs, les bâtisseurs, l’Administration et populations sont informés des bénéfices des arbres en milieu urbain. J’espère que les efforts de sensibilisation du gouvernement et ses supports vont réussir à inverser cette tendance d’agression des arbres avant qu’il ne soit pas trop tard.
David Solano appelle à une synergie pour la restauration du couvert forestier
AIP: Sur combien de superficie la Côte d’Ivoire doit-elle entreprendre ce projet pour avoir les résultats escomptés ?
DS: Ce projet va agir sur une superficie de près de 7000 hectares. Mais son influence doit s’étendre durant et après le projet sur des superficies beaucoup plus larges par l’effet de réplication et l’adoption des techniques plus durables et bénéfiques. Certes, ces changements ont besoin, dans un premier temps, de projets pilotes avec du support public ou des bailleurs, l’enjeu à terme étant le choix de cette technique par les agriculteurs même sans support externe.
AIP: Quelles sont les zones choisies pour la mise en œuvre du projet ?
DS: Environ 32 villages ont été identifiés dans les régions de l’Agnéby-Tiassa, de la Mé et du Sud-Comoé. Les villages ciblés sont pour la plupart des villages où la culture prédominante est le cacao. L’autre critère de sélection concerne aussi les villages qui ont souffert de la déforestation et qui se retrouvent en périphérie des espaces protégées ou des forêts classées. Parmi l’ensemble de ces villages, quatre villages lagunaires ont été ciblés où la conservation et la régénération des mangroves sera aussi abordée.
AIP: A ce jour, quel est le niveau de mise en œuvre du projet sur le terrain ?
DS: Nous avons démarré officiellement le projet, crée les organes de gestion et nous sommes en train de finaliser les processus de recrutement du personnel de projet. La prochaine étape va consister à négocier avec les partenaires d’exécution et réaliser un diagnostic agraire des 32 villages. Ce travail doit nous permettre d’établir la liste de bénéficiaires et initier la préparation des pépinières en fin d’année en vue d’aborder une première vague de plantations entre mi-juillet 2022.
AIP: Combien d’emplois pourrait-il générer ?
DS: Le diagnostic nous donnera plus de données pour établir une prévision fiable, mais à priori une trentaine par village voire autour de 1000 emplois.
(Par Benjamin SORO)
(AIP)
bsp/cmas