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Société Publié le mercredi 31 janvier 2024 | AIP

Fact-checking / CAN 2023: Éclairage sur une vague de désinformation et d’incitations à l’affrontement communautaire autour de la compétition (Dossier)

© AIP Par DR
Le stade Félix Houphouët Boigny "Félicia" : Une infrastructure sportive de haut niveau, à fière allure

Abidjan, Depuis le début de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN 2023) en cours en Côte d’Ivoire depuis le 13 janvier 2024 jusqu’au 11 février, une prolifération de fausses informations à caractère incitatif à l’affrontement intercommunautaire entre les Ivoiriens et des ressortissants de pays voisins a été observée. Dans ce dossier, l’AIP recense certaines de ces fausses nouvelles qui circulent et peuvent représenter une menace pour la cohésion sociale.


1- Prétendus affrontements entre Ivoiriens et ressortissants Burkinabé non loin de Bouaké


Faits : Une vidéo estampillée « GD SAHEL REVOLUTION VRAI » montrant un village dont des cases sont parties en fumée circule. Le village, apparemment désert, serait nommé « Sisiakro » selon le texte accompagnant la vidéo. Il serait situé non loin du département de Bouaké dans le centre ivoirien. Selon l’auteur, s’exprimant en langue Mooré (parlée par les populations Mossi du Burkina qui ont une forte présence en Côte d’Ivoire), des cultivateurs Burkinabé ont été attaqués par des Baoulé (groupe ethnique autochtone de Bouaké) lors d’affrontements intercommunautaires et seraient en fuite dans la brousse. Leurs biens et habitations auraient été pillés et incendiés.


Précision pertinente : Cette vidéo, largement partagée dans des groupes WhatsApp, a été diffusée vers le 20 janvier 2024, alors que des milliers de supporters burkinabés séjournaient à Bouaké pour les matchs de poule de leurs équipes nationales.


Actions de Fact-checking et verdict : Dès la réception de ce message, le service de Fact-checking de l’Agence Ivoirienne de Presse (AIP, AIP Fact-checking) a analysé minutieusement la vidéo avec ses outils de vérification. Il a ensuite contacté les autorités administratives de Bouaké. Selon les Forces de l’ordre (Gendarmerie, police) et la Préfecture de la ville, aucun incident de cette nature n’avait été signalé dans la zone. De plus, la Préfecture ne reconnaît pas l’existence d’un village nommé « Sisiakro ». Une enquête plus approfondie auprès de l’administration du territoire a conclu qu’aucune localité ne porte le nom de Sisiakro en Côte d’Ivoire. L’AIP et ses partenaires de vérification des faits, notamment le réseau Ivoirecheck du Réseau des professionnels de la Presse en Ligne de Côte d’Ivoire (REPPRELCI), ont travaillé à freiner la propagation de cette fausse nouvelle.


Verdict : Faux ! Il n’y a pas eu d’affrontements entre des Ivoiriens et des ressortissants burkinabés dans une localité proche de Bouaké vers le 20 janvier 2023.


Commentaire de l’Éditeur : En attribuant le nom fictif « Sisiakro » à ce village, les auteurs de cette fausse information semblaient vouloir rendre les actions de vérification difficiles voire impossibles pour les journalistes et fact-checkers. Cela indique que les auteurs de fausses informations sont de plus en plus conscients des mécanismes de vérification en place et cherchent activement, à travers diverses astuces, à contrecarrer ces efforts.


2- Affaire « Supporters maliens empêchés sans raisons d’entrer en Côte d’Ivoire »


Faits : Six autocars transportant environ 300 supporters maliens n’ont pas été autorisés par les autorités administratives ivoiriennes à entrer sur le territoire ivoirien et ont été obligés de rester parqués dans une ville malienne frontalière à la Côte d’Ivoire, dans la troisième semaine du mois de janvier 2024. Plusieurs pages Facebook, sans prendre le soin de connaître les raisons de cette décision – qui se voulait temporaire en attendant de trouver une solution – ont diffusé des propos d’indignation de supporters maliens, ainsi que des cris à l’injustice et à un présumé non-respect par les autorités ivoiriennes des principes de libre circulation de la CEDEAO. Alors que des discussions se poursuivaient entre les deux parties, des publications susceptibles de susciter des mécontentements parmi les supporters maliens, sans évoquer ni les raisons de cette situation ni les négociations en cours à ce moment, circulaient sur les réseaux sociaux, provoquant des confusions dans la compréhension du sujet. Suite aux négociations, une solution a été trouvée et les supporters maliens ont pu entrer sur le territoire ivoirien afin de soutenir leur équipe nationale.


Actions de Fact-checking : AIP Fact-checking, après avoir contacté les autorités administratives, sécuritaires, ainsi que des réceptifs et résidences hôtelières, ainsi que des résidents maliens, et après avoir constaté sur le terrain, il ressort qu’au moins 500 supporters maliens étaient déjà présents en Côte d’Ivoire, notamment dans le département de Korhogo, mais aussi dans des villes du district autonome du Poro, dont Tengrela et Boundiali. Il ressort également que les supporters bloqués aux frontières n’avaient pas encore été autorisés à entrer sur le territoire ivoirien parce que l’autorité administrative ivoirienne n’avait pas de preuves que ceux-ci avaient des endroits où résider après les matchs. Bien avant cela, une correspondance du Préfet de Korhogo, préfet de région du Poro adressée au premier responsable de la communauté malienne à Korhogo – document consulté par AIP Fact-checking -, invitait ce dernier à trouver des lieux de résidence pour ses compatriotes ou à prendre des dispositions afin que ceux d’entre eux n’ayant pas de lieu de résidence en Côte d’Ivoire puissent retourner au Mali après chaque match.


Verdict : Des supporters maliens ont effectivement été empêchés d’entrer sur le territoire ivoirien, mais pas « injustement » ou sans raisons. L’information de leur empêchement était certes vraie mais incomplète car elle ne mentionnait pas les raisons ayant conduit à cette situation temporaire.


Commentaire de l’éditeur : AIP Fact-checking salue le professionnalisme de plusieurs confrères journalistes maliens présents en Côte d’Ivoire dans le cadre de la CAN, dont Maliba FM, qui ont rapidement publié des vidéos expliquant cette situation sur les réseaux sociaux. Ces publications, lues et visionnées par l’AIP, ont contribué de manière pertinente à une meilleure compréhension de cette situation chez les internautes maliens et ont apaisé les esprits.


3- Un faux document attribué à la gendarmerie nationale de Côte d’Ivoire ordonnant le refoulement des réfugiés en provenance des pays voisins


Faits : Le lundi 29 janvier 2024, une sonde du réseau IvoireCheck a attiré l’attention d’AIP Fact-checking sur la circulation à travers des groupes WhatsApp d’un document attribué au Commandement de la 4ème région de la gendarmerie nationale de Côte d’Ivoire. Ce document (Voir fac-similé), daté du 27 janvier 2024, ne portant pas de signature, ordonne aux différentes unités le refoulement des réfugiés en provenance des pays frontaliers, précisant que « la Côte d’Ivoire n’accueille désormais plus de réfugiés ».


Précision pertinente : Ce document a commencé à circuler au moment où trois pays de la sous-région, le Mali, le Burkina et le Niger dont deux sont frontaliers à la Côte d’Ivoire, ont annoncé leur décision de quitter la CEDEAO (28/01/2024). Mais aussi au moment où la CAN s’achemine vers les quarts de finales prévoyant une rencontre entre la Côte d’Ivoire et le Mali.


Actions de Fact-checking : La gendarmerie nationale, contactée pour l’authentification de ce document, a démenti l’avoir produit. De plus, la maréchaussée ivoirienne a publié un démenti à ce sujet sur sa page Facebook officielle (Voir fac-similé). Les recherches ont permis de constater que certains utilisateurs de Facebook résidant hors de la Côte d’Ivoire avaient déjà publié ce document.


Verdict : Faux ! La gendarmerie de Côte d’Ivoire n’a pas donné d’ordre à ses agents de refouler les réfugiés en provenance de pays frontaliers.


4- Présumé décès d’un étudiant ivoirien à Dakar après avoir été agressé suite à l’élimination du Sénégal par la Côte d’Ivoire


Faits : En match comptant pour les huitièmes de finale de la CAN 2023, le Sénégal, tenant du titre, a été battu par les Éléphants de Côte d’Ivoire à l’issue des séances de tirs au but, dans la soirée du lundi 29 janvier 2024. Quelques heures après ce match, alors que les rues ivoiriennes sont en liesse, des vidéos diffusées sur TikTok et Facebook, massivement partagées, font état de ce que des Ivoiriens résidents au Sénégal font l’objet d’agressions physiques par des supporters sénégalais en colère. Il est annoncé dans la foulée le décès présumé d’un étudiant ivoirien des suites de ces présumées violences.


 L’une de ces vidéos, particulièrement soulignée par AIP Fact-checking sous l’appellation « Video N », montre une foule en mouvement dans une rue, filmée depuis un immeuble. On y entend des cris provenant de la foule en mouvement, ainsi que la voix de l’auteur de l’enregistrement, scandalisé, affirmant centrale que des Sénégalais s’en prennent violemment à un jeune Ivoirien vêtu d’un maillot des Éléphants. Un grand nombre de messages vocaux interpellant sur des agressions présumées d’Ivoiriens circulaient également sur les réseaux sociaux, sans que leurs auteurs ne soient identifiés. Un message annonçant le décès d’un étudiant ivoirien dans les mêmes circonstances, relayé par une association d’étudiants ivoiriens résidant au Sénégal, a été publié puis supprimé.


Un jeune tiktokeur nommé Nathan Ali Doumbia, affirmant être Ivoirien et vivant à Dakar, a publié une série de vidéos le mardi 30 janvier. Dans un premier temps, il a confirmé le décès d’un étudiant ivoirien, avant de remettre en doute cette allégation, doutant de la crédibilité de sa source. Pourtant, sa première annonce était déjà devenue virale sur la toile, au point que des influenceurs ivoiriens cumulant des millions d’abonnés en ont parlé.


Précision pertinente : La Côte d’Ivoire abrite une forte communauté sénégalaise dont les membres sont intégrés aux populations locales.


Actions de Fact-checking : AIP Fact-checking, après l’analyse de la vidéo « N » avec les outils de vérifications traditionnels, n’est pas parvenu à la retrouver en publication antérieure sur la toile. Toutefois, le lieu de son enregistrement reste pour l’heure inconnu. Les personnes montrées par cette source ne sont pas identifiables, ni les actes qu’elles posent. Plusieurs ressortissants ivoiriens vivant au Sénégal, contactés, expriment leur étonnement, tandis que certains affirment avoir entendu des rumeurs sur ces violences sans toutefois en avoir eu la confirmation. Intervenant le mardi 30 janvier sur les ondes de notre confrère RTI 1, la chargée d’affaires de l’ambassade de Côte d’Ivoire au Sénégal, Agbouya Née Kokola Anna Marie Cécile, s’est voulu formelle : d’après elle, après vérification en liaison avec les autorités sénégalaises, il n’y a « pas eu de morts ni de blessés ivoiriens enregistrés ». Toutefois, la diplomate a reconnu qu’il y a eu des velléités d’agression à l’encontre d’un groupe de supporters ivoiriens qui ont été secourus à temps par la police sénégalaise et n’ont subi aucune agression physique. 


De son côté, la préfecture du département de Dakar a également démenti cette rumeur. Dans un communiqué publié le même 30 janvier, consulté par l’AIP, cette administration déclare : » Aucun individu victime de violences n’a été reçu dans les services hospitaliers après le match. Aucune déclaration de violences sur des étrangers n’a été enregistrée par les services de police. »


Verdict : Faux ! Aucun étudiant ivoirien n’est décédé à Dakar des suites d’une agression physique à l’issue du match Côte d’Ivoire-Sénégal. Le jeune Tiktokeur Nathan Ali Doumbia


Commentaire de l’éditeur : Le jeune Tiktokeur Nathan Ali Doumbia dont la vidéo annonce ce présumé décès a suscité de vives réactions sur les réseaux sociaux, ne s’est pas assuré de la véracité du fait avant de l’annoncer. Il s’est contenté de citer une source qui lui a donné cette information par message sur Tiktok. Sans même demander l’identité de la victime alors que sa source se serait présenté à lui comme le frère du défunt.


À l’approche de l’apothéose de la CAN, il est crucial que les populations soient vigilantes face aux informations circulant sur les réseaux sociaux. Les journalistes, spécialement formés pour informer les masses, sont les mieux placés pour collecter, vérifier et diffuser des informations crédibles. Il est impératif, avant de croire ou de partager une information, de s’assurer de la crédibilité de la source et de vérifier si elle a été relayée par un média digne de confiance.


Cette exhortation s’adresse également aux cyberactivistes, influenceurs, blogueurs, et autres acteurs des médias sociaux. En tant que porteurs d’influence, leur responsabilité est d’autant plus grande. Ils doivent diffuser des informations vérifiées et sensibiliser leur audience sur l’importance de vérifier la crédibilité des sources avant de partager des nouvelles. Ils doivent savoir que leur rôle dans la diffusion d’informations vraies et vérifiables contribue à maintenir la confiance du public et à prévenir la propagation de fausses nouvelles pendant des événements aussi importants que la CAN.


(AIP)


tm

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