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Société Publié le vendredi 19 septembre 2025 | BBC

L'empereur malien Bakari II a-t-il découvert l'Amérique avant Christophe Colomb ?

L'empereur malien Bakari II a-t-il découvert l'Amérique avant Christophe Colomb ?
© BBC
L'empereur malien Bakari II a-t-il découvert l'Amérique avant Christophe Colomb ?
Entre le roi de l'empire du Mali Bakari II et Christophe Colomb, qui était le premier à découvrir l'Amérique ? Des historiens, archéologues et ethnologues se sont mis sur la piste de cette recherche. Voici leur réponse.

L'histoire nous a appris à l'école que c'est Christophe Colomb qui a découvert l'Amérique en 1492. Seulement, depuis plusieurs décennies, une nouvelle thèse émerge au sein d'historiens et ethnologues africains et européens, qui affirment que c'est Bakari II, un roi africain, empereur du Mandé qui a découvert l'Amérique en premier.

Cette thèse, loin d'être farfelue repose sur un ouvrage publié bien avant le voyage du navigateur génois, par Al Umari, historien et géographe arabe. Une théorie que BBC News Afrique a revisitée.

La découverte de l'Amérique telle qu'on nous l'a enseignée à l'école a été l'œuvre de Christophe Colomb, navigateur génois établi en Castille. C'est en 1492 que cette découverte a eu lieu.

Toutefois une autre version de l'histoire fait son chemin. La découverte de l'Amérique remonterait bien avant le voyage de Christophe Colomb. Elle daterait de 1312 et serait attribuée au roi africain Bakari II, empereur du Mandé, un royaume africain de l'époque médiévale, organisateur d'une expédition navale qui a réussi à atteindre l'autre côté de l'Atlantique, bien avant l'arrivée des Européens.

L'expédition de Bakari II

Bakari II avait équipé deux cents embarcations pleines d'hommes et de provisions et les a envoyées dans l'Océan Atlantique avec comme message : ''ne revenez qu'après avoir atteint l'extrémité de l'océan ou si vous avez épuisé vos provisions''.

Plusieurs mois après le départ de cette expédition, une seule embarcation revint au quai. Interrogé par l'empereur, l'équipage explique avoir voyagé jusqu'à ce que se présenta en pleine mer un courant violant qui a fait chavirer de nombreux navires et certains ont été emportés par le courant.

Une explication qui ne convainc pas l'empereur qui décida de préparer une seconde expédition, mieux préparée et plus équipée avec 2000 embarcations, 1000 pour lui et ses hommes qui l'accompagnèrent et 1000 pour l'eau et les provisions.

Selon Pathé Diagne (1934-2023) historien, linguiste sénégalais, le roi mandingue a toujours été convaincu qu'il y a une limite à la « reine mer » ou la « mer des ténèbres » comme on appelait l'océan atlantique en ces temps. Il voulait mettre fin à cette croyance qui dit que l'océan atlantique tombait à l'horizon comme une cascade, et donc n'a pas de fin.

Qui est Aboubakri ou Bakari II ?

Bakari II était empereur du Mali de 1300 – 1312. Il était le prédécesseur de Kankan Moussa empereur du Mandé connu comme étant l'homme le plus riche au monde de tous les temps.

Dans son ouvrage ''Bakari II (1312) et Christophe Colomb (1492) : A la rencontre de Tarana ou l'Amérique'', Pathé Diagne écrit que « Bakari II et Christophe Colomb ont ouvert les portes de la mondialisation, amorcée par l'expansion des conquêtes musulmanes et l'essor des sciences, qui renouaient avec la Haute Antiquité, grâce aux savants d'une Renaissance dont la navigation transatlantique sera un stimulant de premier ordre... ».

L'historien et linguiste sénégalais qui s'appuie sur l'encyclopédie d' Al Umari et mena plus tard des recherches linguistiques qui prouvent une certaine proximité entre les langues de l'empire du Mandé et celles des amérindiennes.

Al Umary l'encyclopédiste qui change tout

La thèse de la découverte de l'Amérique par Bakary II repose essentiellement sur une source écrite et d'autres sources orales et archéologiques connues de nos jours. S'agissant de la source écrite, elle émane de l'encyclopédie d'Al Umari, historien, géographe arabe du XIV siècle.

Dans son livre intitulé Kitab Masālik al-abṣār fī mamālik al-amṣār ''Le livre des itinéraires et des royaumes'' publié en 1342, Al Umari rapporte une discussion entre le fils du Sultan du Caire et Kankan Moussa, empereur du Mandé en route vers la Mecque ou de retour de la Mecque. Il est établit que le roi du Mandé a effectué son voyage à la Mecque en 1324.

Interrogé sur comment il est arrivé au trône au cours de la discussion avec le fils du Sultan du Caire, Kankan Moussa explique à son interlocuteur qu'''il appartient à une famille dans laquelle le pouvoir s'hérite. Celui qui était avant moi ( au trône) ne croyait pas que la mer des ténèbres était (Océan atlantique) était sans limite. Il voulut parvenir à son extrémité et se passionna pour ce projet et n'est pas revenu de son expédition''. C'est ainsi que lui a hérité du trône.

Que disent les historiens et autres chercheurs?

Selon Jean Yves Loude, ethnologue français, , co-auteur de « Le Roi d'Afrique et la Reine mer » (Éd. Actes Sud) un ouvrage consacré à Bakary II et de Mamadou Diabang, l'ouvrage d'Al Umari traduit en Français en 1927 est la seule source écrite qui parle sans le nommer de Bakary II.

''On connait ce texte depuis toujours et la traduction française existait, sauf que personne n'en a jamais parlé'' s'étonne Jean Yves Loude.

''L'encyclopédie d'Al Umari a été publié en 1340 pratiquement à l'époque où les faits ont été vécus, elle a servi pour tous les savants parisiens de l'école des hautes études, tout le monde s'est servi ou a pillé cette encyclopédie pour écrire des livre très très savants sur l'histoire médiévale, du Mali, mais à une exception, la page concernant la discussion entre Kankan Moussa et le fils du Sultan du Caire a été mise à la poubelle'' dit-il au cours d'une émission radiophonique avec Rfi.

Maitre de Conférences assimilé d'histoire médiévale au département d'histoire de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, l'une des plus grandes universités francophones d'Afrique, Mamadou Oury Diallo se veut également formel. ''L'histoire de Bakari 2 est une histoire réelle. Elle ne relève pas de la légende'' dit-il au cours d'un entretien qu'il a accordé à BBC news Afrique.

''Ce passage du livre Kitab Masālik al-abṣār fī mamālik al-amṣār qui parle de l'expédition de Bakari II a été complétement ignorée par les historiens et autres chercheurs occidentaux'' dit-il mettant en cause ''l'intelligentsia européenne qui ne pouvait pas cautionner cette vérité que c'est un roi africain, un empereur du Mandé qui a découvert l'Amérique en premier bien avant Christophe Colomb''.

Pour lui, ''il y a donc une volonté d'omettre cette partie, ce qui fait partie de la falsification de l'histoire africaine et certains grands mensonges qui constituent une phase sombre de l'humanité''.

''C'est un ouvrage historique qui a été longtemps ignoré, qui n'a jamais été enseigné dans les écoles, même en Afrique'' écrit Pathé Diagne à propos de l'encyclopédie d'Al Umari.

Ce que disent les sources orales sur Bakari II et son expédition

Dans les années 90, plusieurs intellectuels africains et français ont entrepris des recherches au sujet de Bakari II et de son expédition navale.

Des chercheurs dont Jean Yves Loude ont sillonné le Sénégal, le Mali, la Gambie, la Guinée (Conakry), etc. à la recherche des sources orales (griots, détenteurs des traditions dans les royaumes africains) pour vérifier scientifiquement l'histoire de ce roi du Mali.

Les chercheurs ont notamment interrogé des sources orales mandingues venant des griots, revisité les sources arabes et les travaux des ethnologues comme Pathé Diagne qui a publié également des ouvrages, notamment « l'archéologie transatlantique » et « Présence africaine transatlantique » dans lesquels il a établi des relations linguistiques et religieuses entre les populations ouest-africaines et amérindiennes.

''Quand on s'était mis à chercher au début des années 90 cette histoire-là, on a trouvé même des savants qui ont pignon sur rue des arguments abracadabrants pour dire que les Africains n'avaient pas la connaissance de la mer, que c'était de la vantardise de Kankan Moussa'', rappelle Jean Yves Loude,

''Or, être scientifique, c'est vérifier l'information et personne ne voulait entendre que cette expédition pouvait avoir font de vérité. Voilà ce qui nous a poussé à aller sur les traces Bakary II en 1990 et 1992 au Sénégal jusqu'à Conakry en passant par tous les collèges du Mandingue''.

L'ethnologue français qui est convaincu de la véracité de l'expédition car dit-il, un ''empereur comme Kankan Moussa ne peut pas se permettre de raconter n'importe quoi''.

Au cours de son périple à la recherche des sources, un griot gambien lui a clairement expliqué pourquoi, les griots africains ne parlent pas beaucoup de ce roi.

''Nous griots, nous sommes là pour chanter les louanges des vainqueurs sur les champs de batail. Or ce roi, du Mali (Bakari II) qui est parti en mer ses équipages, ses griots, ses soldats, emportant l'or de l'empire, la nourriture et qui disparait à l'horizon pour ne jamais revenir, c'est un naufrage dans l'histoire'' lui a-t-il déclaré avant de poursuivre ''nous les griots, nous refusons de parler de lui''.

Ce silence volontairement entretenu par les griots, c'est l'argument de Mamadou Diabang, auteur d'une thèse de doctorat sur Bakari II.

Il note qu'''Il y a une sorte de censure sur la vie et le règne de Bakari II, imposée aux griots. Le roi (Bakari II) est considéré comme quelqu'un qui a abandonné son peuple et son empire. Donc personne ne devrait parler de lui'', fait-il remarquer.

D'autres éléments mis à jour par l'archéologie

La thèse de la découverte de l'Amérique par l'expédition de Bakari II va continuer de faire débat. Pour des spécialistes de l'océan, il est possible de quitter les côtes ouest-africaines pour naviguer jusqu'à Pernambuco (Brésil), au Mexique et dans d'autres pays au Sud du nouveau monde.

La découverte parfois ces dernières années d'embarcations de fortune et de restes de migrants ouest africains échoués dans les côtes des Caraïbes a donné du poids à ceux qui pensent que l'expédition de Bakari II pouvait bel et bien avoir atteint l'Amérique.

Mais, en dehors de ces arguments, des recherches archéologiques menées au Mexique et au Panama auraient permis de trouver des objets appartenant aux populations africaines.

Au Mexique, des statuettes montrant des visages africains avec de larges nez des scarifications ou cheveux crépus qui sont une caractéristique propres à certains groupes africains ont été retrouvés dans certaines pièces archéologiques. Des peintures murales avec des personnes noires, selon Jean Yves Loude.

Par ailleurs, dit-il, le conquistador espagnol Balboa a signalé dans ses écrits en 1515 la présence dans l'isthme de Panama d'éthiopiens (noirs d'Afrique).

''Balboa écrit que certains (éthiopiens) se battaient contre les populations locales et d'autres sont faits prisonniers ce qui vaut dire que des noirs d'Afrique sont déjà là en Amérique Latine'' soutient l'ethnologue français.

Si tous ces éléments ne sont pas une preuve irréfutable de la découverte de l'Amérique par Bakari II, il va falloir sérieusement se poser des questions sur comment tous ces objets et ces faits se sont retrouvés ou ont pu se produire en Amérique sans la présence d'Africains.


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